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jeudi 15 octobre 2015

Dans la jungle de Calais : "Médicalement, ce que nous avons vu est inacceptable"

Dans la « jungle » de Calais : 

« Médicalement, ce que nous avons vu est 

inacceptable »

Le Monde.fr |  • Mis à jour le 


Dans la « jungle » de Calais, 3 000 personnes campent dans des abris de fortune. PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS


Par Laurence Thibert, Hannane Mouhim, Mady Denantes, infirmières et médecin de la maison de santé pluriprofessionnelle de Pyrénées-Belleville, à Paris, et Pascal Teulade, auteur.


Nous sommes quatre citoyens dont trois soignants. Nous avons l’habitude de gérer la maladie, le malheur de la maladie, c’est notre métier. A l’appel de Médecins du monde (MDM), nous nous sommes rendus à Calais cet été pour offrir notre aide. Et nous avons été choqués par ce que nous y avons vu.

Ce qu’on y désigne couramment comme « la jungle » n’est rien d’autre qu’un bidonville de plus de 3 000 personnes installé sur une décharge publique battue par les vents, « la zone industrielle des dunes ». On ne s’y croit plus en France mais dans un pays pauvre. Ou en guerre. Ou victime d’une catastrophe. Et encore… L’une de nous était en Albanie, près de la frontière du Kosovo en 1999 : le camp de réfugiés était mieux tenu, tous avaient un abri.
Sur ce terrain loin de la ville, loin de la vie, on a seulement créé quelques points d’eau, quelques toilettes, quelques douches : rien qui réponde aux exigences sanitaires en France, ni dans un camp de réfugiés. Des organisations non gouvernementales (ONG) ont installé quelques cabanons, d’autres distribuent à manger. MDM propose des consultations médicales et des soins infirmiers.

Une épidémie de gale terrible


Depuis quelques mois, le centre de loisirs Jules-Ferry a été réquisitionné pour loger une centaine de personnes (sur 3 000), uniquement des femmes et des enfants. Les autres s’abritent dans des cabanes de fortune ou des tentes données par les ONG. D’autres dorment dehors. Dans le centre Jules-Ferry, un repas est distribué tous les jours et l’on peut se doucher. Mais tout cela après des queues longues et éprouvantes. La demande est trop forte pour que chacun ait droit à une douche quotidienne (500 douches par jour pour 3 000 personnes). Et nous ne sommes pas sûrs non plus qu’ils accèdent tous à cet unique repas.

Médicalement, ce que nous avons vu dans ce bidonville est inacceptable. Une épidémie de gale terrible : la gale, ça gratte surtout la nuit, ça empêche de dormir. Des jeunes aux mains et aux jambes lacérées par les barbelés qui entourent le site d’Eurotunnel. Ces clôtures déchiquettent la peau de manière anarchique et il est difficile de rapprocher les berges pour les suturer en laissant une cicatrice nette et indolore. Les très mauvaises conditions d’hygiène favorisent, ensuite, les infections. Nous avons aussi observé de nombreuses fractures du calcanéum – os du tarce qui forme la saillie du talon –, dues à des chutes de plus de quatre mètres de haut. Leurs séquelles peuvent causer un handicap permanent.

Nous avons vu des enfants livrés à eux-mêmes, sans adulte référent. Des femmes seules errant. Comme cette Erythréenne de 25 ans affligée d’une profonde cicatrice sous l’oreille gauche, qui souffrait de céphalées chroniques et de troubles de l’audition, séquelles d’une agression survenue quatre mois plus tôt en Libye. Elle avait passé la nuit dehors et paniquait à l’idée d’en passer une seconde, car des hommes avaient voulu l’emmener de force dans leur tente. Nous avons appelé le centre Jules-Ferry. Qui l’a inscrite en position 56 sur la liste d’attente. Nous nous sommes vus lui donner un duvet et lui trouver un petit coin dans la tente d’une autre Erythréenne. Le lendemain, on l’a trouvée en pleurs. On saura seulement que le mari de l’autre femme était revenu ivre dans la nuit. Elle gardera pour elle les détails. Et nous notre honte de ne pas l’avoir mise à l’abri.

Trois heures de queue pour un repas par jour


Nous avons vu beaucoup de cas de varicelles, des patients victimes de coups, de lacrymogènes, des gosses couverts de lésions de gale impétiginisées, des abcès dentaires terriblement douloureux, des grossesses avec beaucoup de demandes d’interruption volontaire de grossesse, beaucoup de viroses avec pharyngite, rhumes et toux.

Et tous les jours, nous avons rencontré des enfants, des femmes, des hommes, fatigués, maigres, épuisés par un terrible voyage. Leur tension artérielle était anormalement basse, à 10 pour des hommes de 25 ans. Nous avons calculé des indices de masse corporelle (IMC) à 19, et quelques-uns, même, inférieurs à 18,5 ; ce qui définit la dénutrition. En France en 2015, on propose à ces personnes dénutries un repas par jour à condition de faire trois heures de queue. En France ?

Dans notre maison de santé, nous avons l’habitude d’alerter les services de l’Etat. Sur une épidémie, un enfant en danger, une femme victime de violences. Nous sommes habitués à travailler avec l’agence régionale de santé dans un système de santé publique. Avec des règles, des protocoles. Dans le bidonville, rien. Les autorités sanitaires n’existent pas. Même les pompiers – nos plus fidèles alliés quand personne ne veut se déplacer – refusent d’y entrer.

Perdre nos valeurs, notre humanité


Une permanence d’accès aux soins de santé (PASS) a été créée pour les patients sans couverture maladie : un unique médecin, deux ou trois heures par jour, à plus d’une heure de marche du bidonville. La PASS dentaire ne fonctionne, elle, qu’une demi-journée par semaine. Voici L., 16 ans. En tombant d’un train, il s’est cassé les deux incisives supérieures, la pulpe est à vif. Les dents doivent être dévitalisées pour diminuer cette douleur insupportable et éviter une infection. Il faudra chercher des heures un dentiste de Calais qui accepte de le soulager. L’ami qui lui sert d’interprète paraît bien maigre. Nous insistons pour le peser et le mesurer : 48 kg, un IMC de 17,6, une tension à 9/6. Mange-t-il tous les jours ? Oui, à la distribution du centre Jules-Ferry. Sauf aujourd’hui, car il a préféré accompagner son ami à la clinique de MDM plutôt que faire la queue.

Qu’est-ce qui est acceptable et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Faut-il se dire : ils ont déjà de la chance qu’on leur fasse une radio ? La gale, ce n’est pas si grave ? Ils n’avaient qu’à ne pas venir ? Ils ont connu pire en traversant la Méditerranée ? Un repas par jour, c’est déjà pas mal ? Si nous n’y prenons garde, nous allons y perdre nos valeurs, notre humanité.
Le 7 août, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a lui-même appelé les autorités françaises à réagir face aux « conditions de vie et d’accueil épouvantables » autour de Calais. Mardi 6 octobre, c’était au tour du Défenseur des droits, Jacques Toubon, de dénoncer « les difficultés d’accès aux droits fondamentaux des exilés » dans le bidonville de Calais. Pourquoi la zone industrielle des dunes n’est-elle pas la France ? Pourquoi les règles de santé publique usuelles dans notre pays ne s’y appliquent-elles pas ? Voilà les questions que nous nous sommes posées chaque jour. Nous attendons des réponses.

Ce texte a également été publié, sous une autre version, sur le blog de Mady Denantes.


Source : http://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2015/10/07/dans-la-jungle-de-calais-medicalement-ce-que-nous-avons-vu-est-inacceptable_4784404_1654200.html?utm_medium=Social&utm_source=Facebook&utm_campaign=Echobox&utm_term=Autofeed#link_time=1444229177

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