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mercredi 31 décembre 2014

Ce qu'il s'est passé au niveau de l'écologie en 2014

Avec plein de liens dedans pour tout savoir sur les différents dossiers

2014 : une dure et forte année pour l’écologie

LORÈNE LAVOCAT (REPORTERRE)

mercredi 31 décembre 2014

L’année qui s’achève aura vu un drame endeuiller le mouvement écologiste : la mort d’un jeune homme, botaniste, qui s’opposait à la destruction du monde. Mais le mouvement ne baisse pas les bras : les luttes sont plus fortes que jamais contre les projets inutiles, et l’écologie est bien de retour. Retour sur douze moments forts d’une année intense.

Janvier : l’Europe démissionne sur les gaz de schiste
La Commission européenne ne veut pas réglementer l’exploitation du gaz de schiste. Le 22 janvier, elle se contente de proposer de simples « recommandations », non contraignantes, contre l’avis du Parlement européen.
La Commission préconise par exemple que « les puits soient évités dans les zones inondables et sismiques », ou qu’« un site ne soit sélectionné que si l’évaluation des risques démontre que la fracturation hydraulique n’entraîne pas de pollution ».
Si les États ne respectent pas les recommandations, une évaluation prévue en juillet 2015 pourrait rendre ces règles« juridiquement contraignantes ».
Alors que les Etats-Unis poursuivent leur course effrénée aux hydrocarbures non conventionnels, l’exploitation des gaz de schiste est pour l’instant interdite en France… jusqu’à quand ?
Février : l’Ile de France, première région anti-Tafta
C’est une première : le Conseil régional d’Ile-de-France adopte vendredi 14 février, une motion rejetant le projet de Traité de libre-échange transatlantique, alias TAFTATTIP, ou Grand Marché Transatlantique.
Ce traité, dont la négociation se déroule en secret, vise à abaisser les normes sur les importations (par exemple sur les OGM ou l’alimentation) et à donner plus de pouvoir aux multinationales pour attaquer les Etats. Il suscite une mobilisation citoyenne croissante.
La motion, votée par le Parti de gauche, les écologistes et les communistes, demande entre autres l’arrêt des négociations et l’ouverture d’un débat national.
Au cours de l’année, plusieurs villes, dont Besançon et Dunkerque, se sont déclarées « zone anti-Tafta ».
Mars : Grenoble, première grande ville gagnée par des écolos
Le 30 mars 2014, la liste de rassemblement citoyen menée par Eric Piolle l’emporte à Grenoble avec 40 % des suffrages.
C’est la plus grande ville qu’ont jamais dirigée les écologistes. La victoire, fruit de l’union entre les Verts, le Parti de gauche et le mouvement citoyen, valide la stratégie d’alliance des mouvements de gauche alternatifs au PS.
Parmi les mesures phares prises par la nouvelle municipalité, l’interdiction des panneaux publicitaires.
Avril : Ségolène Royal s’installe au ministère de l’écologie
Nommée dans la foulée des élections municipales, Ségolène Royal remplace Philippe Martin au Ministère de l’écologie.
Les premiers signaux ne sont pas encourageants : sa nouvelle chef de cabinet, Elisabeth Borne, formée aux Ponts et chaussées, a travaillé chez Eiffage, et soutenu à Paris un projet très contesté par les écologistes.
Depuis, la ministre semble jouer sur plusieurs tableaux. Elle promeut une écologie positive, avance sur les économies d’énergie, se positionne pour un moratoire à Notre Dame des Landes, calme le jeu dans le conflit du barrage de Sivens… mais elle cède aussi aux lobbys, comme par exemple sur l’écotaxe. Son poids politique est cependant bien plus lourd que celui de son prédécesseur.
Mai : En Roumanie, les opposants aux grands projets inutiles se retrouvent
Le 4e Forum européen contre les Grands Projets Inutiles et Imposés se tient en Roumanie, à Rosia Montana, où un projet de mine d’or suscite une vive résistance.
Le mouvement de résistance, centré au départ sur les grands projets d’infrastructures, s’élargit au gaz de schiste et à l’extraction minière.
Pendant quatre jours, près de cent cinquante militants échangent récits des luttes sur le terrain, réflexions sur la situation et les choix stratégiques, analyses de sujets techniques comme le partenariat public-privé. L’objectif : activer la coopération ; l’entraide et la convergence au niveau européen. L’événement, ignoré par les médias - sauf par Reporterre - va contribuer à faire des "Grands projets inutiles et imposés" (GPII) un enjeu crucial de la lutte écologique.
Juin : La ferme-usine des Mille vaches imposée par la force
Le 29 mai, la Confédération paysanne démonte la salle de traite de la ferme-usine des Mille vaches, dans la Somme. Le but : dénoncer un projet qui, selon elle, signe l’arrêt de mort des petits paysans.
Le gouvernement choisit de répondre par la répression : le porte-parole du syndicat, Laurent Pinatel, ainsi que quatre autres paysans, sont violemment interpellés et placés en garde-à-vue.
En juin, la Confédération paysanne et Reporterre révèlent que le lait issu de la ferme-usine sera vendu au groupe alimentaire Senoble. Le 22 octobre, menacé de boycott, l’entreprise renonce à acheter le lait des Mille vaches.
Pourtant, depuis septembre, environ cinq cents vaches montent tous les jours à la salle de traite.
Juillet : C’est la fête des luttes à Notre Dame des Landes
Près de vingt mille personnes se retrouvent le week-end du 5-6 juillet à Notre Dame des Landes. Des militants venus de Bure (site d’enfouissement des déchets nucléaires), de la Somme et d’ailleurs partagent leurs expériences de lutte. La bonne humeur est de mise - et la réflexion, au long des nombreux débats.
Le projet d’aéroport semble alors s’essouffler et permet de réfléchir sur l’après : que faire de tout ce qui a été créé durant ces années de lutte ? Gestion collective des terres, diffusion des outils et des méthodes de mobilisation…
Pourtant, une ombre en forme d’aéroport plane toujours sur la Zad. Le premier Ministre Manuel Valls n’a de cesse de rappeler que « le projet se fera », quand tous les recours auront abouti.
Août : l’épidémie d’Ebola, causée par la déforestation, s’étend
Le 8 août, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) décrète la mobilisation mondiale face à l’épidémie de fièvre hémorragique Ebola, qui a déjà conduit à 7 842 morts en Afrique de l’Ouest sur un total de 20 081 cas.
Les causes de cette épidémie de fièvre sont à chercher dans les importants changements environnementaux qu’a connus l’Afrique ces dernières décennies. La déforestation massive en Afrique de l’ouest et l’exploitation minière ont favorisé le contact du virus, porté notamment par les chauves-souris, avec les populations humaines.
Septembre : la loi de transition énergétique défend le nucléaire
Après des dizaines d’annonces, des mois de débat plus ou moins opaques, la loi arrive devant le Parlement début octobre. Dès septembre, certaines mesures comme le crédit d’impôt pour les travaux d’isolation sont mises en place.
Pourtant, la loi n’est pas à la hauteur des ambitions ; elle va même jusqu’à se contredire sur certains points. Elle prétend diminuer la consommation d’énergie… Mais elle maintient la capacité de production du parc nucléaire à 63 gigawatts, auxquels elle ajoute le développement des énergies renouvelables.
Pour plusieurs spécialistes du dossier, cette loi est un trompe-l’œil : « Elle cherche à cacher son seul véritable objectif : sauver la croissance par le maintien du nucléaire. »
Octobre : Rémi Fraisse est tué au Testet
Dans la nuit du 25 au 26 octobre, le jeune militant écologiste Rémi Fraisse est tué par une grenade offensive, lancée par un gendarme. Le drame a lieu sur la Zad du Testet, où plusieurs centaines d’opposants protestent contre un barrage hydraulique inadapté et coûteux.
Le chantier est suspendu, mais l’Etat refuse de reconnaître sa responsabilité et d’enterrer définitivement le projet.
Le 26 novembre, la Commission européenne lance une procédure d’infraction contre la France pour le non-respect supposé de la directive européenne sur l’eau, dans le cadre du barrage de Sivens.
Novembre : la Chine s’engage à plafonner ses émissions de gaz à effet de serre
Tournant majeur : la Chine accepte de limiter ses émissions absolues de gaz carbonique d’ici quinze ans. En même temps, les Etats-Unis s’engagent à intensifier leurs efforts : le président Obama a promis une réduction des émissions de 26 à 28 % en 2025 par rapport à 2005.
L’accord entre les deux pays doit encore être ratifié par le Congrès états-unien, dominé par les Républicains. Ce n’est pas gagné...
Mais l’accord reste un signe encourageant dans la lutte globale contre le changement climatique.
Décembre : la Conférence de Lima accouche d’une nouvelle souris
Le 1er décembre, s’ouvre à Lima la 20e conférence sur le changement climatique. Objectif : préparer le sommet de Paris, prévu fin 2015, qui doit permettre de réduire significativement nos émissions de gaz carbonique. Mais deux semaines plus tard, au Pérou, les négociateurs accouchent difficilement d’un accord a minima, et très imprécis.
La conférence montre une nouvelle fois l’opposition marquée entre pays riches et pays en développement. Si ce clivage n’est pas résolu en 2015, il n’y aura pas d’accord à Paris l’an prochain.

Source : Lorène Lavocat pour Reporterre

Cet article a été réalisé par une journaliste professionnelle et a entrainé des frais. Merci de soutenir Reporterre :
 


Source : http://www.reporterre.net/spip.php?article6745

mardi 30 décembre 2014

"Turbulents" : Editorial de Libération à propos des Zones A Défendre et des Zadistes

Cet éditorial est suivi de deux articles publiés sur Libération le 25 décembre


Turbulents


25 DÉCEMBRE 2014 À 20:06


EDITORIAL Les zadistes sont entrés tragiquement dans l’histoire avec la mort de Rémi Fraisse, étudiant en botanique de 21 ans. Premier mort dans une manifestation écologique depuis Vital Michalon, tué lui aussi par une grenade pour s’être opposé au réacteur Super Phénix il y a trente-sept ans. Preuve que l’histoire des zadistes remonte aussi au siècle dernier. De Creys Malville au Larzac.
Les zadistes dérangent. Ils inventent avec détermination et radicalité une autre forme de lutte, refusant les concepts classiquement acceptés de l’Etat de droit et de la démocratie représentative.
Le reportage que nous publions, voyage d’hiver dans quelques ZAD emblématiques, expose leur remise en cause résolue et raisonnée des catégories universelles. 
On peut pour ces raisons les rejeter comme l’ont fait les gouvernements de droite du temps du Larzac et comme l’a fait avec une maladroite contemption le gouvernement de François Hollande. 
A Sivens, Roybon ou Notre-Dame-des-Landes, l’Etat oppose ses délibérations, lois et décrets, rapports et avis d’expertise qui auraient décrété l’utilité publique. Mais ces certitudes sont battues en brèche par la Commission européenne à Sivens ou par la propre ministre de l’Ecologie de Valls à Notre-Dame-des-Landes. 
Ces exemples ne signifient pas que les raisons des zadistes valent celles de la République ni que leurs dérives violentes soient justifiées. Mais la République sortira grandie et gagnante si elle accepte dialogue et transparence. Si elle accepte aussi s’être trompée. Les enfants turbulents de la désobéissance civile sont aussi ses enfants.

Sous la tente des ZAD de France

Sous la tente des ZAD de France

SYLVAIN MOUILLARD 25 DÉCEMBRE 2014 À 20:06

Sur la ZAD de Roybon, dans la forêt de Chambaran, le 20 décembre 2014. (Photo Pablo Chignard)





Quand il s’est installé en 2009 dans le bocage nantais, sur le site du (futur ?) aéroport de Notre-Dame-des-Landes, Stéphane n’imaginait pas se retrouver là cinq ans plus tard. «Ça paraissait fou d’empêcher la construction de cet équipement», raconte-t-il. Malgré un impressionnant déploiement policier à l’automne 2012 pour lancer les travaux, les squatteurs ont tenu le terrain. «Lors de l’opération César, on a relevé la tête et on a dit non», se souvient l’homme de 37 ans. C’est à cette époque qu’a été popularisé le néologisme «ZAD», pour «zone à défendre». Depuis, le label a fait florès. De nombreuses ZAD ont essaimé partout en France : dans le Tarn contre un barrage destiné à l’irrigation, dans l’Isère contre un village de vacances, dans le Rhône contre le Grand Stade de l’Olympique lyonnais, pour les plus emblématiques.
Des foyers de résistance de taille plus modeste se montent à travers le territoire, pour des durées variables. A Bure, dans la Meuse, des militants antinucléaires ont ouvert une «maison de résistance» face à un projet de centre d’enfouissement de déchets radioactifs. La méthode a prouvé son efficacité pour paralyser ces «grands projets inutiles et imposés», honnis des zadistes. Si bien qu’une zone à défendre «légale» a vu le jour récemment, du côté d’Agen, sur le terrain d’un paysan retraité qui a appelé le réseau à la rescousse pour combattre un plan de zone d’activité à côté d’une future ligne à grande vitesse.
En quelques années, les zadistes ont acquis de l’expérience, peaufiné leurs méthodes, et remporté plusieurs combats. A Sivens, il a fallu un drame, la mort de Rémi Fraisse le 26 octobre, pour que les travaux de défrichement soient interrompus. A Roybon, c’est la justice qui a décidé, mardi, de suspendre un arrêté préfectoral autorisant les engins de chantier à intervenir. Cet activisme inquiète les autorités. «Aujourd’hui, quand les préfets apprennent qu’une ZAD est en train de se lancer, ils ont peur», sourit Ben, passé par Sivens et installé à Sainte-Colombe-en-Bruilhois, près d’Agen. Les pouvoirs locaux semblent perdus face à ces militants passés maîtres dans l’occupation physique des sites de travaux, et dont les méthodes désemparent. Rejetant le jeu de la démocratie représentative et les procédures d’enquête publique, qu’ils considèrent faussées, les zadistes fonctionnent de manière horizontale, sans porte-parole. Certains s’installent à long terme, d’autres circulent d’un lieu de lutte à l’autre, en fonction des besoins.
Ce qui ne les empêche pas de travailler avec les associations «classiques». La répartition des rôles est claire : aux organisations du cru - paysannes, environnementales - le travail de contre-expertise et les recours judiciaires, aux zadistes l’occupation des ZAD. Les relations sont parfois mouvementées. Le débat autour de la violence, ou du moins de l’interposition physique, est récurrent.«Les autorités n’ont eu de cesse d’essayer de créer des scissions dans notre mouvement, analyse Stéphane, en opposant les associations légales à un fantasme de mouvement armé. Mais notre envie de débattre et de composer est plus forte.» C’est pour rendre compte de ces nouvelles formes d’activisme que Libérations’est rendu de ZAD en ZAD la semaine passée, de Notre-Dame-des-Landes à Roybon en passant par Agen et Sivens. L’objectif : raconter les motivations de ces militants de tous âges, leurs espoirs, leurs doutes et les passerelles entre ces nombreux foyers de résistance.

Union à Notre-Dame-des-Landes.

Le voyage commence à «Moscou», référence humoristique de certains zadistes au site de Notre-Dame-des-Landes, le plus ancien, le plus développé aussi, d’où tout est parti. Sur les 1 600 hectares de la zone, où Vinci doit bâtir un nouvel aéroport pour remplacer celui de Nantes-Atlantique, que les autorités jugent saturé, le calme est revenu. Depuis dix-huit mois, les fourgonnettes de gendarmerie ont disparu. Les squatteurs, disséminés sur une soixantaine de lieux de vie, ont pris leurs aises. Certains occupent de vieilles fermes retapées, d’autres continuent de dormir dans des cabanes en bois et torchis, dont le standing s’est nettement amélioré. «On veut que ça soit le plus confortable possible», explique un habitant. «L’hiver, pour se chauffer, on compte sur les poêles à bois et une bonne isolation.» A terme, c’est même l’autosuffisance alimentaire qui est visée. Une vingtaine de projets agricoles, allant de l’élevage de vaches laitières à l’apiculture en passant par la plantation de tabac et la fabrication de beurre ou de fromage, ont vu le jour. Il y a peu, un verger a été planté. Les quelque 200 habitants des lieux n’en doutent pas : l’aéroport ne verra jamais le jour. «Cette ZAD est emblématique, explique Stéphane. Si les gendarmes et les pelleteuses reviennent, la mobilisation sera d’ampleur.» Plus de 200 comités anti-aéroport ont été créés, partout en France, une force de mobilisation non négligeable. Récemment, Manuel Valls a pourtant redit «la détermination de l’Etat à voir ce projet réalisé». La semaine dernière, il fixait même le cap pour le «premier semestre 2015» dans une interview à Ouest France«Après la décision du tribunal administratif, il faudra alors s’engager dans la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes», jugeait-il. Réponse amusée de Ségolène Royal, la ministre de l’Ecologie qui, en privé, ne cache pas son peu de goût pour ces chantiers d’aménagement vieux de plusieurs années : «Bon courage.»
A Notre-Dame-des-Landes, les anti-aéroport pensent d’ores et déjà au futur. Julien Durand est le porte-parole de l’Acipa, la principale association d’opposants. Cet ancien producteur laitier, 68 ans, œuvre depuis de longues années à la bonne entente entre paysans et zadistes. «Il faut que les occupants respectent le travail des exploitants agricoles, qu’ils fassent attention à leurs chiens en divagation. Cela prend du temps, mais ça se gère correctement.»Les deux parties ont appris à travailler ensemble, notamment autour de l’opération «Sème ta ZAD». «On fournit des conseils techniques, on prête du matériel», raconte Julien Durand. En échange, certains occupants donnent un coup de main aux agriculteurs du coin quand ils en ont besoin. Cette cohabitation, l’ancien agriculteur espère la faire perdurer dans un cadre plus légal. «Si l’aéroport ne se fait pas, on a plusieurs sites qui pourraient servir à de jeunes exploitants cherchant à s’installer. Il faudra aussi faire en sorte que les habitants qui veulent rester puissent le faire.» Un désir partagé par certains zadistes, même si les modalités concrètes divergent. Au détour d’un chemin de traverse, on croise «Judas», flanqué de deux boucs des fossés, préposés à l’entretien des haies. L’homme, 35 ans, s’imagine volontiers vivre «un bout de temps» sur la ZAD. Mais il ne se voit pas comme un «militant déterminé», plutôt comme un «travailleur». Il veut expérimenter à Notre-Dame-des-Landes une «agriculture qui ne soit pas destructrice», espère aussi y trouver une autre forme de vie en société, faite d’autogestion et de délibérations collectives. Stéphane réfléchit de son côté à un «endroit où on vit et on lutte de manière différente»«Il ne faut pas en faire une enclave ou un ghetto à ciel ouvert», précise-t-il. Les liens entre militants mènent parfois à des initiatives étonnantes. Une dizaine de migrants de la Corne de l’Afrique, Soudanais pour la plupart, ont atterri dans un bois de la ZAD, via les réseaux «No border», qui les ont exfiltrés de la jungle de Calais. Ils retapent une cabane de fortune et reçoivent une aide juridique pour leurs demandes d’asile. D’autres zadistes se font théoriciens. Jean-Jo, militant anar, rêve d’une «commune libre de la ZAD». Son modèle, ce sont les communaux, vestiges des anciennes communautés paysannes où la copropriété est la règle. «Le vrai processus révolutionnaire commence aujourd’hui. Pour cela, l’enjeu, c’est de contrôler la terre et d’arriver à y bosser de manière pratique, ce qui nous crédibilisera aux yeux des voisins», confie-t-il.

Tensions à Sivens

La réflexion n’est pas toujours aussi avancée. A Sivens comme à Roybon, les occupants vivent sous la menace pressante d’une reprise des travaux. L’ambiance y est plus tendue, et entrer sur les ZAD - qui sont aussi des lieux de vie - prend du temps. Les médias sont accusés de «déformer les propos» et de «caricaturer la lutte». Les relations à fleur de peau avec les riverains favorables aux projets d’aménagement ne facilitent pas les choses. A Sivens, le jour de notre venue, une centaine d’agriculteurs de la région, liés à la FNSEA, mènent l’opération «Manche de pioche» dans les environs. Objectif de la manif : «Passer un coucou franc aux zadistes.» Jérôme, fils d’un paysan à la retraite, veut qu’ils «dégagent». Un autre s’en prend à «ces étrangers venus souiller la vallée» du Tescou. Ce jour-là, il faut l’interposition de plusieurs dizaines de gendarmes mobiles pour éviter que la situation ne dégénère. Les deux camps ne se parlent plus depuis longtemps, et les rumeurs vont bon train. Les zadistes - rebaptisés «pelluts» («chevelus», «hippies», en occitan) - sont accusés de vols, les agriculteurs d’opérations d’intimidation musclées. «On va être de plus en plus dans la démarche de défendre nos droits, et ça pourrait créer du grabuge», prévient Jacques, un retraité du village de Salvagnac, favorable au barrage.

Climat explosif à Roybon

Dans l’Isère, le schéma se répète presque à l’identique. Pour l’instant, partisans et opposants au Center Parcs s’en tiennent à des manifestations dans le petit village de Roybon, 1 200 habitants. Mais les mots ne trompent pas. Pour les défenseurs du projet, les zadistes sont des «extérieurs», des «fainéants» hostiles à la croissance et l’emploi. Le bruit court qu’ils «caillasseraient» toute personne approchant de la ZAD, voire qu’ils auraient «piégé» la maison forestière occupée depuis le 30 novembre. Des craintes fantasmées, mais qui témoignent d’un climat explosif.
A l’intérieur de la ZAD, on espère pourtant «renouer le dialogue» avec les locaux. «L’idée, c’est d’expliquer que le modèle défendu par Center Parcs ne répondra pas à la misère des gens du coin. Il est fondé sur des emplois à temps partiel et largement subventionné», explique un occupant. A ces revendications sociales s’ajoutent des motivations diverses.
A la fois militants anticapitalistes, anarcho-libertaires, décroissants, écologistes, utopistes, féministes, les zadistes constituent un ensemble hétérogène, qui ne déteste rien de plus que d’être «mis dans des cases»«Certains sortent de la fac, d’autres de la rue», illustre Stéphane, à Notre-Dame-des-Landes. Entre eux, les désaccords ne manquent pas. Les vegan refusent toute forme d’exploitation animale quand d’autres veulent se lancer dans l’élevage. Certains sont à l’aise lors des (longues) assemblées générales qui rythment la vie des ZAD, mais beaucoup ne «supportent pas de rester assis quatre heures pour débattre de tous les aspects de la vie en collectivité», sourit un habitant. D’autres moments de rencontres sont alors mis en place pour faciliter la prise de parole, comme des chantiers collectifs.
Les destinées individuelles sont tout aussi variées. Sur les ZAD, on retrouve des jeunes, des vieux, des militants de longue date, d’autres moins politisés. Mil, par exemple, est ouvrier agricole dans la Drôme. Agé de 30 ans, il vient sur la ZAD de Roybon «deux jours par semaine», sur ses «week-ends et congés». Mais il ne se sent«pas forcément assez militant pour tout plaquer» et n’est «pas sûr de revenir ici en mode foulard et barricades» en cas de reprise des travaux. D’autres, souvent marqués par les deux mois d’affrontements avec les forces de l’ordre à Sivens, qui ont abouti à la mort de Rémi Fraisse, revendiquent la nécessité de s’opposer physiquement. Tel «Camille» - le pseudonyme épicène choisi par de nombreux zadistes -, 22 ans : «Je tiens les barricades et je suis prêt à subir de nouveau la violence policière. On ne se laissera pas fairePar contre, si le projet était suspendu, j’irais ailleurs, là où il y a besoin d’aide.»
Les foyers de contestation ne manquent pas. La fédération France Nature Environnement a récemment recensé une centaine de «projets nuisibles»«aux coûts environnementaux largement sous-estimés, quand ils ne sont pas ignorés, et aux bénéfices sociaux et économiques surévalués». Autant de lieux que les zadistes pourraient investir, en dénonçant des enquêtes publiques bâclées et un modèle de développement daté.
En face, Bernard Cazeneuve, le ministre de l’Intérieur, a ainsi résumé la doctrine des pouvoirs publics : «La République, ça signifie aussi que, lorsque le droit voté par le souverain et interprété par le juge permet des projets de développement de se mettre en œuvre, personne ne peut, en raison de l’endroit d’où il parle, parce qu’il s’estime avoir raison, imposer la violence à la République en contravention avec le droit.» Symbole de deux mondes qui ne se comprennent pas, et ne se parlent plus.