Lors des élections régionales de 2015, sept régions sont passées à droite
[1].
Un an et demi après ce changement, l’heure est au bilan. Sur les enjeux
écologiques, quelles sont les nouvelles orientations ? Quelles
décisions ont été mises en œuvre ? Du côté de la politique des
transports, le revirement semble important.
« La voiture en soi n’est pas polluante »,
assume
Gérald Darmanin, vice-président régional Les Républicains en charge des
transports dans les Hauts-de-France. Après avoir rouvert aux
automobilistes le centre-ville de Tourcoing dont il est maire, il défend
sa politique pro-voitures à l’échelle régionale.
« J’aime bien la
voiture car c’est la liberté, ça permet aux familles nombreuses de faire
leurs courses, aux gens de transporter des choses », affirme-t-il, critiquant vertement le plan de circulation de son prédécesseur socialiste.
« La première décision du mandat a été de mettre en place une aide
au transport pour les gens devant faire plus de trente kilomètres en
voiture pour se rendre sur leur lieu de travail, relève Jérémie
Crépel, secrétaire régional d’Europe Écologie – les Verts (EELV). Un
parti pris que dénoncent les écologistes, qui préfèreraient un
investissement dans les transports publics. En région Île-de-France, les
élus écologistes dénoncent aussi la mise en place
« d’un plan routier à 200 millions d’euros » et l’opposition de Valérie Pécresse à la piétonnisation des berges de la Seine.
« Apparemment, pour la droite régionale, la santé de tous passe après les possibilités de quelques-uns »,
écrivent-ils.
Du côté de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), l’hémicycle
du conseil régional est composé exclusivement d’élus Les Républicains,
UDI, Modem et Front National – la gauche s’étant retirée au second tour
pour éviter une victoire du FN. Le développement des trains régionaux
pourrait y être fortement compromis, alors même que l’offre a augmenté
de 38 % entre 2007 et 2015.
« Paca est la région laboratoire de la privatisation du rail », alerte Sophie Camard, ancienne conseillère régionale EELV. Christian Estrosi veut
« faire des économies en cassant le cadre régional des transports », explique-t-elle. Ce dernier refuse
« de
payer 36 millions d’euros à la SNCF, il a également fait voter une
délibération dans laquelle il "ordonne" à la SNCF d’exécuter un plan de
transport unilatéral en 2017, en dehors de tout cadre contractuel. Il
veut moins de ferroviaire, plus d’autobus. »
Des canons à neige artificielle pour lutter contre la crise climatique ?
La région Paca fait partie des territoires en France les plus exposés aux impacts du changement climatique
[2].
Un groupe régional d’experts sur le climat avait été mis en place sous
la précédente mandature pour étudier et anticiper ces évolutions. Mais
le nouveau président, Christian Estrosi, semble bien moins intéressé par
ce sujet.
« Il n’y a aucune volonté politique régionale en la matière ni de stratégie globale, déplore Sophie Camard.
Aucun
élu n’a de responsabilité sur la prévention des risques naturels, le
mot "climat" a même disparu de l’intitulé de la délégation à la région »
La vice-présidente du conseil régional chargée du développement durable
n’est autre que Maud Fontenoy, qui défend pêle-mêle diesel, nucléaire,
OGM et gaz de schiste (
notre enquête sur les nouvelles figures du climatoscepticisme).
« Il faudrait modifier les plans d’urbanisme, intégrer des
critères climatiques dans la politique d’aménagement du territoire pour
prendre en compte les inondations », commente Sophie Camard.
Christian Estrosi préfère lancer un plan « smart mountains » de 100
millions d’euros sur les six prochaines années, pour
« dessiner les stations de ski du 21ème siècle »...
« En allant aux urnes, les électeurs imaginaient-ils que leurs impôts allaient financer des canons à neige artificielle ? », s’interroge l’opposante écologiste, qui
s’inquiète des nouvelles orientations :
« Disparition
du programme "Agir" qui a financé des centaines de projets de
transition énergétique, réduction de moitié des subventions pour
l’éducation à l’environnement, pas de crédits pour les nouveaux parcs
naturels régionaux. »
La région Auvergne-Rhône-Alpes prévoit également un « plan montagne »
de dix millions d’euros dès 2016, axé sur l’enneigement artificiel.
« Ce n’est pas un "plan montagne" mais un "plan neige" ou "ski", rectifie Corinne Morel Darleux, élue régionale (Parti de gauche).
Tous
les arguments que l’on développe en commission ou en plénière sur le
surendettement des stations, avec ces équipements qui risquent fort de
ne pas fonctionner à cause des températures trop hautes ou de ressources
en eau hypothétiques et rares, sont balayés d’un revers de la main. »
Dans les Hauts-de-France, ce sont les énergies renouvelables qui voient leur développement entravé.
« Xavier Bertrand a mené campagne en Picardie sur le fait qu’il n’allait pas construire de nouvelle éoliennes, souligne Jérémie Crépel.
Or il y avait beaucoup de champs d’éoliennes offshore en projet avant qu’il n’arrive. »
Le président de région mise plutôt sur le nucléaire. Il a même déclaré
vouloir un EPR dans les Hauts de France, synonyme selon lui
« d’indépendance énergétique et de milliers d’emplois », alors même que la facture du projet EPR à Flamanville explose...
[3]
Moins de soutien pour l’agriculture paysanne
Depuis un an, dans ces régions passées à droite, le discours est
unanime : les agriculteurs sont une priorité. Le budget consacré à
l’agriculture augmente
[4]. En pratique, si les chambres d’agriculture voient bien gonfler leurs subventions,
« toutes les structures dans le domaine de l’agriculture paysanne ont eu une baisse de financement »,
déplore Marion Trinquesse, coordinatrice régionale de la Confédération
paysanne Rhône-Alpes. L’association Solidarité Paysans, qui accompagne
les paysans en difficulté, subit par exemple une baisse de 20 % de ses
financements en Rhône-Alpes. Terre de Liens, qui aide les paysans à
acquérir du foncier, doit réduire ses effectifs. L’Ardear, qui
accompagne les paysans dans leur autonomie, est aussi touchée (
notre reportage
sur la rencontre régionale des semis organisée en 2016 par l’Ardear).
Licenciements, cessation d’activités... Selon Marion Trinquesse,
« ces coupes ont un impact direct sur la dynamique et la présence sur le terrain ».
La nouvelle majorité en Auvergne-Rhône-Alpes, présidée par Laurent
Wauquiez, justifie ces coupes par des redondances dans les missions
d’animation et d’aide au développement menées par les différentes
structures.
« Ils mettent en avant l’efficacité et la rationalisation
pour faire des économies de fonctionnement, considérant que ces
structures faisaient doublon par rapport aux chambres d’agriculture, souligne Corinne Morel Darleux.
Mais ce raisonnement ne tient pas car les chambres agricoles ne s’occupent pas d’agriculture familiale et paysanne. »
Celles-ci sont représentées en majorité par la FNSEA, un syndicat
agricole qui promeut une agriculture à tendance productiviste, tournée
vers l’exportation et les économies d’échelle.
« Ce qui est
politiquement et humainement dur, c’est de voir comme il est facile et
rapide de faire disparaître des choses qui ont mis des années à se
construire, se désole l’élue d’opposition.
C’est le fait du prince... Même si l’orientation change, ça mettra beaucoup de temps à se reconstituer. »
« Un non sens historique »
Le même processus est à l’œuvre en région Île-de-France où, malgré
les réserves formulées par une grande partie des groupes politiques
représentés (PS, EELV, Front de gauche, Modem, UDI), la majorité Les
Républicains a décidé de réduire drastiquement les financements
attribués aux structures historiques d’accompagnement de l’agriculture
biologique
[5].
Alors que le budget pour les Chambres d’agriculture est multiplié par
trois, l’aide pour les structures du Pôle Abiosol – qui regroupe
notamment les agriculteurs bio, le réseau des Amap – subit une baisse de
55%
[6].
« Les actrices et acteurs de la transition commencent à souffrir durement, relève Mounir Satouri, président du groupe écologiste en Île-de-France
[7].
Un
soutien quasiment exclusif à l’agriculture industrielle alors que les
populations réclament plus d’agriculture de proximité, de qualité et
respectueuse de l’environnement et de la santé, c’est un non sens
historique ». Le développement de filières agricoles biologiques
locales pour approvisionner les cantines pourrait être entravé par une
volonté politique exclusivement centrée sur le « consommer local », sans
prise en compte des conditions de production, polluantes ou non.
« Dans
le plan régional pour l’agriculture biologique, il n’y a rien sur les
cantines dans les lycées alors que c’est le levier principal en termes
de débouchés, renchérit, Corinne Morel Darleux, en Auvergne-Rhône-Alpes.
La
priorité de Laurent Wauquiez ce n’est pas le bio mais le local.
L’impact sur la santé et la qualité alimentaire ne sont pas pris en
compte » (lire
notre enquête sur les cantines scolaires avec des repas 100% bio et locaux).
Pas d’austérité budgétaire pour les chasseurs
Les coupes budgétaires dans ces régions concernent également les
associations d’éducation à l’environnement, comme la Fédération
Rhône-Alpes de protection de la nature (Frapna), dont la contribution
financière de la région passe de 750 000 euros par an à moins de 400 000
euros. Ce qui pourrait contraindre l’association à la suppression d’une
vingtaine d’emplois. Laurent Wauquiez réalise là l’un de ses
engagements, lui qui dans un courrier aux agriculteurs de la région,
dénonçait les
« ayottolahs écologistes (…) qui ne cessent de dicter leur volonté au monde agricole » [8]. Ou bien
encore « ces
structures doryphores qui vivent sur la bête et ne se préoccupent que
de la beauté du paysage, mais se moquent de l’agriculture ».
Laurent Wauquiez veut faire 75 millions d’euros d’économies cette
année. Cette politique d’économie budgétaire connait pourtant quelques
entorses. Le président cajole la fédération régionale de chasse en
faisant
voter une subvention de trois millions d’euros, dont une partie est dédiée à « l’éducation à l’environnement ».
« Le
problème n’est pas de travailler avec les chasseurs, mais d’avoir
écarté du dispositif la Ligue de protection des oiseaux (LPO) et la
Frapna, relève Corinne Morel Darleux.
Nous sommes passés d’une convention tripartite à un seul acteur. C’est un parti-pris idéologique mais aussi électoraliste. »
Les chasseurs ont aussi les faveurs de l’exécutif des
Hauts-de-France, présidé par Xavier Bertrand (Les Républicains). En
novembre, le conseil régional a présenté dans son hall d’entrée une
exposition de la fédération de chasse du Nord sur la chasse, avec la volonté
« de confier au monde de la chasse la préservation et la restauration de la biodiversité ».
Le président de la Fédération de chasse de l’Oise, Guy Harlé d’Ophove, a
également été nommé président de la Commission environnement au conseil
régional.
« Ma première action a été de demander sur quel critère
les 12 millions d’euros étaient versés aux organisations écologiques. Je
puis vous assurer que tout cela va changer, et que plus jamais nous ne
subventionnerons des associations qui veulent la disparition de la
chasse et des chasseurs », a t-il
annoncé dès sa prise de fonction.
« Ce qu’on déplore, c’est que la gestion de la biodiversité soit confiée à une seule des parties, souligne Jérémie Crépel, d’EELV.
Toutes
les associations qui défendent la biodiversité et la cause animale sont
menacées de perdre leurs subventions. C’est une vraie politique
revancharde dans laquelle les associations environnementales sont
remplacées par des chasseurs présentés en gardien de la nature. »
Quand l’opposition s’organise
En Île-de-France et en région Auvergne-Rhône-Alpes, les structures de
l’agriculture paysanne et biologique lancent des pétitions pour
défendre le maintien
« de la diversité des structures d’accompagnement agricole » [9]. Laurent Wauquiez a réagi par une coupe supplémentaire dans les aides accordées à deux structures qui se rebiffaient.
« Ça pose beaucoup de questions sur la manière dont on continue à se mobiliser », concède Marion Trinquesse de la Confédération paysanne Rhône-Alpes.
« La loi du silence est assez forte en Paca », confie Sophie Camard.
« Dans
notre région, il n’y a plus de gauche et d’écologie, ni de force
d’opposition. En disant ouvertement que leur organisation a des
difficultés, les gens ont peur que ce soit encore pire. »
Comment réagissent les élus d’opposition qui siègent dans les hémicycles ?
« Nous sommes huit élus sur 204, répond Corinne Morel Darleux.
On ne compte donc pas uniquement sur nos votes en plénière pour changer les choses... »
Outre des recours au tribunal administratif sur des suspicions de
conflits d’intérêts, ces élus tentent de fédérer les initiatives des
personnes ou des structures victimes des décisions de la majorité.
« On
réfléchit collectivement à d’autres programmes de subventions européens
ou nationaux. On publie aussi des notes d’infos et de décryptage, des
vidéos sur les réseaux sociaux [vidéos #DécodonsWauquiez]
, pour que les citoyens soient au moins informés des décisions prises et rendre compte du mandat. » [10]
Une préfiguration du programme de François Fillon ?
Ces régions sont-elles définitivement anti-écolo ?
« Le programme Agir était assez emblématique des deux derniers mandats, illustre Sophie Camard.
Cette
ligne budgétaire finançait les projets exemplaires de transition
énergétique en Paca. Elle a été immédiatement supprimée à l’arrivée de
Christian Estrosi. ». Le projet de Parc naturel régional (PNR) des
sources et gorges de l’Allier a également été abandonné, tout comme
celui de la Dombes dans l’Ain.
« Laurent Wauquiez qualifie les PNR
d’"usines à gaz" et préfère donner de l’argent directement aux
collectivités locales pour mettre au point les projets, commente Corinne Morel Darleux.
Au détriment de tout le travail de concertation et de coordination que ne font pas les communes. »
Le clientélisme à l’œuvre est également largement dénoncé.
« Laurent Wauquiez se sert de la région comme caisse de résonance des signes qu’il envoie au national »,
écrit Jean-Jacques Queyranne, le président socialiste déchu de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Parmi les décisions critiquées : le
projet d’autoroute A45,
doublon d’une autoroute existante, qui va coûter 132 millions d’euros,
ou les 300 000 euros de subventions pour « mettre en lumière » le
Puy-en-Velay, ville dont Laurent Wauquiez a été maire entre 2008 et
2015...
« Laurent Wauquiez fait de la région Auvergne-Rhône-Alpes son
laboratoire, il y applique ce qu’il ferait s’il était élu au niveau
national, observe Corinne Morel Darleux.
Il travaille la
communication de la région pour en faire une communication
gouvernementale en entretenant volontairement la confusion. Sa ligne
idéologique, anti-écolo et réactionnaire doit être une sonnette d’alarme
concernant l’application du programme de la droite dure. » Comme un avant-goût de ce que propose le candidat François Fillon pour la France ?
Sophie Chapelle
En photo : des canons à neige