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jeudi 29 février 2024

Dans les Pyrénées-Orientales, la crise de l’eau se cristallise autour d’un vieux projet de golf


Dans les Pyrénées-Orientales, 

la crise de l’eau 

se cristallise autour 

d’un vieux projet de golf

 
Le terrain du futur golf, le 25 janvier à Villeneuve de la Raho, actuellement en travaux de terrassement (JC Milhet/Hans Lucas.AFP)
 
Par Margaux Lacroux
P
ublié le 13 février 2024
 
Dans le département asséché, la construction d’un 18 trous à Villeneuve-de-la-Raho, près de Perpignan, est contestée par une centaine de scientifiques. Ils alertent sur le danger de monopoliser une ressource rare et sur l’artificialisation des sols tandis que la maire défend un chantier « visionnaire ».
 
 
Deux ans de sécheresse historique, une centaine de chercheurs en colère et un golf dans le collimateur. En ce début février, alors que les Pyrénées-Orientales assoiffées n’en finissent pas d’attendre la pluie et que le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu s’inquiète ce mardi d’une situation « très préoccupante » sur Franceinfo, le ton monte. Mercredi, 92 universitaires locaux ont publié une tribune dans le quotidien régional l’Indépendant pour dénoncer « un manque d’anticipation » et les « effets délétères » de nombreux projets accusés d’occulter les enjeux environnementaux dans un département en proie à des événements climatiques extrêmes. Regrettant d’être peu écoutés, ils invitent à penser l’aménagement de leur territoire « selon un nouveau paradigme, celui de la sobriété ».
 
Ce coup de sang de la communauté scientifique survient au moment où au moins trois villages font face à une rupture d’eau potable et où 42 communes se trouvent déjà sous « tension », selon les autorités. Une première à cette époque de l’année, qui attise le débat sur le partage d’une ressource devenue rare. Dans les cartons depuis vingt ans et reconnu d’utilité publique par la préfecture en 2019, le projet de golf de Villeneuve-de-la-Raho, à quelques kilomètres de Perpignan, est particulièrement visé par la tribune des chercheurs. « Anachronique », il « cristallise l’ensemble des choses qu’il ne faut plus faire », cingle Eric Rémy, l’un des signataires et professeur en sciences de gestion à Institut d’administration des entreprises de l’université de Perpignan.
 
« Si la demande de reconnaissance d’utilité publique avait été déposée en 2023, les circonstances climatiques et le stress hydrique important n’auraient pas permis de considérer qu’on était toujours dans quelque chose d’utile », veut croire l’avocat Jean Codognès. En tant que président de l’association environnementale Pays catalan écologie, il a déposé un recours en août dernier devant le tribunal administratif de Perpignan dans l’espoir de faire annuler la déclaration d’utilité publique avant cet été. Pour celui qui se « sentait un peu seul », la tribune tombe à pic.
 
Les universitaires voient en effet dans l’affaire du golf un parfait exemple de « fuite en avant », pour « accaparer les derniers espaces et terres artificialisables », alors même que le gouvernement vise le « Zéro artificialisation nette » (ZAN) en 2050. En plus d’un parcours de 18 trous, le chantier de 180 hectares géré par un promoteur immobilier local prévoit la construction de 590 logements, de commerces et d’un hôtel-restaurant. Les travaux pour « décaper la partie végétale » ont déjà commencé.
 
« Ces parcelles étaient convoitées. Je ne voulais pas d’urbanisation à outrance, donc j’ai lancé ce projet de golf. Personne n’est reconnaissant qu’on ait fait barrage à la construction ! » répond la maire Jacqueline Irlès. Et de défendre un « projet visionnaire » qui devrait s’achever d’ici un an et demi. « Seulement » 30 hectares seront bétonnés, dont une partie destinée à « 170 appartements sociaux » ; le reste sera recouvert de pelouse, détaille cette ancienne de UMP, à la tête de la mairie depuis plus de vingt-deux ans. Un argument qui ne convainc pas Mathieu Pons-Serradeil, avocat de deux propriétaires expropriés : « A cet endroit, il y avait des vignes, des prairies et des landes. Or c’est la municipalité qui décide si la zone reste vouée à l’agriculture ou peut être urbanisée. Elle aurait pu tout laisser au naturel. Mettre de la pelouse, c’est aussi artificialiser. »
 
Le « poumon vert », selon les mots de ses partisans, fait surtout grincer des dents dans le camp d’en face à cause de l’eau qu’il consommera. Comment le golf privé sera-t-il alimenté ? La maire martèle que le « million de litres par jour » qui sort de la station d’épuration communale pour rejoindre l’étang de Canet Saint-Nazaire sur le littoral pourrait être retraité afin d’arroser le green. « C’est de l’eau qui ne sert à personne », dit-elle, fustigeant une réglementation encore trop stricte pour la réutilisation des eaux usées. Un usage que le gouvernement facilite pourtant depuis plusieurs mois, à coups de décrets.
 
« C’est la logique “premier arrivé, premier servi”, alors qu’on pourrait se dire “gardons cette nouvelle ressource d’abord et faisons une étude prospective collective pour déterminer à quoi elle pourrait servir” », se désole le professeur en géosciences à l’université de Perpignan Wolfgang Ludwig, autre signataire de la tribune. Le directeur du Centre de recherche et de formation sur les environnements méditerranéens poursuit : « Ça fait quinze ans qu’on alerte sur le fait qu’il y a une évolution très marquée vers la baisse de la ressource. Malheureusement, ça n’a pas contribué à changer les pratiques. »
Il pointe le risque « d’être obligé d’utiliser d’autres ressources pour maintenir le golf en activité » car les sécheresses et canicules vont encore s’aggraver à l’avenir. En 2018, lors de l’enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique, l’aménageur du 18 trous avait calculé que la station d’épuration ne pourrait fournir que 85% des besoins annuels du golf, dont 1,5 million de litres par jour en été. Le complément pourrait provenir du lac de Villeneuve-de-la-Raho. Or cette retenue stratégique, qui alimente de nombreux agriculteurs, n’est remplie qu’au tiers de sa capacité depuis plusieurs mois. « Aucun prélèvement pour l’arrosage d’un golf n’est envisageable et surtout souhaitable. Quant à la réutilisation de l’eau de la station d’épuration, les capacités vont diminuer » car la quantité d’eaux usées générées par les ménages baisse sous l’effet des restrictions, arguent les chercheurs.
 
Aujourd’hui, la maire assure qu’un approvisionnement « à 100% par la station » est « possible » et que cela a été demandé par les services de l’Etat « dernièrement ». Impossible de vérifier ces dires car Libération, qui a sollicité auprès de l’édile la version actualisée du projet, ne l’a pas obtenue à ce jour. « Dans les autorisations en vigueur aujourd’hui, ce n’est pas ce qui est écrit », observe maître Pons-Serradeil.
 
Ce conflit pourrait-il enflammer les Pyrénées-Orientales ? Le groupe Les Ecologiques-Pays catalan et le parti autonomiste Unitat Catalana organiseront le 16 mars une manifestation pour demander au préfet « l’abrogation de la déclaration d’utilité publique » du golf. Comme d’autres, l’universitaire Eric Rémy craint un emballement : « Récemment, le préfet a affirmé qu’il n’y aura pas de guerre de l’eau cet été, mais je ne suis pas rassuré. Si les renoncements et les restrictions ne sont pas discutés de manière juste, ça va coincer. » De son côté, la maire de Villeneuve-de-la-Raho, préconise, sans rire, la construction d’un tuyau entre le Pas-de-Calais et les Pyrénées-Orientales pour acheminer l’or bleu. Car la priorité serait de trouver de nouvelles ressources. Et la sobriété ? A ses yeux, ce n’est qu’une « solution annexe ».
 
 

mercredi 28 février 2024

Pesticides : on a fait débattre deux viticulteurs que tout oppose


Pesticides : 

on a fait débattre 

deux viticulteurs que tout oppose

 


15 février 2024

 

L’un travaille en conventionnel, l’autre en bio. Les pesticides ? Les viticulteurs Anthony Bafoil et Christian Vigne ne sont pas d’accord. Mais conviennent que l’agriculture doit « changer de logiciel ».

Aigremont (Gard), reportage

Un camion blanc déboule sur le chemin de terre, s’arrête. Un grand gaillard brun, vêtu d’un solide pull marin, s’avance à grands pas, salue d’une énergique poignée de main. Anthony Bafoil regarde ses vignes, le sol, le ciel où les nuages gris menacent mais se retiennent. Il secoue la tête. « J’ai une sonde juste là : 0,8 mm d’eau, c’est rien », lance-t-il à son confrère Christian Vigne, déjà sur place depuis quelques minutes. Entre agriculteurs, la conversation commence souvent par la météo. Pas par politesse, pas pour meubler, mais par sincère préoccupation.

En cette fin d’hiver, l’herbe est courte, les vignes nues. Beaucoup sont déjà taillées, d’autres attendent encore le passage du sécateur. « Je ne suis pas en retard », se félicite Anthony Bafoil. À 45 ans, il exploite 50 hectares de vignes en conventionnel, livre son raisin en cave coopérative, adhère à la FNSEA — le syndicat agricole majoritaire — et assume des fonctions haut placées dans son département : il est président de la coopération agricole (les caves coopératives) du Gard.

C’est un homme pressé et cordial. Il n’a pas hésité une seconde face à la demande de Reporterre : débattre des pesticides avec l’un de ses collègues en bio. Sous un abri de briques et tôles, il dispose de vieilles chaises en plastique. La sobre scène de discussion est en place.

Anthony Bafoil (à g.) discute sur ses terres avec Christian Vigne, le 9 février 2024. © David Richard / Reporterre

Face à lui, Christian Vigne fait figure de sage papy. Ses cannes portent sa démarche hésitante depuis un accident. Il prend son temps pour parler, comme pour se déplacer. Mais ne vous y trompez pas, il sait où il va. Il a été président de la cave coopérative de Massillargues-Attuech, et de l’indication géographique protégée (IGP) Cévennes. Il est aussi adhérent de la Confédération paysanne, syndicat agricole qui défend l’agroécologie. Il est aujourd’hui à la retraite et ses fils et sa femme ont pris le relai sur la quarantaine d’hectares en bio cultivés par la famille. « Moi, je fais surtout la compta », précise-t-il.

« Si vous me garantissez un revenu, bien sûr que je passe en bio ! »

Les deux hommes se connaissent, se respectent. Le tutoiement est de rigueur. Christian et Anthony commencent par ce qui les préoccupe en cette période de crise agricole. Ils utilisent le même terme. « Il y a une détresse des agriculteurs », disent-ils. Anthony a passé neuf jours loin de ses vignes pendant la mobilisation : « Ça a permis de rencontrer des gens qu’on voit peu. J’ai en tête un type qui travaille 7 jours sur 7, a 25 hectares de vignes en côtes du Rhône, n’arrive pas à se sortir un salaire, et sa femme se barre parce qu’elle le voit pas. Et il a deux enfants qui partent faire leurs études, il ne sait pas comment il va les financer. »

Sur les réponses apportées par le gouvernement, Anthony, en tant que membre de la FNSEA, est le moins sévère : « Il y a des avancées, mais il faudra aller plus loin. » La remise à plat du plan de réduction des pesticides, baptisé Écophyto, le satisfait. « En dix ans, on a perdu 60 % des molécules qu’on utilisait, on est peut-être allés trop vite. Il faut nous laisser le temps. Par exemple, le glyphosate, on n’a encore rien trouvé d’aussi rentable pour le remplacer. »

Son aîné, lui, désapprouve totalement les mesures annoncées. « Cela montre que le gouvernement ne veut pas changer de logiciel, prendre en compte le changement climatique, la crise de la biodiversité, les catastrophes naturelles qui se multiplient, l’érosion des sols, etc. » Elles ont selon lui été prises entre les dirigeants de la FNSEA et le gouvernement. « La colère va ressurgir, car la base n’est pas convaincue », assure-t-il.

Lire aussi : « Le gouvernement et la FNSEA jettent les agriculteurs dans la gueule du loup »

Christian Vigne n’a pas toujours été en bio. Il a commencé la conversion en 2009, obtenu la certification en 2012. Son déclic ? « Je ne sais pas si vous pourrez l’écrire, dit-il, le sourire en coin. Un jour dans mes vignes, me prend une envie pressante. Et quand j’ai voulu m’essuyer, c’était l’hiver, les vignes n’avaient pas de feuilles. Le sol était terreux, pas une herbe. Ça m’interpelle encore. » Il venait de perdre son père, un petit-fils arrivait. « J’étais celui qui avait la responsabilité de transmettre l’exploitation, alors j’ai regardé mes vignes complètement différemment. »

Depuis, il fait sans cesse évoluer ses pratiques. Laisse les vignes enherbées, fait venir les moutons, sème du trèfle… « Intellectuellement, je suis en recherche permanente », dit-il.

 

Anthony Bafoil : « Ça ne me fait pas plaisir de mettre des produits phytos, je les utilise pour des questions de rentabilité économique. » © David Richard / Reporterre

« On est agronome, quoi », répond Anthony, levant les yeux de son téléphone, sur lequel il pianote sans cesse. Difficile pour cet homme toujours en mouvement de rester assis sur une chaise. « Je ne suis pas en bio, mais j’ai les mêmes pratiques, défend le jeune. Les moutons du voisin sont venus dans mes vignes et vous voyez, là, il y a de l’herbe. Je mets de l’engrais organique. J’ai des certifications HVE [haute valeur environnementale] et Terra Vitis. »

Pour lui, le sens de l’histoire va vers l’utilisation de moins en moins de pesticides, « parce que le consommateur le veut. On n’est plus à l’époque de l’après-guerre, où il fallait produire, on ne se posait pas de questions. Les pratiques ont évolué ».

Il traite pourtant toujours avec des pesticides de synthèse, lui fait-on remarquer. « Mais ça ne me fait pas plaisir de mettre des produits phytos, je les utilise pour des questions de rentabilité économique, répond-il. En plus, ça fait des factures de fou à la fin du mois. Si vous me garantissez un revenu, bien sûr que je passe en bio ! »

« Les produits phytos, c’est un engrenage »

Anthony estime impossible pour lui de passer en bio. Pour assurer son revenu, il a diversifié ses activités, a aussi une pépinière et 10 hectares de vignes destinées au greffage (pour fabriquer de nouveaux plants de vigne). « Le bio, ce serait 20 à 30 % de travail en plus, sauf que je travaille déjà 7 jours sur 7 », dit-il. Utiliser les « phytos » lui permet aussi d’assurer la récolte.

« J’ai des collègues de la cave coop’ qui, l’année passée, ont zappé 1 ou 2 traitements. Ils ont fait très peu de raisins. Aujourd’hui, ils ne peuvent pas manger, c’est certain. » On comprend aussi qu’il a de nombreuses charges à assumer. La main-d’œuvre, les engrais, les pesticides… et les machines. « Un tracteur vaut 100 000 euros maintenant, à l’époque, ça en valait 40 000. Il faut amortir. »

Christian, l’air absorbé, écoute en hochant la tête. « Les produits phytos, c’est un engrenage, se rappelle-t-il, en référence à l’époque où il était en conventionnel. Au mois de février ou mars, les commerciaux passaient à la maison. Avec toujours de nouvelles molécules. Et comme je flippais de ne pas rentrer la récolte, je me suis laissé engrainer, j’ai augmenté la toxicité des produits que j’achetais. » L’objectif était de produire un maximum de raisins, seul moyen d’augmenter ses revenus.

Or, « plus on lui demande de rendement, plus la vigne est sensible », dit le retraité. Et donc plus il faut la traiter. La conversion en bio lui a permis de stopper le cercle vicieux. « Je gagnais beaucoup mieux ma vie en bio qu’en conventionnel », assure-t-il. Mais le contexte n’est plus le même : « La consommation de bio s’est arrêtée d’un coup. »

 

Christian Vigne : « Comme je flippais de ne pas rentrer la récolte, je me suis laissé engrainer, j’ai augmenté la toxicité des produits que j’achetais. » © David Richard / Reporterre

Anthony se redresse. « Le marché du bio est encore plus planté que celui du conventionnel », enchérit-il. Il rappelle que la région Occitanie a fortement soutenu la conversion au bio de ses vignes. « On est passés de 700 ou 800 000 à 1,7 million d’hectolitres de vin bio, chiffre-t-il de mémoire. Le choix de privilégier l’environnement, on l’a fait. Mais le problème, c’est qu’en bio, il n’y a plus de marché. » Selon lui, la moitié du vin bio ne trouve plus preneur. Les producteurs sont obligés de vendre au prix du conventionnel.

Christian marque un temps de pause. « Philosophiquement, je pense que c’est moi qui ai raison, sourit-il, avant de reprendre un air sérieux. Mais économiquement, je n’ai pas peur de dire que c’est Anthony qui a raison. Et tout le problème est là. » Anthony approuve : « L’essentiel, c’est de se tirer un revenu, peu importe que ce soit en bio ou pas. »

 

Christian Vigne l’assure, il gagnait « beaucoup mieux [s]a vie en bio qu’en conventionnel ».. © David Richard / Reporterre

 

« On nous vend pour exporter des BMW »

On avance alors une proposition de longue date du collectif Nourrir, qui milite pour une réorientation des 9 milliards d’euros par an distribués aux agriculteurs français via la Politique agricole commune (PAC). Ces aides ne pourraient-elles pas soutenir les revenus des agriculteurs qui font le choix de l’agroécologie ? « On n’est pas dans le monde des Bisounours, répond Anthony. Il y a une loi du marché. Après, le jour où on arrête de mettre les produits alimentaires en bourse, il n’y a plus de problèmes ! »

« C’est là qu’on voit que le problème est politique, reprend Christian. Le gouvernement dit protéger son agriculture, mais c’est faux. L’agriculture est toujours mise en balance pour l’ouverture des marchés. » Les deux viticulteurs s’accordent sur la dénonciation des traités de libre-échange. « On est un maillon essentiel de la société et on nous dénigre. On nous vend pour exporter des BMW », fustige Anthony.

Il ne serait pas contre une dose de protectionnisme, approuve comme Christian l’interdiction des importations de fruits et légumes traités à l’insecticide thiaclopride. Il aimerait aussi « un étiquetage clair et net », permettant aux consommateurs de savoir dans quelles conditions sont produits les légumes importés, par rapport aux légumes français.

 

Anthony Bafoil exploite 50 hectares de vignes en conventionnel. © David Richard / Reporterre

Autant de déclarations qui, pour Christian, prouvent qu’Anthony serait plutôt d’accord pour « changer de logiciel », comme beaucoup d’autres agriculteurs, mais que le gouvernement n’en tient pas compte. La réponse du gouvernement à la crise agricole « fait plaisir à quelques-uns », dénonce-t-il, pensant au patron de la FNSEA Arnaud Rousseau et aux puissants céréaliers à la tête du syndicat.

Il tend la perche à Anthony, tentant de lui faire désapprouver les orientations nationales de son syndicat. « Je ne la saisirai pas », décline son cadet. Qui accepte quand même de développer : « Il y a une agriculture à deux vitesses, il y a le paysan qui a les pieds dans la terre, et il y a les autres. Je pense qu’il y a un grand écart entre moi et le président de la fédé [la FNSEA] », dit-il sobrement, se recalant sur sa chaise.

Quelques gouttes humidifient l’air et le sol. Les vieilles chaises de plastique craquent quand les corps se relèvent. Les regards se tournent vers les Cévennes, en arrière-plan derrière les vignes d’Anthony, toujours coiffées de lourds nuages gris prêts à éclater. Chacun a encore beaucoup à dire. Ils restent, malgré la crise que vit leur métier, à leur manière, optimistes. Anthony compte sur la recherche — « une plante venue d’Amazonie », un gène miracle, le développement des cépages résistants aux maladies ? — pour sortir peu à peu l’agriculture des pesticides. Christian, lui, croit en la jeunesse. « Eux, ils sont d’accord pour changer de logiciel », se réjouit-il.

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Nous savons aujourd’hui que nous avions tort.

L'État ne respecte pas ses engagements environnementaux.

Les rapports du GIEC sont commentés entre deux publicités pour des SUV.

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Source : https://reporterre.net/Pesticides-on-a-fait-debattre-deux-viticulteurs-que-tout-oppose

mardi 27 février 2024

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Voir le précédent post pour davantage d'explication

https://lemurparle.blogspot.com/2024/01/souscription-cafe-zapatiste-2024-cest.html

dimanche 25 février 2024

Effondrement de la biodiversité, eau et sols contaminés : les coûts cachés des pesticides

Effondrement de la biodiversité, 

eau et sols contaminés : 

les coûts cachés des pesticides

par Nolwenn Weiler

 

 
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Nos très chers pesticides


Par Nolwenn Weiler

Ouvrir le robinet à pesticides – qui déversait déjà abondamment ses molécules toxiques – pour calmer la colère des agriculteurs, et obtenir qu’ils rentrent à la maison. Voilà qui va sans doute réjouir les vendeurs de ces produits, pour qui la France est un juteux marché, le premier en Europe, avec un quart des ventes totales pour une valeur annuelle estimée à 3 milliards d’euros (moyenne 2016-2022, selon les calculs du Basic, le Bureau d’analyse sociétale d’intérêt collectif). 

 

Certes, le plan Ecophyto, né dans la foulée du Grenelle de l’environnement de 2009, n’a pas encore permis de diminuer leur usage. Mais sa mise sur « pause », annoncée le 1er février par le Premier ministre, montre que le gouvernement n’a visiblement pas l’intention de réfléchir à un modèle agricole capable de se passer des pesticides.

 

Il prévoit même de masquer leurs consommations réelles, voire leur augmentation, en renonçant à l’outil qui permettait de mesurer leur usage : le « Nodu » (nombre de doses unités). Indicateur historique du plan Ecophyto, le Nodu rend compte de la quantité de pesticides utilisés par hectare. Il pourrait être remplacé par le « HRI1 », dont on ne sait pas exactement ce qu’il mesure puisqu’il est censé prendre en compte la quantité et la dangerosité des pesticides.

 

« Si un pesticide très toxique est interdit et remplacé par un pesticide tout aussi nocif, on considère qu’il s’agit d’une forte réduction des pesticides », illustre l’ONG Générations futures, qui siège au comité d’orientation et de suivi (COS) du plan Ecophyto. Seule certitude : cet indicateur peut donner « une fausse impression de forte baisse » d’utilisation des pesticides. Entre 2011 et 2021, le Nodu indique une hausse d’utilisation des pesticides de 3 %, alors que le HRI1 indique une baisse de 32 % ! « Remettre en cause l’indicateur Nodu c’est remettre en cause l’objectif même de la réduction des usages des pesticides en agriculture qui était au coeur du plan », ajoute l’ONG.

 

Sans que l’on comprenne bien en quoi cela va sauver les agriculteurs, le gouvernement décide donc d’appuyer sur l’accélérateur qui nous mène au désastre. Les coûts collectifs astronomiques de l’usage des pesticides n’en finissent plus d’être documentés. Regardons par exemple l’hécatombe d’oiseaux : 25 % d’entre eux ont disparu ces 40 dernières années en Europe. Dans les milieux agricoles, cette proportion grimpe à 57 % ! Très impactés par le réchauffement climatique, les oiseaux le sont aussi par l’usage massif de pesticides qui les affament en faisant disparaître les insectes. Insectes dont le déclin est tout aussi spectaculaire : de 70 à 80 % d’entre eux ont disparu (selon une recension d’études réalisée par le quotidien Le Monde en février 2023).

 

Intéressons nous aussi à l’état de l’eau, tellement contaminée que des captages doivent être fermés, notamment à cause de la présence de métabolites, ces descendants des pesticides que l’on retrouve partout. A certains endroits, les autorités sanitaires sont tellement désemparées qu’elles rehaussent les seuils au-delà desquels l’eau est considérée comme impropre à la consommation – une eau considérée trop polluée hier redevient ainsi potable.

 

En septembre 2022, les taux d’esa-métolachlore (métabolite issu d’un désherbant du maïs) acceptables ont ainsi été multipliés par 9, passant de 0,1 à 0,9 microgramme par litre. A Masserac, en Loire-Atlantique, où la problématique des pesticides inquiète les élu·es depuis plusieurs années, l’impossibilité de dépolluer l’eau est patente. « Après passage de la filtration au charbon (l’une des plus efficaces que l’on connaisse à ce jour pour les pesticides, ndlr), on retrouve encore plus de 300 molécules dont des pesticides et des métabolites», remarque Mickaël Derangeon, vice-président d’Atlantic’eau, le syndicat producteur d’eau potable.

 

A cela s’ajoute l’état des sols, sur lesquels la recherche commence à se pencher, découvrant une présence généralisée de pesticides, qui rend une partie de ces sols impropres à la production alimentaire.

 

Face à Christian Jouault, agriculteur victime de pesticides, le député Renaissance de l’Hérault Patrick Vignal a lancé sur le plateau de BFM TV : « Vous voulez quoi, qu’on n’ait plus d’agriculture » ? Mais c’est précisément l’usage de pesticides qui risque de nous condamner au désert. Comment pourra-t-on cultiver la terre et nourrir le monde sans le concours des insectes, qui assurent jusqu’à 35 % de la production mondiale via la pollinisation ? Comment les agricultrices et agriculteurs feront-ils pour abreuver leurs bêtes et se désaltérer quand ils ne pourront plus boire l’eau qui coule sous leurs pieds ? Et où cultivera-t-on les légumes quand les terres seront toutes contaminées ?

 

« Mettre une pause sur Ecophyto c’est inacceptable. On ne peut pas continuer comme ça, alors que tellement de gens sont malades », a répondu Christian Jouault, en ce moment hospitalisé pour soigner une leucémie, alors qu’il a déjà eu un cancer de la prostate reconnu comme une maladie professionnelle.

 

Longtemps réduites au silence, les victimes des pesticides sont de plus en plus nombreuses à prendre la parole et à obtenir la reconnaissance de leurs maladies comme d’origine professionnelle. En 2022, le fonds d’indemnisation des victimes de pesticides a reçu 650 demandes de reconnaissances. Ce n’est là que la partie émergée de l’Iceberg, car les démarches pour une reconnaissance en maladie professionnelle sont un vrai parcours du combattant. De plus, la honte et le déni restent fort dans les campagnes.

 

Personne n’a dit qu’il serait facile de réduire ou renoncer à ces outils d’apparence miraculeuse que sont les pesticides, et surtout pas ceux et celles qui travaillent au quotidien en se passant d’eux. Les agriculteurs ont besoin d’aide pour résoudre mille et une impasses techniques, répondre à leurs doutes, mutualiser les bonnes idées, et indemniser leurs récoltes perdues. Des milliards d’euros pourraient être réorientés vers ces tâches essentielles.

 

« En France, les dépenses réelles associées aux pesticides sont deux fois plus élevés que les profits du secteur », estime une étude du Bureau d’analyse sociétal de l’intérêt collectif (Basic) publiée en 2021. Et ce calcul « a minima » ne prend pas en compte l’ensemble des maladies dues aux pesticides, ni les mesures de plus en plus onéreuses pour traiter l’eau, ni les aides aux agriculteurs. Mises bout à bout, ces dépenses s’élèvent à plus de 18 milliards d’euros.

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[1Moyenne 2016-2022, calcul du Bureau d’analyse sociétale d’intérêt collectif (Basic).

[2Selon une recension d’études réalisée par le quotidien Le Monde en février 2023.



Source : https://basta.media/Effondrement-biodiversite-pollution-eau-sols-couts-caches-pesticides