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dimanche 31 décembre 2023

« Born in … PPM » : Et vous ? A combien de « PPM » êtes-vous né.e ?

 

« Born in … PPM » : 

Et vous ? 

A combien de « PPM » 

êtes-vous né.e ?


"A partir de 450ppm dans l’atmosphère, le Stockholm Resilience Centre dit qu’on arrive dans l’incertitude la plus totale avec un emballement climatique tel qu’on ne pourra plus rien prédire. Une fois les 450ppm atteintes, le programme c’est fonte des glaces et du permafrost, incendies, émissions de méthane… C’est donc bien MAINTENANT, pas demain ou après-demain, que tout le monde doit s’y mettre."


Texte : Laurie Debove 
Photographie : Mary-Lou Mauricio
 
20 décembre 2023

Photographe engagée, Mary-Lou Mauricio a développé un projet intelligent pour mieux faire comprendre l’urgence du dérèglement climatique : « Born in … PPM ». Cette série de portraits met en scène des personnes de tous âges, affichant au marqueur sur leur corps le taux de concentration en CO2 (PPM) de leur année de naissance. D’un bébé né en 2022 (à 417 PPM) à une mamie en 1925 (à 305 PPM), cette série photos montre à quel point tout le monde est concerné, mais surtout la vitesse alarmante à laquelle augmente la concentration de CO2 dans l’atmosphère. 

 

La concentration de CO2 dans l’atmosphère


LR&LP : Pouvez-vous vous présenter et expliquer pourquoi vous avez eu l’envie de créer « Born in … PPM » ?

Mary-Lou Mauricio : Je suis photographe et animatrice et formatrice de la Fresque du Climat, suite à une reconversion après un burn-out au bout d’une quinzaine d’années dans la communication. Grâce à la Fresque du Climat, j’ai vraiment compris cette problématique. Avant, j’étais déjà écolo et même bénévole pour certaines ONGs comme la Fondation Nicolas Hulot lors de la COP21.

Mais grâce à la Fresque, j’ai notamment compris que le CO2 est une particule inerte qui reste entre 100 et 10 000 ans dans l’environnement une fois qu’elle est émise. La Fresque du Climat m’a permis de comprendre l’importance de la concentration des molécules de CO2 dans l’atmosphère. J’ai compris à quel point le climat nous concerne tou.te.s et à quel point il fallait que chacun.e s’engage pour que les choses bougent enfin.

L’an dernier, la COP27 a eu lieu en Egypte et un appel a été lancé pour créer des projets artistiques autour des enjeux climatiques. Je voulais rendre visible le CO2, ce déchet inodore et incolore, d’où mon idée de mettre en scène des gens. J’ai donc créé une série de portraits avec des jeunes et des vieux, pour les prendre en photo avec inscrit le chiffre en PPM de leur année de naissance sur leur peau. Ce chiffre représente le taux de concentration de CO2 en parties par millions présents dans l’atmosphère lors de leur naissance.

J’avais deux objectifs : démontrer la croissance ultra rapide des taux de concentration de CO2 dans l’atmosphère à travers les générations, et l’injustice climatique que cela entraîne, car peu importe notre contribution aux émissions de GES on vit tous dans le même PPM.


Les civilisations occidentales sont en train d’imposer ce taux de carbone à des gens qui n’ont peut-être jamais eu accès à une voiture ou à un frigo. C’est pour ça qu’il n’y a pas que des français dans la série de portraits, mais aussi des personnes du monde entier, y compris des réfugiés.

Cette 1ère série de photos je l’ai posté chaque jour pendant la COP27 sur les réseaux sociaux, de la personne la plus âgée au bébé, en racontant leur témoignage. J’ai demandé aux gens de choisir la posture qu’ils veulent sur la photo car ce projet à la base très scientifique et ultra-factuel provoque des émotions différentes.

Quand les gens y participent, on leur présente les PPPM, ce que c’est comme objet de sensibilisation. Après, il y a une interview sur ce que la personne ressent dans le changement climatique dans son cœur, quel est le message qu’ils veulent faire passer. Les participant.e.s se mettent alors en scène pour transmettre le message qu’elles veulent sur le climat, certaines postures reviennent parfois comme le « stop » sur la main.


Les PPM, une mesure vitale


LR&LP : Parmi les gens que vous avez photographié, est-ce qu’il y en a certains qui vous ont touché plus que d’autres ?

Mary-Lou Mauricio : Un visuel qui me tenait très à cœur et a été fort en émotions, ce sont les femmes enceintes. Cette photo a pour moi le plus de sens. Je leur ai demandé si je pouvais mettre un point d’interrogation sur leur ventre car on ne sait pas ce que l’humanité va décider : est-ce qu’on va atteindre un point de non-retour ou va-t-on inverser la tendance avant qu’il ne soit trop tard ? Elles portent à la fois un message d’espoir et d’angoisse.

France, Paris, 2023-02-06. Portrait issu du projet BORN IN PPM de Mary-Lou Mauricio.

LR&LP : Nous sommes actuellement à 419ppm de CO2 dans l’atmosphère, le niveau de CO2 le plus élevé depuis 14 millions d’années. Pour limiter l’élévation de la température moyenne à +2°C, nous devons rester sous le seuil de 450 parties par million de concentration de gaz carbonique dans l’atmosphère. Au-delà, on sombre dans l’inconnu climatique. Comment vivez-vous l’échéance qui se rapproche ?

Mary-Lou Mauricio : Autour du changement climatique, il y a deux enjeux à intégrer : les PPM et les forçages radiatifs. Je suis l’évolution du taux de concentration dans l’atmosphère grâce aux données mesurées à Mauna Loa, à Hawaii, depuis 1958. Avant, c’était par le carottage de glaces qui nous permet de dire qu’on n’a jamais dépassé 300ppm depuis 800 000 ans. Avant l’ère industrielle, on était à 280ppm.

Dans les premières séries de portraits, il y une mamie née à 305ppm, mon père à 310ppm. Les scientifiques ont défini la limite planétaire à 350 PPM, un taux que nous avons dépassé en 1988.

A partir de 450ppm dans l’atmosphère, le Stockholm Resilience Centre dit qu’on arrive dans l’incertitude la plus totale avec un emballement climatique tel qu’on ne pourra plus rien prédire. Le GIEC estime plutôt que ce sera à 500ppm mais les modélisations sont complexes, et en parallèle il y a l’effondrement des puits de carbone ce que prend en compte le Stockholm Resilience Centre.

Une fois les 450ppm atteintes, le programme c’est fonte des glaces et du permafrost, incendies, émissions de méthane… C’est donc bien MAINTENANT, pas demain ou après-demain, que tout le monde doit s’y mettre. Une fois que la nature émettra plus de GES que nous, on n’aura plus le choix que de s’adapter d’où l’importance de diminuer le plus possible nos émissions dès maintenant.

JEAN JOUZEL, BORN IN 1947, NÉ EN 1947 EN FRANCE. NOTRE LÉGENDE DU CLIMAT. Jean Jouzel est un paléoclimatologue français. Avec Claude Lorius, il a publié en 1987, la première étude établissant formellement le lien entre concentration de CO2 dans l’atmosphère et réchauffement climatique. Il est membre du GIEC (IPCC) entre 1994 et 2015. Mondialement reconnu, Jean Jouzel est une des figures emblématiques du climat. Il alerte sur l’urgence climatique, et, dénonce le manque d’ambition des mesures politiques et économiques face à « la vie réelle » des catastrophes naturelles en cours.

LR&LP : Quelle est l’évolution du projet depuis le lancement des portraits ?

Mary-Lou Mauricio : L’an dernier, j’ai eu la chance d’installer le studio photo à l’Université de la Terre à l’UNESCO avec le passage de gens plus influents et nombre d’entre eux ont partagé leur photo. J’ai donné à chacun leur photo avec un texte explicatif, c’est devenu viral, et des entreprises et événements me sollicitent maintenant pour avoir des portraits.

D’autres ont envie d’avoir un portrait comme un symbole de leur engagement. De plus en plus de gens rajoutent BORN IN PPM dans leur signature, même sur leur CV, ce qui est super chouette car cela permet de démocratiser cette donnée et de la faire connaître.

D’autres utilisent les portraits pour en parler avec leurs parents. Des gens viennent avec leur grand-mère, leur bébé pour faire leur portrait de famille, on veut témoigner de là où on est et de ce qu’il se passe. Certaines personnes m’ont dit que ça leur a vraiment permis de toucher leurs proches et de leur faire prendre conscience du problème.

 Aujourd’hui, j’aimerais toucher un peu plus le grand public. Une émission de M6 m’a permis de toucher une audience plus large, ce qui est un premier pas. Mon but c’est que tout le monde comprenne la gravité de la situation et en fasse un moteur pour changer les choses. Je me rends aussi dans les quartiers ou les lieux plus populaires afin que chaque classe sociale puisse se saisir des enjeux. En ce sens, j’ai notamment créé un site internet où chaque internaute peut connaître le taux de concentration dans l’atmosphère au moment de sa naissance.

L’étape d’après, c’est former des photographes à l’étranger afin que qu’on ait des portraits du monde entier. Aujourd’hui, afficher le taux de concentration de CO2 en ppm a dépassé le cadre militant. Ce chiffre est ainsi actualisé chaque jour sur le site internet du journal britannique The Guardian mais aussi de Bloomberg Green et d’autres médias, à la manière des données météo ou boursières qui rythment d’ordinaire le quotidien des journaux généralistes ou économiques. Histoire de montrer qu’il faut changer d’indicateur… »

Et vous… à combien de ppm êtes-vous né.e ?


France, Paris, 2023-11-27. Portrait issu du projet BORN IN PPM de Mary-Lou Mauricio. La concentration en CO2 dans l’atmosphère se mesure en « Parties Par Million ». Depuis la révolution industrielle, ce taux ne cesse d’augmenter, de plus en plus vite contribuant fortement au réchauffement climatique. C’est un marqueur tangible de notre relation au changement climatique. Le participant pose avec le taux de PPM de son année de naissance et témoigne par sa posture de son ressenti face au dérèglement climatique. Photographie par Mary-Lou Mauricio / Hans Lucas.


Source : https://lareleveetlapeste.fr/born-in-ppm-et-vous-a-combien-de-ppm-etes-vous-ne-e/

samedi 30 décembre 2023

Affaire du « 8 décembre » : grosses ficelles pour lourdes condamnations

Affaire du « 8 décembre » : 

grosses ficelles 

pour lourdes condamnations


Thomas Lemahieu
22.12.23 

 

© Emmanuelle Pays / Hans Lucas


Le dossier était léger, la construction antiterroriste plutôt grossière… Mais ça a suffi au tribunal correctionnel de Paris qui, dans l’affaire du « 8 décembre » - faute de nom et de cible, c’est la date des interpellations qui désigne le groupe - condamne les 7 inculpés, décrits comme appartenant à « l’ultragauche », à des peines allant de 2 et 5 ans de prison.
 
 
Les parents des inculpés du « 8 décembre » dénoncent les traitements infligés à leurs enfants dans le cadre de cette enquête d’exception et dénoncent l’attitude de la DGSI durant l’enquête.
 
Tout au long des quatre semaines d’audiences, en octobre dernier, tout paraissait largement joué d’avance. En vérité, c’était même plié avant que la justice fasse son œuvre puisque dès le 5 avril 2023, Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, tout affairé à démontrer la menace d’une mouvance « écoterroriste », s’était vanté d’avoir « déjoué un attentat fin 2020 ». « Il s’agissait d’une action extrêmement violente et mortifère contre des forces de l’ordre », se rengorgeait-il alors. Puis au tribunal correctionnel de Paris, au cours du procès, en début d’automne, les deux procureurs n’avaient pas dévié d’un millimètre, s’appuyant lourdement sur quelques fascicules trouvés sur les ordinateurs des prévenus…
 
Tout était joué d’avance…
 
Cette fois, les juges d’instruction et le Parquet national antiterroriste (PNAT), occupés la plupart du temps par les djihadistes ou par des suprémacistes d’extrême droite, tenaient leur affaire de terrorisme d’« ultragauche », quelques années après le fiasco complet de l’affaire de Tarnac. Six hommes et une femme étaient accusés d’avoir participé à des « réunions conspiratives », des expérimentations de « fabrication d’explosifs » ou des « entraînements paramilitaires » en vue de commettre une attaque à tout le moins indéterminée. Les coutures pouvaient être grossières dans un dossier largement fabriqué par l’antiterrorisme ; mais comme transpirait parfois, dans les écoutes, leur hargne contre les policiers au cours de soirées manifestement bien arrosées, ça pourrait toujours suffire pour caractériser une intention.
 
Tout était joué d’avance… 
 
Vendredi 22 décembre, au cours d’une audience de délibéré dans le procès du groupe du « 8 décembre » (soit la date des interpellations, en 2020, au bout de huit mois de surveillance rapprochée par la Direction générale de la sécurité intérieure – DGSI), cela s’est confirmé, sur toute la ligne : les sept inculpés ont tous été condamnés pour « association de malfaiteurs terroriste ».
 
Présenté comme le leader « charismatique » de cette petite bande sans réelle identité politique ni projet terroriste identifié, Florian D., parti un temps combattre Daech en Syrie au sein des forces démocratiques kurdes du Rojava, écope de la peine la plus lourde : 5 ans de prison, dont 30 mois de sursis probatoire. Ses six amis se voient, eux, infliger des peines allant de 2 à 4 ans de prison, également avec sursis probatoire. Tous ou presque seront inscrits au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles et violentes (Fijais), subiront de lourdes obligations de contrôle et des mesures de surveillance électronique. Enfin, ils ont interdiction d’entrer en contact les uns avec les autres, pendant trois ans.
 
Avant de décider de s’interrompre pour quelques soupirs appuyés dans l’assistance, puis de réclamer l’évacuation de la salle, provoquant une interruption de plus d’une heure et demie, la présidente du tribunal avait repris à son compte, les uns après les autres, tous les arguments avancés par les procureurs représentant le Parquet national antiterroriste (PNAT). Selon elle, le « caractère ludique » des parties d’air-soft auxquelles certains des condamnés ont participé, pendant le confinement du printemps 2020, est « démenti par la référence à des entraînements, à du recrutement », ou encore par la découverte d’une « brochure qui explique comment organiser une milice armée ».
 
Parmi les condamnés, certains s’étreignent, une dernière fois, avant d’être privés des liens…
 
Avant de couper court à la lecture des motivations pour – malgré les protestations sur les bancs de la défense – se contenter de lister les condamnations, la juge revendique le choix de s’appuyer sur l’association de malfaiteurs terroriste, « bien qu’aucun projet abouti n’ait pu être identifié et nonobstant le fait que les liens entre tous les prévenus ne sont pas forcément étroits ». Selon elle, le but du groupe était bien de « troubler gravement l’ordre public par l’intimidation et la terreur », et cela est « caractérisé par la volonté de porter atteinte à l’intégrité des policiers, de s’armer dans la lutte contre ceux qui sont décrits comme des chiens de garde, et de préparer des actions violentes ».
 
Une fois l’audience levée, après la sortie – sous quelques quolibets – de la juge et de ses deux assesseures, la salle redevient silencieuse. Sur les bancs où quelques dizaines de proches des 7 jeunes gens ont pu rester, les larmes coulent. Parmi les condamnés, certains s’étreignent, une dernière fois, avant d’être privés des liens qu’ils ont sans doute renforcés, depuis le début de cette épreuve, voilà trois ans. Se décrivant comme « soulagé » de voir son client, Florian D., ne pas retourner en prison – « Bon, c’était bien la moindre des choses, quand même », ajoute-t-il – Me Raphaël Kempf n’en revient pas sur le fond : « Le tribunal vient de dire qu’exprimer du ressentiment à l’égard des policiers ou des forces de l’ordre, ça pouvait être considéré comme un acte de terrorisme. C’est une extension incroyable de la notion de terrorisme qui peut viser, à partir de là, la sphère politique et militante. » Sans se prononcer à ce stade sur la possibilité de faire appel du jugement, l’avocat rappelle qu’il reste, dans cette affaire, une autre action qu’il a engagée devant le Conseil d’État afin d’interroger la légalité des dispositifs de surveillance mis en œuvre. Dispositifs qui ont été au cœur de toute la construction antiterroriste de l’affaire.
 
Dans un coin de la salle d’audience, les parents des jeunes inculpés s’attardent, un peu abasourdis. En quelque sorte, le cauchemar continue. Pour eux, pour leurs enfants, mais aussi bien au-delà. Une mère chuchote : « À qui le tour, maintenant ? Aux syndicalistes ? Aux journalistes ? C’est indigne, c’est honteux. »
 
 
 
 

jeudi 28 décembre 2023

Dans la cabane de Gabrielle Filteau-Chiba, l’autrice écologiste de l’année

 

Dans la cabane de 

Gabrielle Filteau-Chiba, 

l’autrice écologiste 

de l’année

27 décembre 2023

 Gabrielle Filteau-Chiba, 35 ans, écrit des livres basés sur son expérience de vie dans la nature.

[Série : Elles et ils ont fait 2023.] Reporterre a rencontré Gabrielle Filteau-Chiba dans sa maison qui craque perdue dans les arbres. Cette autrice, traduite dans de nombreuses langues, s’inspire de sa vie dans la forêt du Québec.

Laurentides (Canada), reportage

Pour rejoindre Gabrielle Filteau-Chiba, on emprunte un petit bout de sa démarche. Quitter la ville, Montréal, franchir une série de zones commerciales bétonnées, pour atteindre enfin sa forêt refuge. L’arrivée au bout du chemin où elle a élu domicile, d’un blanc éclatant, apaise. Trente centimètres de neige reposent au pied des érables de ce petit bois des Laurentides, terre aux mille lacs sombres. Emmitouflée dans un long chandail de laine, l’écrivaine sort d’une grande maison qui craque, perdue dans les arbres.

Celle qui a lancé sa carrière en 2018 par un récit inspiré de son hiver passé dans une cabane par - 30 °C nous invite, dans un rire franc, à entrer se réchauffer. Sa demeure embaume le café chaud et le bois verni. Difficile de ne pas s’y sentir le bienvenu. Son husky, Sequoia, la truffe enneigée, emboîte le pas, un peu déçu de devoir rentrer.

Claquer la porte

La forêt, l’autrice de 35 ans s’y sent chez elle. Il y a dix ans, elle a quitté Montréal en claquant la porte. « J’ai grandi dans une espèce de fièvre urbaine, très aliénante. Or, je suis hypersensible. Je n’arrivais pas à composer avec cette vie-là », dit-elle.

Longtemps, elle a réussi à faire taire la petite voix qui l’invitait à fuir son quotidien urbain de traductrice juridique, avec vue sur un mur de briques. « Je suis toujours workaholic [elle a écrit six livres en six ans], mais là, je travaillais vraiment comme une forcenée, même les week-ends. On est payés au mot, en traduction, alors j’allais vraiment le plus vite possible. J’avais cet appât du gain. Puis ça m’a brûlée. » À 23 ans, le burn out a frappé à la porte.

« Je voulais un vrai défi. Mais j’étais très naïve »

Pour souffler, elle a filé quelques jours à Kamouraska, dans l’estuaire du Saint-Laurent. Ses maisons multicolores et sa forêt la firent complètement bifurquer. Elle ne voulut plus partir. « Je suis allée voir sur internet s’il y avait des logements à louer, retrace-t-elle. J’ai rien trouvé, mais je suis tombée sur une cabane à vendre, un ancien camp de bûcheron, qui coûtait une bouchée de pain. J’ai fait l’aller-retour à Montréal, dit au revoir à mon emploi, tout vendu et hop, dans la cabane. »

C’est l’expérience de sa lutte contre des projets d’oléoducs qui a mené Gabrielle Filteau-Chiba à l’écriture. © Alexis Gacon / Reporterre
 

Ce lieu va changer sa vie. Pas de téléphone, pas d’électricité, juste des lampes à huile et des romans russes et québécois pour passer le temps, avec la rivière qui chantait en contrebas. « Je voulais un vrai défi. Mais j’étais très naïve. » Ici, la température plonge parfois sous les - 30 °C. L’humidité du fleuve perçait les os et la neige n’en finissait plus de tomber. « Je sortais de la cabane et il y avait juste ma tête qui dépassait. Il fallait se pelleter une tranchée dans la neige. »

Le toit coulait, l’isolation ayant été mangée par les souris. Les coyotes criaient près de son refuge — « Leurs yeux d’affamés dansent comme les lampions d’un cimetière », écrit-elle — et tournent, donnant l’impression qu’ils sont plus nombreux.

Mais Gabrielle Filteau-Chiba n’a pas paniqué. « Tu crois qu’ils sont quarante, mais ils ne sont que six. Ce ne sont pas des cris pour nous terrifier, c’est la saison des amours ! À force, je me suis mise à sortir quand ils hurlaient pour chanter avec eux. » Elle s’est épanouie en les côtoyant. Ses yeux verts brillent en le racontant.

« Quand il faisait - 40 °C, j’avais peur que le froid me tue »

Si l’épreuve lui plaisait, le froid a commencé à atteindre son moral. Elle a décidé de quitter la cabane, alors qu’une vague encore plus glaciale s’annonçait. Mais sa voiture ne l’a pas entendu de cette oreille : elle ne démarrait plus. Il a donc fallu affronter la tempête, encabanée. « Quand il faisait - 40 °C, j’avais peur que le froid me tue. Je dormais collée sur le poêle. Dès que mon nez devenait froid, je me réveillais en sursaut et réalimentais le feu. »

Elle n’a pas gelé, mais s’est fendue la peau du visage en tentant de couper du bois. Chaque jour, elle a écrit ses impressions dans un journal intime. Ce récit est devenu, en 2018, Encabanée, son premier ouvrage, traduit dans cinq pays et adapté au théâtre en France, qui l’a « mise sur la map », comme on dit au Québec.

 

Pendant son premier hiver dans sa cabane, Gabrielle Filteau-Chiba a passé des nuits entières collée à son poêle pour survivre. © Alexis Gacon / Reporterre

 À la fin de son premier ouvrage, un militant a toqué à la porte de la cabane de l’héroïne. Il cherchait à se cacher car il venait de saboter une voie ferrée pour protester contre un projet industriel. Un hommage de l’autrice aux risque-tout du quotidien, qu’elle a côtoyés. Alors qu’elle se tenait aux côtés des militants contre le projet d’oléoduc transcanadien Énergie Est, finalement avorté, et se demandait comment elle pouvait les aider dans leur lutte, les amis de Gabrielle lui dirent : « Tu veux combattre ? Écris, dessine, ça sera ta manière de le faire ! » Son œuvre se nourrit sans cesse de ses luttes.

Depuis, elle vit de sa plume, vive, lyrique et imagée. Son premier livre prend place dans la littérature de cabane, comme celle d’Henry David Thoreau (1817-1862), qu’elle a dévorée : « Je pense que c’est instinctif d’aller se cacher quelque part. Il faut revenir ensuite. Thoreau vivait dans sa cabane, puis retournait dans sa famille, faisait des conférences. » Sa famille la trouvait folle, au départ, d’avoir préféré vivre dans les bois et chanter avec les coyotes, que d’embrasser une carrière de bureau. « Depuis que j’en vis, ils ont vu que j’ai eu raison. »

Des contes poétiques écoféministes

La suite de sa trilogie, Sauvagines et Bivouac, l’a assise comme une nouvelle voix qui porte dans la forêt de jeunes auteurs du Québec. Dans Sauvagines, angoissant à souhait, Raphaëlle, garde-chasse dans une roulotte, tente d’empêcher les chasseurs qui rodent de tuer les animaux de la forêt. Le livre raconte aussi la rencontre entre deux femmes qui se lient autour d’un territoire que ni le gouvernement, ni l’industrie, ne respectent.

La nature n’est jamais tranquille dans ses écrits. Toujours en voie d’être exploitée ou déjà détruite. « La forêt est rasée lisse, comme le mont de Vénus d’une femme-objet. Il n’y en a plus de forêts vierges (...), que des lignes d’essences à croissance rapide (...). Pins, épinettes, sapins abattus à trente ans pour servir le nouveau dieu, Capital », écrit-elle. Dans son œuvre, les femmes sont les gardiennes ou les vengeresses d’une forêt. Elles se rassemblent, apprennent à lutter ensemble.

 

Gabrielle Filteau-Chiba trouve l’inspiration lors de longues marches dans la forêt enneigée avec son chien. © Alexis Gacon / Reporterre

 

Son dernier livre, Hexa, peut-être considéré comme un roman d’anticipation. Ancré à la fin de notre siècle, il conte l’histoire de semeuses rebelles qui fuient chaque année la Cité, où elles sont emmurées et où tout est rationné, pour aller reboiser des forêts et regoûter à la liberté. Elles y croisent des pizzlys, ces hybrides entre les grizzlys et les ours polaires, qui risquent d’être plus nombreux avec le réchauffement climatique. « J’essaie d’ancrer mes textes dans la réalité. Que les lecteurs apprennent quelque chose. Pour le reste, je me sers aussi de mes intuitions. Les artistes servent à ça, à sentir les choses. »

En quelques jours, ce qu’elle anticipait devient d’ailleurs réel. Dans Hexa, les forêts ont été détruites par la chaleur, comme ce fut le cas pendant l’été 2023, quand le Canada a vu partir plus de 180 000 kilomètres carrés en fumée. « C’est effrayant parce que moi, je l’avais imaginé en 2090, ce livre. Puis c’est arrivé. Toutes les répercussions de la crise climatique arrivent plus vite que ce que l’on pensait. »

Face à la violence des feux, elle a même dû quitter sa maison des Laurentides, au nord-ouest de Montréal, l’air y devenant irrespirable. « J’avais les yeux qui piquent, la nausée, des migraines. On est allés plus au sud. C’est la première fois de ma vie que je ressentais les effets de la pollution dans mon corps. »

Féminisme rural

Hexa est un récit utopique, qui tente aussi de penser la forêt d’après les grands feux, celle qui se régénère. « Comment peut-on peut accélérer la guérison, le reboisement, en choisissant les bonnes espèces ? La recette que j’ai mise dans le livre, c’est la bonne. » Au-dessus d’elle, une douzaine de livres qui portent sur le reboisement nous toisent dans la bibliothèque. « Ce qu’il faut éviter, c’est une monoculture de résineux, qui brûlent très facilement. »

Combattre pour mieux se préserver. Se confronter à la force et à l’épreuve de la nature, qui écorche, pour mieux se tisser un cocon. L’univers de Gabrielle Filteau-Chiba n’est pas confortable. À un moment, dans Encabanée, son héroïne divague : « Je suis folle. Non. J’ai un idéal. » Lequel ? « Construire ma définition du féminisme rural. »

Ce concept revient souvent, dans la discussion avec l’autrice. « Je ne cherche pas la radicalité, la compétition. Mon rêve, c’est faire des remèdes à partir des plantes médicinales qui poussent autour de chez moi, être très présente auprès de mon enfant. Pour moi, le féminisme rural, c’est prendre soin de nos corps, de notre territoire. Est-ce qu’on peut ralentir ? Est-ce qu’on peut passer plus d’heures à dormir, à lire ? Pendant ces heures-là, on ne fait de mal à personne. »

 

Source : https://reporterre.net/Dans-la-cabane-de-Gabrielle-Filteau-Chiba-l-autrice-ecologiste-de-l-annee?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=nl_hebdomadaire

mercredi 27 décembre 2023

« La bouteille d’eau est l’une des sources de contamination les plus importantes aux microplastiques »

« La bouteille d’eau 

est l’une des sources 

de contamination 

les plus importantes 

aux microplastiques »


Les additifs polluants sont omniprésents dans nos vies : il existe environ 13 000 additifs ajoutés au plastique, dont la moitié sur laquelle nous n’avons pas de données. Sur les additifs connus, 3200 sont considérés comme “substances préoccupantes”. En tout, seuls 130 sont régulés.


Texte: Laurie Debove

Photographie: cunfek / iStock

19 décembre 2023

 

Nous sommes tou.te.s contaminé.e.s aux perturbateurs endocriniens, telle est l’alerte de la campagne « Sick Of Plastic » du mouvement On Est Prêt. En cause : l’omniprésence du plastique dans nos vies qui crée une bombe sanitaire encore trop négligée par les pouvoirs publics. Des associations se battent contre les industriels pour faire changer les lois.

La contamination plastique, un enjeu sanitaire

Dans le cadre de sa campagne #SickOfPlastic, le mouvement On Est Prêt a fait un test de contamination à 12 polluants sur 19 personnalités et les résultats sont éloquents. Tous sont contaminés à plusieurs perturbateurs endocriniens que l’on retrouve dans des plastiques. Chaque personne du panel est contaminée par 6 à 10 des perturbateurs endocriniens analysés. 8 d’entre elles sont contaminées à 10 perturbateurs endocriniens sur 12.

3 bisphénols ont été analysés. 14 personnalités sont contaminées au bisphénol S et 9 au bisphénol A, le fameux BPA aujourd’hui interdit dans la plupart des contenants alimentaires. C’est un perturbateur endocrinien susceptible d’affecter notamment la fertilité. Concernant les phtalates, toutes les personnes testées dans le cadre de l’opération #SickOfPlastic sont contaminées par 6, 7 ou 8 phtalates à des niveaux très variables. Certaines personnalités se retrouvent exposées à des phtalates +120 fois plus que d’autres.

« Ces résultats confirment que notre société utilise beaucoup trop de plastique. Les phtalates sont encore plutôt autorisés donc c’est normal de les retrouver dans nos organismes. C’est plus surprenant sur les Bisphénol qui sont interdits dans les contenants alimentaires. Ils ne devraient presque plus se retrouver dans les échantillons humains donc on suppose qu’ils doivent venir des autres BPA contenus dans les plastiques, cela traduit le fait que le plastique est omniprésent dans notre vie quotidienne et qu’il continue à contaminer l’être humain » explique Mathilde Body-Malapel, chercheuse dans une unité INSERM à l’Université de Lille, pour La Relève et La Peste

Les additifs polluants sont omniprésents dans nos vies : il existe environ 13 000 additifs ajoutés au plastique, dont la moitié sur laquelle nous n’avons pas de données. Sur les additifs connus, 3200 sont considérés comme “substances préoccupantes”. En tout, seuls 130 sont régulés.

« On est très à l’aise au niveau scientifique sur la toxicité notamment des bisphénols qui, à des quantités minimes, ont une toxicité reconnue sur trois critères : reprotoxiques car ils diminuent la fertilité, neurotoxiques et toxiques pour le système immunitaire. Pour les phtalates, c’est pareil, on connaît très bien leur toxicité et notamment leur reprotoxicité de façon transgénérationnelle car ils entraînent des dommages sur les capacités reproductives de plusieurs générations. » détaille Mathilde Body-Malapel, chercheuse dans une unité INSERM à l’Université de Lille, pour La Relève et La Peste

Nos cuisines deviennent ainsi de grandes zones de contamination. Si le bois est critiquable en terme de risque bactériologique, les cuisines d’antan en inox et en verre étaient beaucoup plus saines. La chercheuse est catégorique, parmi les objets du quotidien qui nous empoisonnent :

« La bouteille d’eau en plastique est l’une des sources les plus importantes de contamination aux microplastiques »

Pour regarder la vidéo cliquer sur ce lien :
https://www.youtube.com/watch?v=cSWj4QsY85w

 

Toute une société à transformer

 

Le problème des perturbateurs endocriniens réside dans le fait que la plupart des composants des objets du quotidien ne sont pas dévoilés au public pour des raisons de « secret industriel ». Résultat, quand une molécule toxique est interdite par la législation, elle est aussitôt remplacée par une homologue tout aussi inquiétante. C’est ce qu’il s’est passé lorsque le bisphénol A a été interdit dans la plupart des contenants alimentaires. Depuis, les fabricants le remplacent bien souvent par ses cousins, les bisphénols F ou S, dont les effets sur la santé commencent tout juste à être étudiés et préoccupent tout autant les chercheurs.

« Au moment de la fabrication, tous ces additifs sont ajoutés sans respect du principe de précaution et depuis 1950 on sait qu’il y a 9% seulement du plastique qui a été recyclé, pour 91% brûlé ou rejeté dans la nature. Dans l’environnement, le plastique se fragmente en micro puis nanoparticules et se comporte comme une éponge avec tous les virus alentours, capte toutes les bactéries et devient une bombe sanitaire. C’est pour ça qu’on le retrouve partout dans l’eau, la pluie et l’air. Une étude récente a démontré qu’il pleut 40kgs de plastique tous les jours à Paris, même lorsqu’il fait beau. » explique Magali Payen, fondatrice d’On est prêt et d’Imagine 2050, pour La Relève et La Peste

Le plastique a tellement intégré l’ensemble de notre environnement qu’on le retrouve à présent dans le sang humain et le placenta, contaminant les bébés avant qu’ils naissent.

« Je travaille particulièrement sur le microplastique et les polymères de plastique. Nous sommes en train de révéler la toxicité du microplastique en ce moment au niveau mondial, ce n’est pas encore bien reconnu au niveau règlementaire mais c’est en train d’exploser. A cause du fameux effet cocktail, il y a une forte probabilité que les toxicités entre les plastifiants et les microplastiques s’additionnent. Que va-t-il falloir pour que le monde se rende compte qu’il faut arrêter ce plastique partout qui est en train de nous préparer d’importants problèmes de santé à long terme ? » s’inquiète Mathilde Body-Malapel, chercheuse dans une unité INSERM à l’Université de Lille, pour La Relève et La Peste

Ce kit pour déplastifier sa vie récapitule les recommandations d’associations différentes

La campagne d’On est prêt a démarré en novembre 2023 à l’occasion du règlement sur l’emballage au parlement européen et du rassemblement de 175 pays à Nairobi, au Kenya. Ce dernier a échoué à poser des bases ambitieuses d’un premier traité mondial pour lutter contre les plastiques. Les pourparlers continueront en avril 2024 au Canada pour se conclure en Corée du Sud fin 2024.

« Parmi les biologistes avec lesquels on travaille, Marc-André Selosse nous a demandé de rappeler la grande règle du jeu. Une loi de sélection naturelle n’est pas respectée dans le sens où on émet tellement de xénobiotiques dans la nature, à une telle rapidité, par cocktail chimique que le vivant n’est plus en capacité de s’adapter et cela vient saper l’ensemble des mécaniques du vivant. C’est une alerte mondiale dont il s’agit » détaille Magali Payen, fondatrice d’On est prêt et d’Imagine 2050, pour La Relève et La Peste

Une coalition d’organisations demande ainsi à réduire la pollution à la source pour tous les plastiques non-essentiels. Pour les hôpitaux, le but est de réduire les additifs toxiques et mettre en place une économie circulaire avec un recyclage possible (sachant que le recyclage est très compliqué à cause des alliages).

Surfrider, ZeroWasteFrance, BreakFreeFromPlastic et le Réseau Vrac ont dû faire face au lobbying intensif d’une cohorte de restaurateurs et d’industriels de l’emballage concernant la proposition de règlement relative aux emballages et aux déchets d’emballages de la Commission européenne

Cette proposition, conçue pour faire face aux niveaux alarmants de déchets d’emballages en Europe, a été largement affaiblie sous la pression d’un lobbying intense, aboutissant à la suppression de la plupart des dispositions visant à lutter contre les emballages inutiles et les objectifs de réutilisation pour 2040.

Maigre victoire : les BPA et les PFAS ont enfin été interdits dans le plastique. Pour les ONGs qui veulent en finir avec la contamination du plastique, tout reste à jouer car les trilogues auront lieu courant Janvier.

Sources : « Aujourd’hui, 40 kilos de pluie de plastique sont attendus » : la « météo plastique » arrive à Paris, LeMonde, 25/05/2023 /

Laurie Debove

 

Source : https://lareleveetlapeste.fr/la-bouteille-deau-est-lune-des-sources-de-contamination-les-plus-importantes-aux-microplastiques/

lundi 25 décembre 2023

Des arbres décorés à Prades - Belle action de défense des arbres pour un Joyeux Noël 2023 + article Indépendant

Des arbres décorés pour Noël :

le collectif pour l'Arbre en ville 

offre une guirlande à la Ville de Prades

 



Collectif pour l'Arbre en ville

Prades-Conflent

66500arbres@mailo.com

– COMMUNIQUÉ –

Prades, le 22 décembre 2023,

Des arbres décorés pour Noël :

le collectif pour l'Arbre en ville offre une guirlande à la Ville de Prades

Ce vendredi 22 décembre 2023, deux arbres majestueux menacés d'abattage, les derniers Eucalyptus du parking des Impôts rue Beausoleil à Prades, ont été décorés d'une guirlande arborant des messages positifs : « Je fais de l'ombre », « J'héberge chenilles, papillons, oiseaux... », « Je crée de l'oxygène », « Je stocke le CO2 », « J'embellis le paysage », « Je sens bon », « Je suis beau », « Je crée de la fraîcheur », « Je fais tout ça gratuitement »...

Ces messages sont là pour nous rappeler les bienfaits que procurent les arbres en ville, et surtout les arbres adultes. En cette période de réchauffement climatique et de sécheresse aggravée, ce sont les arbres anciens qui ont le plus de chance de résister aux aléas climatiques, au contraire des jeunes arbres nouvellement plantés, qui ont plus de difficultés à survivre et à atteindre une croissance normale. Un récent rapport publié par le ministère de l’Agriculture sur les plantations forestières en France montre qu’en 2022, 37,7 % des plantations ont été « ratées » et 21,8 % des plants sont morts. Selon le ministère, c'est « le taux d’échec le plus élevé depuis la mise en place de ce suivi sanitaire en 2007 »1.

Il est donc faux de croire qu'aujourd'hui on peut faire « tout comme avant » : abattre l'existant pour faire place nette et créer un nouveau paysage. C'est pourtant ce qu'a fait la Mairie de Prades sur le chantier du terrain Jeanbrau à la Plaine St-Martin : entre juillet et novembre 2023, plus d'une dizaine d'arbres et de nombreux arbustes qui formaient des haies ont été abattus, laissant des arbres isolés au risque de dépérir. C'est également la menace que fait planer la Mairie sur les deux magnifiques Eucalyptus du parking des Impôts, tout comme sur une dizaine d'autres arbres avenue Louis Prat, rue des Primevères et rue du Soleillé. Pourtant, sur chaque site, des alternatives peuvent exister et doivent être étudiées.

Nous demandons à la Mairie que :

  • Chaque arbre soit diagnostiqué par un organisme indépendant, conformément aux déclarations de Jean Castex en 2019 : « Aucune décision portant sur l'abattage d'un arbre n'est prise sans qu'une consultation auprès d'un expert ne soit faite, technicien, ONF, etc. […] C'est seulement au vu des différents diagnostics établis que l'opération intervient. »2

  • Les alternatives aux abattages (celles que nous avons déjà soumises à la Mairie ou d'autres) soient sérieusement étudiées et discutées avec les riverain·es et les autres parties prenantes du site lorsqu'il y en a : Sapeurs-Pompiers, Clinique St-Michel, etc.

  • Les arbres soient laissés en vie, tant que leur état sanitaire ne présente pas de danger immédiat pour les personnes.

  • La Mairie informe et consulte la population pour améliorer la végétalisation de Prades.

2 Ville de Prades, conseil municipal du 18 mars 2019, PV pages 45 à 47.

FIN DU COMMUNIQUÉ –

Qui sommes-nous ?

Nous sommes des citoyennes et des citoyens, dont des arboristes, paysagistes, urbanistes... habitant Prades ou les environs. Nous voulons préserver et augmenter la place des arbres et de la végétation en ville. Nous étudions les problématiques soulevées par la Mairie et lui communiquons des alternatives. Nous organisons des rencontres publiques avec des expert·es de l'arbre en milieu urbain. Nous organisons des actions comme celles qui ont permis la sauvegarde des platanes du parking du lycée en 2018-2019 ou celle du pin parasol des Impôts en 2021. Pour nous joindre et nous rejoindre : 66500arbres@mailo.com

Défendre les arbres, pourquoi ?

Les arbres sont nos meilleurs alliés pour lutter contre le réchauffement climatique. Ils diminuent considérablement les îlots de chaleur, absorbent la pollution, transforment le CO2 en oxygène, tout en permettant à une vaste biodiversité de vivre.

Les arbres anciens font partie de notre patrimoine. Ils sont des témoins de notre passé, ils embellissent notre ville, lui donnent un charme unique apprécié des habitant·es, des vacancier·es et des autres êtres vivants. 

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Article Indépendant









dimanche 24 décembre 2023

Réfugiés : à l’origine du raz-de-marée xénophobe


Réfugiés : 

à l’origine du raz-de-marée 

xénophobe

 

4 mai 2023

 

Une réfugiée dans le camp de Lesbos, en Grèce, en février 2020.

Le « grand remplacement » annoncé par l’extrême droite a pour revers l’engloutissement de milliers de migrants par les eaux, documentent l’écrivaine Marie Cosnay et le politiste Pablo Stefanoni.

L’hospitalité a la vie dure. Dans un monde où les informations circulent à la vitesse de la lumière, les corps des migrants, eux, sont entravés ou disparaissent, engloutis dans la Méditerranée. Les flux d’êtres humains sont soumis à des règles strictes, une biopolitique sans âme efface les traces de leur parcours de vie. En face, le discours hostile aux migrations est traversé par un lexique de la submersion, la crainte d’un engloutissement par un « grand remplacement » fantasmé.

« Par une forme d’ironie amère, notre époque voit s’affronter ceux qui se noient effectivement, dont les poumons s’emplissent d’eau de mer, et ceux dont les métaphores redoutent la noyade », écrivent Marie Cosnay et Mathieu Potte-Bonneville dans Voir venir (Stock, 2019). Ainsi le « grand remplacement » identitaire annoncé par les vociférateurs des nouvelles droites a pour revers l’engloutissement de corps sans identités.

L’écrivaine et traductrice de textes antiques, Marie Cosnay, documente ces parcours et enquête sur les disparus. Activiste pour l’accueil des migrants, elle mène depuis des années à partir de sa ville, Bayonne, un prodigieux travail de terrain et collecte sans relâche la parole et les histoires des exilés. Sa traduction des Métamorphoses d’Ovide (2017), remarquée, entre en résonance avec ces récits de naufrages qui aujourd’hui composent une Odyssée tragique.

« Des os dans le désert »

Dans une série d’ouvrages en forme d’histoire orale de l’exil vers l’Europe, Marie Cosnay puise un souffle épique à la source des grands récits mythologiques. Dans Des îles — Lesbos 2020 — Canaries 2021 (Éditions de l’Ogre, 2021), elle a livré la chronique de ses séjours à Lesbos, île d’échouage des migrants dans la mer Égée, île-prison, au plus près des camps de ces réfugiés, comme celui de Moria. « Moria is hell », lui confie une jeune fille de 15 ans, qui a été brutalisée à l’orée du camp, devant la « jungle ». Elle attend depuis six mois, évoque des « déportations » à Dubaï. Au début, les habitants de l’île de Lesbos étaient solidaires, maintenant la moitié votent extrême droite. « Lesbos people, we are sorry, sorry », clame une manifestation de femmes exilées. 

Une policière de Frontex [1] lui apprend que la Grèce va construire une clôture flottante de 2,7 kilomètres pour empêcher les bateaux d’atteindre les îles de la mer Égée grecque. La clôture fera 10 centimètres de hauteur, 60 cm sous l’eau et 50 sur l’eau. Elle sera équipée de feux clignotants, et destinée à être déployée à l’extérieur de Lesbos, et plus tard à l’extérieur de Chios et de Samos. Prix estimé : 500 000 euros.

Un gilet de sauvetage d’un réfugié dans le camp de Lesbos, en Grèce, en février 2020. © Todd Rigos / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Sur la route de Mytilène à Moria, nom du camp de Lesbos, l’écrivaine observe les allées et venues des exilés, « géographies infinies et fuies, bombes d’Assad [en Syrie], Poutine, Afghanistan et familles, ruisseaux de bouteilles en plastique à Moria, feux, fours à pain, Congo-Kinshasa via la Turquie, les sacs de terre remplis par les enfants vidés, remplis encore, les vieilles dames qui tendent le poing, ou deux doigts, asadi, liberté ». Février 2020. L’armée russe et l’armée syrienne bombardent rebelles et civils autour d’Idlib. Nombre de ces réfugiés affluent de Syrie, via la Turquie, et s’échouent sur les plages de ces îles prisées des touristes. S’ensuit une attente sans fin dans le camp de Moria, et, souvent, une reconduite forcée dans le premier État de l’Union européenne où le demandeur d’asile est rentré, au titre du règlement Dublin III. Retour à la case départ.

« Plus d’unités dans un Zodiac, plus d’argent »

Dans un autre chapitre, l’auteure évoque « des os dans le désert »  : « Au commencement était le coxeur. Il n’est pas grand-chose dans l’histoire de la migration. Tu peux traduire par “guide”. Il cherche les passagers. » S’en suit une noria d’intermédiaires, dits « connexion-men » entre le « chairman », chef de communauté, et le passeur sans nom, qui se partagent l’argent du « passager », soit, en moyenne, 3 000 euros, jusqu’aux garde-côtes marocains qui déchiquètent de colère les bateaux des réfugiés à coups de couteau quand ils s’estiment insuffisamment rétribués. Avant la traversée, ils sont affamés dans des trankillos (forêts, grottes, cabanes, prisons) où les assignent les chairmen : « Disparition progressive du corps. Moins il y a de viande par unité, mieux c’est, plus d’unités dans un Zodiac, plus d’argent. »

Naufrage du cosmopolitisme

Qu’est devenu le cosmopolitisme, depuis sa création par Diogène, au Ve siècle avant Jésus-Christ ? « Le cosmopolitisme est une façon de penser la citoyenneté non attachée à un pays, mais au monde. La cosmopolitique est une théorie politique de l’humanité : la terre est ronde, on peut s’y retrouver en foulant le sol, qui est commun, cette propriété est indivise, elle est celle de l’humanité et les États (ou ce qui en tient lieu) doivent se contenter de garantir les droits des citoyens entre eux. Les gens auraient ainsi un droit qui leur serait attaché, un jus peregrinandi, un droit d’errer, recouvrant le droit de quitter un endroit du monde et de s’installer, plus ou moins provisoirement, ailleurs », nous explique Marie Cosnay à l’occasion d’une rencontre à Paris.

Il faut reconnaître que le cosmopolitisme connaît aujourd’hui un naufrage. C’est le grand paradoxe d’une époque — la nôtre — où tout s’enchevêtre et où toutes les interdépendances terrestres devraient convoquer une nouvelle pensée de l’accueil dans les oripeaux d’un monde difficilement habitable. Or c’est le phénomène inverse qui se produit.

Le politiste argentin Pablo Stefanoni documente avec une précision chirurgicale ce raz-de-marée xénophobe orchestré par les néoréactionnaires, dans La rébellion est-elle passée à droite ? (La Découverte, 2022). Du Brésil à la France, des États-Unis à l’Allemagne, les hérauts d’un ethnonationalisme [2] désinhibé mettent en scène une paranoïa civilisationnelle. Selon l’écrivain français Renaud Camus, les sans-papiers sont des criminels ayant enfreint la loi. Il faut non seulement ralentir, mais inverser les flux migratoires. Renaud Camus, cet « entrepreneur de panique morale » selon les termes de Stefanoni, aurait eu la révélation du « grand remplacement » dans une cité médiévale de l’Hérault où il a aperçu un groupe de femmes voilées aux fenêtres des maisons. Pour Pablo Stefanoni, il s’agit davantage d’une « rationalisation d’obsessions » personnelles que d’un « effort de cerner analytiquement un problème réel ».

Sauvetage d’une cinquantaine de personnes au large de Lesbos, en 2015. Flickr/CC BY-ND 2.0/Kripos_NCIS
 

Décomplexée, l’extrême droite nous enjoint à abandonner les euphémismes « politiquement corrects » de la gauche et se prétend détentrice d’une vérité occultée. En réalité, l’idée du « grand remplacement » n’a strictement aucun sens sur le plan démographique et statistique, mais, rapporte Stefanoni, « sa force réside précisément dans sa trivialité indémontrable et dans sa dimension purement complotiste ». Éric Zemmour s’en est inspiré dans son programme de « remigration », dont les effets se sont fait sentir jusque dans les Côtes-d’Armor : à Callac, le Conseil municipal, en butte à des menaces de mort, a dû renoncer en janvier dernier à un ambitieux projet d’accueil de réfugiés qui devait donner un nouveau souffle à cette commune rurale.

L’essayiste argentin met en lumière comment le brouillage des frontières idéologiques sert à opposer des frontières étanches aux réfugiés. Il cite, parmi d’autres figures contemporaines en perdition idéologique et existentielle, celle de Brenton Tarrant qui a assassiné une cinquantaine de fidèles dans deux mosquées de Christchurch en Nouvelle-Zélande, en mars 2019. Obsédé par les taux de natalité et les « différentiels de fécondité », Tarrant se disait sans haine contre les musulmans tant que ceux-ci restent dans leur pays d’origine. De fait, souligne Pablo Stefanoni, « les dénonciateurs du grand remplacement affirment souvent vouloir promouvoir la lutte anticoloniale des “indigènes” européens contre les “envahisseurs”, en particulier arabes et musulmans ».

Les termes du colonialisme sont ainsi renversés et, en une douzaine d’années, le terme « grand remplacement » s’est répandu dans le monde entier, agrégeant dans un consensus composite aussi bien des droites religieuses que des néofascistes gays, des adeptes de l’écologie profonde [3] et des libertariens [4]. Leur rêve : établir des colonies libertariennes en haute mer, dans les eaux internationales. Et laisser se noyer des centaines de milliers de migrants sans visage, vus comme une « espèce invasive », selon l’idéologie meurtrière et raciste d’activistes écofascistes en perdition. Plonger dans les ramifications délirantes des droites dites alternatives (alt-right), c’est ce à quoi nous invite cet essai salutaire.

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Notes

[1Frontex, l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, a été créée en 2004 pour aider les États membres de l’UE et les pays associés à l’espace Schengen à protéger les frontières extérieures de l’espace de libre circulation de l’UE.

[2Le nationalisme ethnique, ou ethnonationalisme, est un nationalisme qui définit la nation en termes d’ethnicité.

[3En l’occurrence, Pablo Stefanoni évoque un écologiste finlandais, ornithologiste de formation, Pentti Linkola, décédé en 2020, installé depuis des décennies dans une cabane au bord d’un lac, d’où il prônait la fermeture des frontières et affirmait qu’il fallait laisser se noyer en haute mer les migrants cherchant à atteindre le continent européen (beaucoup d’oiseaux migrateurs finissent aux aussi noyés pendant leur long voyage, expliquait-il).

[4Les libertariens, aux États-Unis, dans le sillage d’un Donald Trump, tout comme au Brésil avec Jair Bolsonaro, prônent une privatisation définitive de l’État et l’accès sans restriction des citoyens aux armes à feu.

 

Source : https://reporterre.net/Refugies-a-l-origine-du-raz-de-maree-xenophobe?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=nl_quotidienne