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jeudi 23 juillet 2015

Une nouvelle de Jean Monestier : 'un rêve bouleversant' (ou "Je suis Tsipras")

Bonjour,
Ici Jean Monestier.
Pour une fois, le texte que je vous fais parvenir ci-dessous n’est pas une lettre, mais plutôt une nouvelle.
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Un rêve bouleversant.
Nouvelle.
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La nuit du 14 juillet, j’ai fait un rêve, un rêve très long, qui m’a bouleversé.
J’étais dans ma cuisine. C’était le matin, et j’écoutais France Info pour avoir des nouvelles du Monde, mais le Tour de France prenait beaucoup de place, ainsi que, curieusement, la candidature de la France pour recevoir les J.O. de 2024. La crise grecque, les négociations sur le nucléaire avec l’Iran, ne semblaient pas prioritaires. Et puis soudain, vers 11h00, à cette même heure où l’on nous avait appris brutalement le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo, le programme est interrompu et une voix lourde de gravité nous annonce qu’on vient juste d’être informés qu’Alexis Tsipras, le Premier ministre grec, s’est suicidé au petit matin. Je suis pétrifié, comme le 7 janvier, me posant d’innombrables questions, pendant qu’on nous précise que la Grèce est sous le choc, et que les gouvernements des pays européens sont tétanisés, et incapables de commenter tout de suite cette terrible nouvelle, chose qu’ils arrivent à faire en général assez rapidement. Et puis, une sorte de flottement à l’antenne. Y a-t-il débat en coulisse sur la suite à donner à ce coup de tonnerre ? Enfin le journaliste reprend la parole et ce qu’il dit est stupéfiant : « Notre devoir de vous informer nous oblige à vous lire le communiqué que le Premier ministre grec a laissé à l’intention de ses concitoyens. En effet, cette lecture est prescrite dans ses dernières volontés, et le porte-parole de son gouvernement nous la présente comme inséparable de l’information concernant ce suicide, pour éviter toute équivoque ultérieure. En voici donc le contenu intégral. »
« Chères concitoyennes, chers concitoyens, je reconnais que les négociations très dures que nous avons menées avec les autorités financières européennes et mondiales se concluent par un échec. Nous voici obligés de démanteler l’essence même de notre société et de renoncer à la démocratie pour éponger une dette inépuisable, aux origines par ailleurs très discutables. Toutefois, il me reste une dernière carte, et il dépend de moi seul de la jouer. Ce matin, avant que le soleil ne monte vers le Sud, je mettrai fin à mes jours, non par désespoir de ne pas avoir pu tenir mes engagements, mais pour offrir ma vie en paiement. Je le ferai tristement, mais sans regret, pour tenter de gagner cette partie, peut-être la dernière, qui se joue entre les puissances financières et une certaine notion de l’Humanisme. Nous avons essayé de faire entendre à l’Europe que les valeurs de dignité, de solidarité, d’égalité des droits, ne pouvaient pas être mesurées en €uros ou en Dollars. Puisse mon sacrifice faire enfin pencher la balance en faveur de l’Humain. Et surtout, chères concitoyennes, chers concitoyens, ne baissons pas les bras ! »
Le commentateur marqua un temps de silence pour signifier que le communiqué s’achevait ainsi, puis reprit avec une voix qui contenait une certaine émotion, qu’il tentait manifestement de contrôler : « Nous mettons immédiatement ce communiqué sur le site de France Info, et nous allons rester en émission spéciale afin de pouvoir vous faire part en temps réel des commentaires sur ce terrible événement que voudront bien nous confier les différents experts et personnalités que nous sommes en train de contacter. Dans quelques minutes, nous allons avoir en ligne…»
A ce moment là, je coupais la réception. Mille pensées traversaient mon esprit et s’y entrechoquaient. Ainsi donc, Alexis Tsipras avait mis fin à ses jours, comme Pierre Bérégovoy, comme Yan Pallach, et tant d’autres. Mais il ne l’avait pas fait par désespoir, mais pour jouer la dernière carte qui lui restait, la carte absolue, sa propre vie. Et maintenant, qu’allait-il se passer ? Qu’allait faire la Grèce ? Qu’allait faire l’Europe ? Y aurait-il une révolution ? A quelle échelle ? Et ladite troïka ? Quelle position prendrait-elle devant cet ultime argument ?
Au-delà de tout cela, la dernière phrase du communiqué trouvait en moi une résonnance considérable. « Et surtout, ne baissons pas les bras ! » Environ deux mois avant ce fatal 7 janvier, j’avais envoyé quelques textes à Bernard Maris. Il m’avait répondu par une très gentille petite carte, qu’il avait conclu par cette même phrase : « Et surtout, ne baissons pas les bras ! » J’étais bouleversé, mais l’avenir ne dépendait pas de moi. Qu’allaient faire les peuples ?
Dans la matinée, on nous a appris que la Grèce était en ébullition. Le sacrifice du Premier ministre, c’est bien le terme qu’il faut utiliser, au sens qu’on lui donnait dans l’Antiquité, ce sacrifice donc, avait eu l’effet d’un électrochoc. Non, il n’était pas possible de privatiser le Parthénon. Il y a des choses qui n’ont pas de prix, qui ne se vendent pas, même contre des milliards. Les grandes fortunes ont atteint de tels niveaux que les biens communs, et même les fondements d’une culture, ne sont plus à l’abri d’une préemption dont le montant peut représenter plusieurs fois le budget d’un Etat, et donc de  sa dette. Et les dettes sont bien le piège qui peut faire surgir ce genre de confrontation. Vendrions-nous Notre-Dame de Paris, le château de Versailles, le Mont Saint Michel, le Mont Blanc, la baie de Somme, la dune du Pilat, les plus belles zones littorales, nos plus riches terres nourricières, l’eau de nos nappes phréatiques, que sais-je ? La fantaisie des milliardaires n’a pas de limites, que celles que nous lui imposerons.
Mon rêve fit un saut dans le temps, comme le font quelquefois les rêves, qui ignorent en fait la notion de durée. Et je restai dans l’ignorance sur les réactions des gouvernements et des autorités européennes, comme si mon cerveau était incapable d’imaginer ces dernières. Par contre, je sus que les obsèques du Premier ministre grec, qui eurent lieu le 18 juillet, avaient réuni plus de deux millions de personnes, chiffre inouï selon l’ensemble des chroniqueurs. De plus, dans toute l’Europe, d’immenses marches silencieuses réunirent également des millions de participants. Il n’y avait ni organisateurs, ni banderoles, ni mots d’ordre, si slogans, ni violences, et les polices furent assez discrètes. Comme le 11 janvier en France, la seule demande exprimable n’avait pas besoin d’être explicitée en mots. Des millions de marcheurs portaient seulement devant eux un écriteau où était écrit en blanc sur fond noir : « Je suis Tsipras ». 
Mon rêve s’acheva sur cette dernière image et je me réveillai brutalement. Mon oreiller était trempé de larmes.
Aussitôt, je pris conscience que tout cela était un rêve, peut-être un cauchemar, en tout cas, une expérience bouleversante : cependant, la bonne nouvelle pour moi était bien sûr que Tsipras était toujours vivant. Toutefois, la dernière phrase de son communiqué, la même que celle qui concluait la petite carte de Bernard Maris, continuait à résonner sans fin dans mon esprit : « Et surtout, ne baissons pas les bras ! »
Alors, je me levai soudain, allumai mon ordinateur, et commençai à préparer le fameux écriteau en blanc sur fond noir : « Je suis Tsipras ».
Le Soler, le 15 juillet 2015.
Jean Monestier,
Artiste-Auteur-Militant,



o o o o o


Pour moi, ne pas baisser les bras, en ce 15 juillet 2015,
consista à écrire la nouvelle ci dessus.

Très amicalement à tous.


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