RÉCIT
Un amendement lançant le projet d'enfouissement des déchets nucléaires, dont ne voulaient pas les écologistes, a été injecté en catimini, juste avant l'adoption de la loi à coup de 49.3.
C’est un petit coup de force dans le grand coup de force. Quelques heures avant que le projet de loi Macron soit adopté, au titre d’un troisième 49.3 enclenché par Manuel Valls – donc sans vote des députés –, une série d’amendements a été réinjectée dans le texte et présentée devant la commission spéciale de l’Assemblée nationale. En théorie, il devait s’agir de préciser la rédaction du texte, de gommer une dernière fois quelques scories. Rien de plus : puisque les députés ne peuvent se prononcer dans l’hémicycle sur le texte, on n’allait pas totalement chambouler sa dernière version. Sauf que dans la liasse de ces amendements censés être formels, surprise… revoilà l’amendement dit «Cigéo».
Cet ajout ouvre la voie à une phase transitoire de stockage géologique des déchets radioactifs sur le site de Bure (Meuse). La disposition lançant le projet «Cigéo» avait pourtant été retirée du projet de loi «pour la croissance et l’activité» peu avant sa présentation en Conseil des ministres, en décembre 2014, le ministre de l’Economie y ayant renoncé devant la colère des parlementaires EE-LV. Mais le projet avait ressurgi lors des débats au Sénat : en première comme en deuxième lecture, un amendement de Gérard Longuet, sénateur (LR) de la Meuse, avait été voté mais l’Assemblée était systématiquement revenue dessus, conformément à la promesse faite aux Verts par Emmanuel Macron.
Ce matin à l’Assemblée, c’est l’amendement Longuet qui a été repris mot pour mot et défendu par le président (PS) de la commission spéciale, François Brottes. «Le débat sur Cigéo dure depuis longtemps et cet amendement ne vient pas à la dernière minute puisqu'il a été repris du Sénat», défend-il. Selon Brottes, «l’affaire Areva» a entre-temps changé la donne : «On a découvert les perspectives financières de la filière nucléaire. Or il y a un débat sempiternel sur le coût de l’enfouissement des déchets: il faut se donner les moyens de le chiffrer et donc établir un cahier des charges, définir ce qu’est la réversibilité.» C’est-à-dire la possibilité, pour les générations futures, d’éventuellement sortir les déchets radioactifs pour les traiter selon des technologies qui seraient alors plus douces.
«UN CHEVEU SUR LA SOUPE»
Mais pourquoi avoir tranché ce débat sur la réversibilité alors que l’Autorité de sûreté du nucléaire a justement lancé une réflexion sur le sujet au cours de l’année 2015 ? C’est couper l’herbe sous le pied de l’ASN et faire un mauvais coup aux députés, accuse Denis Baupin, «furieux», pourtant habituellement très conciliant avec l’exécutif. Le député (EE-LV) de Paris a appris le retour in extremis du projet Cigeo, mercredi après-midi par un coup de fil de Macron, à la suite du conseil de politique nucléaire qui se tenait à l’Elysée.
Les écologistes vont profiter de la saisine annoncée du Conseil constitutionnel par le groupe «Les Républicains» pour faire valoir leurs arguments sur «l’article Cigéo». «On va pointer que cela vient comme un cheveu sur la soupe, qu’il s’agit d’un cavalier» – une disposition qui n’a rien à voir avec l’objectif de base du projet de loi et donc, inconstitutionnel. «Cet article est mal écrit, réintroduit au détour du 49.3 sans qu’on ait pu avoir un débat. Ce sont des conditions qui ne font pas honneur au Parlement», dénonce encore Baupin.
Ce jeudi après-midi, lorsque Manuel Valls a engagé la responsabilité de son gouvernement sur la loi Macron, vantant «un coup de jeune à l’économie et un souffle supplémentaire pour la croissance», à peine une trentaine de députés siégeaient en séance.
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