La mer des Caraïbes, poubelle française
Publié le 18 décembre 2014
Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 11 décembre 2014
Ces gens-là ne respectent rien. Contrairement à tous les engagements, le préfet de Martinique a fait couler un bateau dégueulasse de 99 mètres de long en pleine mer. C’est moins cher que de démanteler, et Ségolène Royal s’en contrefout.
« Lanmé sé pa an poubel ». C’est du créole martiniquais, et ça veut dire que la mer, bande de saligauds, ce n’est pas une poubelle. Une toute petite foule a crié ces mots dans les rues de Fort-de-France il y a quelques jours, pour protester contre l’immersion en mer des Caraïbes du Cosette, un bateau tout ce qu’il y a de dégueulasse. Mais voyons l’affaire de plus près.
En 2010, une très vieille coque de 99 mètres de long s’amarre dans le port de Fort-de-France, et devient ce qu’on appelle un bateau-ventouse, incapable de reprendre la mer. Les marins roumains et sud-américains ne sont pas payés depuis des mois, et leur sécurité même est en danger, car le Cosette, lancé en 1966, n’est plus entretenu. Que font les autorités ? Rien. Le temps passe jusqu’à ce que Jacky Bonnemains, à Paris, se mette au boulot. Le fondateur de Robin des Bois (http://www.robindesbois.org) est devenu, au fil des décennies, l’un des grands connaisseurs de la sécurité maritime et des mouvements de bateau.
En février 2014, il alerte, ce qui est son métier principal. Selon ses informations, le préfet de Martinique s’apprêterait à immerger le Cosette à 25 kilomètres des côtes, au droit d’une fosse marine où un autre bateau, le Master Endeavour, a déjà été coulé en 2008. Est-ce vrai ? Bien sûr, et c’est sacrément gonflé, car le Grenelle de la Mer – aussi fantaisiste que l’autre, celui de 2007 – s’est engagé sur le papier à développer une filière française de démantèlement et recyclage des bateaux en fin de vie. Le coup de gueule de Bonnemains empêche la manœuvre, et dans la foulée, celui-ci fait des révélations sensationnelles.
Les navires changent souvent d’identité, et le Cosette a épuisé dix noms au total, dont celui de Zanoobia. En janvier 1987 commence une invraisemblable virée : 10 000 fûts toxiques, résidus de l’industrie chimique européenne, partent d’Italie en bateau vers Djibouti, avant d’être détournés vers le Venezuela. Là-bas, ils sont déchargés en cachette, et provoquent la mort d’un gosse. Caracas obtient de l’Europe le retour des fûts, réembarqués, qui arrivent un jour à Tartous, un port syrien. C’est si dégueulasse et dangereux que la Syrie d’Assad – le père – obtient lui aussi un retour à l’envoyeur.
C’est alors –en mars 1988 – qu’entre en scène le Zanoobia, qui essaie de débarquer ses poisons à Salonique, en Grèce, avant d’être contraint à deux mois de ronds dans l’eau en Méditerranée, car personne ne veut accueillir le merdier. Les fûts sont amochés, au point qu’une partie de l’équipage se chope des migraines, des conjonctivites, des eczémas, des bronchites. Pour finir, le gouvernement italien accepte les déchets, qui sont déposés à Gênes. L’histoire, qui a fait le tour du monde, jouera un grand rôle dans la signature l’année suivante – en 1989 – de la Convention de Bâle, un traité international censé réglementer le transport international de déchets dangereux.
Retour en Martinique, fin octobre 2014. En Martinique même, on commence à protester contre le projet d’immersion du Cosette, notamment autour de l’Assaupamar (Association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais). Officiellement, et jusqu’au 3 novembre, le préfet prétend que le Cosette repartira vers l’Europe à bord d’un puissant « transporteur de colis lourd », un supernavire. « Un tel scénario, raconte Bonnemains à Charlie, nécessite des mois de préparation et coûte affreusement cher ». Mais tout est pipeau. Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, informée depuis des mois, laisse faire. Le 4 novembre dans la nuit, une très opportune voie d’eau se déclare à bord du Cosette. Il n’est plus question de démantèlement. À toute allure, on traîne la ruine flottante au large, et on la fait sauter.
Il y a peut-être une explication : la présence du Cosette gênait d’évidence un projet de terminal pour conteneurs très cher au cœur des aménageurs locaux. On a en tout cas décidé de balancer aux poissons des boues d’hydrocarbures, des PCB, des peintures toxiques, probablement de l’amiante. Bonnemains devrait attaquer devant le tribunal administratif le 15 décembre. Mais personne ne fera revenir le Cosette des Abysses.
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