Glyphosate :
la justice
pourrait contraindre
l’État à agir
18 janvier 2019 / Marie Astier (Reporterre)
Mardi 15 janvier,
le tribunal administratif de Lyon a interdit un produit à base de
glyphosate, le Roundup Pro 360. Cette première victoire juridique
pourrait susciter de nouveaux recours et mener à l’interdiction du
glyphosate plus rapidement que prévu par le gouvernement.
Par ce temps hivernal, la végétation est au repos, mais pas l’actualité du glyphosate. L’herbicide controversé de Monsanto, le plus vendu au monde, était épinglé hier soir [jeudi 17 janvier] par la journaliste d’investigation la plus connue de France, Élise Lucet, dans le magazine de France 2 « Envoyé spécial ».
Mardi 15 janvier, deux chercheurs présentaient un rapport commandé par des députés européens, confirmant que la décision de réautorisation du glyphosate, en 2017, par l’Union européenne, s’était appuyée sur des documents reprenant largement la prose de Monsanto.
Et puis, fort à propos, mardi 15 janvier également, le tribunal administratif de Lyon annulait l’autorisation de mise sur le marché du Roundup Pro 360, l’une des préparations à base de glyphosate de Monsanto. « La vente de ce produit en France est désormais une infraction pénale », se félicite Corinne Lepage. L’avocate et ex-ministre de l’Environnement a porté le recours au nom de l’association Criigen (Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique). « Cette action juridique me paraissait nécessaire au regard des tergiversations sempiternelles sur l’interdiction ou pas du glyphosate », poursuit-elle.
« Une erreur d’appréciation au regard du principe de précaution »
Le président de la République, Emmanuel Macron, a beau avoir twitté, le 27 novembre 2017, que le glyphosate serait en France interdit « au plus tard dans trois ans », la voie politique paraît incertaine à beaucoup de partisans de son interdiction. « L’histoire des trois ans est comme celle de la fermeture de la centrale de Fessenheim ! » dit Corinne Lepage. Par exemple, au printemps dernier, le gouvernement avait demandé aux parlementaires de ne pas inclure l’interdiction du glyphosate d’ici trois ans dans la loi Agriculture et Alimentation.
La décision du tribunal administratif de Lyon est une première en France. Le juge a analysé dans le détail des évaluations de l’Efsa (Autorité européenne de sécurité des aliments), qui considère que le glyphosate n’est pas cancérogène, et du Circ (Centre international de recherche sur le cancer), qui l’a au contraire classé comme « cancérogène probable ». Il en a conclu que « la méthodologie utilisée par l’Efsa (…) est inappropriée », notamment parce que l’indépendance des scientifiques l’ayant réalisée n’a pas été correctement vérifiée. Il se range donc à l’avis du Circ, et considère que « le Roundup Pro 360 est probablement cancérogène pour l’homme (...), est une substance suspectée d’être toxique pour la reproduction humaine (…) et est particulièrement toxique pour les organismes aquatiques. Dès lors (…), l’utilisation du Roundup Pro 360 porte une atteinte grave à l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé. Par suite l’Anses [Agence nationale de sécurité sanitaire, qui délivre les autorisations de mise sur le marché des pesticides] a commis une erreur d’appréciation au regard du principe de précaution. » Après l’annonce de cette décision, l’Anses a indiqué qu’elle « contest[ait] toute erreur d’appréciation dans l’application de la réglementation nationale et européenne ».
Monsanto et l’Anses peuvent encore faire appel de la décision du juge, celle-ci ne fait donc pas encore jurisprudence. Mais Corinne Lepage se félicite déjà de sa résonance : « Compte tenu des reprises dans la presse internationale, le New York Times, la presse allemande, j’ai même reçu des coups de fil d’Afrique, la nouvelle de cette décision est en train de se répandre comme une traînée de poudre. »
En France, elle ouvre de nouvelles possibilités juridiques. Car l’argumentation du juge est valable pour tous les produits à base de glyphosate. Sur cette base, le Criigen compte, dans les jours qui viennent, lancer une nouvelle procédure devant le tribunal administratif. « Nous allons saisir le ministre de l’Agriculture et lui demander de retirer tous les produits contenant du glyphosate sans attendre le délai de trois ans », annonce Corinne Lepage à Reporterre.
Par ailleurs, l’avocate estime que cette décision met le gouvernement au pied du mur. « Vous avez un produit dont un tribunal dit qu’il présente un risque pour la santé humaine. Et l’État l’autorise quand même. Le gouvernement a là un problème. » Les victimes des pesticides auraient désormais un fondement solide pour elles aussi lancer des recours contre l’État, et éventuellement lui demander des comptes…
Par ailleurs, cette décision va pouvoir être réutilisée dans d’autres procédures en cours contre le glyphosate. Ainsi, Julien Bayou porte lui aussi, mais pour EELV (Europe Écologie-Les Verts), un recours visant à obtenir l’interdiction des produits à base de glyphosate. Il est en attente d’une audience devant le tribunal administratif de Paris. « La décision du tribunal de Lyon est nourrie, solide, c’est un atout », se réjouit-il.
Une « task force » qui avance à petits pas
Dans ce contexte, le ministre de la Transition écologique, François de Rugy, a réagi mardi devant l’Assemblée nationale aux révélations sur l’expertise de l’Efsa, et à la décision du tribunal de Lyon, qui conteste cette expertise : « Nous nous battons pour changer le système et pour que l’Efsa puisse s’appuyer sur des études indépendantes menées par des organismes publics et non sur des études fournies par des entreprises privées. » Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture, a lui répondu sur RMC mercredi matin : « Je ne suis ni juge ni scientifique, je ne peux pas commenter cette décision de justice. Le gouvernement et moi-même sommes là pour protéger les Français. L’Europe ne voulait plus utiliser de glyphosate au bout de cinq ans, le Président a dit, en France, ce sera trois ans », a-t-il rappelé.
Une « task force » pour la sortie du glyphosate a en effet été annoncée en juin dernier par le gouvernement. Depuis, elle semble avancer à petits pas. Son site, glyphosate.gouv.fr, illustre ce lent démarrage : le compteur ne recense que 10 agriculteurs sortis du glyphosate. Son coordinateur, le préfet et conseiller d’État Pierre-Étienne Bisch, n’a été nommé qu’en décembre dernier. Elle a déjà organisé des réunions, mais difficile encore de connaître sa composition. Syndicats agricoles, industriels, distributeurs, services de l’État, coopératives, chambres d’agriculture, instituts de recherche et d’innovation, parlementaires et représentants des régions y sont présents. Mais difficile de connaître précisément quels sont ses membres. « Elle reste encore à compléter », indique Jean-Baptiste Moreau, député LREM qui suit de près le dossier pour l’Assemblée nationale. « Les choses se mettent en place, et des programmes de recherche sur les alternatives au glyphosate sont déjà en cours », poursuit-il.
« L’histoire de la sortie du glyphosate en trois ans ressemble à une tentative pour gagner du temps, estime de son côté Julien Bayou. On agit en justice pour contraindre le gouvernement à prendre des décisions que l’opinion publique a déjà prises. » « On est dans l’émergence de ce que j’appelle une “justice sanitaire”, au même titre qu’il y a une “justice climatique” », ajoute Corinne Lepage.
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Lire aussi : Se passer du glyphosate ? C’est possible
Source : Marie Astier pour Reporterre
Photos :
. chapô, capture du reportage de « Glyphosate, comment s’en sortir ? », l’émission d’« Envoyé spécial » consacrée à ce pesticide et diffusée jeudi 17 janvier 2019, à 21 h, sur France 2.
. Lepage : © Corinne Lepage
. Bayou : @julienbayou sur Twitter
Source : https://reporterre.net/Glyphosate-la-justice-pourrait-contraindre-l-Etat-a-agir
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