Le plan de Xavier Beulin qui va faire disparaitre les petits paysans
3 septembre 2015 / Marie Astier (Reporterre)
Modernisation, investissements, compétitivité, exportations, moratoire sur les normes environnementales… Voici la recette prônée par le patron de la FNSEA, Xavier Beulin, pour sortir de la crise de l’élevage. Reporterrea décrypté ce « plan de sauvetage » de l’élevage alors que ce jeudi 3 septembre, le syndicat agricole rassemble plus de mille tracteurs à Paris et que le gouvernement promet des annonces.
Depuis le début de l’été, les chiffres alarmants se succèdent. Un éleveur de porcs abandonne son activité chaque jour, alerte Xavier Beulin, président de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), principal syndicat agricole français, et du groupe agro-industriel Avril-Sofiproteol. Quant au ministère de l’agriculture, il estime que 10 % des élevages (laitiers, porcins, bovins) seraient au bord du dépôt de bilan.
Face à cette crise de l’élevage, le gouvernement a mis en place un premier plan de sauvetage, le 22 juillet dernier : 600 millions d’euros pour restructurer les dettes et alléger les charges sociales. Insuffisant, selon la FNSEA, qui lance une nouvelle charge. Le 23 août, à la veille d’une réunion avec le Président de la République et le Premier ministre, Xavier Beulin demande dans le Journal du Dimanche un grand plan de trois milliards d’euros pour« sauver l’élevage ». Le lendemain, à la sortie de la réunion, il annonce la venue de mille tracteurs à Paris pour ce jeudi 3 septembre.
Une façon de faire pression sur l’exécutif... et il semble que ça fonctionne, puisque que François Hollande a justement réservé l’annonce de nouvelles mesures d’aide à l’élevage pour aujourd’hui.
- Laurent Pinatel
« Ce n’est pas un plan de sauvetage que propose Xavier Beulin. C’est un plan d’industrialisation de l’agriculture ! » rétorque Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne. « Cela fait longtemps que les paysans disparaissent, rappelle-t-il. Ils ne s’en rendent compte que maintenant ? On agite des chiffres pour justifier des plans d’urgence. »
« J’ai l’impression qu’on est à un tournant, poursuit-il. Toutes les crises ont fait grossir les exploitations, et la seule solution que l’on nous propose est d’accélérer encore. On est très inquiets. »
« Relancer l’industrie agricole »
A la FNSEA, on ne récuserait pas le terme d’industrialisation. Premier axe du« plan de sauvetage », la modernisation des bâtiments agricoles et l’automatisation des abattoirs. « Quand on fait un grand plan de relance dans un pays, on construit des routes. Là, il faut relancer l’industrie agricole, dit à Reporterre Christiane Lambert, vice-présidente de la FNSEA. On doit planifier sur quinze ans, regarder de quelles productions on aura besoin, et donc de quels outils. »
Pour le syndicat, la France n’est plus « compétitive » face à ses voisins européens. « On constate un retard d’investissement dans l’agriculture, affirme Christiane Lambert. En porcs et volailles, l’âge moyen des bâtiments est de vingt-cinq ans. On a chiffré que sur la seule filière porcine, 2,7 milliards d’investissement sont nécessaires pour se mettre à niveau ! »
« Nous n’avons pas besoin de cela, conteste Pierre Brosseau, responsable de la commission porcs à la Confédération paysanne. Les éleveurs de porcs français ont des résultats techniques aussi bons que les Allemands ou Espagnols. Notre coût de production est même plus bas que la moyenne européenne. » Pour lui, la crise est due à une surproduction de porcs en Europe. « Vous avez beau moderniser, le prix payé aux éleveurs sera toujours en-dessous des coûts de production », déplore-t-il.
- Manifestation d’agriculteurs à Toulouse le 7 novembre 2014.
Et puis, même si le gouvernement donne les trois milliards d’euros demandés, où iront-ils ? Pas aux petits producteurs, assure le paysan : « Il y a toujours des seuils d’exclusion. Par exemple, il y a quinze ans, sur mon département il y a eu des aides pour les éleveurs en difficulté financière. Nous étions 250 producteurs. Les huit plus gros ont empoché 51 % de l’enveloppe d’aides. Dedans, il y avait des présidents de syndicats et de coopératives. Ils s’étaient servis. Voilà leur philosophie : ils pensent que les petits producteurs n’ont pas d’avenir donc que cela ne sert à rien de les aider. »
Moins de charges, moins de normes environnementales
Autre cheval de bataille de la FNSEA, les normes environnementales, dénoncées comme plus sévères en France qu’ailleurs. Xavier Beulin a plaidé pour leur suspension pendant un an. « Sur les directives européennes oiseaux, nitrates, habitat, la France fait plus que ce que demande l’Europe », déplore la vice-présidente de la FNSEA. La bête noire du syndicat est l’obligation d’enquête publique pour ouvrir un élevage de taille importante. Le gouvernement a déjà allégé la procédure pour les porcs et les volailles. « Il faut le faire pour les bovins maintenant », demande-t-elle. La FNSEA réclame aussi un assouplissement des règles pour la création de réserves d’eau et l’irrigation. Côté pesticides, elle souhaite que la France cesse de réduire la liste de ceux autorisés.
« Si un tel moratoire est mis en place, les conséquences pourraient être dramatiques, s’inquiète Laurent Pinatel à la Confédération paysanne. Si l’on suspend la directive nitrate, c’est une autorisation à polluer plus, à détruire les sols. Le jour où l’on n’aura plus qu’un sol mort pour cultiver, on ne pourra plus compter que sur les produits chimiques pour le nourrir. On sera à la merci de l’agriculture industrielle. »
« Ce n’est pas en polluant les rivières que l’on va régler l’avenir de l’agriculture porcine », rassure le ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll, interrogé par Reporterre en conférence de presse le jeudi 27 août. Il promet tout de même une « simplification des normes ».
- Le ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll
La disparition programmée des petits éleveurs
Enfin, troisième axe du plan de Xavier Beulin, le « regroupement des exploitations ». L’idée est que les agriculteurs puissent mettre en commun du matériel et des tâches. Mais regroupement n’est-il pas synonyme d’agrandissement, pour la FNSEA ? « L’agrandissement est un choix personnel. Ceux qui veulent le faire doivent pouvoir le faire, répond Christiane Lambert. Mais tendanciellement, on va vers une augmentation de la taille des exploitations. »
Le président de l’interprofession porcine INAPORC, Guillaume Roué, va encore plus loin. Pour lui l’agrandissement n’est pas un choix, c’est un fait. « Le nombre d’exploitations va diminuer par trois d’ici quinze ans, il n’y a plus personne pour reprendre ! Et donc leur taille va être multipliée par trois. »
Au-delà, il prédit carrément une disparition des éleveurs. « L’agrandissement va s’accompagner d’une conversion au végétal, car c’est plus rentable et il y a moins de contraintes, estime-t-il. La France fera des céréales et l’élevage sera produit dans des industries comme en Allemagne, en Espagne ou en Amérique. »
Un scénario qui n’est pas loin de celui que redoute la Confédération paysanne. « Ce que dessine ce plan, c’est une agriculture sans paysans, dénonce Laurent Pinatel. On aura des fermes usines destinées à l’export, qui seront subventionnées parce que pas rentables. Même Hollande l’a admis, quand on l’a vu la semaine dernière. Et à côté de ça, on gardera une agriculture de niche qui fera joli dans le paysage et servira d’alibi au reste... »
« Leur pari avec ce plan, c’est de calmer les gros éleveurs en attendant que les petits producteurs disparaissent », complète Pierre Brosseau.
Est-ce le choix que fera aujourd’hui le gouvernement ? Selon Laurent Pinatel, « le gouvernement a très peu de marge de manœuvre. » Le porte-parole n’est pas très optimiste : « Quand on écoute les déclarations de Manuel Valls et Emmanuel Macron qui ne cessent de répéter qu’il faut produire et être compétitifs, si on replace cela dans la perspective de l’agriculture, ça fait peur... »
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