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lundi 14 septembre 2015

"L'afflux massif" de réfugiés est un mythe aux effets pervers

 Jeudi 03 septembre 2015

«L’afflux massif» de réfugiés est un mythe aux effets pervers

Robin Stünzi
Au port du Pirée près d’Athènes. (Keystone)
Au port du Pirée près d’Athènes. (Keystone)
Doctorant au Centre des migrations de l’Unine, Robin Stünzi s’en prend à certaines fausses évidences qu’on retrouve récemment dans les médias
Depuis plusieurs mois, les images des drames de l’immigration diffusées dans les médias s’accompagnent d’un discours véhiculant l’idée que l’Europe se retrouve «submergée» par une immigration massive et sans précédent. Ce discours repose sur une vision étriquée des processus à l’œuvre et conduit à nier le besoin de protection des migrants pour renforcer une politique sécuritaire ayant fait la preuve de son inefficacité.
Certes, un nombre très important de personnes sont arrivées en Europe pour y demander l’asile en 2014 (environ 660 000) et en 2015 (plus de 400 000 durant les six premiers mois), mais nous sommes trop aveuglés par notre européocentrisme pour mettre ces chiffres en perspective internationale. Soixante millions de personnes sont actuellement déplacées de force à l’échelle mondiale et plus de 80% d’entre elles se trouvent dans les pays en développement. L’Europe n’est donc touchée que très marginalement par ce phénomène.
D’un point de vue historique, le discours de «l’afflux massif» fait l’impasse sur les nombreux épisodes d’accueil de personnes en fuite ayant jalonné le passé de l’Europe occidentale. Sans remonter jusqu’aux événements de la Deuxième Guerre mondiale et de la guerre froide, il est utile de rappeler qu’en 1992, 670 000 demandes d’asile avaient été déposées dans une UE à 15 membres, contre 620 000 en 2014 dans une UE à 28. A l’époque, un même discours alarmiste avait été diffusé, mais les personnes en fuite avaient malgré tout été accueillies dans différents pays européens, dont la Suisse. Aujourd’hui, la plupart de ces pays reconnaissent les bénéfices économiques, sociaux et culturels que ces migrants ont apportés à leur société, mais ils se montrent incapables d’adopter cette attitude vis-à-vis des flux migratoires contemporains.
Dans ce contexte, nous assistons à la montée d’un discours assimilant les migrants à une «vague», un «tsunami» ou un «essaim» (selon les termes récents du premier ministre britannique, David Cameron) prêt à «déferler» sur l’Europe. L’usage d’un tel vocabulaire, dicté par une logique de gains électoraux à court terme ou de sensationnalisme médiatique, contribue à déshumaniser les personnes dont il est question. Une fois qu’on les a ainsi réduites à des abstractions menaçantes, il devient alors beaucoup plus aisé d’exiger le renforcement d’une politique répressive qui nie leur besoin de protection. Une telle politique, menée depuis plus de deux décennies par les Etats européens sous les termes de «sécurisation des frontières» ou de «lutte contre l’immigration irrégulière», s’est avérée coûteuse, inefficace, et humainement inacceptable.
Une étude récente a montré que les 28 membres actuels de l’UE ont dépensé depuis 2000 au moins 13 milliards d’euros dans des dispositifs visant à interdire aux demandeurs d’asile l’accès à leur territoire. Or, cette stratégie coûteuse s’est révélée largement inefficace – de nombreuses personnes ont réussi d’une manière ou d’une autre à pénétrer sur les territoires dont on voulait les exclure – et a engendré de surcroît les phénomènes contre lesquels elle prétendait lutter. En forçant les individus en fuite à utiliser des routes dangereuses, cette politique a permis le développement d’un marché juteux et incontrôlable, celui des passeurs, que tous pointent du doigt comme étant les principaux responsables de la «crise migratoire» que nous sommes en train de vivre. C’est confondre les causes et les conséquences: les passeurs sont simplement la conséquence des politiques répressives, et non la cause des mouvements migratoires.
Sur le plan humain, le bilan d’une telle politique est catastrophique: ainsi, l’histoire retiendra que plus de 20 000 hommes, femmes et enfants auront, en l’espace de deux décennies, payé de leur vie leur tentative de pénétrer sur le territoire européen.
Mais le discours de «l’afflux massif» tend à occulter cette sinistre réalité et à décrédibiliser les solutions consistant à aménager des voies légales d’immigration. Il répand l’idée que toutes les personnes actuellement déplacées sur le pourtour sud de la Méditerranée se rendraient en Europe si elles y avaient accès légalement. Ces projections fantaisistes occultent totalement le coût élevé que représente la migration pour une large partie de l’humanité, que ce soit sur le plan économique, ­social ou culturel. Si certaines personnes sont décidées à entreprendre le voyage, toutes ne souhaitent pas se séparer de leur lieu de vie (fût-il temporaire et précaire), de leurs réseaux familiaux et sociaux pour se rendre dans un pays dont elles ne maîtrisent pas la langue et dans lequel leur formation ne sera pas reconnue. Cela constitue même l’exception puisque les migrants ne représentent que 3% de la population mondiale.
Mais nous sommes incapables de reconnaître cette réalité et nous persistons à envisager la migration comme un «problème» qu’il s’agit de «résoudre» à tout prix. En réalité, ce qui nous est présenté comme la crise de l’immigration est en partie due à la crise de notre perception de la migration.

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