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mardi 29 septembre 2015

Le cri de colère de Fabrice Nicolino contre le désastre agricole

Le cri de colère de Fabrice Nicolino contre le désastre agricole

25 septembre 2015 Jean-Pierre Tuquoi 


Ecrit d’une plume alerte trempée dans une encre mélange de colère et d’imprécation, le dernier livre de Fabrice Nicolino fait le procès d’une époque qui a vu la disparition du monde paysan traditionnel. L’auteur nous fait revivre la grande industrialisation agricole du XXe siècle et dépeint les protagonistes qui y ont participé. Mais si le tableau est rude, des raisons d’espérer un changement persistent.
Lorsque l’été 1938, Jean Giono, le pacifiste Giono, publie une Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix, son objectif est clair : empêcher la prochaine guerre qu’il sent monter en mobilisant les paysans avant qu’ils ne soient broyés comme ils l’ont été en 14-18.
Comment ne pas songer à Giono à la lecture du dernier livre de Fabrice Nicolino, Lettre à un paysan sur le vaste merdier qu’est devenue l’agriculture ? Le rapprochement est immédiat et la comparaison tentante. Mais elle est déplacée. Le contexte historique est différent : le monde actuel n’est pas à la veille d’un conflit généralisé et, surtout, les paysans n’existent plus en France. Ils ont disparu du paysage. D’ailleurs celui auquel est destinée la lettre de Nicolino est un « petit vieux de quatre-vingt-dix ans », autant dire le dernier survivant d’un monde agricole disparu. L’actuel est peuplé d’exploitants agricoles, de chefs d’exploitations... On n’ose même plus parler d’agriculteurs.
Dans son essai, écrit d’une plume alerte trempée dans une encre mélange de colère et d’imprécation, Nicolino fait avant tout le procès d’une époque, celle qui a vu justement la disparition du monde paysan traditionnel - « où l’on travaillait moins qu’on l’a dit parfois, bien plus qu’on ne le supporterait aujourd’hui ».

Retour sur un siècle de "progrès"

Remontant le temps et l’histoire à grandes enjambées l’auteur fait halte aux époques charnières du 20e siècle, montre du doigt les inventions qui ont bouleversé le monde rural, ressuscite les hommes qui les ont imposées au fil des « trente glorieuses », les structures qui les ont vulgarisées… Ainsi voit-on défiler un siècle « de progrès » avec ses bouleversements inouïs – l’invention du DDT, le produit miracle contre le doryphore qui ravageait les champs de pommes de terre et dont on s’apercevra un peu tard qu’il est un puissant cancérigène, la multiplication des tracteurs agricole après guerre, le remembrement des terres, l’introduction des pesticides, - et ses missionnaires enthousiastes.
La liste est longue des disciples du dieu Progrès mais Nicolino, en procureur ayant épluché le dossier, sait trier et mettre en valeur les figures principales et oublier les complices et autres seconds couteaux. Au premier rang, sur le banc des accusés, on retrouve Edgard Pisani, ministre de l’agriculture au début des années de Gaulle, en 1961, et à ce titre promoteur enthousiaste - avec le syndicaliste Michel Debatisse, un enfant de la Jeunesse agricole chrétienne -, d’une agriculture calquée sur le modèle industriel avec des usines à lait et des usines à viande (précisons que, sur le tard, Pisani fera acte de repentance).
Autre figure de cette époque, Fernand Willaume, qui deviendra le patron du lobby des pesticides en France autour de la revue qu’il a créée, Phytomia, la bible des propagandistes de la religion nouvelle ; ou encore Raymond Fevrier, un pilier de l’INRA (le temple de cette agriculture nouvelle) dont il deviendra le directeur général, prêt à expérimenter jusqu’à l’absurde la manipulation génétique des animaux.
Le bilan de ce commando de « grands serviteurs de l’Etat », de techniciens et de syndicalistes agricoles (dont Xavier Beulin, le patron actuel de la FNSEAet du groupe Avril-Sofiproteol, se réclame) ? Le nombre d’actifs agricoles a été divisé par dix depuis la fin de la guerre ; le remembrement a appauvri les paysages et favorisé la monoculture ; l’industrie chimique impose sa loi à ce qui reste du monde agricole. Bref, c’est un désastre.

Il est possible d’imaginer autre chose

Fabrice Nicolino s’en désole mais se dit convaincu qu’un retournement est possible. « Ce qui a été fait peut-il être défait ? s’interroge-t-il. Oui (…) la destruction des paysans a été un moment absurde de l’histoire (mais) il est possible d’imaginer autre chose. A condition de rompre. Oui, cela semble possible. »
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Fabrice Nicolino
La prudence du propos suggère que l’auteur ne croit qu’à moitié à ce qu’il écrit. On comprend sa gêne. Les agriculteurs pèsent peu dans le système actuel dominé par des structures qui les dépassent : les coopératives dites agricoles, oublieuses de leurs racines et devenues des monstres commerciaux qui barbotent dans les marchés globalisés, l’industrie semencière, chimique, les fabricants de matériel agricole, les négociants, la grande distribution… Ce sont eux les acteurs du monde agricole de ce 21esiècle dont ils ont dessiné les contours.
Les fils et les petits-fils des paysans de naguère ne sont que la dernière roue du carrosse. Ils ont été dépossédés de leur pouvoir et n’ont plus qu’à verser dans la nostalgie, ce qu’ils font l’été en mimant, devant les foules de touristes, les grands évènements agricoles d’antan.
Ce pouvoir perdu, songent-ils à le recouvrer ? Rien de moins sûr. Lorsqu’ilsmanifestent au volant de leurs imposants tracteurs c’est pour grappiller une augmentation du prix du lait, du porc, du bœuf, dénoncer les importations de produits concurrents, réclamer des aides de l’Etat… Pas pour remettre en cause le modèle agricole actuel. Peut-être leurs grands-parents auraient-ils dû écouter Jean Giono.

Lettre à un paysan sur le vaste merdier qu’est devenue l’agriculture, de Fabrice Nicolino, Ed. Les Echappés, 123 pages, 13,90 euros

Lire aussi : Fabrice Nicolino : « Il faut inventer quelque chose de neuf »

Source : Jean-Pierre Tuquoi pour Reporterre
Photos :
. Chapô : Pixabay (Unsplash/CC)
. Noir et blanc : Wikipedia (CC)
. Nicolino : Lucas Mascarello pour Reporterre

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