Hervé Le Tellier :
« Le nom sur le mur »
Le
Un entretien avec l’écrivain Hervé Le Tellier (VIDÉO et PODCAST l 47:42)
Hervé Le Tellier - Le nom sur le mur
C’est un nom qu’il
découvre gravé sur un mur de la maison qu’il vient d’acheter dans un
village près de Dieulefit. « ANDrE CHAIX ». Avec le R en minuscule,
« r ».
C’est quelque temps après qu’il
tombe sur ce nom sur le monument aux morts avec deux dates : 1924-1944.
Vingt ans, fusillé à 20 ans, ça fera 80 ans au mois d’août cette année.
Mais qui était cet André Chaix, mort pour la France ? La recherche
commence. Une photo, une lettre, une archive, sa fiancée, un
fume-cigarette. Hervé Le Tellier raconte son enquête sans esbrouffe,
sans effet de manche ou de plume, sans voler la vie d’un autre, sans
faire son malin, mais avec l’idée que par les temps qui courent (et qui
gourent) il est important de retrouver l’esprit de cette résistance-là.
Hervé Le Tellier est l’auteur
d’une trentaine de livres et d’un tas de textes qui ne cherchent pas
trop le grand public jusqu’à une anomalie intitulée L’ANOMALIE, prix Goncourt 2020
qui fait un record de vente, 1,6 millions d’exemplaires, traduit en 50
langues. Ça lui est arrivé comme un gagnant du loto. Il s’est payé
quelques yachts, quelques palaces et quelques Ferrari, mais il a su
rester une grande vedette toute simple, fidèle à ses vieux amis, et il
s’est remis à écrire tout simplement, en retraçant la vie d’un héros
modeste.
Mourir à vingt ans n’est pas
rien, et s’engager dans la résistance non plus. 80 ans, c’est loin ces
vieilles histoires de guerre, de maquis, de tondues et de collabos avec
toujours la même question : « Qu’est-ce que j’aurais fait à l’époque ? ».
Mais aujourd’hui la question devient : « Qu’est-ce que je fais aujourd’hui ? ».
Elle se pose cette question, quand l’extrême droite gonfle de partout et
quand un parti aux origines nazies manifeste en plein Paris pour
soutenir un gouvernement israélien qui massacre en représailles les
palestiniens de Gaza, quand le facho Zemmour réhabilite Pétain dont il
fait le sauveur des Juifs, quand le Portugal fête le 50 ans de sa
révolution des œillets contre l’extrême droite alors même que l’extrême
droite revient en force au Portugal, oui, la question se pose.
Hervé Le Tellier rappelle
comment rapidement après la guerre l’amnistie a amené l’amnésie. Comment
la confusion et toute une zone grise propice au pire s’est installée.
Comment on a pris les loups pour des chiens. Au passage, réflexion
faite, il rejette Céline et Brasillach. Il rappelle les origines
fascistes du Front National à sa création en 1972. La fille a repeint la
façade de la boutique de papa, mais le fonds de commerce reste le même.
Il est temps de repenser à la
résistance, surtout la résistance des gens ordinaires, les André Chaix
et leur « Idéal » comme on disait. Ça parait clair à posteriori, on voit
qui étaient les méchants et qui étaient les gentils. Mais comment faire
aujourd’hui pour ne pas se laisser embrouiller dans la démagogie qui
monte avec la puissance des médias d’un Bolloré qui vous roulent à
longueur de journée ? On ne débat pas de telles idées, on les combat dit
Le Tellier en citant Jean-Pierre Vernant : « On ne discute pas recettes de cuisine avec des anthropophages ».
Le Tellier évoque les
comportements révélés par la fameuse expérience de Milgram, ou celle de
la série « We are the wave », qui montrent comment nous nous laissons
manipuler, malléables et vulnérables que nous sommes. Et pire encore, il
rappelle le livre de Christopher Browning, Des hommes ordinaires, le 101ème bataillon de réserve de la police allemande et la « solution finale en Pologne. Résister à ces soumissions, garder son quant-à-soi, penser par soi-même (Selbstdenken)
n’est pas inné et les personnes cultivées et distinguées ne sont
nullement à l’abri de ces dérives, elles y sont sans doute plus exposées
encore.
Au début du livre, l’auteur cite Walter Benjamin : « Il
se peut que les révolutions soient l’acte par lequel l’humanité qui
voyage dans le train de l’histoire tire le frein d’urgence ».
Voilà à quoi peut vous mener un nom sur le mur.
Daniel Mermet
André Chaix sur son cheval | Le maquis après Monclus ©DR
Source : https://la-bas.org/la-bas-magazine/entretiens/herve-le-tellier-le-nom-sur-le-mur
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