« Nous, médecins,
réclamons une loi pour l'euthanasie »
FIGAROVOX/TRIBUNE - Trente-six médecins, membres du « Choix citoyens pour une mort choisie », répondent à un appel de confrères à ne pas céder sur l'interdiction de l'euthanasie. Ils plaident pour une nouvelle loi qui reconnaisse à chacun le droit de décider du moment de sa mort.
L'association « Choix citoyens pour une mort choisie » a pour but la légalisation du suicide assisté en France.
La responsabilité de décider de la vie et de la mort d'un patient ne nous revient pas. Nous, médecins, pensons qu'un être humain doit avoir le droit de décider du moment de sa mort et de la manière d'y parvenir lorsqu'une maladie grave et incurable lui retire toute qualité de vie et lui fait subir d'intolérables souffrances.
Or, dans une tribune récente, un groupe de nos confrères refuse ce droit aux malades, en les qualifiant de « personnes vulnérables » qu'il convient de protéger comme des enfants mineurs. Même si, heureusement, les droits des malades ont progressé au fil du temps, il reste encore un cap à franchir, qui est de reconnaître la liberté de chacun de choisir sa fin de vie.
Le refus d'accorder cette liberté à une personne majeure et capable, revient à laisser ce droit aux médecins. En vertu de la loi actuelle, ce sont eux qui décident de placer le malade sous sédation profonde et continue et d'arrêter l'alimentation et l'hydratation, jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Pour tenter de justifier leur position, les signataires de cette tribune évoquent des arguments qui ne tiennent pas face à la réalité telle qu'elle est vécue par les malades.
Ils prennent pour acquis que l'être humain n'envisage une aide active à mourir que lorsqu'il est en bonne santé, ou, s'il est déjà malade, que cette demande est faite sans qu'il y ait vraiment réflexion, dans la légèreté, comme s'il s'agissait simplement de partir en voyage. Ils ne semblent pas pouvoir accepter que, lorsqu'un malade demande à mourir, après que tous les soins disponibles lui ont été prodigués, c'est qu'il n'y a plus, à ses yeux, d'alternative.
Nos collègues ont raison lorsqu'ils disent que l'être humain veut vivre, il est prêt à négocier avec la maladie pour rester parmi les siens un peu plus longtemps. Mais n'oublions pas le corollaire de cette affirmation qui est que lorsque la personne malade dit « je veux mourir, aidez-moi à en finir », c'est qu'il n'en peut plus des souffrances physiques et psychologiques provoquées par sa maladie.
Nous sommes surpris que ce groupe de médecins ne puisse envisager que, lorsque la mort est programmée, comme c'est le cas en Belgique lorsqu'une euthanasie doit être pratiquée, tout ce qu'ils décrivent des derniers moments de la vie, les « belles choses » dont, selon eux, le malade et ses proches seraient privés lors d'une euthanasie, existent et sont vécues de façon encore plus intense et sereine, car chacun connaît le moment où la vie se terminera et a pu s'y préparer.
Dans le cas où la mort intervient sans qu'on la provoque, celle-ci peut survenir à tout moment. Quel médecin n'a pas tenté, sans succès, de consoler des proches submergés par la tristesse et la culpabilité de ne pas avoir été présents lorsque ce moment est arrivé.
La loi, telle que nous la souhaitons, devra, à l'exemple de la loi belge, prévoir plusieurs étapes incontournables pour que les médecins s'assurent que c'est bien la volonté du malade, qu'il est bien atteint d'une maladie grave et incurable dont il mourra à plus ou moins brève échéance, qu'il n'est pas dépressif, atteint de troubles psychologiques ou psychiatriques, qu'on lui a bien expliqué quels sont les traitements encore possibles et quels avantages il pourrait en tirer et, finalement, qu'il n'est pas l'objet de pressions extérieures. La question lui sera posée plusieurs fois, pour s'assurer qu'il n'a pas changé d'avis. S'il ne peut plus exprimer sa volonté de vive voix, sa personne de confiance le fera en son nom, en s'appuyant sur ses directives anticipées.
Si, à l'issue de cette procédure, le malade, ou sa personne de confiance, continue de demander l'aide à mourir, nous n'aurons pas à mettre en doute sa volonté car c'est lui qui souffre et qui est arrivé à la difficile décision de ne pas prolonger sa vie. Comme vous l'écrivez, nous devons faire preuve de compréhension à son égard et cela signifie que nous devons respecter son choix.
Ces médecins évoquent, comme nous l'avons souvent entendu, le risque de dérives. Nous leur répondons que c'est l'absence de loi qui pose des risques importants. Qu'au contraire, la loi, lorsqu'elle est bien rédigée et actée, empêche ces dérives car elle fixe le cadre précis de son application.
Prétendre que l'expression de la volonté de mourir serait symboliquement un ultime appel envers la solidarité humaine plutôt qu'un souhait de voir provoquer la mort, revient à se placer au-dessus de ceux qui vivent ces moments et à les traiter comme s'ils étaient des êtres inférieurs. Il s'agit d'une « vue de l'esprit » qui n'a rien à voir avec cette souffrance bien réelle, cette totale absence de qualité de vie, ces heures, journées, mois interminables passés dans un lit à attendre que tout cela s'arrête.
Les malades demanderaient à mourir sous la pression de leur entourage familial. Dans l'éventualité où une loi serait votée, celle-ci prévoirait que les médecins et psychologues s'assurent de l'absence de toute pression, avant de donner leur accord pour une aide active à mourir.
Le temps éprouvant de l'agonie ne serait plus d'actualité car il est maintenant accompagné médicalement. Cela est vrai dans un grand nombre de cas, mais il y a d'autres cas, encore trop nombreux, de personnes qui sont atteintes, notamment, de maladies neurodégénératives et qui ne peuvent pas être placées sous sédation profonde et continue, avec des traitements analgésiques. Que faire de tous ces gens qu'on ne peut pas, qu'on ne sait pas, soulager ? Les abandonner à leurs souffrances ?
L'opposition entre soins palliatifs et aide active à mourir est une pure création des opposants à l'aide active à mourir. Au contraire, ces deux approches de la fin de vie sont essentielles et se complètent. Il est évident que les soins palliatifs doivent être accessibles à tous nos compatriotes, quel que soit l'endroit où ils vivent. Les soins palliatifs et l'aide active à mourir devraient être deux options de fin de vie accessibles dans une même structure de soins, selon le choix du patient.
Si ces médecins opposés à l'euthanasie sont de bonne foi, ce dont nous ne doutons pas, nous sommes certains qu'ils reconnaîtront qu'il y a trop de personnes malades qui, malgré les soins palliatifs, ne peuvent pas terminer leur vie paisiblement et sans souffrances.
Pour eux, il faut que nous fassions en sorte qu'ils puissent choisir le moment de leur mort, dans les limites d'une loi encadrant précisément le processus, sans tomber dans d'éventuels excès.
Nous, médecins, ne pouvons pas continuer de vivre cette hypocrisie qui consiste à faire comme si nous ne donnions pas la mort tout en la donnant, soit par la sédation profonde et continue et l'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation, ou dans le secret, en outrepassant ce qu'autorise la loi Claeys-Leonetti.
Nous demandons qu'une loi autorisant l'euthanasie et l'aide au suicide soit votée avant la fin de ce quinquennat.
Médecins signataires :
Roland ALIMI
Jean François BERTHOLON
Geneviève BEUROIS
Jean Claude BOURRIN
Agnès BRYN
Christine CHARLES
Ana Maria CHOUILLET
Martine DANAUX
Patricia ERBIBOU
Jean Claude GRÉGOIRE
Pascale HOMEYER
Alain HUVENNE
Michèle JAGOT
Christian JEANDARD
Arnaud i Figueiras JOSEP
Eline KATZ
Olivier LAMBLIN
Christian LEPEZ
René MASSEYEFF
Guy METEREAU
René METTEY
Viviane MEYLON DEFRANCE
Jean louis MILLOT
Christian NEGRE
Anne Marie OUDRER
Pierre PAULET
Hervé RAVARY
Pascal RENE
Annie ROBERT
Bernard SENET
François SCHEIDT
Sophie TALEGHANI
Jocelyne VIATEAU
Anne Marie VIDONNE
Martin WINCKLER
WISER Jean
Source : http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2018/11/23/31001-20181123ARTFIG00329--nous-medecins-reclamons-une-loi-pour-l-euthanasie.php
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