Bonjour.
Ici Jean Monestier.
Je vous envoie ci-joint une Note de Lecture sur le livre de Joan Martinez Alier, universitaire à Barcelone.
Mon objectif est de donner envie d'ouvrir ce livre.
A vous de voir.
Amitiés.
Note de lecture :
« L’écologisme
des pauvres », de Joan Martínez Alier,
une
étude des conflits environnementaux dans le monde.
Editions Les Petits matins
/ Institut Veblen - 2014.
traduit de
« El Ecologismo de los pobres. Conflictos ambientales y lenguajes de
valoración »,
édité
par Icaria editorial, S.A. - 2011.
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Mangez-vous des crevettes ? Quelquefois ?
Assez souvent ? Couramment ? J’ai appris que, dans tous les cas,
quand elles sont importées, elles sont à l’origine de la destruction des moyens
de vivre de populations du pays d’origine, que ce soit, dans le cas de
l’aquaculture, par des destructions définitives de la mangrove dont ces
populations tirent leur subsistance, ou, dans le cas de la pêche industrielle,
par la destruction de la ressource halieutique dont vivent les familles des
pêcheurs côtiers. J’ai donc décidé, pour mon compte, de ne plus jamais manger
de crevettes, sauf à la rigueur si elles sont pêchées au large de la vieille
Europe. Et encore ne sommes-nous pas totalement à l’abri, même dans ce cas, de
profiter d’un néo-colonialisme interne au détriment d’Européens qui seraient
moins égaux en droit que les autres.
C’est en lisant « L’écologisme des pauvres »
de Joan Martínez Alier, que j’ai pris plus profondément conscience de notre désinvolture
consumériste au détriment des peuples dits pauvres. La thèse principale de ce
livre contrebat l’idée, reçue d’une vieille gauche, que les pauvres sont bien
plus concernés par la défense de leur pouvoir d’achat que par la défense de
l’écologie. Profonde erreur ! Ceci est valable dans notre Occident dit
« développé », qui vit depuis plusieurs siècles aux crochets du reste
de la planète, et dont l’organisation est largement dominée par l’économie et
les échanges monétaires. Dans ce cas, l’écologie, dont les valeurs sont
difficiles ou impossibles à chiffrer, peut être considérée comme une espèce de
luxe, ou du moins comme un sujet parmi d’autres, par ceux qui regardent tout
avec des lunettes d’économistes. Mais la biosphère est notre substrat universel,
alors que l’économie n’est qu’une sorte de mécanique culturelle, qui permet de
hiérarchiser les hommes, leurs actions, et leurs possessions, sans évaluer la
valeur des choses, mais seulement leur coût, deux concepts qu’il est dangereux
de confondre.
Une
biosphère habitable a une valeur incommensurable et un prix non chiffrable, et,
si nous la perdons, nous perdons tout, c'est-à-dire que le prix de cette perte
serait égal à l’infini (donc effectivement non chiffrable). Accessoirement,
cela signifie que toute dépense visant à préserver cette biosphère ne coûte
rien face à l’infini de cette perte (puisque ۷ x / ∞ = 0).
Les peuples qui perdent leur milieu de vie, leur substrat local, du fait de
notre extractivisme universel, et de nos innombrables projets de mines,
forages, exploitations de toutes ressources, constructions d’usines, de
déchetteries, et organisations de diverses dilutions polluantes, se trouvent
devant la même problématique : la perte de leurs moyens de survie
durables, donc de l’infini, contre des avantages plus ou moins temporaires dont
ils ne voient souvent passer que la promesse.
Leur résistance n’a rien à voir avec la défense d’un
pouvoir d’achat assis sur des salaires qui devraient monter et des prix qui devraient
baisser. Elle s’apparente à une lutte radicale pour la vie, et donc pour la
défense d’un milieu, d’une biodiversité, de ressources dont le maintien à long
terme est incompatible avec notre agitation économique spéculative. Et c’est
bien d’écologie qu’il s’agit, même si le mot et la description intellectuelle arrivent
à titre secondaire, parfois soufflés par des ONG, des scientifiques, des
avocats. Il ne s’agit pas d’une écologie de luxe hors de portée des prolétaires
occidentaux, mais d’une écologie vitale préalable à la survie des peuples pauvres.
Au niveau du mouvement écologiste, Joan Martínez Alier
distingue trois courants qui « sont les bras d’un seul
fleuve » : le « culte de la nature sauvage »,
l’ « évangile de l’éco-efficacité », et « l’écologisme des
pauvres ». Le premier est né de la lutte pour la conservation d’espaces
naturels, si possibles non habités, au service du caractère sacré de la
biosphère, mais il ne fait que retarder l’inéluctable destruction de cette
dernière. Le deuxième veut concilier une économie qu’il appréhende dans sa
totalité à travers le développement durable et la bonne utilisation des
ressources, sans exclure une croissance économique vertueuse, avec une vision « modernisée »
de l’écologie. Le troisième, moins visible car plus diffus, est « la
réponse du tiers-monde au défi du développement durable ». Mais il
recouvre, selon l’auteur, « une convergence entre la notion rurale et
tiers-mondiste de l’écologisme des pauvres, et la notion urbaine de la justice
environnementale » (appliquée notamment aux USA). Souvent, ses acteurs
n’utilisent pas le langage écologique et c’est pourquoi ce mouvement fut
relativement ignoré jusqu’aux années 80. Un point unit ces trois
courants : « l’existence d’un puissant lobby anti-écologiste,
beaucoup plus puissant dans le Sud que dans le Nord ».
Après quelques chapitres consacrés à de grands
concepts d’économie écologique et d’écologie politique, ce livre dresse une
revue détaillée d’un certain nombre de conflits typiques : défense de la
mangrove contre fermes de crevettes, extraction d’or, de pétrole, exploitation
de forêts, de rivières, bio-piraterie. Il rebondit ensuite sur des réflexions
plus synthétiques appuyées sur des exemples précis ; indicateurs de la
non-durabilité urbaine, justice environnementale aux Etats-Unis et en Afrique
du Sud, rôle des Etats et d’autres acteurs, mais aussi la notion clé de dette
écologique, qui réintroduit puissamment le facteur temps dans la réflexion.
Préfacé par
Marc Dufumier, ce livre est à verser dans le débat récurrent entre ceux qui
revendiquent une priorité pour l’homme, pour lesquels l’écologie, même
importante selon leur degré de conscience, serait un dossier secondaire, le
supplément éventuel d’un programme politique, et ceux qui, sans renier les
valeurs de gauche, pensent que le substrat d’une biosphère habitable, sans
laquelle aucune société humaine n’est viable, doit être une préoccupation
prioritaire, car fondamentale. Les plus pauvres des pauvres commencent à être
entendus dans ce débat. Un livre à offrir à tous les socialistes sincères, et à
tous les hommes de bonne volonté !
Le
Soler, le 17 avril 2015.
Jean Monestier,
Diplômé en économie auprès de l’Université de
Toulouse.
Artiste-Auteur-Militant,
Objecteur de croissance,
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