Le prix du pétrole baisse. Et après ?
9 avril 2015 / Thomas Porcher
Entre pétrole de schiste des Etats-Unis et jeu de l’Arabie Saoudite, le prix du pétrole a spectaculairement baissé. Mais cette situation prépare un rebond des prix auquel il faut se préparer plutôt que se « maintenir dans l’illusion que nous n’avons pas besoin de changer notre façon de vivre ».
Le prix du pétrole est passé de 110 $ en juin à moins de 50 $ en janvier 2015. Une baisse sans précédent depuis la chute des cours de 2008 après la faillite de Lehman Brothers.
Le développement du pétrole de schiste
Plusieurs facteurs expliquent cette baisse. Le plus important est sans nul doute le développement de la production de pétrole de schiste aux Etats-Unis. Entre 2006 et 2014, la production journalière américaine a augmenté de 4 millions de barils par jour pour dépasser les 11 millions de barils en 2014 et se placer devant la production saoudienne.
Dans le même temps, on assiste du côté de la demande à un ralentissement avec la baisse de la croissance économique mondiale. Les pays émergents, qui ont été le moteur de la hausse des prix depuis 2004, ont désormais une croissance plus faible.
Enfin, un troisième facteur a également pesé sur les prix : le renchérissement du dollar. Or, comme les entreprises des pays émergents s’endettent en dollars, la hausse du dollar augmente mécaniquement leur dette et pèse sur leur rentabilité ce qui explique en partie la perte de croissance de ces pays.
A cela, il faut ajouter le fait que le prix du pétrole est libellé en dollar et acheté, en dehors des Etats-Unis, dans une autre monnaie. Un renchérissement du dollar rend donc le pétrole plus cher dans une autre monnaie, ce qui contribue un peu plus à la baisse de la demande.
L’action simultanée de tous ces facteurs a fait basculer le prix de plus de 100 $ en juin à 75 $ en novembre et changé radicalement le paradigme du marché pétrolier passant d’un marché tiré par la demande des pays émergents depuis 2004 à un marché excédentaire grâce à l’offre de pétrole de schiste à partir de juin 2014.
Face à ce changement dans la structure du marché pétrolier, l’OPEP aurait pu, conformément à sa stratégie [1], baisser ses quotas et faire remonter les prix. L’organisation aurait certes perdu des parts de marché sur le court terme mais, les pétroles de schiste s’épuisant, les auraient récupérées sur le long terme.
Le problème est que le développement des pétroles de schiste a deux particularités. Premièrement, son développement a eu lieu aux Etats-Unis, premier pays consommateur de pétrole et client privilégié de l’Arabie Saoudite alors que traditionnellement les pays consommateurs n’étaient pas producteurs.
Deuxièmement, un certain nombre d’autres pays consommateurs en Europe et en Asie (la Chine) semblaient intéressés par le développement de cette énergie. Le cartel se retrouve face à un choix cornélien : doit-il baisser ses quotas sachant qu’une baisse de la production de l’organisation sera directement récupérée par un surplus de production de pétrole de schiste de la part des Américains ?
Ou doit-il se lancer dans une guerre des prix pour « casser » la rentabilité du pétrole de schiste et ainsi, stopper son développement aux Etats-Unis comme à l’échelle mondiale ? L’OPEP a choisi la deuxième solution et en refusant d’intervenir sur le marché a fait plonger le baril en dessous de 50 $.
Le pari risqué de l’Arabie Saoudite
En choisissant la guerre des prix, l’Arabie Saoudite veut clairement casser le développement des pétroles de schiste américain qui nécessitent un coût d’extraction plus élevé (entre 50 et 70 $). Mais elle met également la pression sur l’ensemble des pays producteurs de pétrole.
Par exemple, pour les pays de l’OPEP, les revenus du pétrole représentent plus de 90 % de leurs exportations et entre 80 et 90 % de leur budget. Bien que la plupart des pétroles de l’OPEP nécessitent un prix du baril beaucoup plus faible que le prix actuel du marché pour atteindre leur seuil de rentabilité, les équilibres budgétaires des différents pays nécessitent un prix du pétrole beaucoup plus élevé et, même à l’intérieur de l’OPEP, on note de grandes différences entre les coûts d’extraction et les prix nécessaires pour équilibrer les budgets de chaque pays. [2]
Comme les pétroles de schiste ont un cycle de production plus court (environ cinq ans), pour maintenir un niveau constant de production, il faut continuer à forer à un rythme voisin de celui de l’année précédente. Sinon la production s’écroule dès l’année suivante. Et comme à un prix autour de 50 $, une partie de la production de pétrole de schiste n’est plus rentable, les entreprises investissent moins et la production américaine devrait chuter.
Mais l’effet rebond sur les prix sera d’autant plus fort que la réduction des investissements sera importante. Or, plus le prix restera bas pendant une longue période plus les investissements dans les pétroles non conventionnels seront impactés.
Un phénomène de yo-yo de quelques mois, comme cela a été le cas en 2008, n’affectera pas fortement l’industrie du pétrole de schiste américaine car ce sont des entreprises plus flexibles que les majors. Au final, l’impact sera d’autant plus fort que l’OPEP arrivera à supporter un prix faible du pétrole pendant au moins deux ans. Ce qui n’est pas certain pour l’ensemble des pays de l’organisation.
Au milieu de cette guerre des prix, si l’Europe pensait à l’après-pétrole
Pour certains, la baisse du prix du pétrole est une formidable occasion pour faire la promotion du pétrole de schiste en Europe en avançant qu’il faut suivre l’exemple des Etats-Unis. Pourtant au prix actuel, l’exploitation de ces pétroles paraît encore moins possible en-dehors des Etats-Unis car le coût d’extraction y serait bien plus élevé. Aucun pays ne dispose de la capacité de forage des Américains. La baisse des prix du pétrole rend donc encore moins transposable l’expérience américaine au reste du monde.
D’autres avancent que cette baisse des prix est une bonne nouvelle pour l’économie, qu’elle va permettre d’augmenter la croissance. C’est vrai pour quelques dixièmes de pourcentage. Mais elle risque surtout de nous maintenir dans l’illusion que nous n’avons pas besoin de changer notre façon de vivre.
Or, la question ne devrait plus porter sur le prix du pétrole, ni sur le montant de nos réserves mais plutôt sur la quantité que nous pouvons encore consommer en prenant en compte la contrainte climatique. La pire erreur serait donc de penser qu’avec la baisse des prix, le pétrole a encore de beaux jours…
[2] S. Broyer et al (2011), « Quel cours du baril assure l’équilibre budgétaire des pays exportateurs ? », Flash Economie, n°413
Lire aussi : Pour éviter le réchauffement, il faut laisser dans le sol la moitié des réserves en énergie fossile
Source : Thomas Porcher pour Reporterre
Thomas Porcher est professeur associé à la Paris School of Buisness (PSB), chargé de cours à l’université Paris-Dauphine et auteur du livre Le mirage du gaz de schiste.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire