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mardi 6 février 2018

Calais : depuis la visite de Macron, la situation n’a fait qu’empirer

Calais : 

depuis la visite de Macron, 

la situation n’a fait qu’empirer 

 

Par Elisa Perrigueur
 
Une rixe entre migrants a fait 21 blessés, dont cinq par balle, jeudi 1er février à Calais. Quatre sont aujourd’hui entre la vie et la mort. Les associations dénoncent depuis des semaines la tension grandissante sur place, notamment en raison de la politique de « non-fixation » mise en place par les autorités.
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Calais (Pas-de-Calais), envoyée spéciale.– Le vent glacial fouette leurs visages inquiets, ce vendredi midi. Dans la zone industrielle des Dunes, l’Éthiopien Abebe, le Somalien Jo et le Camerounais Eupui racontent qu’ils « n’avaient jamais vu des scènes aussi violentes », durant leurs longs mois d’errance à Calais. La veille, vers 17 h 30, sur un terrain vague boueux entouré d’usines fumantes, ces migrants ont vu surgir des dizaines de silhouettes en furie. 

« Tout s’est passé très vite, nous avons vu des Érythréens que nous n’avions jamais aperçus. Ils avaient des bâtons, ils pourchassaient une vingtaine d’Afghans et voulaient les frapper, résume Abebe en français, d’un ton calme. Nous avons voulu les protéger, la violence ne sert à rien… Ils ont essayé de nous frapper aussi. » En moins de dix minutes, selon les trois hommes, les CRS ont déboulé à leur tour, sirènes hurlantes, gyrophares bleus sous le ciel gris. 

Les courses-poursuites entre forces de l’ordre et migrants armés de bâtons ont commencé entre les pavillons voisins de la route de Gravelines. Elles se sont étendues dans les champs alentour, sous les regards angoissés de certains riverains du secteur. « Notre groupe dort ici, dans ce bosquet », déplore l’exilé Abede, montrant les couvertures de survie et les déchets entre les arbres morts de la zone industrielle des Dunes. « Maintenant, nous avons peur, résume-t-il. Nous réfléchissons à des façons de nous protéger. Cette nuit, nous n’avons pas dormi, deux d’entre nous faisaient le guet en permanence. Maintenant nous savons que certains ont des armes à feu et nous non… »




Les scènes de chaos auxquelles ont assisté, ce jeudi 1er février, Abebe et ses compagnons exilés faisaient suite à une rixe d’une violence inédite au cœur de la ville-frontière de Calais, où près de 800 migrants, Soudanais, Érythréens, Afghans, Éthiopiens, Kurdes, souvent jeunes, attendent toujours dans l’espoir de gagner la Grande-Bretagne voisine. En milieu d’après-midi, cet affrontement avait opposé des migrants érythréens et afghans en marge d’une distribution de nourriture près de l’hôpital. Vingt et un migrants ont été blessés, dont cinq par balle. Quatre d’entre eux sont toujours entre la vie et la mort.

« Ce sont tous des Érythréens. Celui dont le pronostic vital n’est pas engagé est blessé aux jambes. Concernant l’ensemble des victimes, elles ont entre 13 et 22 ans selon les âges déclarés », précise le procureur de Boulogne-sur-Mer, Pascal Marconville. « On ne sait pas encore s’il y avait un ou plusieurs tireurs », ajoute-t-il. La police recherchait vendredi un ressortissant afghan de 27 ans, suspecté d’être l’un des auteurs des coups de feu. « Les victimes parlent très peu, on ne connaît pas encore la cause de la rixe. Mais selon les premiers témoignages, le ou les attaquants sont venus directement sur la foule avec la ferme intention de tirer, il n’y a pas eu d’altercations avant les coups de feu. »

En représailles de cet affrontement, des groupes d’Africains munis de bâtons se sont alors « mis en tête de traquer les Afghans dans Calais », poursuit le procureur. Ce sont ces derniers qui ont croisé la route d’Abebe, Jo et Eupui dans la zone industrielle des Dunes, où des tensions ont de nouveau eu lieu dans la soirée. Le ministre de l’intérieur Gérard Collomb est arrivé à Calais dans la nuit. Une réaction politique médiatisée en un temps record pour dénoncer « une escalade de la violence devenue totalement insupportable (...) pour les Calaisiens et les migrants eux-mêmes (...). Nous allons prendre les choses en main partout ». Vendredi matin, l’Intérieur a annoncé l’envoi de deux compagnies de CRS supplémentaires, s'ajoutant à l’effectif de 1 150 policiers et gendarmes présents dans le Calaisis.

« Comme les réseaux de trafic de stupéfiants à Marseille »


Depuis les annonces du président Macron, le 16 janvier à Calais, la situation se détériore, les migrants arrivent plus nombreux, signalent les associations. « Près de 200 personnes sont venues, pensant qu’il serait plus facile d’aller en Grande-Bretagne. Il y a eu des rumeurs, des confusions… Par exemple, certains ont cru qu’en prenant certains bus, ils arriveraient plus vite en Angleterre. En réalité, ils se sont retrouvés dans un centre pour mineurs isolés dans le nord de la France », précise Margot Bernard, coordinatrice de l’organisation Safe Passage.

Aux fortes désillusions succèdent les tensions, chez ces personnes souvent épuisées par des voyages depuis l’Afrique ou l’Asie. Et celles entre Afghans et Érythréens ne sont pas nouvelles, d’après le Somalien Jo, présent depuis sept mois dans la ville de la dentelle. « Il y a des accrochages aux distributions, parfois du racisme. Du coup, on reste plutôt entre Africains, tandis que les Afghans mais aussi les Kurdes dorment et mangent ailleurs. » Et il est alors question de “territoires” entre les communautés, précise une source policière.



Déterminés à passer en Grande-Bretagne, les migrants se fixent à proximité des parkings ou stations-services, où se garent les poids-lourds dans lesquels ils tentent de s’immiscer chaque nuit pour rejoindre la Grande-Bretagne. Des lieux de plus en plus prisés, alors que la frontière franco-britannique et les deux principaux points de passage vers l’Angleterre – l’Eurotunnel et le port de Calais – se barricadent, à grand renfort de murs de barbelés, caméras thermiques et autres contrôles pour empêcher les passages. « Les Érythréens sont plutôt présents dans la zone Marcel-Doret et la zone industrielle des Dunes (à l’est de la ville). Les Afghans, eux, sont davantage près de l’hôpital et sur la zone Transmarck (zone de fret, dans le sud-est de Calais) », indique une source policière.

Le coin est d’ailleurs surnommé par les migrants la “jungle de Kyro”, du nom d’un trafiquant tué ces dernières années. « L’une des hypothèses de la rixe d’hier pourrait être un parking convoité par les passeurs. Ici, il existe des réseaux de trafiquants qui agissent comme les réseaux de trafic de stupéfiants à Marseille par exemple. Ils gèrent leurs territoires et certains migrants ne passent plus par des passeurs parce qu’ils n’ont pas d’argent, cela peut entraîner des tensions », précise cette source. Certains observateurs y voient la probabilité d’un règlement de comptes qui pourrait impliquer des passeurs, notamment en raison de la présence d’armes à feu.

« Ce n’est pas la première fois qu’il y a des affrontements par armes à feu dans le nord, il y en a régulièrement, depuis des années », précise la source policière. Le 25 novembre 2017, quatre Afghans avaient été blessés par balle au cours d’un échange de tirs, lors d’un règlement de comptes entre passeurs selon le parquet. « Les passeurs ont des armes, souvent des pistolets automatiques calibres 9 mm. Ils sont rarement retrouvés à l’issue des affrontements, ils sont cachés ou enterrés. »

En réponse aux violences de ce jeudi 1er février, le ministre de l’intérieur a vanté les chiffres de sa politique de lutte contre les réseaux de passeurs, « qui exploitent avec cynisme la misère et la peur des réfugiés ».




Mais pour les associations, cette stratégie de “lutte contre les réseaux” ne doit pas évincer toute politique humanitaire, comme le précise Margot Bernard. « La lutte contre les passeurs, d’un côté, c’est important. Mais nous, les associatifs, nous ne voyons que l’autre versant de la politique : la chasse aux migrants et une stratégie de répression », dénonce la jeune femme. Au nom de la politique de « non-fixation », tout campement est délogé depuis plus d’un an, les tentes et les affaires des exilés sont régulièrement saisies par les forces de l’ordre, soulignent les associations qui organisent les distributions de repas et donnent des vêtements, duvets et bois aux migrants en cet hiver rigoureux. Vendredi, Gérard Collomb a néanmoins annoncé la prise en charge des distributions de repas « dans les quinze prochains jours ».

Pour les bénévoles, à la pression quotidienne sur le terrain s’ajoute la pression de la municipalité de Calais. Coutumière des attaques à leur encontre, l’édile (LR) Natacha Bouchart a saisi la rixe pour s’en prendre une nouvelle fois aux associations, ciblant l’organisation Auberge des migrants sur la chaîne d’informations BFM TV. « C’est la stratégie de la division. Elle nous accuse de faire revenir les migrants, et ses propos semblent de plus en plus diffamatoires depuis la fin de la “jungle” [en octobre 2016 – ndlr]. Ce n’est pas acceptable d’entendre ça, alors que notre rôle est juste d’aider matériellement ces personnes, et de leur apporter un peu de dignité. »

Eupui, le Camerounais de la zone industrielle des Dunes, se tient debout sous le crachin, emmitouflé sous ses deux parkas. Il ne voit plus « aucune dignité » pour lui et ses compagnons. « Vivre en forêt où il n’y a pas de civilisation, avec deux distributions de nourriture par jour… On se moque de nous en réalité, nous sommes perdus au milieu de nulle part. » Au loin, trois fourgons de CRS guettent. Sur la rocade qui surplombe la plaine, les poids-lourds filent vers la mer. Ils l’obsèdent. « Ce soir, j’essaierai de passer, comme tous les soirs. C’est ça qui me tient. J’ai besoin d’un avenir et il est au Royaume-Uni. »

 Source : https://www.mediapart.fr/journal/france/020218/calais-depuis-la-visite-de-macron-la-situation-n-fait-qu-empirer?onglet=full

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