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samedi 18 mars 2017

Suicide assisté : «Si c’était légalisé, on le ferait avec plus de sérénité qu’aujourd’hui»



 Agée de 80 ans, Anne Guérin se sait condamnée. Dans un tiroir, chez elle, elle stocke les cachets qui lui permettront de se suicider quand elle l’aura décidé. Jean-Luc Mélenchon s’est dit favorable à la légalisation de cette pratique, tandis que Benoît Hamon entend instaurer un “droit à mourir dans la dignité”. Pour 2K17, Anne Guérin mène, avec ce détachement teinté d’humour et de sagesse qu’apportent les années, l’ultime dialogue avec la vie, celui que vous repoussez à plus tard, dans un coin de votre tête.

« Ce n’est pas une question de mort, c’est un choix de vie… J’ai peur de m’emmerder. (rires) Quand je vois les mouroirs que sont les maisons de retraite, où les gens regardent dans le vide, ne font rien de la journée, ça ne me donne pas envie. Ils ont peut-être gagné cinq ans, atteint 95 ans, mais pour faire quoi ? Chacun fait comme il l’entend, mais pour moi, la vie est intéressante si on en fait quelque chose.

J’ai eu une vie intellectuelle riche : j’ai été journaliste, j’ai mené de grosses enquêtes sociologiques, j’ai élevé deux enfants tant bien que mal… Il y a des tas de choses que j’ai menées à peu près correctement. Aujourd’hui, je n’en suis plus capable intellectuellement, je perds un peu la mémoire. Côté lombaires, ce n’est pas ça non plus. J’ai de l’arthrose, qui me fait marcher avec une béquille. Je souffre d’une BPCO, une bronchopneumopathie chronique obstructive, qui me provoque des difficultés respiratoires. Depuis septembre, je sais aussi que j’ai un cancer des poumons. Mais ça ne m’inquiète pas trop. On m’a dit que la maladie évoluerait lentement, donc je mourrai de la BPCO avant… Ça, ce sera si je laisse les choses se faire. Pour la petite histoire, je suis aussi anémique. Mais bon, pour l’instant, je vis avec.

Pour des raisons purement pratiques, j’ai décidé de me préparer à mettre fin à mes jours le moment venu. Je n’ai pas envie de souffrir, de traîner pendant des mois des douleurs insupportables. Elles le seraient aussi pour mon entourage, pour mes fils. C’est compliqué, un grabataire. Il faut s’occuper de tout un tas de choses qui sont un peu chiantes. Pour moi, c’est le pire : les emmerdements et la tristesse, qu’on provoque chez les autres, involontairement. (Souriante depuis le début de son récit, elle s’assombrit). Je me sens très coupable en ce moment… Mes enfants sont les personnes que j’aime le plus au monde.

Anne Guérin


Je devais avoir une quarantaine d’années quand j’ai adhéré à l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD). Au départ c’était pour le principe. Après tout, la mort concerne tout le monde. Je ne me suis pas particulièrement investie. Pour tout dire, à cette époque là, et même encore aujourd’hui, le spectacle des personnes très âgées, plus ou moins décaties et gâteuses, m’horripilait quelque peu.

J’avais autre chose à faire, je militais ailleurs. J’ai notamment bataillé douze ans à Act up-Paris (association de sensibilisation à l’épidémie du Sida), à partir de 1992. Ça a été mon premier contact avec la mort, parce que j’y côtoyais des malades du Sida, promis à une fin assez proche. Ça m’a amené à réfléchir à la mort. Je ne l’avais pas beaucoup fait avant. L’association a eu le mérite de permettre à des patients de revendiquer une certaine fierté et de s’organiser, voire de tenir tête aux médecins sur certains aspects de la politique médicale qui les concernaient.

Pour le suicide assisté aussi, on traîne l’idée que c’est déshonorant, comme on le faisait pour le Sida. C’est désagréable.

 A Act up, on faisait du boucan, et en même temps, on vivait un drame permanent. Les gens mouraient les uns après les autres. Pour autant, la question du suicide assisté ne se posait pas vraiment. Mais déjà, j’avais conscience que ce geste se prépare très longtemps à l’avance, quand on est encore en très bon état. Si on attend la veille de la mort, c’est trop tard. Il faut trouver des gens pour vous aider, s’il y en a. Il faut trouver des médicaments, le moment adéquat. Ce n’est pas facile.

« La mort est un sujet abordable »


Mon père, qui était pourtant un militant du suicide assisté lui aussi, n’a pas songé à s’organiser. Quand il a commencé à décliner, il n’a rien fait dans ce sens. Ça m’a marqué, parce qu’il n’en finissait pas de mourir. J’aurais préféré qu’il meure plus vite, ça aurait été mieux pour lui et pour tout le monde. Mais ce n’est pas le genre de choses qu’on peut dire. J’ai essayé de lui suggérer, d’une façon très détournée, que c’était peut-être le moment de mettre en cohésion ses paroles et ses actes. Mais il était furieux que j’évoque cette idée, alors je n’ai pas insisté. Il voulait toujours mourir de la façon la moins douloureuse et la plus expéditive possible, mais de là à passer aux actes… Il est mort comme tout le monde, sans aucune aide d’aucun ordre.

Sur des décennies, sans même y réfléchir, j’ai fait un travail sur la question : la mort en général et aussi la mienne. J’ai imposé à mes enfants qu’on évoque ce sujet comme on parle d’autre chose. Pour moi, ce n’est pas tabou, j’ai choqué pas mal de gens avec ça, d’ailleurs. Je ne dirais pas que la mort est un sujet comme un autre, mais c’est quelque chose d’abordable. J’ai même constaté, chez certains médecins, une amorce de prise de conscience et d’humilité devant la souffrance des gens. Certains m’ont dit que ma décision leur paraissait légitime et raisonnable. Pas tous. Pour autant, je ne m’étends pas sur la question à longueur de journées avec mon entourage, ça ne serait pas très rigolo, ça déprime tout le monde.

« Ce qui me manquait le plus, c’était de trouver quelqu’un qui me tiendrait la main à la fin »

 
Quand passer à l’acte : c’est la question. Je crois que je sentirai la limite dans mon propre corps. Quand, pour des raisons psychiques ou physiques, la vie sera devenue insupportable. Je n’aurai pas besoin de demander son avis à un médecin ou à qui que ce soit. Mes fils me disent : « On veut bien que tu te suicides, mais pour des raisons qui nous semblent rationnelles, pas sur un coup de tête ». Mais ils ont leurs critères, j’ai les miens, ça ne coïncide pas forcément.

J’ai envisagé d’aller en Suisse (où le suicide assisté est légal), mais c’est horriblement cher, ça dépasse le millier d’euros. En revanche, côté pratique, j’ai la chance de connaître quelqu’un qui a pu m’indiquer les médicaments à me procurer et les dosages. Pour les trouver, je suis allée dans plusieurs pharmacies, sans succès, ce qui est assez décourageant. Je suis finalement tombée sur une pharmacie où on ne m’a posé aucune question. Depuis, les médicaments sont chez moi, au fond d’un tiroir.
En dehors de ça, ça ne demande pas beaucoup de préparatifs, à part faire le tri dans ses affaires pour ne pas encombrer les héritiers.

Seulement, ce qui me manquait le plus, c’était de trouver une personne qui accepterait de m’aider. Faire ça toute seule, quand on est trouillarde comme je le suis, ce n’est pas facile. Mais cet ami m’a dit que je pouvais compter sur lui. Que le moment venu, il me répéterait comment prendre les médicaments, à quel rythme. Et il sera là pour me tenir la main à la fin.


Permettre aux aidants de ne pas être hors la loi et éviter des suicides ratés et douloureux


 Dans l’état actuel des choses, en France, c’est risqué pour celui qui assiste un malade qui se suicide. Si le suicide assisté était reconnu, ça aiderait les accompagnants. Certains veulent bien vous aider à mourir mais ils n’osent pas, à cause de la peur d’aller en prison (la provocation au suicide d’autrui est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende). Pour la personne qui veut en finir aussi, les choses seraient plus simple, notamment les détails pratiques (quels médicaments prendre, où les trouver). Ça éviterait des suicides en cachette. Et douloureux, quand on ne sait pas comment s’y prendre, ou les suicides ratés, avec des séquelles qui peuvent être épouvantables.

Il y a des pays où le suicide assisté ou l’euthanasie se pratiquent. Ils sont très encadrés et réglementés, et ça a l’air de ne pas se passer si mal. Je ne pense pas que ça rendrait les suicides plus fréquents, mais au moins, on le ferait avec plus de sérénité qu’aujourd’hui.

Il est rare qu’on commette un suicide tranquille, en toute bonne conscience, ayant gardé toute sa raison, dans des circonstances rationnelles. Au moment de passer à l’acte je pourrais craquer, je pourrais pleurer. J’ai déjà éprouvé très vivement que, tout en voulant mourir, je voulais aussi vivre. Même si on accepte théoriquement qu’il est temps d’en finir, il y a comme un instinct de vie qui vous enfonce dans des contradictions impossibles. De toute façon, quand quelqu’un meurt, il y a une souffrance du côté des survivants. Et de toute façon la mort existe, alors si on ne peut pas la supprimer, autant l’accommoder.


Ce que prévoit la loi française en matière de fin de vie :


Le gouvernement lançait cette semaine une campagne sur la fin de vie pour faire connaître les modalités de la loi Leonetti-Claeys de février 2016. Elle ouvre la possibilité d’une « sédation profonde et continue » jusqu’au décès, et instaure la possibilité de rédiger des directives anticipées, permettant à toute personne majeure d’exprimer sa volonté en matière de poursuite ou non de traitement.

La loi française n’autorise ni l’euthanasie (lorsqu’un médecin met fin à la vie d’un patient condamné), qui était une promesse de campagne de François Hollande en 2012, ni le suicide assisté (quand le patient met fin à ses jours).

Que risquent les aidants au suicide :


Le suicide est légal en France. Cependant, la provocation au suicide d’autrui est illégal, indique l’article 223-13 du code pénal. La même peine est encourue pour le fait de conseiller des méthodes pour mettre fin à ses jours (article 223-14) : « La propagande ou la publicité, quel qu’en soit le mode, en faveur de produits, d’objets ou de méthodes préconisés comme moyens de se donner la mort est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. »

Par ailleurs, le fait de ne pas porter assistance à personne en danger ou en péril est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende (article 223-6 du code pénal).

Les peines encourues sont évidemment plus lourdes en cas d’euthanasie, où la mort est donnée directement par un tiers. C’est ce qu’a montré le cas médiatique du docteur Bonnemaison, accusé d’avoir mis fin aux jours de sept de ses patients en fin de vie.

Autre cas célèbre, aux Etats-Unis : le médecin Jack Kevorkian, incarné par Al Pacino dans le film You don’t know Jack, avait été poursuivi pour avoir revendiqué des suicides assistés, puis condamné pour avoir pratiqué l’euthanasie.


Ce que proposent les candidats :


 Jean-Luc Mélenchon propose, outre l’euthanasie, un encadrement légal du suicide assisté. Il souhaite l’inscrire dans la Constitution, comme le droit à l’avortement, au nom du « droit à être maître de soi-même». Il l’a rappelé fin janvier dans un entretien au Journal du dimanche : « Il faut parler clair et nommer les choses par leur nom : je suis pour le droit au suicide assisté. Ne nous cachons pas derrière des euphémismes. (…) Le suicide assisté est le droit ultime de rester maître de soi-même, de rester libre dans une circonstance contre laquelle on ne peut rien. (…) Il est misérable de devoir aller en Suisse ou en Belgique pour bénéficier du suicide assisté, comme autrefois on allait en cachette en car à Amsterdam pour un avortement. »

Benoît Hamon s’est lui aussi dit favorable à l’euthanasie. Lors du troisième débat de la primaire de la gauche, le candidat a même consacré sa « carte blanche » à la question du droit à mourir dans la dignité (à partir de 1h13’) : « C’est un sujet très important (…). Toutes ses personnes en situation de vulnérabilité, qui voient venir leur fin de vie, (…) doivent pouvoir choisir le moment où elles décident de quitter la vie. C’est la raison pour laquelle je proposerai au Parlement de légiférer afin que soit consacré le droit à l’euthanasie. » Dans son programme, le droit à mourir dans la dignité est proposé « pour toutes les personnes atteintes d’une maladie incurable qui le demandent, au moment où elles le demandent. » « Au moment où elles le souhaitent, et non plus seulement lorsque le pronostic vital est engagé à court terme », peut on également lire sur son site, dans un article plus détaillé.



Pour les associations, « la France en est au Moyen-Age » :



La question de la fin de vie « nous concerne tous », rappelle Jacqueline Jencquel, vice présidente de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité. Seulement l’année dernière, elle a accompagné en Suisse une dizaine de personnes qui voulaient mettre fin à leurs jours de façon encadrée : « Ce qui se passe en France n’est plus possible, c’est le Moyen-Age, s’indigne-t-elle. Je ne comprends pas qu’on soit obligés de mourir dans la souffrance. Je ne sais pas qui l’a décidé. »

Consciente que le sujet est « encore tabou » en France, Claude Hury, la présidente de l’association Ultime liberté, regrette que la fin de vie entre dans la clandestinité, comme l’avortement avant sa légalisation : « Ce qu’on demande, ce n’est pas l’euthanasie, qui implique la responsabilité médicale, mais le suicide assisté, comme ce qui se fait en Suisse. Il s’agit du droit à disposer de notre corps. Nous ne considérons pas la mort comme une question médicale mais philosophique. Qui décide quand la vie est supportable ? (…) J’ai travaillé au Planning familial à l’époque où l’IVG était interdite. Quand il fallait aider les filles, on le faisait. On est un peu dans la même situation aujourd’hui pour la fin de vie. »

Les Français sont largement favorables à l’évolution de la législation.


Juliette Harau
ÉDITÉ PAR


Source : https://2k17.fr/517-suicide-assiste-cetait-legalise-on-ferait-plus-de-serenite-quaujourdhui/

1 commentaire:

  1. Oui bien d'accord !
    Notre pays est à la traîne sur ce sujet comme sur bien d'autres.
    Merci pour votre commentaire

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