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lundi 17 novembre 2014

La Transition Energétique à la Française

Tribune : Où va la transition énergétique à la française ?

Pas question pour les « élites » françaises de renoncer à l’énergie nucléaire ni à la centralisation.

Alors que le débat sur le budget 2015 à l’Assemblée nationale met en évidence la pauvreté des moyens prévus pour la transition énergétique, il est utile de rappeler l’engrenage des partis pris et des renoncements qui expliquent comment le concept initial s’est progressivement vidé de son sens. Né en Allemagne au début des années 1980, il désignait le passage du système énergétique actuel presque exclusivement basé sur les ressources non renouvelables (uranium, charbon, pétrole, gaz naturel) vers un système basé sur des ressources renouvelables : une évolution radicale, d’une politique orientée par l’offre d’énergie à une politique déterminée par la demande, d’une gestion hyper centralisée à une gestion décentralisée des systèmes énergétiques. C’est sur ces bases que l’Allemagne s’engage au tournant du siècle, sous les quolibets encore émis aujourd’hui par des « élites » autosatisfaites de notre pays. Mais quand le concept surgit en France, près de trente ans plus tard dans le rapport Énergie 2050  [1], à la fin 2011, il a déjà perdu une jambe. La transition énergétique à la française n’en conserve que l’objectif de la réduction de la part des énergies productrices de CO2. Pas question un instant de renoncer à l’énergie nucléaire ni à la centralisation. D’ailleurs, les auteurs du rapport, malgré le choc créé par l’accident de Fukushima six mois plus tôt, consacrent l’essentiel de leur travail à la place du nucléaire pour l’avenir.

Dans ce contexte, l’annonce par François Hollande d’un retour à 50 % de la part du nucléaire dans la production d’électricité en 2025 et la fermeture de la plus vieille centrale nucléaire française, celle de Fessenheim, avant la fin 2017, peut apparaître comme une vraie rupture. Europe Écologie-Les Verts y voit une première faille dans la doctrine nationale, le lobby nucléaire s’époumone à prévoir le retour à la bougie, le chômage de masse. Pourtant, le Président se garde de préciser si la production d’électricité nucléaire devra décroître conjointement, ce qui permettra plus tard tous les reniements utiles… La question nucléaire provisoirement encadrée, le débat national de transition énergétique se lance-t-il plus sereinement ? Non, il faudra user pas moins de trois ministres de l’Écologie tant les divers lobbies sont à la manœuvre pour casser toute initiative « dangereuse », et toute idée un tant soit peu novatrice. Émerge cependant, au forceps, la centralité des économies d’énergie (difficile d’y couper) : il faudra diviser par deux la consommation d’ici à 2050. Ségolène Royal, à la manœuvre, défend-elle une ambition forte ? Dominent surtout l’influence des lobbies et la volonté très démagogique de la ministre de bannir toute connotation « punitive » de son action. Plus un mot d’une fiscalité écologique, qui devrait doper l’économie française en se substituant à la taxation de l’emploi tout en incitant entreprises et ménages à la sobriété. Plus rien dans les transports, même pas l’écotaxe poids lourd héritée de la grand-messe précédente du Grenelle de l’environnement, à l’exception d’une promotion insensée et ruineuse du véhicule électrique, supposé résoudre les problèmes de bruit, la pollution locale et les émissions de gaz à effet de serre des transports. Et justifier le maintien du nucléaire au niveau élevé qu’impose le lobby nucléaire. Pour faire bonne mesure, l’idée d’autoroutes gratuites le week-end : sans doute une mesure d’économie d’énergie dans les transports…

Mais les 50 % de nucléaire, un progrès quand même ? Regardons de plus près, car il y a des chausse-trappes. Car la loi, noir sur blanc, se contente de fixer le plafond de puissance nucléaire installée à 63 gigawatts (GW), sa valeur actuelle. Un tel parc pourrait effectivement ne contribuer « qu’à » la moitié du total de la production d’électricité nationale, si cette dernière venait à exploser – et alors, il faudrait faire tourner beaucoup de centrales à fossiles pour couvrir l’autre moitié. Très improbable. Plus raisonnable, au regard des tendances actuelles : la production globale va stagner, voire baisser sous l’effet des mesures de réduction de la consommation. Ira-t-on alors faire tourner nos 63 GW de centrales les deux tiers du temps pour que leur contribution ne dépasse pas 50 % du total ? Aberration économique, car le coût de production du kilowattheure (kWh) dérape très vite dès que les réacteurs ne marchent plus plein pot. Donc, sans l’engagement d’en fermer une vingtaine à l’horizon 2025, la promesse de François Hollande a toutes les chances de finir aux oubliettes, sous d’excellents prétextes économiques. Illustration immédiate offerte par la ministre de l’Écologie, qui a publiquement remis en cause la fermeture de Fessenheim (avant la fin 2017) en raison des investissements de sûreté qu’y a récemment réalisés EDF…

Voilà donc que se dessine le profil de la transition à la française, une « fransition » qui s’éloigne inexorablement d’objectifs initiaux de haut niveau pour rejoindre la liste des avatars du « développement durable », dévolus à la fameuse « croissance verte », une notion invoquée cinq fois en quinze lignes dans le préambule de la loi. Une « fransition » qui ne se donne pas les moyens financiers indispensables à la réhabilitation thermique des logements, qu’attendent en particulier des précaires énergétiques, une « fransition » qui préfère subventionner grassement les voitures électriques de citadins fortunés plutôt que de démultiplier l’offre de transports en commun. Une « fransition » qui laisse proliférer les systèmes centralisés de production d’électricité verte (parcs éoliens, centrales solaires) que trustent les multinationales, au risque de saborder la formidable opportunité d’un engagement massif des citoyens pour le développement de ces énergies sur leur territoire. Bien difficile de croire un instant que nous avons sous les yeux le grand projet du quinquennat… 

Nota Bene : 


Benjamin Dessus, ingénieur et économiste, est président de l’association d’experts indépendants en énergie Global Chance. Il vient de publier Déchiffrer l’énergie (Belin), excellente somme sur le sujet (voir Politis.fr).

Photo : CITIZENSIDE/FRANCK CALAMAI/AFP

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