Ce blog rassemble, à la manière d'un journal participatif, les messages postés à l'adresse lemurparle@gmail.com par les personnes qui fréquentent, de près ou de loin, les cafés repaires de Villefranche de Conflent et de Perpignan.
Mais pas que.
Et oui, vous aussi vous pouvez y participer, nous faire partager vos infos, vos réactions, vos coups de coeur et vos coups de gueule, tout ce qui nous aidera à nous serrer les coudes, ensemble, face à tout ce que l'on nous sert de pré-mâché, de préconisé, de prêt-à-penser. Vous avez l'adresse mail, @ bientôt de vous lire...

BLOG EN COURS D'ACTUALISATION...
...MERCI DE VOTRE COMPREHENSION...

jeudi 25 décembre 2025

La féerie de Noël selon... Intermarché

La féerie de Noël selon...

Intermarché


Chers soutiens, 

Si vous nous suivez sur les réseaux, vous savez à quel point nous sortons d’une lessiveuse. Ou plutôt d’un rouleau compresseur au nom d’Omnibus. Nous y reviendrons après les fêtes car nous avons soulevé quelque chose d’absolument EXPLOSIF que nous vous raconterons à la rentrée, une fois terminée notre enquête… Vous verrez, ça pique…

Aujourd’hui, pour rester dans la – parfois réelle mais surtout supposée – féerie de Noël, nous vous proposons une lecture critique de la publicité qu’Intermarché a produite sous la forme d’un dessin animé mettant en scène un loup « mal aimé », sur une musique de Claude François. 

Le dessin animé de 2 minutes 30 connaît un succès planétaire et a déjà enregistré plus d’un milliard de vues : un raz-de-marée (1). L’histoire est simple : un enfant reçoit une peluche de loup à Noël alors qu’il a peur des loups. Son père lui raconte une fable expliquant qu’à l’origine, le premier loup n’avait pas d’amis, mais qu’il finit par être intégré socialement, et même invité au banquet de Noël des animaux, parce qu’il accepta de transformer son régime carnivore pour devenir végétarien. 

Le clip est très bien réalisé. En très peu de temps, on s’attache au loup et aux autres animaux, notamment un écureuil et un hérisson très mignons, enjoignant au loup de cesser de les manger et de tester les carottes, les champignons, les fruits et les légumes à leur place…

Le loup apprend à cuisiner les légumes et, parce qu’il présente une quiche végétarienne aux autres animaux de la forêt, finit par être accepté à leur banquet festif de Noël. Les enfants raffolent des petits personnages, les parents valident le message de convivialité. En ces temps de guerre, de barbarie, de massacres d’innocents à Gaza et au Soudan, de rafles fascistes aux États-Unis et de broyage de nos concitoyens ukrainiens, la douceur d’un conte de Noël inclusif et apaisant fait du bien.

Sauf que…

Cette petite fable n’a pas été produite par des artistes ou des militants qui veulent ajouter de la douceur dans un monde de brutes mais par des industriels qui ont investi une somme considérable pour obtenir une rétribution commerciale. 

Alors où est le loup ? 

Nous devrions même questionner « où sont les loups ? » car si l’on quitte notre position de spectateur pour se rappeler que ce n’est pas le studio Pixar, mais bien une enseigne leader de la grande distribution qui parle, alors ce n’est pas un, mais plusieurs problèmes éthiques conséquents qui apparaissent. 

1. Un loup faussement végétarien

Première arnaque délétère pour l’océan : le loup végétarien pêche et mange du poisson !

Le script de la publicité est pourtant très clair : les animaux de la forêt demandent au loup de ne pas les manger et de changer de régime pour devenir végétarien. À aucun moment les animaux ne l’encouragent-ils à manger autre chose que des légumes, a fortiori d’autres animaux, quels qu’ils soient. D’ailleurs, à la fin du clip, l’insertion sociale du loup au banquet de Noël se fait bien par la présentation aux autres animaux d’une quiche végétarienne. Malgré cela, trois plans de poissons sont insérés dans le dessin animé (le loup pêche, puis cuisine le poisson qui est ensuite dressé sur une assiette). 

Ces apparitions d’un loup pêcheur et consommateur de poisson, inconsistantes avec le fil narratif d’un loup végétarien, ne sauraient être fortuites venant du groupe Intermarché-Les Mousquetaires, qui possède sa propre flotte de pêche, la Scapêche. Nous y reviendrons.

L’annonceur place ainsi un message subliminal qui relaie une idée reçue courante bien qu’erronée : être végétarien permettrait de manger du poisson. Or non, les végétariens ne mangent aucune chair animale. Ce « placement de produit », incohérent avec le script, est en revanche parfaitement cohérent avec l’activité de pêche du groupe et la période : les fêtes de Noël correspondent à un pic de ventes de produits de la mer. De fait, ces plans sont une injonction tacite à consommer du poisson, même pour les végétariens… 

Cette idée fausse d’un végétarien piscivore, que la publicité contribue à ancrer dans l’imaginaire collectif, se fait au bénéfice direct de la promotion de produits issus de la pêche d’Intermarché.

En outre, avec cette publicité, Intermarché renforce un biais culturel concernant les poissons, qui, contrairement aux autres animaux de la Publicité, ne sont pas humanisés et sont de facto présentés comme une sous-catégorie d’animaux, ne justifiant ni attachement, ni considération. Une autre façon de lever les freins cognitifs à leur consommation débridée !


2. Une pêche tout sauf sélective et abondante

Il a fallu 18 mois pour fabriquer le dessin animé du « loup mal aimé » d’Intermarché (2). 540 jours pour un clip de 150 secondes. Autant dire que chaque plan, du storyboard jusqu’à l’étalonnage final, a été pensé, trituré, discuté, scruté, amendé, corrigé, recadré, peaufiné… pendant des jours et des jours, jusqu’à la perfection. 

Les trois plans de poissons du clip relèvent donc d’à peu près tout, sauf du hasard. Avec cela en tête, regardons les plans de plus près. 

Nous avons déjà relevé que le loup décidait, sans aucune raison, de manger du poisson alors que les animaux lui enjoignaient de ne plus consommer que des légumes. Les plans du poisson prêt à être cuisiné et du poisson dressé sur assiette sont donc « hors sujet », comme vu précédemment. 

Attardons-nous donc un instant sur le premier plan du loup qui pêche. Celui-ci est muni d’une canne à pêche. Il n’attrape qu’un poisson tandis que le héron, face à lui, en attrape une multitude.

 


Ces plans, soigneusement choisis, sont un cas d’école de la communication subliminale.

Ils permettent à l’annonceur Intermarché, sans avoir à prononcer un mot, de faire en sorte que : 

> Les gens associent la pêche à l’abondance de la ressource. Le message est que le seul facteur déterminant pour une pêche prolifique serait l’habileté et l’outillage, à l’image du héron, car ce qui est montré de son côté, c’est une pile impressionnante de poissons. Ce récit alimente ainsi un imaginaire collectif en totale contradiction avec l’état des populations de poissons, et ignore royalement le fait que les pêches industrielles ont réduit d’au moins 90% les populations de grands poissons tels que les cabillauds, les flétans, les requins, les mérous, les thons ou les espadons au niveau mondial (3) et qu’au niveau européen, les écosystèmes marins sont encore largement en mauvais état (4).

> L’activité de pêche soit assimilée à des engins qui minimisent les impacts environnementaux, comme la pêche à la ligne. Or le poisson qu’on trouve sur les étals d’Intermarché est majoritairement issu de pêches industrielles à fort impact, et la flotte de pêche du groupe, la Scapêche, est surtout connue pour exploiter de nombreux navires aux impacts environnementaux extrêmement délétères, notamment la méthode de pêche la plus destructrice d’entre toutes : le chalutage de fond, dont tous les indicateurs sociaux, économiques et environnementaux sont particulièrement négatifs (destruction des habitats, captures accessoires, émissions de carbone, etc.). 

Avec le chalutage mené à échelle industrielle, nous sommes très loin de la pêche sélective à la ligne.

Ajoutons à cela deux informations importantes : 

1- Certains des chalutiers industriels de la flotte d’Intermarché ont été impliqués récemment dans des activités de pêche illégale : nous avons documenté les infractions du Mariette Le Roch II (46 mètres) et du Jean-Pierre Le Roch (42 m), pêchant au chalut de fond au-delà de 800 m. de profondeur et dans des écosystèmes marins vulnérables au-delà de 400 m. de profondeur en violation de deux règlements européens, dans une publication scientifique (5).

2- Rappelons aussi qu’au moment des fêtes, les consommateurs achètent beaucoup de saumon d’élevage issu de pratiques aquacoles intensives aux impacts environnementaux nombreux et particulièrement néfastes.

Venant de la première flotte de pêche de France (6), le message subliminal du dessin animé n’est aucunement un hasard. L’objectif est bien d’alimenter, qui plus est avant les fêtes, une validation culturelle de la consommation de poisson « sans culpabilité ».

Aidez-nous à combattre les pêches industrielles destructrices

3. Des « recettes du loup » sur le site d’Intermarché à base… de viande et de poisson !

Les « recettes du loup » sur le site d’Intermarché sont d’ailleurs particulièrement éloquentes de ce que la marque entend par « mieux manger » : seules les trois premières recettes sont végétariennes… Les autres sont des recettes à base de viande ou poisson !

 


Ce n’est qu’en analysant cette « belle histoire de Noël » que l’objectif commercial de la marque apparaît clairement. Et cela, en soi, est contraire aux exigences déontologiques des annonceurs publicitaires.

4. Une publicité qui promeut une vertu inexistante chez Intermarché

La publicité d’Intermarché a été unanimement présentée comme celle d’un « loup végétarien » ou d’un « loup végan ». Le message de fin du clip encourage d’ailleurs à mieux manger : « On a tous une bonne raison de commencer à mieux manger ». 

 


Le problème, c’est que ni l’offre de produits alimentaires d’Intermarché, ni ses orientations stratégiques, ne correspondent à ce message vertueux. En réalité, la chaîne de production et distribution d’Intermarché offre des produits ultra-transformés, trop sucrés ou trop gras. Et comble du cynisme, le média Reporterre a même révélé (7) qu’Intermarché réalisait ses marges principalement sur les « produits frais » ! Pour une enseigne qui veut encourager le « mieux manger », c'est mal engagé. 

5. Un clip dissimulant son objectif commercial

Les activités de marketing et de publicité sont censées suivre des règles éthiques depuis 1937 ! C’est la date à laquelle la Chambre de commerce internationale (ICC) a publié son premier « Code de pratiques loyales en matière de publicité ». Ce Code ICC a servi de socle mondial pour l’autorégulation des entreprises du secteur publicitaire. Ce système « d’autodiscipline professionnelle » est supposé susciter « la confiance des consommateurs en leur garantissant une publicité honnête, conforme aux lois, décente et véridique » (8).

L’un des principes fondamentaux de ce Code est d’appeler un chat un chat. Une publicité est une communication commerciale. A ce titre, elle devrait être « facilement identifiable, afin de permettre aux consommateurs de distinguer clairement le contenu commercial du contenu non commercial. » Or il n’apparaît qu’au tout dernier plan que cette « belle histoire de Noël » est en réalité une communication commerciale : aucun logo ou autre mention n’est indiqué avant cela. Il est pourtant clair que de tels coups marketing ne sont pas « gratuits » : ils visent à valoriser l’image de marque et par association, l’ensemble des produits vendus par l’annonceur, à plus forte raison en période de fêtes.

6. Un dessin animé abusant de la crédulité des enfants

Cette exigence de transparence se renforce lorsqu’une publicité vise des enfants et adolescents. Le conte de Noël d’Intermarché contrevient en cela à l’article 20 du Code ICC qui établit qu’« une attention particulière doit être accordée aux communications marketing destinées aux enfants ou aux adolescents ou les mettant en scène. Les communications marketing ne doivent pas exploiter la crédulité naturelle des enfants ou le manque d'expérience des adolescents et ne devrait pas mettre à rude épreuve leur sens de la loyauté. » (9)

Le succès du film animé auprès des enfants, qui ont réclamé la peluche du loup mal aimé, confirme que le but de créer un sentiment d’attendrissement et d’attachement à la marque a été atteint, au-delà même de toute espérance. Sauf que la publicité a volontairement failli au devoir de communication transparente de son objectif commercial et créé une confusion malhonnête qui enfreint l’un des principes éthiques fondamentaux de la charte ICC. 

BLOOM dénonce de ce fait une campagne de publicité déloyale, malhonnête et mensongère, de nature à induire en erreur les consommateurs, notamment les enfants.

Ce n’est malheureusement pas la première fois qu’Intermarché abuse de notre confiance à travers ses publicités.

7. BLOOM avait déjà fait interdire une publicité mensongère d’Intermarché en 2012 

En 2012, BLOOM avait porté plainte contre une publicité mensongère du groupe Les Mousquetaires auprès de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) (10) qui l’avait interdite. 

La publicité, parue en pleine page dans plusieurs magazines, vantait en effet de façon erronée les vertus de la flotte de pêche du groupe, la « Scapêche », pourtant leader de la pêche destructrice au chalut en eaux profondes. La publicité clamait l'engagement des Mousquetaires pour une pêche soi-disant « responsable » qui assurait aux acheteurs de pouvoir orienter leur choix vers du poisson « à savourer sans l'ombre d'un doute... et pour longtemps encore ». 

La réalité de leur pêche était pourtant qu’avec leurs filets lestés géants, les chalutiers d’Intermarché pulvérisaient quotidiennement les écosystèmes multimillénaires extrêmement fragiles des grandes profondeurs de façon irréversible. Ces merveilles naturelles sont désormais perdues à jamais. 

Intermarché n’en est pas à son coup d’essai dans le rayon de la publicité mensongère, ni nous à les confronter à leur mauvaise foi.


BLOOM contre Intermarché, citoyens contre industriels

La publicité d’Intermarché contrevient au cadre déontologique de l’expression publicitaire issu des recommandations de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) à plusieurs titres :

- Par le non-respect des impacts éco-citoyens ;

- Par son manquement à l’obligation de véracité ;

- Par le non-respect des règles d’identification et de transparence ;

- Par son manquement à l’obligation d’attention particulière devant être portée à l’égard des enfants et adolescents.

Au titre de tous les manquements relevés, nous avons porté plainte mardi 23 décembre contre la publicité d’Intermarché auprès du Jury de déontologie publicitaire et demandé le déclenchement d’une procédure d’urgence pour faire retirer du clip toutes les scènes comportant du poisson, et prendre toute mesure supplémentaire adaptée. 

Pour conclure : la douceur, oui, la malhonnêteté non

La douceur de la convivialité, OUI. 

Le placement de produit de l’un des plus importants destructeurs de l’océan, NON. 

Les agro-industriels d’Intermarché ont mis les moyens pour diffuser des messages erronés, ambigus et non conformes à leurs pratiques. Forts de leur milliard de vues, ils ont clairement gagné une manche dans la bataille des représentations pour faire croire à nos concitoyen·nes que manger du poisson était non seulement acceptable et anodin, mais souhaitable. 

Nous avons les moyens de David, eux de Goliath, mais notre plainte a tout de même été reprise par tous les grands médias depuis ce matin. 

Ils ont les agences, les communicants, les budgets et le cynisme.

Nous, nous avons un attachement viscéral à la justice et à la vérité. Et surtout, une motivation que rien n’arrête. Même pas la trêve des confiseurs.

🙂

Notre message en ce jour de Noël est doublement important : d’une part, nous souhaitons à chacune et chacun d’entre vous de passer un moment de grande douceur, loin des mensonges industriels. D’autre part, ce que notre équipe très déterminée vient de montrer, c’est que vous pouvez compter sur nous en toutes circonstances. 

Et nous, nous savons que l’inverse est aussi vrai. Nous pouvons compter sur vous en toutes circonstances.

C’est ça, la vraie magie de Noël !

Joyeux Noël,

Claire et toute l’équipe de BLOOM 

Soutenez les combats de BLOOM en 2026

Notes et Références

1.  https://www.lefigaro.fr/conjoncture/on-a-perdu-le-controle-de-la-situation-la-publicite-du-loup-d-intermarche-a-depasse-le-milliard-de-vues-se-felicite-le-patron-du-groupe-20251220 

2. https://www.liberation.fr/economie/conso/les-dessous-de-la-pub-du-loup-dintermarche-18-mois-de-travail-paris-sous-42c-albert-dupontel-20251218_P4VMZWKGKFFQLK4BROUYQWV2O4/ 

3. R. A. MYERS, B. WORMS, “Rapid worldwide depletion of predatory fish communities”, Nature, Vol. 423, 2003, pp. 280-283.

4. European Environment Agency, Marine messages II — Navigating the course towards clean, healthy and productive seas through implementation of an ecosystem‑based approach, (2019) 77. https://www.eea.europa.eu/publications/marine-messages-2/file.

5. Victorero L, Moffitt R, Mallet N, Le Manach F. Tracking bottom-fishing activities in protected vulnerable marine ecosystem areas and below 800-m depth in European Union waters. Sci Adv. 2025 Jan 17;11(3). https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/39813338/

6. https://www.mousquetaires.com/nos-filiales/agromousquetaires/nos-poles-de-performance/la-filiere-peche-agromousquetaires/

7. https://reporterre.net/Pub-d-Intermarche-ce-que-le-conte-de-Noel-ne-dit-pas 

8. https://www.arpp.org/IMG/pdf/code_consolide_pratique_publicite_marketing-2.pdf 

9. https://www.arpp.org/actualite/enfants-publicite-declaration-icc/ 

10. JDP, 26 juin 2012, Grande distribution, n°194/12 : https://www.jdp-pub.org/avis/avis-jdp-n-194-12-grande-distribution/

 

mercredi 24 décembre 2025

Un tiers des aliments produits est perdu ou gaspillé

 

Un tiers des aliments produits 

est perdu ou gaspillé

 

De nos exploitations agricoles aux épiceries, puis jusqu’à nos assiettes, un tiers des aliments que nous produisons est perdu ou gaspillé. Nous pouvons faire mieux.

La beauté se trouve dans le regard du consommateur à la coopérative portugaise Fruta Feia (fruit moche) basée à Lisbonne. Les fruits et légumes locaux déformés qui ne remplissent pas les critères des supermarchés trouvent ici preneur depuis novembre 2013.
Photo de Patrícia de Melo Moreira, AFP, Getty
 

Un simple mouvement de levier, un crissement de pneu, et ce sont 20 mètres cubes de laitues et d’épinards qui sont déversés sur le sol. Emballés dans des boites et des sacs en plastique, les légumes verts (qui forment des piles de plus de 2 mètres de haut) semblent être en excellent état : couverts de rosée, croquants et sans imperfections. Que peut-on bien leur reprocher pour leur réserver une telle fin à la décharge ? La faille se trouve au niveau de leurs emballages qui n’ont pas été remplis, étiquetés, scellés ou coupés correctement.

N’importe qui dirait que cet amoncellement, dont la taille équivaut à celle de deux éléphants d’Afrique, représente un énorme gaspillage, que l’on pourrait même qualifier de criminel. 

Des employés trient les sacs de déchets des cantines des écoles de la ville de New York, au cours d’un audit d’un programme de compostage lancé en 2012. Plusieurs villes et États américains prévoient d’établir ces exigences ou les ont déjà mises en œuvre.

Photo de Jake Naughton, T​he New York Times, Redux

L’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui surveille de près ce qui est produit et mangé dans le monde, estime qu’un tiers de la production alimentaire destinée à la consommation humaine est perdu ou gaspillé chaque année dans la chaîne qui s’étend des exploitations agricoles aux usines de transformation, aux marchés, aux détaillants, aux prestataires de services de restauration et à nos cuisines collectives.

1,3 milliard de tonnes, c’est assez pour nourrir trois milliards de personnes. Aux États-Unis, le gaspillage est encore plus flagrant : plus de 30 % des aliments, soit environ 162 milliards de dollars par an, ne sont pas consommés. 

Des tomates invendues remplissent une benne à ordures dans un marché d’agriculteurs à Asheville, en Caroline du Sud, alors que des cuisines communautaires collectent une partie des invendus des vendeurs cinq jours par semaine. Environ 26 % des tomates fraîches aux États-Unis n’arriveront jamais jusqu’aux consommateurs. Photo de Tim Hussin

QUE SE CACHE-T-IL DERRIÈRE CE GASPILLAGE ?

Quelle est la différence entre les pertes et le gaspillage alimentaire ? On parle de "gaspillage" à la fin de la chaîne alimentaire, au niveau du détaillant et du consommateur. En général, plus un pays est riche, plus son taux de gaspillage par habitant est élevé. On parle en revanche de "pertes" en début de chaîne alimentaire (pendant la production, après la récolte et pendant la transformation). Celles-ci sont bien moins répandues dans les pays industrialisés que dans les pays en développement, dont le manque d’infrastructures ne permet généralement pas de livrer tous les aliments, en bon état, à des consommateurs disposés à les manger.

Par manque d’installations de stockage et de systèmes de transport adaptés, 10 à 20 % des céréales de la région sub-saharienne sont par exemple victimes de moisissure, ou en proie aux insectes et aux rongeurs. Les pertes représentent l’équivalent de quatre milliards de dollars de denrées alimentaires, ce qui permettrait de nourrir 48 millions de personnes pendant un an.

Sans système de réfrigération, les produits laitiers deviennent aigres et le poisson suinte. Lorsque l’on n’est pas en capacité de faire mariner, sécher ou de mettre en bouteille les aliments, les excédents de denrées périssables comme le gombo, les mangues et les choux ne peuvent être transformés en produits alimentaires de longue conservation. De mauvaises conditions de transport ferroviaire et routier augmentent le temps de trajet des tomates de l’exploitation agricole jusqu’au marché, les fruits qui n’ont pas été correctement emballés sont réduits en bouillie, les légumes flétrissent et pourrissent par manque d’ombre et de réfrigération. L’Inde, qui fait face à des difficultés similaires, perdrait 35 à 40 % de sa production de fruits et légumes.

Dans les pays développés, des pratiques agricoles hyper efficaces, un recours conséquent à la réfrigération et d’excellents systèmes de transport, de stockage et de communication permettent d’assurer l’acheminement de la plupart des aliments que nous produisons jusqu’au détaillant. Mais à partir de là, les choses se gâtent. Selon la FAO, le gaspillage des pays industrialisés s’élève à 0,7 milliard de tonnes d’aliments par an, ce qui représente la quasi-totalité de la production nette d’aliments de l’Afrique subsaharienne.

Les calories sont gaspillées dans des restaurants qui servent des portions bien trop copieuses ou confectionnent des buffets élaborés (dans lesquels les clients se servent des quantités excessives et les employés jettent tout à l’heure de la fermeture, même les aliments qui n’ont passé que cinq minutes sous la vitre hygiénique).

Les consommateurs sont également complices : nous achetons trop parce que des aliments relativement bon marché et joliment conditionnés sont mis à notre disposition quasiment à chaque coin de rue. Nous stockons mal nos aliments ; nous suivons les dates limites de consommation à la lettre, alors que celles-ci ont été créées pour indiquer la période de fraîcheur optimale du produit et n’ont rien à voir avec la sécurité alimentaire. Nous oublions de manger nos restes, nous laissons nos doggy bags au restaurant, et nous ne subissons pas ou peu les conséquences de nos actes lorsque nous jetons de la nourriture comestible à la poubelle. 

En Amérique latine, ce sont plus de 13 milliards de kilos d’œufs et de lait par an qui sont perdus ou gaspillés au cours de la production, du conditionnement et de la distribution. À cela s’ajoutent plus de deux milliards de kilos de nourriture que les consommateurs de cette région du monde laissent pourrir. Photo de George Steinmets, Créatif Pour National Geographic 

GASPILLAGE DES RESSOURCES

En 2007, un total de 1,4 milliards d’hectares de terre, soit une superficie considérablement plus vaste que celle du Canada, ont été labourés pour y implanter des cultures vivrières (ou pour soutenir l’élevage et la production laitière), dont personne n’aurait consommé la récolte. Cette agression environnementale s’avère d’autant plus grave que la nourriture ensevelie dans les confins non aérés des bennes à ordures génère du méthane, un gaz à effet de serre bien plus puissant que le dioxyde de carbone. Si le gaspillage alimentaire était un pays, il serait le troisième plus grand producteur de gaz à effet de serre au monde après la Chine et les États-Unis.

Manger les aliments que nous produisons semble pourtant évident (le prérequis d’un système alimentaire durable). Mais la dure réalité économique vient contrarier la perspective d’une solution simple. Pour les supermarchés, il serait plus pertinent de jeter à la benne les excédents de pommes plutôt que de baisser leur prix, car cela freinerait la vente des autres pommes au prix habituel. Craignant de se retrouver à la traîne par rapport aux contrats passés avec les supermarchés, les grands producteurs commerciaux ont tendance à sursemer de 10 %.

Les exploitants vont également laisser des quantités de fruits et légumes dans les champs ou les vergers, de peur d’inonder le marché et de provoquer une baisse des prix. Parfois, le coût de la main d’œuvre mobilisée pour une récolte est supérieur à la valeur des ventes. Certes, les hautes technologies permettent de distribuer toujours plus d’aliments sur le marché, mais l’abondance qui en découle (et maintient les prix des aliments au plus bas) ne fait qu’encourager le gaspillage. Comme me l’a dit un agriculteur de Virginie en regardant les plus de 25 hectares de brocolis auxquelles il s’apprêtait à renoncer, « Même si je pouvais mettre toute cette nourriture sur le marché, pensez-vous qu’il y aurait suffisamment de bouches pour la manger avant qu’elle ne se mette à pourrir ? ».

Dans une salle de réception à Shanghai, ces plats débordant de fruits de mer ne représentent qu’un plat parmi les 13 qui seront servis. Les mariages, où l’abondance est la marque d’un bon hôte, constituent l’une des pires sources de gaspillage alimentaire en Chine. Photo de George Steinmets, Créatif Pour National Geographic

RÉTABLIR LA CHAÎNE ALIMENTAIRE

S’il fallait dégager un seul point positif de l’ampleur du gaspillage alimentaire mondial, ce serait le grand nombre de perspectives d’amélioration qu’elle ouvre. Dans les pays en développement, par exemple, les organisations humanitaires offrent aux petits exploitants agricoles des bacs de stockage, des sacs multicouches de céréales, des outils pour sécher et conserver les fruits et les légumes, et du matériel rudimentaire pour le maintien au frais et le conditionnement de leurs produits. Cela a permis de réduire les pertes, par exemple en Afghanistan, où les pertes de tomates ont chuté sont passées de 50 à 5 %.

Les agriculteurs sont également en train d’apprendre à soigner ou à conditionner leur récolte pour un stockage à plus long terme. « Les agriculteurs avec lesquels nous travaillons en Afrique de l’Ouest n’ont jamais eu historiquement d’excédents ; ils mangeaient tout ce qu’ils faisaient pousser dans les trois mois suivant la récolte, » explique Stephanie Hanson, directrice des politiques et des partenariats pour l’ONG One Acre Fund basée en Afrique de l’Ouest. « Maintenant qu’ils sont en capacité de produire plus de nourriture, ils ont besoin d’apprendre de nouvelles pratiques de stockage. »

Suite à la distribution par la FAO de 18 000 petits silos en métal à des agriculteurs afghans, les pertes de céréales et de légumineuses à grains sont passées de 15-20 % à moins de 2 %. Le stockage des graines peut également permettre aux agriculteurs dans certains cas de vendre leur production deux ou trois fois plus cher que son prix au moment de la récolte, lorsque les marchés sont saturés.

Un réfrigérateur qui déborde de barquettes de restes à emporter (à gauche) rend difficile le suivi des aliments avant qu’ils ne deviennent impropres à la consommation. Utiliser des légumes locaux (à droite) alors qu’ils sont encore frais requiert une planification rigoureuse des repas et un stockage approprié. Photo de Mark Menjivar

Aux États-Unis, la surveillance exercée par les médias, les agences gouvernementales et les groupes environnementalistes par rapport au gaspillage alimentaire a poussé un nombre grandissant de restaurants à commencer à mesurer ce qu’ils jettent, un premier pas essentiel pour réduire les pertes. En supprimant les plateaux de leurs cafétérias, les universités ont réduit de 25 à 30 % la quantité de nourriture que les étudiants se servent inutilement. Ailleurs dans le monde, certains restaurants vont même jusqu’à interdire à leurs clients de laisser de la nourriture dans leurs assiettes ou à leur faire payer un supplément.

Au Royaume-Uni, où le gouvernement a fait de la réduction des déchets alimentaires une priorité nationale, l’association locale Feeding the 5000 (Nourrir les 5 000) collecte auprès des exploitations agricoles et des conditionneurs des produits de grande qualité dont les supermarchés n’ont pas voulu, pour préparer et servir des déjeuners raffinés que dégusteront gratuitement 5 000 heureux élus. Cela vise à éveiller les consciences et à encourager les solutions créatives.

En France, chaque individu jette 20 kg de nourriture par an. Tous les matins, les commerçants recensent les produits arrivant à péremption. Il y a peu, ces produits auraient fini à la poubelle. Mais depuis un an et demi, la loi oblige la grande distribution à distribuer les invendus alimentaires qu'elle jetait auparavant. Grâce à cela, plus de 10 millions de repas ont été donnés aux plus démunis.


Christina Dreier ramène chez elle les provisions d’une association caritative du comté de Mitchell, situé dans l’État de l’Iowa. Malgré les 60 milliards de kilos de nourriture non consommée chaque année aux États-Unis, 18 millions de foyers peinent à manger à certaines périodes de l’année.
Photo D’amy Toensing, Créative Pour National Geogrpahic

Tristram Stuart, explorateur National Geographic, et auteur de l’ouvrage Waste: Uncovering the Global Food Scandal (Gaspillage : la vérité sur le scandale alimentaire mondial), défend par ailleurs la collecte et la stérilisation des déchets issus du commerce alimentaire pour nourrir les cochons, car cela permettrait de réduire les coûts pour les agriculteurs, d’éviter le déboisement de grandes étendues de forêts tropicales pour le développement de cultures de soja pour alimenter les cochons, et d’épargner aux commerces les coûts liés à l’élimination des déchets.

Selon le Programme des Nations Unies pour l’environnement, si nous utilisions la nourriture que nous gaspillons actuellement pour nourrir le bétail, cela libérerait à l’échelle mondiale suffisamment de céréales pour nourrir trois milliards de personnes.


Les liquides, les déchets, les restes de table et les autres pertes d’une famille américaine moyenne de quatre personnes s’élèvent en tout à 525 kilos de nourriture non consommée par an. La famille Waldt est entourée des 1,2 million de calories de nourriture annuelle qu’une famille moyenne ne consomme pas. Les denrées ont par la suite été données à une organisation à but non lucrative.
Photo de Robert Clark- National Geographic
 

PLUS DE NOURRITURE À TABLE

Nourrir les animaux avec notre surplus relève du bon sens économique et environnemental. Mais le meilleur usage qui peut être fait de nos excédents alimentaires reste bien entendu de nourrir les hommes. 805 millions de personnes dans le monde ne mangeraient pas à leur faim. Aux États-Unis, 49 millions de personnes vivent officiellement en situation d’insécurité alimentaire.

La première étape pour réduire le gaspillage alimentaire et la perte d’aliments consiste à éveiller les consciences. Le déni règne en maître. Mais les comportements sont progressivement en train de changer à mesure que le prix des aliments augmente et à mesure que nous prenons davantage conscience à la fois de la multitude de façons dont le changement climatique réduit la production alimentaire.

Le fait d’avoir trop de nourriture semble être une formidable préoccupation du monde développé. Mais remplir les cornes d’abondance avec des aliments que personne n’est sensé manger est un phénomène que le monde ne peut plus se permettre d’accepter. Cela coûte trop cher et pollue la planète alors que des millions de personnes ont faim. « Le gaspillage alimentaire est un problème stupide, » reconnaît Nick Nuttall, qui travaille pour le Programme des Nations Unies pour l’environnement. « Mais les gens adorent les problèmes stupides parce qu’ils savent qu’ils peuvent y faire quelque chose. »

Ce reportage a pu être réalisé grâce au soutien de la Fondation GRACE Communications. 

Source : https://www.nationalgeographic.fr/environnement/un-tiers-des-aliments-produits-est-perdu-ou-gaspille

mardi 23 décembre 2025

Les 10 bonnes nouvelles de Mr Mondialisation

Journal des Bonnes nouvelles 

de Mr Mondialisation

1. La Pologne met fin à l’élevage d’animaux pour la fourrure

La Pologne adopte une loi interdisant l’élevage d’animaux pour leur fourrure, mettant fin à une industrie qui comptait encore plusieurs centaines d’exploitations. (La Relève et La Peste)

2. Mobilisation à La Rochelle contre l’abattage d’arbres pour un projet aérien

À La Rochelle, des centaines de manifestants se sont rassemblés pour s’opposer à la coupe d’arbres prévue pour permettre le passage d’avions supplémentaires. Les habitants dénoncent un projet contraire aux enjeux climatiques et défendent la préservation des espaces arborés. (Reporterre)

3. En Syrie, un an après la chute d’Assad, les habitants se réapproprient les ruines

Un an après la chute du régime d’Assad, des Syriens commencent à réinvestir les ruines laissées par les combats. Le processus de reconstruction sociale est fragile, mais les habitants tentent de recréer des lieux de vie malgré la destruction. (Reporterre)

4. À Lyon, une coopérative couvre les écoles de panneaux solaires

À Lyon, une coopérative citoyenne installe des panneaux solaires sur les toits des bâtiments scolaires pour produire de l’énergie locale. Le projet, participatif et financé par les habitants, permet d’associer transition énergétique et implication citoyenne. (Reporterre)

5. À Paris, les transformations écologiques rendent tout retour en arrière impossible

À l’approche des municipales 2026, à Paris, plusieurs acteurs politiques affirment que les douze années de transformations écologiques dans la capitale ont profondément changé la ville en bien. Plus aucun camp ne propose d’annuler ces évolutions. (Vert)

6. Au Chili, une volonté politique de sortir l’agriculture des pesticides

Au Chili, plusieurs partis et mouvements cherchent à réduire fortement l’usage des pesticides, notamment à la faveur des élections locales et nationales. Le débat autour d’une transition agroécologique est jugée nécessaire pour la santé et l’environnement. (Basta!)

7. Les mobilisations anti-Sterin s’étendent face à l’extrême droite

Les mobilisations contre Sterin, figure de l’extrême droite, s’intensifient et s’étendent à de nouveaux territoires. Une  » diagonale de la résistance « reliant des collectifs variés unis contre la progression idéologique du groupe se consolide. (Basta!)

8. Un vigneron lutte contre les inondations grâce à l’agriculture bio sans labour

Dans le Gard, un vigneron met en place des pratiques biologiques sans labour pour réduire l’érosion et limiter l’impact des fortes pluies. Ces pratiques améliorent la résilience des sols et protègent les parcelles face aux épisodes d’inondation. (Basta!)

9. Les États-Unis veulent limiter l’usage de singes dans la recherche

Les États-Unis envisagent de réduire l’utilisation de singes dans la recherche biomédicale, particulièrement dans les laboratoires privés. Des organisations saluent une avancée tandis que des chercheurs alertent sur les conséquences pour certains programmes scientifiques. (30 Millions d’Amis)

10. La fin programmée de la vidange annuelle obligatoire des piscines publiques

Dans le Grand Est, la réglementation évolue pour mettre fin à la vidange systématique des piscines publiques une fois par an. Les autorités prévoient une gestion plus souple permettant d’économiser de grandes quantités d’eau sans compromettre l’hygiène. (France 3 Régions)

– Mauricette Baelen

 

 Source : https://www.cyberacteurs.org/blog/?p=13795