Ce blog rassemble, à la manière d'un journal participatif, les messages postés à l'adresse lemurparle@gmail.com par les personnes qui fréquentent, de près ou de loin, les cafés repaires de Villefranche de Conflent et de Perpignan.
Mais pas que.
Et oui, vous aussi vous pouvez y participer, nous faire partager vos infos, vos réactions, vos coups de coeur et vos coups de gueule, tout ce qui nous aidera à nous serrer les coudes, ensemble, face à tout ce que l'on nous sert de pré-mâché, de préconisé, de prêt-à-penser. Vous avez l'adresse mail, @ bientôt de vous lire...

BLOG EN COURS D'ACTUALISATION...
...MERCI DE VOTRE COMPREHENSION...

jeudi 27 octobre 2022

Nous n’avons pas besoin d’ouvrir des mines en Europe

 

Nous n’avons pas besoin 

d’ouvrir des mines 

en Europe

 

 

La mine de cuivre et molybdène de Kajaran, en Arménie.

 

25 octobre 2022 


L’Union européenne voit dans la production domestique de métaux précieux un impératif stratégique. Pour notre chroniqueuse, il s’agit d’une fuite en avant vaine et polluante d’un monde qui refuse toute alternative.

Le récent discours prononcé à Prague par le vice-président de la Commission européenne chargé de la prospective vaut le détour. Écoutons-le, ne serait-ce que parce qu’il cite Margaret Thatcher, ce qui n’est jamais bon signe. « Il n’y a pas d’alternative », a ainsi martelé Maroš Šefčovič le 12 septembre lors de la conférence européenne sur la sécurité des matières premières : il faut de toute urgence ouvrir des mines en Europe. Pourquoi ? « Pour construire l’économie décarbonée et numérique à laquelle nous aspirons tous », et pour assurer nos « capacités de défense militaire ».

L’Europe devrait sécuriser son « autonomie stratégique » face aux monopoles chinois sur les métaux et à une production minière russe en pleine expansion du fait de son influence grandissante en Afrique. Pour ce faire, la Commission prépare un projet de loi sur les métaux critiques. Mais il faudra convaincre les populations d’accepter ce boom minier européen sur leurs territoires. Comme l’a expliqué le vice-président, le sujet est « socialement sensible » et nécessite « un nouveau contrat social autour des matières premières ».

La mine de lithium du Salar de Uyuni, en Bolivie. L’Europe n’en produit quasiment pas, malgré les gisements existants et une demande en forte augmentation. BY-SA 2.0 / Coordenação-Geral de Observação da Terra/INPE / Flickr via Wikimedia Commons

« Un nouveau contrat social autour des matières premières », voilà qui paraît hautement nécessaire, en effet. Car les projets industriels dans lesquels nous ont embarqué nos dirigeants reposent tous sur une multiplication fulgurante de la demande en métaux. La production en masse de véhicules électriques personnels, par exemple. Une équipe de recherche du National Science Museum a calculé que pour convertir à l’électrique tout le parc de véhicules de l’Angleterre, il faudrait l’équivalent de deux fois la production mondiale actuelle de cobalt, les trois quarts de la production mondiale de lithium, et la moitié de la production mondiale de cuivre.

Impasses

Les écoliers pourraient résoudre le problème suivant : « À partir de ces chiffres, indiquez combien de fois la production mondiale de cobalt, de lithium et de cuivre sera nécessaire pour produire suffisamment de batteries pour l’ensemble du parc de véhicules européen ? Sachant que le parc de véhicules européen ne représente qu’un tantième du parc mondial, ce projet est-il viable ? » Non, répondraient probablement les écoliers, il faudrait plutôt renoncer à une grande partie de nos véhicules pour lutter contre le réchauffement climatique.

On aboutit à ce même genre d’impasse si l’on prétend extraire des métaux pour obtenir suffisamment d’énergies renouvelables, non pas pour faire tourner nos dix ampoules, le frigo et la pompe du jardin, mais pour produire en masse de l’hydrogène vert pour alimenter des usines d’engrais, des cimenteries et des millions de camions de livraison. Non pas pour éclairer l’école et faire tourner l’hôpital, mais pour faire fonctionner la 5G et produire des milliards d’objets connectés.

Ce à quoi nous aspirons tous ?

Car, selon Maroš Šefčovič, il faudrait accepter ce boom minier européen pour construire « l’économie numérique à laquelle nous aspirons tous ». De fait, le secteur numérique est celui qui consomme la plus grande variété de métaux, dont les terres rares et autres métaux de spécialité utilisés pour doper les propriétés des appareils. Les équipements électriques et électroniques engloutissent chaque année trois millions de tonnes de cuivre et la moitié de l’argent métal produit dans le monde. La moitié de la production mondiale de tantale est utilisée pour produire des condensateurs, la fibre optique nécessite près d’un tiers de la production mondiale de germanium, etc.

L’économie numérique «  à laquelle nous aspirons tous » ? Il paraît urgent au contraire de se demander qui aspire à quoi. Car à l’évidence, ce ne sont pas les serveurs de Wikipédia qui font exploser la demande en énergie et en métaux du numérique. En revanche, le pilotage de la santé, de l’éducation ou de l’aide sociale par l’intelligence artificielle répond-il à une aspiration profonde ? Les parents ont-ils demandé à lutter chaque jour contre l’emprise de la vidéo en ligne et d’Instagram pour éduquer leurs enfants ? Combien de data centers, de milliers de serveurs et de tonnes de métaux supplémentaires seront nécessaires pour qu’on puisse accéder aux frissons du porno sur le métavers ? La Déclaration de Versailles adoptée par les chefs d’État européens en mars 2022 place d’ores et déjà la future 6G au rang des « technologies-clés ». Est-ce vraiment « ce à quoi nous aspirons tous », alors que la Convention citoyenne pour le climat avait exigé en vain un moratoire sur la 5G ?

Paysages creusés et camions de déchets : les ravages concrets de l’industrie minière. CC BY-SA 3.0 / Sara Anjargolian / Wikimedia Commons

Enfin, pour le vice-président de la Commission européenne, il faut créer des mines pour produire l’armement nécessaire au « maintien du statut géopolitique de l’Union européenne ». Autrement dit, il faudrait disposer de métaux stratégiques pour que Safran puisse produire ses drones tactiques, ses systèmes de visée et ses interfaces homme-machine. Pour que Thalès puisse développer son cloud de défense et ses systèmes de reconnaissance biométriques.

Selon le dirigeant européen, il en va de la sécurité des peuples européens. Mais on pourrait considérer à l’inverse que cette course à l’armement, qui alimente la ruée minière, menace profondément notre sécurité. Pourquoi ? D’une part, parce que la production de ces armes répond avant tout à des objectifs économiques : elles sont exportées dans le monde entier et outillent nombre de dictatures. D’autre part, parce que la course aux métaux est en train de devenir l’une des principales cause des guerres.

Consommation massive d’eau

Les projets industriels que toutes les grandes puissances mondiales déclinent à l’identique créent une tension grandissante : il n’y aura jamais assez de mines et de métaux pour que la Chine, les États-Unis, l’Europe et la Russie puissent produire chacune leur parc de véhicules électriques, leur infrastructure de big data, leurs constellations de satellites et leur armement, même en systématisant le recyclage, même en ouvrant des mines en Europe et partout ailleurs dans le monde.

Enfin, parce que les teneurs des mines actuelles sont devenues si faibles que le traitement des métaux nécessite des quantités d’eau considérables : une grande mine de cuivre peut en consommer 40 millions de mètres cubes à l’année. Or 70 % des mines des six plus grandes entreprises mondiales sont situées dans des zones qui manquent d’eau. La demande en métaux va donc se heurter à des tensions croissantes, y compris en Europe. Dans dix ans, comment alimentera-t-on malgré la sécheresse les mines de cuivre du Sud de l’Espagne ou du Portugal ?

Des voitures autonomes et le fatras de composants électroniques qui les accompagne, est-ce vraiment ce à quoi nous aspirons ? Unsplash /Bram Van Oost

Le « nouveau contrat social autour des matières premières » que préparent les dirigeants européens pour accélérer les projets miniers ressemble donc à un conditionnement des opinions publiques que l’on prétend soumettre à des intérêts supérieurs artificiels. Le discours de Šefčovič illustre cette tentative de faire de la course aux métaux en Europe une nécessité impérieuse justifiée par la lutte contre le réchauffement climatique, la numérisation et la sécurité. Mais dans les trois cas, ce sont les intérêts des industries européennes qui sont défendus.

Ces intérêts ne justifient ni le saccage des territoires européens par les sites miniers, ni le saccage des pays producteurs du Sud. Car dans tous les cas, la demande en métaux est telle qu’elle implique une extraction européenne et mondiale, et non une relocalisation des sites. Ainsi la Commission et la Banque mondiale encouragent-elles des partenariats internationaux autant que des projets continentaux.

N’y a-t-il pas d’alternative ? Doit-on construire des mines pour alimenter les gigafactories de Volkswagen, la Tesla de tonton, les data center des « États-plateformes » et les drones de la gendarmerie ? L’objet de la politique est justement de réintroduire des alternatives là où on prétend qu’il n’y en a pas, de réinjecter de l’analyse et du débat dans ces faux impératifs. Si les Européens veulent se confronter à leur dette environnementale à l’égard du reste du monde, ils et elles doivent dénoncer les projets industriels de leurs classes dirigeantes et de leurs entreprises, dont les besoins en métaux contribuent au déclenchement de cette ruée minière mondiale.

 

Source : https://reporterre.net/Nous-n-avons-pas-besoin-d-ouvrir-des-mines-en-Europe?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=nl_quotidienne

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire