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samedi 22 octobre 2022

Le calvaire programmé du non-droit à mourir

 


Le calvaire programmé 

du non-droit à mourir

 

 14 oct. 2022 

 

À trois heures du matin le 20 octobre 2021, un homme s’introduit dans l’hôpital marseillais où sa femme agonise, sort un pistolet, tire sur elle, puis se tue avec la même arme, par accord mutuel. Elle était atteinte de la SLA (Maladie de Charcot). Je les comprends parfaitement, et je m’enrage contre un système qui ne leur offrait aucune autre sortie d’un calvaire que ma propre femme a vécu.

 

La SLA – sclérose latérale amyotrophique, ou Maladie de Charcot – s’attaque à quelques 1200 personnes en France chaque année. Par des mécanismes mal connus, il fait dégénérer les nerfs, ce qui fait perdre la capacité de mouvoir son corps, typiquement en commençant par une main, puis l’autre, puis les jambes, et ainsi de suite, pour arriver enfin au cou. Là, il empêche le malade de parler, de manger, même d’avaler un verre d’eau. En général, il meurt – d’un arrêt cardiaque, ou d’étouffement, d’épuisement (le corps fond sur les os, au fur et à mesure que les muscles s’atrophient), ou de faim – dans les trois ans qui suivent le début du syndrome.

Il n’y a pas de guérison possible. On peut parfois retarder la progression de la maladie avec un produit qui s’appelle le Riluzole. On ne sait pas pourquoi et comment ça marche, ou ne marche pas si bien que ça, comme c’était le cas pour Sophie, qui prenait son Riluzole avec une discipline impeccable dès qu’elle était diagnostiquée avec la SLA en octobre 2019, et qui mourait le 1er juillet 2021. On ne sait pas non plus pourquoi certaines personnes peuvent vivre plusieurs années, voire des décennies, avec la SLA, comme le scientifique britannique Stephen Hawking.  En effet, on ne sait pas grand-chose.

Sauf ceci : La SLA est non seulement une condamnation à la mort, mais aussi une torture, autant sur le plan moral que sur le plan physique.

Imaginez que chaque jour, vous perdez encore un peu, ou beaucoup, de vos capacités. Qu’un jour vous ne pouvez pas prendre un stylo pour écrire, ou une fourchette pour manger. Que vous ne pouvez plus marcher, et puis vous ne pouvez pas tenir debout, et ainsi de suite. Qu’un jour vous ne pouvez plus parler clairement, et ensuite vous ne pouvez pas parler du tout.

Imaginez la terreur non seulement de mourir, mais de mourir de cette façon, dans une dépendance totale, emprisonné dans votre corps devenu flasque et squelettique, diminué, douloureux, affligé encore et encore et encore, sans rémission, sans repos, un peu plus chaque jour.

Cette terreur, je l’ai vue dans le visage de ma femme, jour après jour. Je suis absolument certain que c’est l’avant-dernière chose qu’a vue l’homme qui tuait sa femme dans son lit d’hôpital ; la dernière, c’était la gratitude profonde dans ses yeux de mourante. J’ai aperçue une gratitude similaire quand je soignais Sophie. Je vois cette émotion quand je regarde les photos que j’ai prises d’elle avant la fin. Elles me brisent encore le cœur.

Je suis également certain que la femme du tireur lui a demandé, d’une manière ou d’une autre, pendant qu’elle pouvait encore communiquer, de mettre fin à sa vie à elle. Je le sais, parce que ma femme m’avait demandé, dès le début et jusqu’à la fin, de l’aider à se suicider.

J’ai honte de le dire : j’étais trop lâche pour le faire. J’avais le courage d’assister à ses souffrances, de lui donner des soins du petit matin jusqu’à tard le soir, d’animer ses journées interminables de douleur et d’angoisse, de masser ce qui restait de son corps, de l’aimer malgré ce qu’elle était devenue, autant que j’aimais ce qu’elle avait été pour moi depuis 25 ans. Mais il me manquait le courage d’abréger ses souffrances. Pas parce que je n’aurais pas voulu, surtout en me rendant compte que le pire était encore à venir pour elle. Non, c’était parce que je savais parfaitement que si je le faisais, tôt ou tard je serais appelé à répondre de cet acte devant un tribunal.

J’ai assisté à des procès en tant que journaliste, témoin et juré. Je sais ce qui se serait passé. Le procureur aurait insinué que j’ai agi par intérêt, et non par pitié ; c’est son rôle, de chercher un motif susceptible de justifier une condamnation. Au mieux, le tribunal aurait sympathisé, me dirait qu’il me comprenait, et puis j’aurais bien été condamné, car la loi est faite ainsi.  Et pour le reste de mes jours, je serais catalogué et fiché comme un assassin.

Les médecins et infirmières qui nous entouraient vers la fin avaient droit à la même crainte. A un moment donné, je leur ai transmis l’un des derniers textes que ma femme pouvait encore taper sur son smartphone : « Je veux mourir. » Elle écrivait qu’il fallait aller en Belgique, ou tant de Français se rendent pour rencontrer l’Ange de la mort. (Une appellation que, dans ce cas, il faut prendre au premier degré.)

De concert avec Sophie et sa famille, j’ai donc demandé aux médecins de nous fournir une lettre à l’adresse d’un médecin belge. On m’a répondu, « Vous n’en avez pas besoin. » On m’a assuré que quand les derniers vestiges de l’autonomie de Sophie s’éteindraient, on lui donnerait une « sédation profonde et continue », et elle pourrait mourir sans souffrir encore.

Mais ce moment n’est jamais venu. Malgré la solidarité, générosité et gentillesse exemplaires des médecins, ils étaient soumis à des contraintes très, très strictes. Je le comprenais en lisant les comptes rendus de leurs rencontres avec Sophie. Ils y évoquaient des critères physiques précis d’évaluation, pour en conclure qu’il restait à Sophie encore des mois à vivre. Or la loi Leonetti du 2 février 2016, qui promet « le droit à une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance », l’encadre de la condition que le « pronostic vital est engagé à court terme ».

Ce n’était pas le cas de Sophie. Dans les dernières semaines de sa vie, sa mâchoire se déboitait fréquemment, une horreur supplémentaire et un obstacle infranchissable à sa nutrition, étant donné qu’elle a refusé l’intubation, qu’elle voyait encore comme un prolongement de sa souffrance.

Elle est morte le matin après son retour des urgences, où je l’ai emmené en pleine nuit quand sa mâchoire se déboitait pour la énième fois, malgré le pansement que ses médecins ont posé autour de sa tête. Cette blessure récurrente ne suffisait pas pour engager son pronostic vital, mais il suffisait bien pour anéantir ses dernières forces.

Voilà pourquoi un homme peut arriver à tirer sur sa femme avant de mettre fin à ses propres jours. Pour vous, c’est peut-être un monstre, un forcené. Pour moi, c’était un homme qui sacrifiait sa vie pour sortir sa femme de l’Enfer. Il était plus noble, plus généreux, plus humain que vous et moi.

Les souvenirs de ma femme agonisante me hanteront jusqu’à la fin de mes jours. Mais de telles souffrances devraient rester à l’esprit de tous ceux qui continuent, en France, de refuser d’offrir aux malades en pareilles situations le droit de choisir, pendant qu’ils peuvent toujours exprimer leurs volontés, de quitter une vie qui n’a plus aucun sens.  La souffrance fait partie de la vie, bien sûr, et parfois il y a un sens à souffrir. Mais est-ce une raison pour prolonger et rajouter à la terrible souffrance des malheureuses victimes de telles maladies ?  

En avril 2021, l’Assemblée nationale a voté le premier article d’une loi sur « le droit à une fin de vie libre et choisie », qui permettront aux gens d’abréger les atrocités que de telles maladies leur réservent.  Neuf Français sur dix y sont favorables. Le processus a été ralenti par cinq députés qui ont déposés, entre eux, des milliers d’amendements. Le Ministre de la Santé a regretté l’empressement d’ouvrir « un débat de cette envergure » en pleine pandémie. 

Pardon, donc, de le continuer, au moment où le Président Macron annonce une « convention citoyenne » et un possible référendum sur le droit de mourir dans la dignité. Je peux comprendre et respecter que certains ont des raisons pour s’opposer au choix de mourir, liées sincèrement à leur convictions et valeurs. Mais je leur affirme : Il n’y a pas de moralité, ni de valeurs, qui justifient la prolongation de l’insoutenable. Désormais, nous savons que ça revient à pousser un homme à l’assassinat, par amour pour sa femme.

Si j’étais un monstre, je leur souhaiterais d’en faire l’expérience, comme plus d’un millier de Français le feront chaque année. Mais je préfère leur souhaiter d’en être épargnés, ainsi que leurs prochains.

Fin

Mark Lee Hunter est écrivain et journaliste nord-américain (Etats-Unis). Il vit en France depuis 40 ans. Une version de cet article a été publié sur le site de l'Association pour de droit de mourir dans la dignité (https://www.admd.net/)


Source : https://blogs.mediapart.fr/markleehunter1/blog/141022/le-calvaire-programme-du-non-droit-mourir

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