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jeudi 25 décembre 2025

La féerie de Noël selon... Intermarché

La féerie de Noël selon...

Intermarché


Chers soutiens, 

Si vous nous suivez sur les réseaux, vous savez à quel point nous sortons d’une lessiveuse. Ou plutôt d’un rouleau compresseur au nom d’Omnibus. Nous y reviendrons après les fêtes car nous avons soulevé quelque chose d’absolument EXPLOSIF que nous vous raconterons à la rentrée, une fois terminée notre enquête… Vous verrez, ça pique…

Aujourd’hui, pour rester dans la – parfois réelle mais surtout supposée – féerie de Noël, nous vous proposons une lecture critique de la publicité qu’Intermarché a produite sous la forme d’un dessin animé mettant en scène un loup « mal aimé », sur une musique de Claude François. 

Le dessin animé de 2 minutes 30 connaît un succès planétaire et a déjà enregistré plus d’un milliard de vues : un raz-de-marée (1). L’histoire est simple : un enfant reçoit une peluche de loup à Noël alors qu’il a peur des loups. Son père lui raconte une fable expliquant qu’à l’origine, le premier loup n’avait pas d’amis, mais qu’il finit par être intégré socialement, et même invité au banquet de Noël des animaux, parce qu’il accepta de transformer son régime carnivore pour devenir végétarien. 

Le clip est très bien réalisé. En très peu de temps, on s’attache au loup et aux autres animaux, notamment un écureuil et un hérisson très mignons, enjoignant au loup de cesser de les manger et de tester les carottes, les champignons, les fruits et les légumes à leur place…

Le loup apprend à cuisiner les légumes et, parce qu’il présente une quiche végétarienne aux autres animaux de la forêt, finit par être accepté à leur banquet festif de Noël. Les enfants raffolent des petits personnages, les parents valident le message de convivialité. En ces temps de guerre, de barbarie, de massacres d’innocents à Gaza et au Soudan, de rafles fascistes aux États-Unis et de broyage de nos concitoyens ukrainiens, la douceur d’un conte de Noël inclusif et apaisant fait du bien.

Sauf que…

Cette petite fable n’a pas été produite par des artistes ou des militants qui veulent ajouter de la douceur dans un monde de brutes mais par des industriels qui ont investi une somme considérable pour obtenir une rétribution commerciale. 

Alors où est le loup ? 

Nous devrions même questionner « où sont les loups ? » car si l’on quitte notre position de spectateur pour se rappeler que ce n’est pas le studio Pixar, mais bien une enseigne leader de la grande distribution qui parle, alors ce n’est pas un, mais plusieurs problèmes éthiques conséquents qui apparaissent. 

1. Un loup faussement végétarien

Première arnaque délétère pour l’océan : le loup végétarien pêche et mange du poisson !

Le script de la publicité est pourtant très clair : les animaux de la forêt demandent au loup de ne pas les manger et de changer de régime pour devenir végétarien. À aucun moment les animaux ne l’encouragent-ils à manger autre chose que des légumes, a fortiori d’autres animaux, quels qu’ils soient. D’ailleurs, à la fin du clip, l’insertion sociale du loup au banquet de Noël se fait bien par la présentation aux autres animaux d’une quiche végétarienne. Malgré cela, trois plans de poissons sont insérés dans le dessin animé (le loup pêche, puis cuisine le poisson qui est ensuite dressé sur une assiette). 

Ces apparitions d’un loup pêcheur et consommateur de poisson, inconsistantes avec le fil narratif d’un loup végétarien, ne sauraient être fortuites venant du groupe Intermarché-Les Mousquetaires, qui possède sa propre flotte de pêche, la Scapêche. Nous y reviendrons.

L’annonceur place ainsi un message subliminal qui relaie une idée reçue courante bien qu’erronée : être végétarien permettrait de manger du poisson. Or non, les végétariens ne mangent aucune chair animale. Ce « placement de produit », incohérent avec le script, est en revanche parfaitement cohérent avec l’activité de pêche du groupe et la période : les fêtes de Noël correspondent à un pic de ventes de produits de la mer. De fait, ces plans sont une injonction tacite à consommer du poisson, même pour les végétariens… 

Cette idée fausse d’un végétarien piscivore, que la publicité contribue à ancrer dans l’imaginaire collectif, se fait au bénéfice direct de la promotion de produits issus de la pêche d’Intermarché.

En outre, avec cette publicité, Intermarché renforce un biais culturel concernant les poissons, qui, contrairement aux autres animaux de la Publicité, ne sont pas humanisés et sont de facto présentés comme une sous-catégorie d’animaux, ne justifiant ni attachement, ni considération. Une autre façon de lever les freins cognitifs à leur consommation débridée !


2. Une pêche tout sauf sélective et abondante

Il a fallu 18 mois pour fabriquer le dessin animé du « loup mal aimé » d’Intermarché (2). 540 jours pour un clip de 150 secondes. Autant dire que chaque plan, du storyboard jusqu’à l’étalonnage final, a été pensé, trituré, discuté, scruté, amendé, corrigé, recadré, peaufiné… pendant des jours et des jours, jusqu’à la perfection. 

Les trois plans de poissons du clip relèvent donc d’à peu près tout, sauf du hasard. Avec cela en tête, regardons les plans de plus près. 

Nous avons déjà relevé que le loup décidait, sans aucune raison, de manger du poisson alors que les animaux lui enjoignaient de ne plus consommer que des légumes. Les plans du poisson prêt à être cuisiné et du poisson dressé sur assiette sont donc « hors sujet », comme vu précédemment. 

Attardons-nous donc un instant sur le premier plan du loup qui pêche. Celui-ci est muni d’une canne à pêche. Il n’attrape qu’un poisson tandis que le héron, face à lui, en attrape une multitude.

 


Ces plans, soigneusement choisis, sont un cas d’école de la communication subliminale.

Ils permettent à l’annonceur Intermarché, sans avoir à prononcer un mot, de faire en sorte que : 

> Les gens associent la pêche à l’abondance de la ressource. Le message est que le seul facteur déterminant pour une pêche prolifique serait l’habileté et l’outillage, à l’image du héron, car ce qui est montré de son côté, c’est une pile impressionnante de poissons. Ce récit alimente ainsi un imaginaire collectif en totale contradiction avec l’état des populations de poissons, et ignore royalement le fait que les pêches industrielles ont réduit d’au moins 90% les populations de grands poissons tels que les cabillauds, les flétans, les requins, les mérous, les thons ou les espadons au niveau mondial (3) et qu’au niveau européen, les écosystèmes marins sont encore largement en mauvais état (4).

> L’activité de pêche soit assimilée à des engins qui minimisent les impacts environnementaux, comme la pêche à la ligne. Or le poisson qu’on trouve sur les étals d’Intermarché est majoritairement issu de pêches industrielles à fort impact, et la flotte de pêche du groupe, la Scapêche, est surtout connue pour exploiter de nombreux navires aux impacts environnementaux extrêmement délétères, notamment la méthode de pêche la plus destructrice d’entre toutes : le chalutage de fond, dont tous les indicateurs sociaux, économiques et environnementaux sont particulièrement négatifs (destruction des habitats, captures accessoires, émissions de carbone, etc.). 

Avec le chalutage mené à échelle industrielle, nous sommes très loin de la pêche sélective à la ligne.

Ajoutons à cela deux informations importantes : 

1- Certains des chalutiers industriels de la flotte d’Intermarché ont été impliqués récemment dans des activités de pêche illégale : nous avons documenté les infractions du Mariette Le Roch II (46 mètres) et du Jean-Pierre Le Roch (42 m), pêchant au chalut de fond au-delà de 800 m. de profondeur et dans des écosystèmes marins vulnérables au-delà de 400 m. de profondeur en violation de deux règlements européens, dans une publication scientifique (5).

2- Rappelons aussi qu’au moment des fêtes, les consommateurs achètent beaucoup de saumon d’élevage issu de pratiques aquacoles intensives aux impacts environnementaux nombreux et particulièrement néfastes.

Venant de la première flotte de pêche de France (6), le message subliminal du dessin animé n’est aucunement un hasard. L’objectif est bien d’alimenter, qui plus est avant les fêtes, une validation culturelle de la consommation de poisson « sans culpabilité ».

Aidez-nous à combattre les pêches industrielles destructrices

3. Des « recettes du loup » sur le site d’Intermarché à base… de viande et de poisson !

Les « recettes du loup » sur le site d’Intermarché sont d’ailleurs particulièrement éloquentes de ce que la marque entend par « mieux manger » : seules les trois premières recettes sont végétariennes… Les autres sont des recettes à base de viande ou poisson !

 


Ce n’est qu’en analysant cette « belle histoire de Noël » que l’objectif commercial de la marque apparaît clairement. Et cela, en soi, est contraire aux exigences déontologiques des annonceurs publicitaires.

4. Une publicité qui promeut une vertu inexistante chez Intermarché

La publicité d’Intermarché a été unanimement présentée comme celle d’un « loup végétarien » ou d’un « loup végan ». Le message de fin du clip encourage d’ailleurs à mieux manger : « On a tous une bonne raison de commencer à mieux manger ». 

 


Le problème, c’est que ni l’offre de produits alimentaires d’Intermarché, ni ses orientations stratégiques, ne correspondent à ce message vertueux. En réalité, la chaîne de production et distribution d’Intermarché offre des produits ultra-transformés, trop sucrés ou trop gras. Et comble du cynisme, le média Reporterre a même révélé (7) qu’Intermarché réalisait ses marges principalement sur les « produits frais » ! Pour une enseigne qui veut encourager le « mieux manger », c'est mal engagé. 

5. Un clip dissimulant son objectif commercial

Les activités de marketing et de publicité sont censées suivre des règles éthiques depuis 1937 ! C’est la date à laquelle la Chambre de commerce internationale (ICC) a publié son premier « Code de pratiques loyales en matière de publicité ». Ce Code ICC a servi de socle mondial pour l’autorégulation des entreprises du secteur publicitaire. Ce système « d’autodiscipline professionnelle » est supposé susciter « la confiance des consommateurs en leur garantissant une publicité honnête, conforme aux lois, décente et véridique » (8).

L’un des principes fondamentaux de ce Code est d’appeler un chat un chat. Une publicité est une communication commerciale. A ce titre, elle devrait être « facilement identifiable, afin de permettre aux consommateurs de distinguer clairement le contenu commercial du contenu non commercial. » Or il n’apparaît qu’au tout dernier plan que cette « belle histoire de Noël » est en réalité une communication commerciale : aucun logo ou autre mention n’est indiqué avant cela. Il est pourtant clair que de tels coups marketing ne sont pas « gratuits » : ils visent à valoriser l’image de marque et par association, l’ensemble des produits vendus par l’annonceur, à plus forte raison en période de fêtes.

6. Un dessin animé abusant de la crédulité des enfants

Cette exigence de transparence se renforce lorsqu’une publicité vise des enfants et adolescents. Le conte de Noël d’Intermarché contrevient en cela à l’article 20 du Code ICC qui établit qu’« une attention particulière doit être accordée aux communications marketing destinées aux enfants ou aux adolescents ou les mettant en scène. Les communications marketing ne doivent pas exploiter la crédulité naturelle des enfants ou le manque d'expérience des adolescents et ne devrait pas mettre à rude épreuve leur sens de la loyauté. » (9)

Le succès du film animé auprès des enfants, qui ont réclamé la peluche du loup mal aimé, confirme que le but de créer un sentiment d’attendrissement et d’attachement à la marque a été atteint, au-delà même de toute espérance. Sauf que la publicité a volontairement failli au devoir de communication transparente de son objectif commercial et créé une confusion malhonnête qui enfreint l’un des principes éthiques fondamentaux de la charte ICC. 

BLOOM dénonce de ce fait une campagne de publicité déloyale, malhonnête et mensongère, de nature à induire en erreur les consommateurs, notamment les enfants.

Ce n’est malheureusement pas la première fois qu’Intermarché abuse de notre confiance à travers ses publicités.

7. BLOOM avait déjà fait interdire une publicité mensongère d’Intermarché en 2012 

En 2012, BLOOM avait porté plainte contre une publicité mensongère du groupe Les Mousquetaires auprès de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) (10) qui l’avait interdite. 

La publicité, parue en pleine page dans plusieurs magazines, vantait en effet de façon erronée les vertus de la flotte de pêche du groupe, la « Scapêche », pourtant leader de la pêche destructrice au chalut en eaux profondes. La publicité clamait l'engagement des Mousquetaires pour une pêche soi-disant « responsable » qui assurait aux acheteurs de pouvoir orienter leur choix vers du poisson « à savourer sans l'ombre d'un doute... et pour longtemps encore ». 

La réalité de leur pêche était pourtant qu’avec leurs filets lestés géants, les chalutiers d’Intermarché pulvérisaient quotidiennement les écosystèmes multimillénaires extrêmement fragiles des grandes profondeurs de façon irréversible. Ces merveilles naturelles sont désormais perdues à jamais. 

Intermarché n’en est pas à son coup d’essai dans le rayon de la publicité mensongère, ni nous à les confronter à leur mauvaise foi.


BLOOM contre Intermarché, citoyens contre industriels

La publicité d’Intermarché contrevient au cadre déontologique de l’expression publicitaire issu des recommandations de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) à plusieurs titres :

- Par le non-respect des impacts éco-citoyens ;

- Par son manquement à l’obligation de véracité ;

- Par le non-respect des règles d’identification et de transparence ;

- Par son manquement à l’obligation d’attention particulière devant être portée à l’égard des enfants et adolescents.

Au titre de tous les manquements relevés, nous avons porté plainte mardi 23 décembre contre la publicité d’Intermarché auprès du Jury de déontologie publicitaire et demandé le déclenchement d’une procédure d’urgence pour faire retirer du clip toutes les scènes comportant du poisson, et prendre toute mesure supplémentaire adaptée. 

Pour conclure : la douceur, oui, la malhonnêteté non

La douceur de la convivialité, OUI. 

Le placement de produit de l’un des plus importants destructeurs de l’océan, NON. 

Les agro-industriels d’Intermarché ont mis les moyens pour diffuser des messages erronés, ambigus et non conformes à leurs pratiques. Forts de leur milliard de vues, ils ont clairement gagné une manche dans la bataille des représentations pour faire croire à nos concitoyen·nes que manger du poisson était non seulement acceptable et anodin, mais souhaitable. 

Nous avons les moyens de David, eux de Goliath, mais notre plainte a tout de même été reprise par tous les grands médias depuis ce matin. 

Ils ont les agences, les communicants, les budgets et le cynisme.

Nous, nous avons un attachement viscéral à la justice et à la vérité. Et surtout, une motivation que rien n’arrête. Même pas la trêve des confiseurs.

🙂

Notre message en ce jour de Noël est doublement important : d’une part, nous souhaitons à chacune et chacun d’entre vous de passer un moment de grande douceur, loin des mensonges industriels. D’autre part, ce que notre équipe très déterminée vient de montrer, c’est que vous pouvez compter sur nous en toutes circonstances. 

Et nous, nous savons que l’inverse est aussi vrai. Nous pouvons compter sur vous en toutes circonstances.

C’est ça, la vraie magie de Noël !

Joyeux Noël,

Claire et toute l’équipe de BLOOM 

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Notes et Références

1.  https://www.lefigaro.fr/conjoncture/on-a-perdu-le-controle-de-la-situation-la-publicite-du-loup-d-intermarche-a-depasse-le-milliard-de-vues-se-felicite-le-patron-du-groupe-20251220 

2. https://www.liberation.fr/economie/conso/les-dessous-de-la-pub-du-loup-dintermarche-18-mois-de-travail-paris-sous-42c-albert-dupontel-20251218_P4VMZWKGKFFQLK4BROUYQWV2O4/ 

3. R. A. MYERS, B. WORMS, “Rapid worldwide depletion of predatory fish communities”, Nature, Vol. 423, 2003, pp. 280-283.

4. European Environment Agency, Marine messages II — Navigating the course towards clean, healthy and productive seas through implementation of an ecosystem‑based approach, (2019) 77. https://www.eea.europa.eu/publications/marine-messages-2/file.

5. Victorero L, Moffitt R, Mallet N, Le Manach F. Tracking bottom-fishing activities in protected vulnerable marine ecosystem areas and below 800-m depth in European Union waters. Sci Adv. 2025 Jan 17;11(3). https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/39813338/

6. https://www.mousquetaires.com/nos-filiales/agromousquetaires/nos-poles-de-performance/la-filiere-peche-agromousquetaires/

7. https://reporterre.net/Pub-d-Intermarche-ce-que-le-conte-de-Noel-ne-dit-pas 

8. https://www.arpp.org/IMG/pdf/code_consolide_pratique_publicite_marketing-2.pdf 

9. https://www.arpp.org/actualite/enfants-publicite-declaration-icc/ 

10. JDP, 26 juin 2012, Grande distribution, n°194/12 : https://www.jdp-pub.org/avis/avis-jdp-n-194-12-grande-distribution/

 

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