Dauphins contre éoliennes :
le combat des « gardiens des mers »
3 juin 2025
Serge a créé l’association Les peuples de la mer. Skippeur et naturaliste, il embarque régulièrement des bénévoles sur le « Thera I Luna ». - © David Richard / Reporterre
Trois éoliennes géantes vont bientôt flotter dans le golfe du Lion, au large des Pyrénées-Orientales. Quid des animaux marins ? Inquiets, des passionnés sillonnent la zone en voilier pour recenser dauphins, pingouins, oiseaux.

Leucate (Aude), reportage
Jumelles en main, Célia scrute l’étendue azur. Adossée au mât, son regard passe de l’écume moutonnante au ciel strié de nuages. Quand soudain : « Pingouin Torda à 10 heures ! » À ses côtés, Laura dégaine sa tablette. En quelques clics, voici l’oiseau noir au plastron blanc enregistré dans la base de données.
La routine pour ses bénévoles des Peuples de la mer. Depuis 2021, l’association a organisé près de 160 sorties maritimes, avec un même objectif : observer et recenser la faune marine au large de Leucate. « Il s’agit de connaître et de faire connaître la biodiversité exceptionnelle de cet espace », précise Serge, le capitaine à l’initiative de cette aventure.
Célia et Laura en phase d’observation. « Avec le sauvage, il y a toujours une part de chance, dit Célia. C’est ce qui fait qu’on a toujours des papillons au ventre. » © David Richard / ReporterreUne zone stratégique : c’est ici, à 16 kilomètres des côtes audoises, que doivent s’implanter trois éoliennes à l’été 2025. Des géantes de 150 mètres de haut, soudées à des flotteurs de la taille d’un terrain de foot, capables d’alimenter en électricité 50 000 habitants selon leur promoteur. « C’est un des endroits les plus ventés de France, remarque Serge, mais c’est aussi un des points les plus riches en termes d’animaux marins. »
Puffins, sternes, thons et grands dauphins
Poussés par les alizées et les courants, planctons, poissons et
oiseaux affluent dans ces profondeurs du golfe du Lion. Autant d’espèces
qui pourraient pâtir de ces projets marins aux effets encore mal connus mais potentiellement dévastateurs sur le vivant. Puffins, sternes, thons, tortues et, surtout, des grands dauphins. Menacés et protégés en France, ces cétacés ont lancé l’aventure de l’association leucatoise.

« Je naviguais depuis longtemps ici, et j’avais l’habitude de rencontrer des dauphins », raconte Serge, « amoureux de ces animaux élégants et libres ». Alors, quand il découvrit en 2021 que « trois éoliennes allaient s’implanter dans ce petit paradis », ce fut le naufrage. Illico, il éplucha les études d’impact environnemental : en douze sorties étalées sur une année, le bureau d’études avait recensé six grands dauphins.
« C’était clairement incomplet », soutient-il. Bien décidé à rectifier le cap, le naturaliste mit sur pied un projet ambitieux, baptisé « Point zéro ». « L’objectif était d’évaluer précisément l’état initial de la biodiversité marine, avant l’arrivée des éoliennes », précise le skipper. Les Peuples de la mer étaient nés.
Depuis quatre ans, le voilier Thera I Luna arpente donc les quelque 10 km2 autour des futures éoliennes, à raison de trois à quatre sorties par mois. À son bord, des bénévoles — scientifiques ou non — qui se forment peu à peu à l’observation. « D’abord je scanne l’océan, en quête d’un splash ou d’un scintillement, explique Laura. Quand je devine quelque chose, je vérifie aux jumelles de quoi il s’agit. »
« Je scanne l’océan en quête d’un scintillement »
Les animaux aperçus sont ensuite saisis sur des plateformes collaboratives en ligne — Obsermer et Faune Occitanie. Pour les grands dauphins, le protocole est encore plus précis : « Afin d’être certains de ne pas enregistrer le même individu deux fois, on photographie son aileron, indique Célia. Car l’aileron est unique et reste le même toute la vie du cétacé. »
L’émerveillement pour mieux protéger l’océan
Résultat, en quatre ans, l’association a saisi plus de 50 000 observations, toutes espèces confondues. « On rencontre chaque année près de 500 dauphins, c’est énorme », note Serge. Des informations précieuses désormais transmises au porteur du projet, LEFGL, qui indique vouloir « accompagner la démarche exemplaire mise en place par les bénévoles ».
Outre les données collectées, le marin énumère les anecdotes comme autant de trésors découverts sous la surface. Cette fois où ils se sont retrouvés au milieu d’une centaine de cétacés ; cet autre jour où deux jumeaux ont longuement joué à l’étrave ; ou encore ce poulpe qui s’était ventousé au dos de son prédateur delphinidé pour l’empêcher de le croquer.
Pour ne pas confondre les animaux, « on photographie son aileron, indique Célia. Car l’aileron est unique et reste le même toute la vie du cétacé » © David Richard / Reporterre« On ne revient jamais indemne de ces sorties, sourit le sexagénaire. Observer, c’est se comporter autrement avec le vivant, c’est être en conscience dans le lieu où on vit. » Pour ce retraité hyperactif, chaque sortie en mer permet ainsi de « tisser une histoire d’amour entre humains et non-humains ». Avec un espoir : que l’émerveillement nous pousse à mieux protéger l’océan. « Peu de personnes savent qu’à quelques kilomètres des plages, vivent dauphins, rorquals et cachalots ! »
Depuis 2021, l’association a organisé près de 160 sorties maritimes, et regroupe des bénévoles passionnés. © David Richard / ReporterreCe jour-là, point d’ailerons dans nos jumelles — les mammifères jouaient sans doute à cache-cache au milieu des vagues creusées par le vent d’autan. « Avec le sauvage, il y a toujours une part de chance, glisse Célia, tout en répertoriant une chasse de thons aperçue quelques instants plus tôt. C’est ce qui fait que c’est si merveilleux à chaque fois, et qu’on a toujours des papillons au ventre. »
« On a un rôle de veilleurs, de gardiens »


© David Richard / Reporterre
© David Richard / ReporterreToutes les observations sont répertoriées sur une base de données.
© David Richard / Reporterre
© David Richard / Reporterre
Source : https://reporterre.net/Des-gardiens-des-mers-veulent-proteger-les-dauphins-des-eoliennes
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