La lettre hebdo de Daniel Mermet
L’imposture de la semaine s’inscrit dans les hauts sommets du cynisme médiatico-politique.
En invoquant Martin Luther King pour se poser en victime comparable aux descendants des esclaves en lutte pour leurs droits, Marine Le Pen dépasse les plus grosses ficelles et le plus gros mépris pour son public, des beaufs ignorants, qu’elle peut embobiner comme l’a fait son père. Et ça passe. Marine Le Pen usurpe la souffrance et le combat d’un peuple que tout son fonds de commerce méprise et rejette. Aucun risque, le viol des foules reste impuni.
Usurpation suivie d’un petit cortège d’articles prévisibles, un peu indignés, un peu amusés et voilà. Au suivant. Il a fallu la condamnation de la famille de Martin Luther King (via BFM.com) pour mesurer la résignation ambiante. À l’instar de nombreux médias, Marine Le Pen applique à la lettre la formule de Raoul Vaneigem, « entasser l’ignorance dans le cerveau des résignés ».
Mais d’abord, de quelles grandes figures l’extrême-droite peut-elle se réclamer ? Pétain ? Maurras ? Jésus Christ ? Pascal Praud ? La liste est courte, très courte. Et c’est à ça qu’on les reconnaît. Alors ils viennent voler les trophées d’en face. Le Dr King cette fois-ci, mais bientôt Dreyfus, Jaurès, Louise Michel ou Gisèle Halimi. Ou mieux encore, plus radical, faire comme Trump : fermer les universités, en finir avec le savoir, éteindre les Lumières. C’est maintenant. Cette histoire est sous nos yeux, entre nos mains, aujourd’hui.
Et dans nos oreilles aussi avec Springsteen quand même, histoire de se dire que l’Amérique n’est pas que Trump. Et histoire de vous mettre au défi de ne pas danser sur « You never can tell » !
« Quand on est dans la merde jusqu’au cou, il ne reste plus qu’à chanter », disait Samuel Beckett. Alors chantons, c’est nous qui avons les plus belles chansons.
Daniel Mermet
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La famille de Martin Luther King accuse Marine Le Pen
Marine Le Pen
est la fille de Rosa Parks !
Le
« Une tentative de déformation et d’établissement de fausses équivalences avec la lutte du Dr King pour les droits civiques ». C’est la réaction cinglante de la famille de Martin Luther King aux propos obscènes de Marine Le Pen, qui se compare aux descendants des esclaves américains des années 60 en lutte pour leurs droits civiques !
Marche à Selma, Alabama, 7 mars 1965
Marine Le Pen l’affirme,
elle a rompu avec son père.
Vraiment ?
Lui, c’est avec des phrases sur les chambres à gaz, « un point de détail de l’histoire », ou sur le ministre « Durafour crématoire » qu’il a atteint la célébrité. Bien d’autres avaient les mêmes idées d’extrême-droite et les mêmes ambitions. Mais Le Pen, c’est avec ses outrages et ses blasphèmes repris à fond dans tous les médias et qui, chaque fois, soulevaient des tempêtes d’indignation qu’il a acquis sa popularité. Une popularité diabolique et donc séduisante pour toutes les colères et les frustrations qui fermentaient depuis longtemps et qui, faute de trouver leur expression du côté d’une gauche qui s’éloignait vers des rivages plus suaves et plus solvables, trouvaient enfin là, l’homme fort qui combat le bien-pensant, écrase l’assisté, chasse l’étranger et élimine tous ces déchets qui entravent la grandeur de la France.
Marine Le Pen a-t-elle vraiment rompu avec celui qui fut condamné au moins 25 fois pour apologie de crime de guerre, provocation à la haine et à la discrimination, pour injure publique et pour antisémitisme ? Un « détail » que nie d’ailleurs Jordan Bardella, plan B du RN, qui à 29 ans se verrait bien à l’Elysée en 2027. Il l’a dit et répété : « Je ne crois pas que Le Pen était antisémite [1] ».
Mais elle, Marine ?
Elle n’a pas oublié la combine médiatique de papa en matière de blasphème et d’outrance pour mobiliser l’opinion. Devant ses partisans (pas trop nombreux) réunis à Paris, place Vauban, venus l’entendre contester sa condamnation à cinq ans d’inéligibilité avec application immédiate pour détournement de fonds publics, elle n’a pas hésité à faire appel à Martin Luther King.
« Notre ligne de conduite, c’est celle pacifique du pasteur Martin Luther King et sa lutte pacifique pour les droits civiques des citoyens américains à l’époque opprimés et privés de leur droit ».
Ainsi, la riche héritière Marine Le Pen, condamnée pour détournement de fonds publics, se compare aux descendants des esclaves afro-américains qui luttent à mort dans ces années 60 pour obtenir leurs droits civiques, alors qu’elle préside un parti qui a le racisme pour fonds de commerce, le rejet de l’étranger et la hantise du grand remplacement.
On rigole. En vérité, Marine est la fille de Rosa Parks et de Thomas Sankara et la sœur d’Anne Frank. Tout comme Zemmour est le fils caché de Jean Moulin.
« Nous prendrons exemple sur Martin Luther King qui a défendu les droits civiques ». Elle a répété ces éléments de langage dans une visio conférence aux partisans de la Lega, le parti d’extrême-droite italien de son allié Matteo Salvini.
Sauf que, surprise, la famille de Martin Luther King réagit avec dégoût et dénonce sur BFM.com « une tentative de déformation et d’établissement de fausses équivalences avec la lutte du Dr King pour les droits civiques ».
Et à l’heure où Trump (le modèle du RN) massacre la société américaine, la famille du pasteur King tient à préciser : « Ses
efforts ont inspiré des générations d’Américains et ouvert la voie à la
création de la vision d’une communauté bien aimée, fondée sur l’unité
plus que la division ».
Et voila, gros mensonge, tel père, telle fille.
Gros mensonge qui exploite l’ignorance ou la connaissance vague de l’histoire. Et donc une EXCELLENTE occasion de rappeler qui fut Martin Luther King "universellement célèbre et aussi mal connu", selon l’excellente Sylvie Laurent [2]. L’entretien sur sa biographie est à revoir ici.
Daniel Mermet
Notes
[1] BFMTV, 5 novembre2023
[2] Martin Luther King. Une biographie intellectuelle et politique, Seuil, 2015
Source : https://la-bas.org/la-bas-magazine/textes-a-l-appui/marine-le-pen-est-la-fille-de-rosa-parks
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