Condamnée à payer
161.000 euros
pour dénigrement
des vins de Bordeaux,
Valérie Murat
repart au combat
Depuis plus de trois ans, la lanceuse d’alerte bordelaise Valérie Murat, porte-parole d’Alerte aux toxiques, était réduite au silence par un jugement gagné en première instance par les syndicats et négociants en vins de Bordeaux. Un « procès bâillon » pour l’association qui entend poursuivre son combat contre les pesticides en viticulture.
Par Julien Rapegno
08 octobre 2024
L’association Alerte aux toxiques a réglé
l’intégralité des dommages et intérêts à laquelle elle avait été
condamnée en 2021 pour « dénigrement » des vins de Bordeaux. On lui
reproche la publication d’analyses de vins HVE (Haute valeur
environnementale), une certification très prisée par les vignerons du
Bordelais.
« Nous avons payé en octobre dernier 142.089 euros au
Comité interprofessionnel des vins de bordeaux (CIVB) et aux 25
syndicats viticoles et négociants du Bordelais » qui avaient joint leur
plainte à celle de leur interprofession. « Ils ont refusé d’encaisser
les chèques en octobre. En janvier, ils ont exigé les intérêts. On a
ajouté 18.225 euros en mars. Ce qui fait un total de 161.000 euros »,
décompte Valérie Murat, porte-parole de l’association.
Une peine record contre une petite association et sa porte-parole
La peine record prononcée par le tribunal de Libourne en 2021 était assortie d’une exécution provisoire. Sans paiement, pas de recours possible.
« Quand on a eu le jugement, on a fait appel tout de suite. Et on a commencé à payer : 400 euros du compte de l’association, 400 euros de mon compte personnel car on n’avait pas les fonds exigés »,
La lanceuse d’alerte est, dans le civil, une salariée aux revenus modestes. Cet échelonnement a été refusé par la partie adverse mais le miracle a eu lieu. « On a lancé un financement participatif et reçu beaucoup de dons directs », se félicite Valérie Murat.
Interdiction formelle de rendre publiques des analyses sur les vins de Bordeaux certifiés HVE
Dans le temps imparti, quelque 3.000 contributeurs (dont des organisations nationales) ont permis à David d’affronter Goliath. « Ce procès bâillon c’est aussi un message à tous ceux associations, militants qui essaient de mettre la question des pesticides sur la table. Le lobby de la viticulture déploie des moyens de plus en plus puissants : dix avocats pour un procès », dénonce celle dont la vie a été fouillée afin de sonder sa solvabilité. Valérie Murat dénonce ces méthodes.
« Ils sont allés chercher la succession de mon père, mort des pesticides avec reconnaissance de maladie professionnelle en 2012. Ils sont allés prendre des photos du domicile de ma mère ».
Pour ne pas compromettre son recours, Alerte aux toxiques a pris soin de respecter toutes les prescriptions du premier jugement : « On a disparu des réseaux sociaux, le site de l’association a été désactivé ».
L’association ne devait surtout plus diffuser ce qui lui a valu d’être
condamnée pour dénigrement : une étude commandée à un laboratoire
quantifiant des teneurs en résidus de pesticides de synthèse dans 22
vins, dont 19 bordeaux, certifiés Haute valeur environnementale (HVE). À
l’époque, les représentants des viticulteurs bordelais avaient justifié
leur plainte par le fait que cette présence de pesticides était
infinitésimale, « entre 60 et 5.000 fois en dessous des limites
autorisées par la réglementation française » avaient-ils avancé.
Le laboratoire ayant produit ces résultats s’était
lui-même désolidarisé de l’usage qui en avait été fait par Alerte aux
toxiques.
Requinquée après trois ans de silence forcé, Valérie Murat
compte bien démontrer en appel que la partie adverse utilise des
arguments fallacieux : « en viticulture, les seules limites maximales de
résidus (LMR) qui existent portent sur le raisin dans la cuve. Pour le
produit fini, c’est-à-dire dans la bouteille, il n’y a pas de limites
maximales de résidus ».
La « cagnotte » attaquée par la partie adverse
Contacté, le CIVB n’a pas souhaité commenter. Son porte-parole, Christophe Chateau, a opté pour une réponse laconique : « La liberté d’expression existe, la diffamation et le dénigrement sont condamnables. Laissons la justice faire son travail ».
Une décision du 11 septembre de la Cour d’appel de
Bordeaux a débouté les viticulteurs qui attaquaient l’appel à dons
d’Alerte aux toxiques.
« Ils se sont appuyés sur un article de la loi
sur la liberté de la Presse de 1881 qui concerne la diffamation. Le
tribunal civil a considéré que notre cagnotte n’était pas illégale car
elle n’a jamais troublé l’ordre public », commente Valérie Murat, qui
dénonce de nouvelles manœuvres dilatoires : « Le lobby bordelais avait
engagé une procédure en dénigrement et non en diffamation, pour
justement ne pas s’inscrire dans la loi qui protège la liberté
d’expression et le droit d’informer ».
Pour la lanceuse d’alerte, l’appel permettra d’aborder le dossier sur le fond et contraindra ses contradicteurs « à s’expliquer sur leurs motivations pour déposer plainte à 26 entités différentes contre une petite association et sa porte-parole ».
Un recours au Conseil d' Etat contre la certification HVE
Le sujet des pesticides reste très sensible en Bordelais. Contactée, l’Association Vignerons bio de Nouvelle-Aquitaine ne « souhaite pas intervenir sur ce sujet ». Le soutien est plus franc au niveau national. Alerte aux toxiques a été aidée financièrement à faire face à sa condamnation. Notamment par Générations futures qui lutte contre l’emploi des pesticides et porte un recours au Conseil d’État contre la certification HVE avec d’autres ONG (*). Si les critères d’attribution du certificat HVE ont été resserrés en 2022, les défenseurs de l’Environnement lui reprochent depuis l’origine (2010) de créer une confusion pour le consommateur avec le label AB, beaucoup plus exigeant. Le recours au Conseil d’État pointe une « tromperie » en raison de « l’absence de restrictions sur l’utilisation des pesticides les plus dangereux, un manque de rigueur dans les exigences liées à la biodiversité et la gestion des ressources naturelles ».
Julien Rapegno
(*)
La FNAB (Agriculture biologique), UFC-Que Choisir, Synabio,
Bioconsom’acteurs, Réseau Environnement Santé, Agir pour
l’environnement.
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