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samedi 10 août 2024

Cette paysanne qui voulait « cultiver l’eau »


Cette paysanne qui voulait 

« cultiver l’eau »

 

9 août 2024

Marlène Vissac a acquis sa ferme en 2022 à Tayrac, dans l'Aveyron.


Face aux sécheresses qui s’intensifient, Marlène Vissac développe une pratique « hydronomique ». À contre-courant des pratiques intensives, l’éleveuse de brebis plante des arbres et enrichit ses sols.

Tayrac (Aveyron), reportage

Baignée d’un timide soleil, l’herbe grasse forme un tapis émeraude. Au milieu de la prairie verdoyante, de curieuses lignes claires se dessinent. Message extraterrestre ? Vestiges néolithiques ? « Ce sont de jeunes haies », sourit Marlène Vissac, tout en enroulant sa chevelure châtain en un chignon rebelle. Planter des rangées d’arbres en travers de la pente, quelle drôle d’idée ! Pourtant, la paysanne sait très bien ce qu’elle fait : elle « cultive l’eau ».

Après des années à bourlinguer, la quadra a posé ses valises en 2022 sur cette colline du Ségala, au hameau des Crozes. Avec un double objectif, « devenir nourrisseuse et mener [s]on combat depuis le terrain ». Un « combat » de longue haleine, débuté une décennie plus tôt comme éducatrice à l’environnement : adapter l’agriculture au bouleversement climatique.

 

Avec ses brebis, elle pratique le pâturage tournant dynamique : elle change régulièrement ses bêtes de place. Les brebis ont une alimentation fraîche, sans pour autant épuiser les sols, et cela répartit les déjections. © David Richard / Reporterre

 

En premier lieu, en s’attaquant au défi de l’eau. Les yeux plissés par la lumière, l’éleveuse pointe les parcelles jaunies sur la crête. « Même s’il peut pleuvoir beaucoup en hiver, l’été, c’est le désert ici, glisse-t-elle. L’eau dévale les pentes et s’en va dans les vallées. » Sans compter les aléas climatiques, chaleur, vent du sud… Résultat : les prés s’assèchent et ne suffisent plus à nourrir les bêtes.

Pour faire face, Marlène Vissac a fait des choix radicaux. Dans ce pays réputé pour sa viande de veau, elle a opté pour des brebis Raïole, une race cévenole rustique en voie de disparition. « Les prairies ne sont plus assez riches pour les bovins », insiste-t-elle. Et pour ne pas surcharger ses 11 hectares, elle utilise le « pâturage tournant dynamique ». Il s’agit de parquer les bêtes sur une petite surface de la parcelle, et de les déplacer très régulièrement — jusqu’à 2 à 3 fois par jour.

Une pratique agroécologique reconnue, qui « permet de donner une alimentation fraîche à l’animal, sans épuiser la ressource du sol, tout en répartissant les déjections de manière homogène sur la parcelle », conclut la bergère. En contrebas, Mario, Arsène et Undrilla, les trois béliers de la ferme, semblent agiter leurs cornes en signe d’acquiescement.

 

Dans son jardin potager, on trouve des légumes résistants à la sécheresse, comme les concombres citrons et les courges blanches d’Égypte. Mais aussi des baies de Goji, des oignons, des patates, des cassis, de la sauge. © David Richard / Reporterre

 

Un « point clé »

Préserver et enrichir les sols, tel est le credo de Marlène Vissac. Car, répète-t-elle à l’envi, « penser l’eau sans penser aux sols, ça n’a pas de sens ». Retroussant la manche de sa chemise tartan, elle cueille délicatement un brin d’herbe. « L’eau qui ruisselle, qu’on appelle aussi “l’eau bleue”, n’est pas utile pour les plantes. Il faut qu’elle se transforme en “eau verte”, c’est-à-dire en une multitude de petites gouttes mélangées à la terre… comme une sorte de pellicule d’eau. » Pour que la magie opère, il faut des racines et des micro-organismes « qui aident à structurer le sol en agrégats qui sont autant de surfaces d’accroche pour ce film aqueux ».

Mais ce n’est pas tout. « On a besoin de matière organique, pour permettre l’effet éponge du sol, augmenter sa capacité de rétention d’eau, poursuit celle qui s’est formée en autodidacte, le nez dans les livres et les pieds dans les bottes. Et il faut enfin des racines d’arbres avec des mycorhizes, afin de faire transiter l’eau à travers la parcelle ». Ces symbioses entre champignons et végétaux constituent autant de réseaux souterrains capables de transporter nutriments et humidité.

 

Des haies préexistantes entourent sa parcelle. © David Richard / Reporterre

 

D’où ces alignements d’arbres qui éclosent à travers le pâturage. Tilleul, mûrier blanc, sorbier des oiseleurs, érable de Montpellier, cormier. Tous ont été plantés suivant un motif précis, le « keyline » . Inventée par un agriculteur australien, Percival Alfred Yeomans, cette technique vise à « ralentir, infiltrer et répartir l’eau ». Attention, prévient d’emblée l’agricultrice : ce mode d’aménagement n’a rien d’une recette miracle. En clair : tracer ces courbes dans les champs tout en pratiquant une agriculture intensive qui épuise les sols n’apportera aucun bénéfice sur l’eau.

Son border collie assis sagement à ses pieds, la paysanne indique un arbre planté à mi-hauteur, au creux de sa prairie vallonnée. C’est son « point clé », « cet endroit particulier où la pente s’adoucit », où l’eau ralentit sa course. À partir de là, elle a tracé une ligne perpendiculaire à la pente, en suivant la courbe de niveau. Un motif ensuite répliqué quelques mètres plus bas. C’est le long de ces sentes serpentines qu’elle a finalement enraciné ses arbres.

Sur une de ses parcelles, elle a planté des haies selon le principe « keyline ». © David Richard / Reporterre

« Ces haies jouent un rôle de paravent, de parasol et distribuent l’eau sur toute la parcelle », résume-t-elle. Des techniques éprouvées dans d’autres pays, diffusées chez nous sous le nom d’hydrologie régénérative. Mais encore vues comme hasardeuses — voire moquées — par le monde agricole. « Planter des haies, c’est considéré comme une pratique d’arrière-garde », soupire l’agricultrice, qui tente, depuis plus de six ans, de transmettre ses connaissances à ses confrères et consœurs.

Son bureau d’études, Hydronomie — mélange d’agronomie et d’hydrologie — propose ainsi un accompagnement et des formations aux acteurs agricoles. Paysan boulanger dans le sud de l’Aveyron, Guillaume Delaite a pu expérimenter certains aménagements sur une parcelle de 6 hectares. Quatre ans après ses premiers tests, il constate des changements : « On a arrêté l’érosion, le sol ne part plus au moindre orage, dit-il. Mais les arbres ont du mal à pousser, entre le gel et la sécheresse... C’est un travail de longue haleine. »

Malgré des résultats encourageants, peu d’agriculteurs sautent le pas « hydronomique ». « La brutalité des saisons, le Covid, la crise de la bio ont fragilisé les exploitations, qui n’osent plus se lancer dans des transitions agroécologiques sur plusieurs années, abonde Marlène Vissac. Et politiquement, c’est dur, on ne jure que par les mégabassines. »

Pour tenter de rallier les sceptiques, la paysanne a entrepris un programme de recherche, sur six ans, afin de « démontrer l’intérêt de ces pratiques ». Un projet autofinancé, au vu du manque d’intérêt et de moyens de la recherche publique. « Comment éveiller les consciences avec le temps qu’on n’a pas, voilà ce qui m’empêche de dormir », souffle-t-elle. Alors elle turbine, « parfois jusqu’à 100 heures par semaine », entre son troupeau de 30 brebis, la vente de ses agneaux, ses formations, la rénovation de sa future « école paysanne » et son potager.

 


Source : https://reporterre.net/Cette-paysanne-qui-voulait-cultiver-l-eau

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