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jeudi 3 août 2023

Le manifeste des 343 salopes

C'est l'été ! 

« Charlie » vous emmène... 

en 1971

 


Nous sommes en 1971. L'avortement est encore illégal en France, sauf en cas de danger pour la vie de la femme enceinte. Bien qu'interdit, de nombreuses femmes ont recours à des avortements clandestins et dangereux, risquant au passage leur vie ou une condamnation à de la prison ferme.

Dans une société alors encore très conservatrice, la parole des femmes visant à briser le tabou entourant l'avortement prend peu à peu de l'ampleur. Le 5 avril 1971, 343 femmes, dont de nombreuses personnalités comme Catherine Deneuve ou Simone de Beauvoir, publient un manifeste dans Le Nouvel Observateur dans lequel elles avouent avoir eu recours à des avortements clandestins. Les signataires demandent le droit à l'avortement pour toutes, qui sera obtenu en 1975 par l'adoption de la loi Veil, au prix d'un combat acharné.

Une semaine plus tard, le 12 avril 1971, Charlie Hebdo fait sa une sur ce sujet. Michel Debré, réputé nataliste et anti-avortement, y est moqué et tourné en dérision. C'est pourtant le mot salope qui restera dans les mémoires. Ce manifeste devient alors pour la postérité « le manifeste des 343 salopes », au point que Le Nouvel Observateur le republiera sous ce nom en 2007. Pour certains, l'utilisation du mot « salope » est le reflet d'un anti-féminisme encore prégnant et un moyen supplémentaire de les décrédibiliser. D'autres, au contraire, s'en sont emparés et le revendiquent.

Porté par ses célébrités, le manifeste a un retentissement massif sur l'opinion publique française en contribuant à amener ce débat sur la place publique. Son influence dépasse même les frontières puisque l'Allemagne s'en inspirera pour en faire sa propre version. Il continue encore aujourd'hui d'inspirer les combats féministes en France en tant que source d'inspiration dans les luttes en faveur de la légalisation de l'avortement et de la reconnaissance des droits reproductifs des femmes. 

Un combat malheureusement toujours d'actualité, puisque ce droit que l'on pensait acquis recule dans de nombreux pays, à commencer par les États-Unis en 2022.



 

 

L'EDITO
 

343


Les salopes !

Les salopes, les salopes, les salopes !

Pourquoi m'ont-elles fait ça, à moi ? Qu'est-ce que je leur avais fait, moi ? Et voilà : maintenant, je ne pourrai plus les voir au­trement que couchées sur le dos, cuisses en l'air, ouvertes béantes fracturées à la pince-monseigneur, des caillots pleins les poils, dégoulinantes de sang noir et de toutes ces saloperies gluantes dont elles ont le secret... Qu'est-ce qu'elle devient, la poésie, là-dedans ? Au secours ! J'ai be­soin de poésie, moi ! La femme, son mys­tère, ses lys, ses roses, son satin, sa fleur secrète, sa grotte miraculeuse... Mon Dieu, mon Dieu, qu'est-ce que je vais devenir ?

Je m'en doutais bien un peu qu'elles fai­saient des choses derrière notre dos. Des choses malpropres, pipi, caca, bébé. Des choses malpropres et malhonnêtes : avor­ter. On chassait bien vite la vilaine image. Tant que ça se passait en dehors des heures de service — je veux dire en dehors des instants ineffables — rien à dire. Mais voilà qu'elles nous fourrent le nez dedans. Impossible de continuer à ignorer que le boudoir est contigu à la salle de bains, que l'alcôve débouche sur la salle d'opérations. La femme sans son piédestal, ce n'est plus qu'une fente. Même pas : une blessure, et qui tient à nous faire savoir qu'elle peut n'être que barbaque saignante et geignante.

J'aurai du mal à m'en remettre. Traumatisé profond. En tout cas, les 343 bonnes fem­mes de la liste de l'« Observateur », qu'elles ne comptent plus sur moi pour draguer dans leurs eaux. Tant pis pour elles, elles ne savent pas ce qu'elles per­dent. Le tirage de cet hebdomadaire va monter terrible. Tout le monde voudra sa­voir si, par hasard, il n'y aurait pas sur la liste le nom de la petite belle-soeur, ou celui de la prof d'anglais du gosse, celle qui fait tant la fière. Dès la semaine pro­chaine, tous les autres journaux vont en faire autant, concurrence oblige. Ce sera à qui publiera la plus grosse liste, les plus beaux noms. Moi je vous le dis, on n'a pas fini de souffrir dans notre psychologie, nous les mâles.

J'ai lu toute la liste. Je ne connais pas toutes ces nanas, mais j'ai quand même vu qu'il y a là-dedans beaucoup d'actrices, de femmes de lettres, de journalistes. Celles-là sont plus salopes que les autres, je m'en étais toujours douté. Sauf les jour­nalistes de la « Croix », peut-être. Je n'ai pas vu un seul nom de journaliste de la « Croix ». Je sais ce qui me reste à faire. Je ne draguerai plus qu'à la « Croix ». Oui, mais, à la « Croix », les bonnes femmes, c'est des curés. Évidemment, ça donne à réfléchir. Avec un curé, on ne sait jamais où on met les pieds, c'est toujours pour le bon motif. On commence par se parler dans le cou, les doigts enlacés, on se re­trouve avec une hostie dans la bouche, si tu la mords tu vas en enfer. Oui. Je ricane bêtement. Je devrais pas.

À VOIR AUSSI : Rétrospective - Le manifeste des 343 salopes

Le professeur Paul Chauchard, directeur à l'École des Hautes Etudes, ne rigole pas, lui. Pour le professeur Chauchard, l'avor­tement est un assassinat, et pas seulement l'avortement mais toute manoeuvre contra­ceptive, y compris la masturbation. Le pro­fesseur Chauchard, cela va de soi, parle en scientifique strict, et c'est, bien sûr, pure coïncidence si ses conclusions « ob­jectives » sont exactement celles que pour­rait avoir le bigot enragé qu'il se glorifie d'être en dehors des heures de bureau. Le professeur Chauchard est une espèce de dingue mystique, anachronique et effrayant, pour qui le souci de sauver son âme éter­nelle passe avant tout. Ses conclusions « objectives », le professeur Chauchard va humblement les chercher au confession­nal. L'Église catholique ayant récemment renforcé sa traditionnelle position en fa­veur du lapinisme à outrance, on sait d'avance ce que vont être les conclusions d'un Chauchard, et peu importent les che­mins qu'il empruntera pour y arriver, ce ne sont qu'arguments à-posteriori auxquels, peut-être bien, il se laisse prendre lui-même.

Nous sommes en ce moment sur terre plus de trois milliards de bonshommes, dont les deux tiers ne mangent pas à leur faim. Dans vingt-cinq ans, nous serons six milliards. Tout le monde sait ça et le répète, tout le monde sait aussi qu'on ne pourra, au mieux, nourrir en suffisance qu'un cinquième à peine de ces six mil­liards. En même temps que le nombre des bouches à nourrir croît en catastrophe, leur qualité génétique diminue, parce que les tarés non stériles ne meurent plus avant d'avoir procréé, parce que aussi les radia­tions dangereuses croissent en quantité, et ça ne fait que commencer. Le niveau phy­siologique, intellectuel et caractériel de l'ensemble humain ne peut que baisser. La courbe plonge déjà.

Et c'est dans ce moment que l'on se cram­ponne au tabou du Plus Grand Nombre ! Que les gouvernants, bien soutenus par l'Église, poussent aux familles nombreuses ! C'est pas un crime, ça ?

Alors que s'il faut restreindre la liberté de procréer, c'est dans l'autre sens ! Et impé­rieusement ! Et vite ! Foutre en taule les pères de plus de deux enfants. Stériliser les pères de plus de trois. (Ça n'empêche pas de bander, ni d'éja­culer, ni, donc, de faire plaisir aux dames. Alors...) Oui, j'en vois qui ouvrent la bou­che pour gueuler au malthusianisme et au nazisme. C'est des vilains mots, ça. Tour­nez sept fois votre langue.

Pour l'Église, pour les croyants, tous les humains se valent, tous sont également sacrés, puisque tous ont une âme, peu importe sa qualité, c'est Dieu qui l'a mise là-dedans. Les âmes « mauvaises », Dieu se les fera souffrir éternellement, bien à son aise, c'est ses oignons, on n'a pas à s'en mêler. Mais l'explosion démo ? Mais la famine, la misère, la catastrophe ? Pas nos oignons. Dieu y pourvoira. Baise, ponds, bosse, sois bien poli, dis tes prières, on t'en demande pas plus, le paradis est au bout. Le niveau mental baisse ? Excel­lent, ça. L'intelligence est la mère de tous les vices.

Bizarrement, le sacro-saint tabou du respect de la vie, si strict quand il s'agit d'un embryon, voire d'un spermatozoïde, s'as­souplit beaucoup en ce qui concerne les individus mâles de 18 à 45 ans aptes à porter les armes. Oh, l'Église condamne la guerre de façon générale, la guerre quel dommage, mon Dieu, mon Dieu, mais elle ne s'est jamais opposée à UNE guerre. Elle n'a jamais excommunié un chef d'armées. Elle bénit les drapeaux et les vaisseaux de guerre.

Et puis, tiens, j'en ai marre. J'avais pris le coup de sang devant la flaque de diarrhée du père Chauchard. Ça va déjà mieux.

Les femmes ne veulent plus être des pon­deuses à tout va. Elles veulent pondre si elles en ont envie, quand elles en ont envie. Au nom de la liberté, au nom du droit à organiser sa vie comme on l'entend du moment que ça n'emmerde personne. Il se trouve que cette recherche du bon­heur individuel converge avec la nécessité de stopper la machine démographique em­ballée. Alors, vive les bonnes femmes ! Et il ne faut pas s'en tenir là. Pourquoi ne pas lancer une formidable campagne à l'échelle mondiale : « Non aux six mil­liards ? » Au lieu de rester là, comme des cons, résignés, à regarder le tas monter. Les chrétiens et les autres barbouillés - de transcendance n'auront qu'à ajuster leurs dogmes. Ils le peuvent parfaitement. La preuve : les protestants, qui admettent très bien divorce, pilule et avortement. Si l'Église ne le fait pas, c'est parce qu'elle obéit, à son tour, à des intérêts supérieurs. Supérieurs à Dieu : les intérêts des exploi­teurs de pauvre monde.

Alors, qu'elle crève. Et nous avec, hélas.

 
Édito de François Cavanna dans le numéro du 12 avril 1971


Source : https://3wpse.r.a.d.sendibm1.com/mk/mr/sh/7nVTPdZCTJDXPd4Ajdk2CTt2spI0NZS/z1DWN544e68H

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