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jeudi 17 août 2023

En colonie de vacances à la zad de Notre-Dame-des-Landes

En colonie de vacances 

à la ZAD

de Notre-Dame-des-Landes

 

 

11 août 2023

 


 

Prises de décisions collectives, tâches ménagères, communication… Immersion dans une colonie de vacances qui veut responsabiliser les enfants, à la zad de Notre-Dame-des-Landes.

Vous lisez le troisième volet de notre série d’été « Les enfants et la nature ». Le premier se trouve ici et le second . Abonnez-vous à notre lettre quotidienne pour ne pas manquer la suite.



Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), reportage

« Attention, baissez la tête ! » Assis à l’arrière de la calèche, les quatre garçons se penchent en riant et protègent leur crâne sous leurs mains. Le véhicule, tracté par une jument baptisée Régate, s’avance sur les chemins cahoteux d’un sois-bois, autour de la zad de Notre-Dame-des-Landes.

En plein cœur de cette chaude journée d’été, la promenade équestre constitue l’une des activités du jour choisies par les enfants, durant leur colonie de vacances.

 

Le camp est situé sur la zad de Notre-Dame-des-Landes. Si certains enfants connaissent l’histoire du lieu, ce n’est pas le cas de tous. Mais ils explorent le territoire et rencontrent les gens qui y vivent. © Justine Guitton-Boussion/Reporterre


 

Pendant que ce petit groupe essaie d’éviter les branches fouetteuses, un deuxième découvre les vaches et l’atelier de forgerie de la ferme de Bellevue. Une dernière bande d’enfants a préféré rester au camp, installé un peu plus loin sur la zad.

Au programme : du bricolage, pour reproduire des objets du jeu de société Galérapagos. « C’est super chouette, on est loin de la ville, il n’y a pas le bruit des voitures. J’adore cet endroit », se réjouit Louis, 12 ans.

Ici, en plus du calme du bocage, et du bien-être que procure la proximité avec la nature, l’association rennaise La Bidouillerie veut proposer à ses 24 petits vacanciers un cadre bien particulier, basé sur « les pédagogies de la décision ». « Les enfants sont acteurs de l’organisation du séjour », explique Raph, membre de la coprésidence de l’association.

 

Rassemblés à l’intérieur d’un grand dôme vert, mi-tente mi-yourte, les enfants sont invités à choisir le programme de leur journée. © Justine Guitton-Boussion/Reporterre

Ainsi, dans cette colonie de vacances, chaque matinée commence avec un « forum ». Rassemblés à l’intérieur d’un grand dôme vert, mi-tente mi-yourte, les enfants sont invités à choisir, guidés par leurs animateurs et animatrices, le programme de leur journée.

Une à une, les suggestions d’activités — écrites par les enfants la veille sur des petits papiers — sont listées : « Faire une grande bataille navale », « un concours de cuisine », « écrire une chanson », « aller à la forge »… Mais pas toujours facile de faire dialoguer ensemble 24 enfants.

Bâton de parole

Dans le dôme, les voix aiguës s’élèvent, s’entremêlent, et il devient difficile de suivre. « On ne s’écoute pas toujours, reconnaît Rose, 11 ans. Cette semaine, on a essayé d’utiliser un bâton de parole à tour de rôle, ça n’a pas trop fonctionné. On a tenté des discussions en petits groupes, avec un porte-parole qui discute ensuite avec les autres, c’était mieux. »

Les enfants n’ont pas l’habitude. Ils tâtonnent. Mais ils réussissent à prendre leurs marques, au fil des jours. « Voir des enfants de 8 à 12 ans qui s’approprient des outils d’autogestion et de prise de décision, c’est génial, se réjouit Lucie, animatrice. Plus vite tu te les appropries, plus vite tu es attentif aux autres. En fait, c’est apprendre à vivre ensemble. »

 

Les enfants peuvent choisir le déroulé de leur journée. © La Bidouillerie

 

Même si la plupart des enfants ont d’abord la critique facile contre ces temps de forums — « C’est trop long, alors qu’on a envie de jouer » — ils reconnaissent tous que, sans lui, ils ne pourraient pas être maîtres de leur journée. Or c’est bien ce qu’ils préfèrent ici.

« Ici, on nous demande notre avis », s’enthousiasme Suzie, 12 ans, en préparant sa pièce de théâtre pour la soirée talents. Les petits vacanciers sont nombreux à rapporter qu’ils ont l’impression que ce n’est pas le cas d’habitude — notamment à l’école.

« On peut décider de ne rien faire aussi »

« On peut décider de ne rien faire aussi », sourit malicieusement Félix, 10 ans, allongé avec ses copains sur le trampoline. S’ils ne souhaitent pas participer aux grands jeux, les enfants ont le droit de se balader sur le camp, lire, jouer au ballon, se reposer…

« Leur vie est déjà tellement calibrée entre l’école, les devoirs, leurs activités… Ici, c’est un endroit où ils peuvent expérimenter l’ennui », dit Romane [*], animatrice.

 

La Bidouillerie veut réduire au maximum son impact environnemental. L’association a installé des toilettes sèches et des douches solaires sur le camp. Un seul panneau solaire (et des bouteilles de gaz pour la cuisine) alimentent toute la colonie de vacances. © Justine Guitton-Boussion/Reporterre

Pas question toutefois de buller pendant une semaine sans mettre la main à la pâte. Tous les jours, après le déjeuner — dont les enfants ont aussi choisi la composition au moment du « forum » — vient le moment des tâches collectives.

Un petit groupe s’occupe de la vaisselle, un autre de nettoyer le camp, un autre de vider les toilettes sèches… « Les premières fois, c’est compliqué, les enfants sont dégoûtés par les toilettes, s’amuse Chloë, animatrice. Il faut se retrousser les manches, et au fur et à mesure des jours ça devient naturel, ils ont même envie de le faire. »

« Quand tu as lavé plusieurs fois les douches, les toilettes, tu comprends le travail que ça représente. Tu deviens responsable de l’espace », estime Romane.

 

Les enfants ont profité du « temps brico » pour construire des pancartes et improviser une manif’. Parmi les principales revendications : pouvoir dormir dans le trampoline la nuit suivante. © Justine Guitton-Boussion/Reporterre

 

Dans la vision de La Bidouillerie, faire participer les enfants à des tâches collectives est aussi une manière de « sortir d’un rapport de service, de consommation ».

De la même manière, plutôt que de réserver des « activités coûteuses qui demandent l’intervention d’une équipe extérieure », et « reproduisent une vision productiviste des vacances », l’association préfère encourager les activités manuelles sur le camp, de la création de bracelets au bricolage.

 

Les enfant écrivent sur des petits papiers les activités qu’ils aimeraient réaliser. © Justine Guitton-Boussion/Reporterre

 

« Il suffit d’avoir passé un “permis outil”, et on peut ensuite en utiliser pendant les “temps brico” », explique Félix, qui a justement commencé la construction d’une cabane dans les arbres.

« Pourquoi les enfants ne seraient-ils pas capables d’utiliser des outils ? fait mine de s’interroger Romane. Même s’ils sont petits, ils sont en capacité d’être autonomes, quand on leur a appris à le faire. »

Ce jour-là, les enfants en profitent donc pour construire des pancartes et improviser une manifestation dans le camp. Parmi les principales revendications : pouvoir dormir dans le trampoline la nuit suivante — ce qui leur sera accordé, à la condition de bien se couvrir.

« Certains ont pleuré, les autres les ont rassurés »

La fin de journée approche, la température baisse enfin, et vient le moment des « temps bilan ». Les enfants se dispersent aux quatre coins du camp, pour former des petits groupes encadrés par chacun des sept animateurs.

« Vous pouvez raconter une pépite - un moment positif — et un chardon — un truc moins sympa — à partager avec tout le monde », introduit Chloë. Chacun à leur tour, les enfants évoquent en vrac la balade en calèche, le repas du midi, un moment privilégié avec un ami…

« Pendant un temps bilan, un soir, ils ont été plusieurs à se confier sur l’école, les notes, ce qu’ils trouvent injuste, nous raconte ensuite Chloë. Certains ont pleuré, les autres les ont rassurés. Ils avaient besoin de s’exprimer dans un cadre différent de ce qu’ils connaissent d’habitude. »

« Il suffit d’avoir passé un “permis outil”, et on peut ensuite en utiliser pendant les ”temps brico” », explique Félix, qui a justement commencé la construction d’une cabane dans les arbres. © Justine Guitton-Boussion/Reporterre

Entre les « forums », les « temps bilan », et même les temps dits « papote », les enfants de La Bidouillerie sont sans cesse incités à prendre la parole. « L’autre soir, on a lu une bande dessinée qui expliquait ce qu’était le racisme, raconte Ulysse, 12 ans. Il y a des chiffres qui m’ont fait peur. En discuter, ça m’a soulagé. »

« On essaie de ne pas être dans un truc descendant où on leur explique la vie », dit Raph. Les animateurs essaient surtout de faire parler les jeunes sur ce qu’ils ressentent, leurs expériences, et les invitent à développer leur esprit critique.

« Je pense qu’ils ne comprennent pas toujours tous les sujets sur le coup, mais c’est quelque chose qui infuse et va les accompagner », poursuit Raph.

Mixité sociale

Pour s’inscrire, il faut compter 480 euros par enfant. Par ailleurs, 25 % des places des colonies de vacances de La Bidouillerie sont réservées aux partenaires sociaux : l’Aide sociale à l’enfance (ASE), associations des quartiers prioritaires de Rennes, etc. — et les tarifs sont alors ajustés au cas par cas.

Mais la question de la mixité sociale continue d’interroger l’équipe : « On fait beaucoup de trucs chouettes, qui ne profitent peut-être pas à toutes les classes sociales, regrette Lucie. Je remarque que certains enfants sont déjà sensibilisés, déjà politisés. »


La Bidouillerie veut privilégier les aliments bio, frais et locaux (même si les animateurs et animatrices reconnaissent que ce n’est pas toujours possible à 100%). © Justine Guitton-Boussion/Reporterre

« C’est une question compliquée, reconnaît Raph. Le cadre qu’on propose est tellement différent de ce que la plupart des enfants connaissent, que cela peut reproduire une certaine violence. Ceux qui n’ont pas l’habitude peuvent être perdus, ils ne reconnaissent pas la posture de l’adulte, ce qu’ils ont le droit de faire ou pas. Ça peut générer une violence de classe très forte. »

« Moi, je suis persuadée que ce qu’on fait ici est reproductible partout, même dans l’Éducation nationale, affirme Chloë. On se raconte une fiction sur ce qu’est l’école. Je ne suis pas sûre qu’organiser des forums et des prises de décisions d’enfants, ce soit plus dur que les faire se taire et ne pas bouger pendant une journée. C’est juste qu’on ne nous a jamais enseigné cette posture. Or je pense que ce sont des choses qu’il faut encourager à tout prix. »


Une veillée au coin du feu, sur le camp de la colonie de vacances. © La Bidouillerie

Notes

[*Le prénom a été modifié à sa demande.

 

 

Source : https://reporterre.net/En-colonie-de-vacances-a-la-zad-de-Notre-Dame-des-Landes#forums

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