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vendredi 26 novembre 2021

Comment Vincent Bolloré mobilise son empire médiatique pour peser sur la présidentielle

 

Comment Vincent Bolloré 
mobilise son empire médiatique 
pour peser sur la présidentielle
 
 

 
Par Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin
 
Le Monde le 16 novembre 2021 
 
ENQUÊTE 
 
En quelques mois, le milliardaire breton a bâti un pôle réactionnaire qui s’étend de l’audiovisuel à l’édition. Avec comme fer de lance le polémiste vedette Eric Zemmour, dont les obsessions ultra-réactionnaires et anti-islam colonisent le débat public.
 
Vincent Bolloré a demandé à passer par la grille du Coq, l’entrée des visiteurs secrets, et il est furieux. Nous sommes en juin 2021 et l’actionnaire principal de Vivendi a rendez-vous avec Emmanuel Macron. « J’entends beaucoup dire que vous me prêtez des intentions qui ne sont pas les miennes », lance le PDG du groupe Bolloré au locataire de l’Elysée.
 
Près d’un an auparavant, un dîner avait déjà réuni le grand patron, le président, son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, et leurs épouses. L’atmosphère avait été conviviale et Carla Bruni avait filmé quelques bribes de la soirée. Cette fois, le déjeuner est expédié plus rapidement que prévu dans une atmosphère glaciale et c’est peut-être là, juste avant l’été, que s’est joué le premier acte de la prochaine présidentielle.
 
La colère de Vincent Bolloré couve depuis plusieurs mois. C’est un homme que les gouvernants n’impressionnent pas. Adolescent, il jouait au gin rami avec Georges Pompidou, que ses parents, industriels bretons, recevaient, comme François Mitterrand, dans leur maison du Finistère. D’ailleurs, il a croisé presque tous les présidents de la Ve République. Dans certains pays africains ou en Asie, il est reçu avec les égards d’un chef d’Etat.
 
C’est peut-être la raison pour laquelle il n’a pas goûté la petite phrase de Brigitte Macron, qui se voulait aimable : « Comment peut-on vous aider ? » La réponse a fusé, bien sèche sous la formule de politesse : « Je vous remercie, Madame. En rien. » Comment peut-on vous aider ? Il ignore que l’épouse du président pose rituellement cette question à ses visiteurs, comme si son mari pouvait tout régler, et ces mots anodins ont résonné pour lui comme un affront, raconte-t-il à un ami. D’autant qu’il a justement le sentiment que l’Elysée cherche à « l’agresser » plus qu’à l’aider.
 
« Mais, enfin, arrêtez, vous achetez tout ! »
 
Quatre mois plus tôt, le 26 février, le tribunal de Paris a décidé, à la surprise générale, de renvoyer l’homme d’affaires devant un tribunal correctionnel, alors même qu’il avait accepté de plaider coupable et négocié le paiement des 12 millions d’euros d’amendes dues dans une affaire de corruption au Togo. Vincent Bolloré s’est convaincu que le président est derrière cette décision judiciaire. C’est encore Emmanuel Macron, s’exaspère-t-il, qui a poussé le leader mondial du luxe, le puissant patron de LVMH, Bernard Arnault, à entrer dans la bataille pour le contrôle du groupe Lagardère que Bolloré s’apprête à dévorer.
 
Pour couronner le tout, Nicolas Sarkozy assure que le chef de l’Etat a demandé à Angela Merkel d’empêcher le géant allemand Bertelsmann de céder sa filiale M6 à Bolloré, finalement tombée en mai dans l’escarcelle du groupe TF1. Le milliardaire voudrait être certain qu’au sommet de l’Etat on ne lui met pas de bâtons dans les roues. « Mais, enfin, arrêtez, vous achetez tout ! », rétorque le président au-dessus de la table du déjeuner.
 
Ce qui se noue ce jour-là à l’Elysée est bien plus qu’une simple brouille : une déclaration de guerre d’un capitaine d’industrie de 69 ans, le déclenchement d’un blitzkrieg contre ce jeune chef de l’Etat qu’il ne supporte plus et aimerait voir battu en avril 2022. Au palais, on a longtemps joué avec le feu, au nom de la fameuse « triangulation » qui veut que l’on puise dans le discours de l’adversaire pour mieux le neutraliser.
 
L’animateur vedette de CNews, Pascal Praud, a été convié à dîner à l’Elysée, Emmanuel Macron lui a souhaité ses vœux par texto pour le Nouvel An 2021. Dix fois, les collaborateurs de Brigitte Macron ont raconté à la presse comme elle téléphonait fréquemment à Cyril Hanouna, une des stars de Bolloré sur une autre chaîne, C8. C’était avant l’offensive du milliardaire pour étendre son empire médiatique. Avant la tournée électorale du quasi-candidat Eric Zemmour.
 
Retour au réel depuis la rentrée, alors que le polémiste a fait une percée dans les sondages. Désormais, dans les couloirs de la présidence de la République, on parle d’« EZB », comprendre « Eric-Zemmour-Bolloré ». On n’est pas plus aimable du côté des proches du capitaine d’industrie. « Tous ces gens à l’Elysée, ce n’est pas possible. Il y en a marre de cette technocratie, de ce système autour du président », peste en privé le président du directoire de Vivendi, Arnaud de Puyfontaine. Le « boss », lui, place le défi bien au-delà : « Macron a perdu le combat civilisationnel », répète-t-il autour de lui.
 
Une machine de guerre médiatique
 
Rarement un groupe de médias ne se sera construit aussi vite. Jamais il n’aura été mis aussi rapidement au service d’un dessein politique. En quelques mois, la quatorzième fortune professionnelle de France (selon Challenges) a bâti un pôle réactionnaire qui s’étend jusqu’à l’édition. Pour la première fois, début novembre, Yannick, deuxième des fils Bolloré, PDG d’Havas et président du conseil de surveillance de Vivendi, trône à la Foire du livre de Brive, en Corrèze, où il explique que la prochaine prise de contrôle de Hachette par Vivendi, « c’est dans l’intérêt de la France ».
 
Vincent Bolloré a déjà fait de Lise Boëll, éditrice historique d’Eric Zemmour chez Albin Michel, la patronne de Plon (propriété de Vivendi), mais le fer de lance dans la campagne électorale qui s’annonce s’appelle CNews, cette petite chaîne d’info en continu à laquelle Vincent Bolloré a voulu donner, dès 2017, un nom « à l’américaine ». Comme Fox News, son modèle outre-Atlantique, mise à disposition de Donald Trump et des plus ultras du Parti républicain par le puissant milliardaire Rupert Murdoch.
 
Il l’a mariée avec Europe 1, quasi absorbée en une rentrée après l’arrivée fracassante de l’actionnaire breton au sein du groupe Lagardère en septembre. Vivendi avait alors annoncé une OPA sur ce groupe de médias – propriétaire notamment de Hachette, d’Europe 1, de Paris Match et du Journal du dimanche (JDD) –, qui devrait aboutir d’ici à la mi-décembre 2022. En un éclair, il a évincé Hervé Gattegno de la tête de Paris Match et du JDD et l’a remplacé – jusqu’à la présidentielle du moins – par deux hommes sûrs, deux journalistes septuagénaires qu’il aimerait voir grossir les rangs des « yesmen », comme on appelle dans le groupe Bolloré ces cadres à très gros salaires qui ne décident rien sans en référer au patron et exécutent les licenciements à coups de « Je te comprends, mais Vincent veut… ».
 
Un pionnier du buzz
 
Vincent Bolloré n’ignore rien de leur parcours. A 20 ans, Patrick Mahé militait au sein d’Occident, mouvement d’extrême droite dissous en 1968 – comme Michel Calzaroni, le conseiller com’ de Bolloré, qui s’amuse aujourd’hui d’avoir commencé « à l’extrême droite de Vincent et de se retrouver à sa gauche ». Longtemps proche de Jean-Marie Le Pen, Mahé est aussi un ancien de Jeune Europe, groupuscule ultra-nationaliste et antiaméricain de « fafs », disait-on à l’époque, dont l’emblème était la croix celtique.
 
A Jeune Europe, « Patrig » côtoyait l’éditeur Jean Picollec, un autre Breton qui habitait à vingt kilomètres du fief familial des Bolloré et auquel Vincent et son oncle Gwenn-Aël Bolloré avaient confié en 1987 leur chère maison des Editions de La Table ronde – avant que Picollec ne publie lui-même dans sa propre maison des auteurs sulfureux, comme l’ancien combattant SS belge Léon Degrelle.
 
Sympathique et bon conteur, ami des photographes et toujours à l’affût d’un coup médiatique, Patrick Mahé a déjà travaillé à Paris Match, dès 1981. Il y a laissé un drôle de souvenir. N’avait-il pas poussé le magazine, en 1983, à acheter pour 400 000 dollars un faux scoop sur les « carnets » d’Adolf Hitler ? Trente-cinq pages pour des cahiers bidons et une gigantesque campagne d’affichage dans le métro parisien avec ce slogan : « L’authenticité de notre document est controversée. Achetez-le, lisez-le, faites vous-même votre opinion ! »
 
Le buzz, comme on dit désormais, plutôt que la vérité : c’est, à peu de chose près, et avec près de trente-cinq ans d’avance, le slogan imaginé pour la chaîne CNews par BETC, l’agence de pub du groupe Havas dirigé par Yannick Bolloré : « C’est en confrontant les opinions qu’on s’en fait une. »
 
« Zemmour est une entreprise, avec des résultats financiers, soutenue par un groupe de médias. Trump est passé de la télé-réalité à la Maison Blanche, mais il était le candidat du Parti républicain, tandis que Zemmour est le candidat d’un groupe audiovisuel. » François Hollande au « Corriere della Sera »
 
A 74 ans, Patrick Mahé présente le double avantage de bien connaître Paris Match et son nouveau patron. Né à Vannes, dont il est d’ailleurs l’un des élus à la mairie, il est de longue date juré du prix Breizh, doté depuis plus de cinquante ans par la famille Bolloré et qui récompense chaque année « un auteur breton ou ami de la Bretagne ». Mahé est aussi très lié à Arnaud de Puyfontaine, passé par Le Figaro, le groupe Emap (TéléPoche, L’Auto-journal) et Mondadori (Grazia, Closer) avant de devenir l’homme de Bolloré chez Lagardère. Si Arnaud Lagardère a officiellement organisé le rendez-vous et proposé la direction de Match à Patrick Mahé, cette décision a reçu auparavant l’agrément du vrai patron : Vincent Bolloré lui-même.
 
La seconde recrue, Jérôme Bellay, désormais à la tête du JDD, appelle Bolloré « le cousin ». Sa quatrième épouse, Isabelle Morizet, alias Karen Cheryl, serait, aime rire Bellay devant ses collaborateurs, une parente éloignée du premier actionnaire de Vivendi. Le couple partage d’ailleurs quelques cocktails sur le pont du Paloma, lorsque le yacht du milliardaire mouille l’été dans la baie de Cannes.
 
C’est un tout autre style que Mahé. A 79 ans, engoncé dans un éternel blouson de cuir noir, il est respecté dans les médias depuis qu’il a lancé la première radio en continu, Franceinfo, participé à la création de LCI et produit en 2000 « C dans l’air », l’une des émissions quotidiennes les plus regardées du service public. Son retour sonne comme une revanche. Lui aussi retrouve, à la tête du JDD, un poste qu’il avait dû quitter en 2016. Il avait été évincé après une couverture affichant le portrait pleine page de Marine Le Pen sous le titre « Un Français sur trois prêt à voter pour elle » (« une » du 11 octobre 2015). A l’époque, elle avait choqué la rédaction et le propriétaire du titre, Arnaud Lagardère…
 
Une complicité inédite entre Zemmour et Bolloré
 
La véritable arme de Vincent Bolloré dans sa bataille politique était elle aussi journaliste. Eric Zemmour, condamné pour « provocation à la discrimination raciale » et pour « provocation à la haine » envers les musulmans, défenseur de la peine de mort et du Pétain de la collaboration, adversaire des contre-pouvoirs, de l’Europe et de la Constitution de la Ve République est le phénomène de la campagne présidentielle qui s’annonce.
 
Avant même d’être candidat, il en insuffle le rythme, les mots, les polémiques. « Zemmour est une entreprise, avec des résultats financiers, soutenue par un groupe de médias, a analysé l’ancien président François Hollande dans le quotidien italien Corriere della Sera le 31 octobre. Trump est passé de la télé-réalité à la Maison Blanche, mais il était le candidat du Parti républicain, tandis que Zemmour est le candidat d’un groupe audiovisuel. »
 
Quand il aime, Vincent Bolloré a le coup de fil et le texto faciles. Bolloré et Zemmour déjeunent ensemble près d’une fois par mois et se téléphonent tous les jours, et c’est comme si CNews s’était mise à la disposition du presque candidat. Il faut dire que depuis l’arrivée du journaliste d’extrême droite, en octobre 2019, la chaîne d’opinion a triplé ses audiences, talonnant BFM-TV et distançant LCI et Franceinfo. Entre le Breton catholique et le juif pied-noir d’Algérie s’est tissée une complicité inédite, dont la droite classique a fini par s’émouvoir.
 
En septembre, la candidate à la primaire du parti Les Républicains (LR) Valérie Pécresse s’en inquiète d’ailleurs directement devant Vincent Bolloré. Elle connaît l’industriel depuis longtemps. En 2007, le père de l’ancienne ministre, professeur reconnu de l’université Paris Dauphine, Dominique Roux, avait été nommé président de Bolloré Telecom. Soutenir la candidature Zemmour serait une impasse, insiste-t-elle. « Justement, je l’ai retiré de l’antenne », répond avec un culot désarmant le propriétaire de CNews. En vérité, dans la perspective de la présidentielle, il a juste dû se soumettre à la décision du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) de décompter le temps de parole du chroniqueur de « Face à l’info » contraignant Zemmour au départ.
 
Marine Le Pen s’indigne
 
Qu’importe que le polémiste soit présent ou pas : son nom est partout, dans la bouche des invités, sous les questions posées ou les titres des débats. « Les autres candidats n’intéressent personne », justifie Pascal Praud sur son propre plateau, « L’heure des pros ». Ses thèses nourrissent chaque jour davantage l’antenne. Le 19 octobre, Jean-Marc Morandini questionne le père d’une des victimes du Bataclan. « Patrick Jardin, vous n’appelez pas à des actes violents contre les musulmans ? », lui demande-t-il tout à trac.
 
Le 10 novembre, dans « L’Heure des pros 2 », le journaliste polémiste du Figaro Ivan Rioufol s’interroge tout haut : « Est-ce qu’on doit tirer ou non sur les migrants à la frontière biélorusse ? C’est une vraie question ! » Et que dire de ces bandeaux qui parient sur « un second tour Marine Le Pen/Eric Zemmour ? » en brandissant des enquêtes biaisées, au point que CNews a été rappelée à l’ordre par la commission des sondages. Le ministre de l’économie Bruno Le Maire en reste stupéfait : le 18 octobre, alors qu’il réfute le « déclinisme » de Zemmour devant l’intervieweuse star d’Europe 1, Sonia Mabrouk, celle-ci le coupe : « Vous n’êtes pas d’accord avec le diagnostic qui est posé par Eric Zemmour ? (…) Vous ne voulez pas voir la réalité alors ! »
 
Zemmour par-ci, Zemmour par là… Poussé à la porte, le polémiste revient par la fenêtre. C’est tellement voyant que, le 29 octobre, invitée de Laurence Ferrari sur CNews, Marine Le Pen décide de protester. Qui aurait imaginé pareille scène il y a quelques années ? En marge de l’émission, la patronne du Rassemblement national réclame de « voir le patron de CNews » pour s’indigner. Elle n’a jamais rencontré Bolloré et veut faire savoir son indignation à la direction de la chaîne : les chiffres du CSA sont formels, elle ne dispose pas du même temps d’antenne ni du même traitement que le journaliste du Figaro (en retrait du quotidien depuis septembre, officiellement pour la promotion de son livre).
 
« La seule ligne éditoriale que je respecte, c’est celle du patron. » Serge Nedjar, directeur général de CNews
 
La direction ne veut rien entendre et lui tourne les talons. Dire qu’en septembre 2020, lors d’un déjeuner avec le directeur général de BFM-TV, Marc-Olivier Fogiel, et la directrice de la rédaction, Céline Pigalle, Marine Le Pen les avait menacés de « se passer de BFM », où elle se trouvait mal traitée : « On ira sur CNews et ce sera très bien. »
 
Deux jours plus tard, le 31 octobre, un nouveau pas symbolique est franchi. Le directeur général de CNews, Serge Nedjar, valide la présence de Renaud Camus sur sa chaîne malgré de « vifs débats internes », reconnaît l’éditorialiste Ivan Rioufol, à l’origine de l’invitation dans son rendez-vous hebdomadaire sur CNews, « Les points sur les i ». « La seule ligne éditoriale que je respecte, c’est celle du patron », dit souvent Nedjar – surnommé sous cape « le général Tapioca » (le cruel dictateur de Tintin) au sein de la rédaction. Le promoteur du « grand remplacement » déroule donc, vingt minutes durant et avec l’approbation de Rioufol, cette théorie raciste et complotiste qui a notamment inspiré en 2019 le terroriste responsable de l’attentat qui a fait 51 morts et 49 blessés à Christchurch, en Nouvelle-Zélande.
 
Le flou politique de Bolloré
 
Ils sont nombreux à observer la mue de Vincent Bolloré, mais rares sont ceux à avoir compris le raid politique et idéologique qu’il a lancé. Il faut dire que le capitaine d’industrie a toujours entretenu le flou sur ses convictions politiques. Personne n’ignore qu’il est un homme de droite. Ou que sa figure tutélaire reste son oncle, Gwenn-Aël Bolloré, débarqué à 19 ans, le 6 juin 1944, sur les plages de Normandie avec le commando Kieffer.
 
Plus que son propre père, Michel, le héros Gwenn-Aël est sa référence. Patron des éditions de La Table ronde, lecteur passionné et éditeur des « hussards » Antoine Blondin, Roger Nimier et cette petite bande d’écrivains désenchantés de l’après-seconde guerre mondiale, l’oncle était aussi partisan de l’Algérie française et de l’OAS, dont il a publié bon nombre de soutiens (de Jean Bastien-Thiry, l’organisateur de l’attentat contre de Gaulle au Petit-Clamart en 1962, à Jean-Louis Tixier-Vignancour, l’ancien compagnon de route de Jean-Marie Le Pen.)
 
Dans les dîners, Vincent Bolloré déroule avec force anecdotes et un brin d’autodérision calculée la glorieuse légende familiale née au sein de la manufacture à papier créée en 1822 sur les bords de l’Odet. Il a confié le soin d’en écrire l’histoire officielle à l’ami Jean Bothorel, un ancien autonomiste du Front de libération de la Bretagne. La famille Bolloré, raconte Jean Picollec, « avait payé l’avocat quand Jean est allé en prison » après avoir tenté, en 1969, de voler armes et explosifs dans une caserne.
 
Mais de politique, il ne parle pas. Il a toujours imposé à ses collaborateurs, sa famille, on n’ose dire ses amis – personne ne se risquerait à revendiquer ce titre –, cette même atmosphère superficielle, où chacun doit multiplier les anecdotes, les blagues, voire lancer un tube de variété française repris en chœur par la tablée, évitant ainsi à « Vincent » de livrer la moindre confidence.
 
Depuis deux ou trois ans, les proches de Vincent Bolloré ont noté un changement. « Une forme d’insatisfaction, comme si l’argent et la réussite ne suffisaient plus », confie son ex-beau-frère, Gérard Longuet.
 
Longtemps, la droite l’a cru classiquement libéral, comme la plupart des patrons du CAC 40. Au milieu des années 1980, il passait pour proche de la « bande à Léo », ces ministres du sillage de François Léotard – Alain Madelin, Hervé Novelli, Philippe de Villiers, Gérard Longuet – censés régénérer le logiciel idéologique de la droite. Dans les années 1990, il apportait son obole – 200 000 francs tout de même – au Cercle de l’industrie du socialiste Dominique Strauss-Kahn. Membre du Club des trente, un cercle de patrons bretons, il pouvait s’embarquer sur « la croisière des libertés » avec Michel-Edouard Leclerc, l’autre figure dirigeante du Finistère, pour protester contre le poids de l’Etat dans l’économie.
 
Il était européen et restait assez pragmatique pour s’entendre avec la gauche au pouvoir, Mitterrand, Rocard et même la maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, lorsqu’il avait cru pouvoir équiper la capitale avec ses Autolib’. Sa reprise en main brutale de Canal+, en 2015, dans le silence assourdissant du milieu du cinéma et du spectacle, l’a convaincu qu’avec de l’argent on fait taire tous les opposants. Qui a haussé la voix lorsque, en février 2019, il est intervenu pour annuler un projet pourtant déjà validé : l’achat de Grâce à Dieu, un film de François Ozon inspiré de l’affaire Preynat, ce prêtre reconnu coupable d’avoir agressé sexuellement des enfants pendant vingt ans ?
 
Plus fidèle à ses relations qu’à la politique, il avait renoncé à soutenir François Fillon en 2017, quoique le candidat prône l’union du libéralisme économique et du conservatisme sociétal (comme l’interdiction de la procréation médicale assistée) – l’idéal de Vincent Bolloré. C’est qu’il ne voulait pas déplaire à Nicolas Sarkozy, cet ami auquel il a prêté son yacht, au lendemain de son élection en 2007, et qui lui a remis la Légion d’honneur deux ans plus tard.
 
Le néoféminisme et le « wokisme » l’exaspèrent
 
Depuis deux ou trois ans, ses proches ont noté un changement. « Une forme d’insatisfaction, comme si l’argent et la réussite ne suffisaient plus », confie son ex-beau-frère, Gérard Longuet. Le patron continue de décider de tout dans son groupe. Même les projets de cinéma et de séries produits par StudioCanal lui sont soumis pour imprimatur.
 
Mais il a chaque jour besoin de nouvelles distractions. Divorcé, plusieurs fois séparé, Vincent Bolloré s’est plusieurs fois affiché avec la volubile Valérie Hortefeux, l’ex-épouse de Brice Hortefeux, ancien ministre de l’immigration et de l’identité nationale. Il s’inquiète de la maladie et de la mort et semble gagné par un sentiment d’urgence.
 
« Lorsque l’homme est plus près du couchant que du levant, il lui vient insidieusement l’envie dérisoire de marquer son passage », écrivait l’oncle « Gwenn » dans ses mémoires. A mesure qu’approche son 70e anniversaire et la date fixée pour son départ, il veut peser sur l’avenir politique du pays. Cette passation des pouvoirs à ses fils aura lieu lors du bicentenaire du groupe, le 17 février 2022, lors d’un grand fest-noz dans le fief familial d’Ergué-Gabéric, près de Quimper.
 
Cet été, il s’est mis en tête de financer un think-tank, comme Claude Bébéar, « modèle parfait de ma génération », assure Bolloré dans le Dictionnaire amoureux de l’entreprise et des entrepreneurs, tout juste paru chez Plon (désormais propriété de Vivendi). Après avoir passé la main à la tête du groupe Axa, Bébéar avait fondé l’Institut Montaigne, un club de réflexion libéral qui irrigue la droite républicaine. Bolloré voudrait consacrer les travaux du sien à « la défense de l’identité française », sa dernière obsession.
 
Le play-boy s’exaspère du néoféminisme et de la remise en question du « mâle traditionnel ». Comme beaucoup d’hommes de sa génération, le « wokisme », ce concept qui prône la défense de toutes les minorités, l’exaspère. Il juge l’homme blanc menacé par l’idéologie décoloniale. Sa jeunesse s’évapore, il s’est mis à croire à la fameuse « guerre de civilisations », dont parle Eric Zemmour, et les candidats de LR qui rêvaient d’un appui en ce début de campagne doivent aujourd’hui prendre leur mal en patience.
 
« Il faut mettre beaucoup plus de Zemmour »
 
Lorsque le banquier Philippe Villin, qui s’est chargé de récolter des fonds pour la campagne de Xavier Bertrand, sollicite Arnaud de Puyfontaine, une connaissance de vingt-cinq ans, le président du directoire de Vivendi ne lui offre pas un « oui » franc et massif. « Je vais demander à Vincent », élude-t-il prudemment. La réponse ne tarde pas. « Vincent » pose une condition à toute aide financière : « Il faut mettre beaucoup plus de Zemmour » dans la campagne du candidat Bertrand. Et ne verse rien.
 
Eric Ciotti, le très droitier patron de l’une des plus puissantes fédérations LR, celle des Alpes-Maritimes, rencontre Bolloré dans le Sud, où il passe l’été. « Nous sommes tous deux préoccupés par la préservation de l’identité française », avance le député. Quelques jours après le rendez-vous, il annonce publiquement qu’il votera Zemmour en cas de duel présidentiel avec Macron puis, sur CNews, appelle « les soutiens et potentiels électeurs d’Eric Zemmour » à adhérer à LR afin de voter pour lui à la primaire de la droite.
 
A Valérie Pécresse, qui refuse l’union de la droite et de l’extrême droite dont rêve tout haut Eric Zemmour, Vincent Bolloré rétorque : « Zemmour ouvre à la droite la porte du deuxième tour » à condition qu’elle reprenne ses thèses. Le grand patron en est certain, LR ne l’emportera qu’en adoptant le discours de son polémiste vedette. Même l’ancien négociateur du Brexit, Michel Barnier, invité personnel de « Vincent » aux mariages de ses enfants, se met à rêver d’« un bouclier constitutionnel » afin de mettre en œuvre un « moratoire sur l’immigration » sans se soumettre au droit européen.
 
Ardent catholique
 
La croisade pour l’Occident chrétien de Vincent Bolloré prospère sur un terreau favorable : une foi de charbonnier qui se décline en images pieuses dans son portefeuille, un syncrétisme « bretonnisant » qui balance entre tradition celte et piété mariale. La devise de la famille est la même depuis 1789 : « A genoux devant Dieu, debout devant les hommes ». Superstitieux, Vincent Bolloré garde à portée de main une statuette de la Vierge Marie et rapporte des bouteilles d’eau bénite de son pèlerinage annuel à Lourdes.
 
Il se vante de se rendre à la messe tous les dimanches « quel que soit l’endroit où [il se] trouve ». « Heureusement que j’ai ça, avec toutes les conneries que je fais », s’amuse-t-il un jour devant l’ancien producteur artistique des « Guignols de l’info », Yves Le Rolland, finalement licencié en 2016. Selon La Croix, il prend au pied de la lettre le verset de l’Evangile selon Matthieu, Marc et Luc : « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu. »
 
« Bolloré est un homme conscient de son héritage chrétien, inquiet du déclin de l’Eglise et que j’ai toujours vu s’interroger sur son salut. » Guillaume Seguin, homme d’Eglise
C’est de famille. Cette « foi ardente », comme dit son ami breton Yves Sabouret, un ancien du groupe Lagardère, il la partage avec ce frère aîné avec lequel il s’est un temps brouillé : Michel-Yves Bolloré. Cet autre héritier, plus discret, qui vit entre Londres et Sainte-Maxime, dans le Var, vient d’ailleurs de publier, vingt ans après le best-seller de ses amis les jumeaux Bogdanov, Dieu, la science, les preuves (écrit avec Olivier Bonnassies), un livre qui affirme « révéler les preuves modernes de l’existence de Dieu ».
 
Deux agences de communication, une grosse campagne d’affichage financée par Havas (propriété de Vivendi), un dîner à la Maison de l’Amérique latine avec projections de graphiques devant le Tout-Paris, une couverture du Figaro magazine, des interviews sur CNews et Europe 1… Le livre de Michel-Yves Bolloré publié aux éditions Guy Trédaniel, maison versée dans l’ésotérisme, a déjà été tiré à plus de 100 000 exemplaires.
 
Plus Benoît XVI que François
 
Bien plus qu’une éthique personnelle, la religion est un cadre moral nécessaire aux yeux de Bolloré. Pour lui, la seule limite à la « liberté d’expression » – cet étendard brandi par CNews pour justifier tous les propos, même passibles de condamnations – est le blasphème. « Est-ce qu’on a vraiment besoin aujourd’hui de messages comme celui de Mila, qui est insupportable, de dessins comme ceux de Charlie Hebdo, qui mettent mine de rien de l’huile sur le feu ? », interroge Cyril Hanouna dans « Touche pas à mon poste ». « Je n’ai pas envie qu’on se moque des croyances, c’est quelque chose d’intime », avait déjà expliqué Bolloré à Yves Le Rolland en 2016, quelques mois après les attentats islamistes. Avant cette mise en garde, le nouveau patron de Canal+ avait tenté de faire disparaître la marionnette du pape.
 
François, à Rome, n’est pourtant pas sa tasse de thé. A la défense des migrants et de l’accueil des homosexuels dans l’Eglise, il préférait la théologie classique de son prédécesseur, Benoît XVI, dont la démission précipitée ne lui a pas permis d’offrir au Vatican une voiture électrique, comme il en rêvait. « C’est sûr que je préférerais que Vincent soit pape plutôt que François », lâche Philippe de Villiers, qui manifeste à l’égard de l’industriel une « sympathie active » et a rejoint « avec entrain Plon et l’orbite de Vivendi ». Vivendi qui, par l’intermédiaire du diffuseur Interforum-Editis, distribue aussi le livre d’Eric Zemmour, « notre ami commun », dit Villiers.
 
Sa petite paroisse « tradi » et très politique
 
Vincent Bolloré choisit ses références ecclésiastiques loin de tout diocèse, tricotant depuis trente-cinq ans une paroisse miniature, une petite équipe « tradi » à sa main qui joue, par le biais des médias, un rôle très politique.
 
Dimanche 25 juillet, Beg Meil, près de Fouesnant, dans le Finistère. Une barge en aluminium relie la cale de la station balnéaire, au pied de la maison de vacances familiale, à l’île du Loch’, juste en face. Les invités n’ont pas à ôter leurs chaussures ni même à relever leur soutane : le bateau dispose d’une plate-forme qui permet de glisser jusqu’au sable. Vincent Bolloré a embarqué plusieurs hommes d’Eglise pour dire la messe de 11 heures sur la plus grande île de l’archipel des Glénan, propriété de la famille depuis 1924. Eaux turquoise, sable blanc, « odeurs de varech et de fleurs mouillées », résumait la sœur de Vincent Bolloré, Laurence Leroux-Bolloré, dans son roman Cap-coz blues, publié à La Table ronde.
 
Parmi eux, Guillaume Seguin, un prêtre du diocèse de Paris, ancien aumônier des écoles privées parisiennes Stanislas et Saint-Jean-de-Passy, aujourd’hui simple aumônier de l’hôpital Cochin, mais qui dîne régulièrement avec le capitaine d’industrie et est l’un de ses référents catholiques. « Bolloré est un homme conscient de son héritage chrétien, explique Guillaume Seguin, inquiet du déclin de l’Eglise et que j’ai toujours vu s’interroger sur son salut. » Ils se sont rencontrés il y a une quinzaine d’années, à la sortie de la messe de Notre-Dame-de-Grâce de Passy, au cœur du 16e arrondissement

L’abbé Seguin est l’un des trois ecclésiastiques à l’origine du Padreblog, tout à la fois site, chaîne YouTube, producteur de podcasts. Une petite équipe de cathos née à Versailles, numériquement branchés mais aux idées « tradis », que Vincent Bolloré connaît depuis longtemps. « Il y a une dizaine d’années déjà, il nous avait aidés avec un chèque pour le championnat de France de karting des prêtres », raconte l’abbé Pierre Amar.
 
Plus récemment, Vincent Bolloré a accepté d’animer pour le père Seguin une conférence destinée aux anciens élèves des prépas de Saint-Jean-de-Passy. Thème : « Etre un patron, avoir la foi ». Sacré défi pour ce milliardaire si redouté en affaires que son ancien mentor, le parrain du capitalisme français, Antoine Bernheim, qualifiait à la fin de sa vie d’« amoral ».
 
« France Catholique », sa madeleine de Proust
 
Autre missionnaire et agent d’influence de Vincent Bolloré, Aymeric Pourbaix, 49 ans. Les téléspectateurs de C8 et de CNews connaissent bien son visage sérieux, ses petites lunettes rectangulaires, ses idées aussi. Sur le plateau de l’émission religieuse dominicale de la chaîne, le jeune journaliste accueille peu de laïcs, beaucoup de chasubles et de soutanes, même lorsque l’intervenant est jésuite, d’ordinaire en civil.
 
Il commente parfois aussi les messes diffusées en direct, comme celle de la Toussaint 2021, après celle du 15 août 2021 chez le très conservateur évêque de Fréjus (Var), Mgr Dominique Rey. L’homme avait porté sur les fonts baptismaux politiques la petite-fille de Jean-Marie Le Pen, Marion Maréchal, en 2015, en l’invitant à son université d’été catholique de la Sainte-Baume. L’évêque dîne avec Vincent Bolloré « chaque été », confie-t-il.
 
Preuve de la confiance que Bolloré accorde à Aymeric Pourbaix, il lui a donné la direction de France Catholique, un titre racheté en 2018 par le groupe, alors que la diffusion de ce petit hebdomadaire ne dépassait pas quelques milliers d’abonnés, pour des pertes de 850 000 euros. 
D’autres le convoitaient, mais Bolloré s’est battu comme un beau diable pour reprendre ce journal créé en 1924 en réaction au Cartel des gauches, et qui, avait-il confié à l’époque à ses interlocuteurs, « traînait sur la table chez ses grands-parents et ses parents », en Bretagne.
 
Synergies et réduction des coûts obligent, la rédaction de France catholique participe désormais à plusieurs émissions de CNews, comme ce 31 octobre où, à côté d’Ivan Rioufol, une de ses journalistes est restée muette tandis que Renaud Camus déclinait sa théorie xénophobe du « grand remplacement ».
 
Le « confesseur » de Bolloré
 
Télé ou magazine, la ligne éditoriale est semblable et consterne jusqu’aux plus conservateurs des catholiques. Le 20 octobre, dans un édito intitulé « Se taire ou parler », Aymeric Pourbaix justifie le silence de son journal sur le rapport de la Ciase, la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise, qui a ébranlé jusqu’au Vatican, par des mots qui flirtent avec le complotisme : « Quand toutes les ondes tiennent le même discours, qui leur a appris cet hymne à l’unisson ? Ne peut-il y avoir un chef d’orchestre caché et à quelles fins ? »
 
Deux mois plus tôt, le 15 août, C8, autre chaîne du groupe, avait créé la polémique en diffusant après la messe en direct de Lourdes, une fiction américaine contre l’avortement produite par des chrétiens évangéliques.
 
Comme Vincent Bolloré, Aymeric Pourbaix est de ceux qui pensent que l’Eglise est trop fragile pour qu’on l’ébranle à nouveau. Zemmour le dit crûment dans ses meetings : « Vous détruisez le christianisme, vous aurez l’islam. » Le jeune journaliste et le capitaine d’industrie se sont liés par le biais d’un homme discret, qui signe ses billets dans le magazine sous le pseudonyme de Defendente Genolini et s’appelle Gabriel Grimaud. Le « Padre », comme ses fidèles surnomment cet abbé sec et dégarni qui ne rate jamais une occasion, dans ses sermons, de condamner l’avortement.
 
Le milliardaire lui a confié le foyer Jean-Bosco, vaste centre d’hébergement et de prière du quartier d’Auteuil, à Paris, qu’il a racheté en 2013 pour 70 millions d’euros aux petites sœurs des pauvres. Le lieu abrite les bonnes œuvres de l’industriel, comme la Fondation de la deuxième chance, qui aide à la réinsertion.
 
On présente souvent l’abbé Grimaud comme le « confesseur » de Vincent Bolloré. Il ressemble surtout à un directeur de conscience politique. C’est Gabriel Grimaud qui a présenté au patron le journaliste Guillaume Zeller, ce petit-fils d’un des quatre généraux du putsch d’Alger (aujourd’hui « directeur de projet » au sein du groupe). L’industriel l’avait propulsé malgré son inexpérience à la tête d’i-Télé, avant de licencier 70 journalistes et de transformer la chaîne en CNews. Cette fois, Vincent Bolloré tient à présenter à Gabriel Grimaud un journaliste juif qui se dit aussi « chrétien » et veut comme lui contrer l’islam : Eric Zemmour.
 
« Vous allez m’abandonner dès mon premier dérapage »
 
La rencontre a lieu le 26 juin 2019 à l’institut Jean-Bosco. L’abbé fait visiter les jardins, la chapelle et la petite maison qui abrite la rédaction de France catholique. « Comment était la vie dans l’Algérie de papa ? », demande l’abbé Grimaud, qui est aussi pied-noir. Tous deux, Grimaud et Zemmour, s’inscrivent dans la même filière néomaurrassienne qui fait de la religion le bras armé de la politique. « Une complicité [est née] spontanément d’un combat commun, raconte le presque candidat dans son dernier ouvrage. Nous sommes engagés dans une lutte pour la survie de la France telle que nous la connaissons, loin d’être gagnée vu la férocité de l’ennemi. »
 
C’est devant Grimaud, autour du déjeuner servi sur des tables de récup’, dans le réfectoire, que Bolloré propose au journaliste d’intervenir tous les soirs sur CNews, à la rentrée suivante. Zemmour cite son cher Philippe Muray : seuls « les bien-pensants ne dérapent jamais. (…) Vous allez m’abandonner dès mon premier dérapage ! », résiste-t-il, rappelant au capitaine d’industrie qu’il a été « viré » de tous les médias (RTL, « On n’est pas couché » sur France 2) où il a travaillé, « sauf Le Figaro ».
 
Eclat de rire de Bolloré. Pense-t-il alors à ses parts d’audience et à ce « créneau réac » qui fait le succès de CNews ou croit-il sauver la France ? Joue-t-il sa dernière partie, celle où ses intérêts financiers croisent ses idées profondes ? Ce jour de 2019, le milliardaire rassure Eric Zemmour. « Je suis un Breton. » Puis, avec cette fausse modestie dont il adore jouer : « Je ne suis pas très intelligent, mais je suis très déterminé. »
 
Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin
 
Le Monde le 16 novembre 2021
 
 

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