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mardi 27 mai 2014

Note de Lecture : "La Théorie du Drone" de Grégoire Chamayou

Post-Note de lecture :
« La théorie du drone », de Grégoire Chamayou,
édité par La Fabrique - 2013,

C’est une note de lecture publiée dans le N° 5 de la revue l’AN 02 (page 50) qui m’a incité à lire « La Théorie du drone », de Grégoire Chamayou, édité par La Fabrique en 2013. Dès le début, l’auteur présente son texte comme une étude philosophique, et l’épaisseur des 300 pages de ce volume m’a fait un peu hésiter. Mais, finalement, je l’ai dévoré en quelques jours, chapitre après chapitre, car, malgré de nombreuses références à Kant, Hegel, Hobbes, Hannah Arendt, Walter Benjamin, etc., avec lesquels je ne suis guère familier, on peut entrer dans cette « théorie » comme dans un roman de science-fiction, plus exactement de politique-fiction, mais une fiction qui serait déjà bien engagée dans la phase de réalisation. Et c’est vertigineux. C’est pourquoi je me permets d’en dresser ici une sorte de post-note de lecture, afin d’inciter tous ceux qui voudront bien faire un petit effort, malgré la tendance actuelle au papillonnage numérique, à s’informer sur l’avenir qui pourrait bien devenir le nôtre si nous n’y prenons garde.

Le drone est un des avatars les plus récents de ces inventions qui ont été promues par de doubles applications dans les domaines civil et militaire, l’une servant de justification à l’autre, et vice-versa. On peut en dresser un début de liste à la Prévert, depuis ce bon vieil arc, inventé sans doute initialement pour la chasse puis transformé plus récemment en arbalète, particulièrement meurtrière ; à la poudre noire, qui a plutôt suivi le chemin inverse, des armes à feu aux mines et aux chantiers de génie civil ; l’avion, symbole de liberté, sur lequel on a installé très vite une mitrailleuse ; le concept de travail à la chaîne, appliqué aux abattoirs de Chicago, puis à la fabrication des automobiles, puis à celle des chars d’assaut, puis à nouveau à celle des voitures ; les gaz de combat, transformés en pesticides après la guerre ; les autoroutes, une arme inaugurée par Hitler pour déplacer plus rapidement ses troupes, bien vite reprise par les Américains, puis par les autres Etats, ce qui nous enferme aujourd’hui dans l’aberration qui consiste à produire du transport de masse avec des moyens individuels. On pourrait aussi bien puiser du potage dans une soupière avec des petites cuillères, mais on ne le fait pas, car ni les militaires ni les civils n’y verraient d’intérêt.

Le drone, issu du modélisme aérien, est pour sa part un avion-jouet auquel on a ajouté progressivement des appareils de prise de vue, puis, notamment depuis 2000, des armes létales. Capable, grâce à une électronique de plus en plus sophistiquée, d’opérer en tout point de la Planète, y compris les plus secrets, il rend obsolète les notions de « champ de bataille », de « zone de combats », de « temps de guerre » et de « temps de paix ». En effet, la guerre, c’est la paix ; il n’y a plus de confrontations violentes, mais des meurtres d’Etat décidés en toute discrétion, et, bientôt, ni personne ni aucun lieu ne pourra revendiquer d’être hors d’atteinte de ces armes. De ce fait, l’ennemi extérieur et l’ennemi intérieur, à travers la dialectique du terrorisme, se confondent peu à peu, ainsi que les concepts d’armée et de police, de civil et de militaire, le monopole d’Etat de l’emploi de la force tendant à devenir parfait en ubiquité et en exhaustivité.

…/…

Par ailleurs, à partir de ce qu’on appelle « big data », cet énorme fichier où sont recopiés et archivés tous nos SMS, appels téléphoniques, courriels, ainsi que leurs points d’émission et leurs destinations, les progrès de l’informatique permettront d’envisager d’automatiser l’ensemble du dispositif, au point que l’ « ennemi » pourra être sélectionné par un algorithme complexe, pure mécanique logique et froide, d’où seront enfin évacués toute émotion, toute approximation, toute évaluation humaine, et finalement tout humanisme. Le fait d’avoir approché géographiquement un certain pourcentage de lieux, d’institutions et de personnes classés comme « ennemis » vous fera transférer électroniquement du fichier « amis » au fichier « ennemis », sans que vous puissiez vous expliquer, ni même être informé de cette subtile déchéance irréversible. C’est ainsi que le basculement d’un seul « bit » du « + » au « - » vous transformera en cible potentielle quand votre tour sera venu. Là où la bombe atomique produisait un meurtre massif, mais grossier, et finalement artisanal, les drones, dont le coût unitaire est bien plus faible, seront l’instrument de l’industrialisation de ces meurtres d’Etat, dotés d’une très grande précision - on dit « chirurgicaux » chez les communicants - et reproductibles à l’infini.

Personnellement, je fais même l’hypothèse que, alors que les généticiens prouvent qu’en remontant assez loin dans le temps nous sommes tous parents, un mathématicien pourra démontrer qu’une sorte d’évolution géométrique de ces reclassements informatiques fera que nous deviendrons tous « ennemis », par la grâce de notre solidarité humaine atavique. La réalisation du vieux fantasme de l’Etat révoquant le peuple, définitivement considéré comme « ennemi », c'est-à-dire « celui qui ne pense pas comme moi », ne sera donc alors qu’une question de temps.

Pour mon compte, après la qualification de « terroristes » appliquée aux militants de Greenpeace qui ont osé déployer une banderole sur une centrale nucléaire, je sens que les petits chèques de soutien que j’envoie parfois à cette organisation ne vont pas tarder, par leur répétition néfaste, à me faire basculer du mauvais côté. « Mon » drone, moderne ange de la mort, est peut-être déjà, sinon fabriqué, du moins commandé à cette industrie florissante qui les produit par milliers.

C’est ainsi que, si nous n’y prenons garde, Internet, invention militaire rendue très utile puis indispensable aux civils dans tous les domaines, par son bras armé, le drone, délivrera aussi la mort à chacun et à tous.

Quirbajou, le 08/05/2014.

Jean Monestier,

Titulaire d’une maîtrise d’économie auprès de l’Université de Toulouse.

Artiste-Auteur-Indépendant.

Objecteur de croissance.

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