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samedi 24 février 2024

Biokérosène, pellets : ces mégaprojets qui dévorent la forêt

Biokérosène, pellets : 

ces mégaprojets 

qui dévorent la forêt

 
10 janvier 2024

 

L'augmentation massive de l'exploitation du bois en France attendue dans les années à venir fait craindre une multiplication des coupes rases de feuillus et des monocultures de résineux.

Les mégaprojets reposant sur la consommation massive de bois se multiplient en France. Cette demande industrielle est inconciliable avec la préservation de forêts vivantes. Elle s’opère avec le concours des pouvoirs publics.

De nouvelles menaces plus insidieuses que les mégafeux pèsent sur la forêt française. De nombreux projets de construction de méga-scieries, de centrales à biomasse et d’usines à biocarburant sont en cours et entérinent un modèle extractiviste destructeur. Alors que la forêt subit de plein fouet la violence du dérèglement climatique, ces différents chantiers pourraient la fragiliser encore davantage et augmenter massivement les coupes, alertent les associations écologistes, pour qui il y a urgence à repenser notre modèle sylvicole.

À Guéret, dans la Creuse, des collectifs se mobilisent contre l’installation d’une usine de fabrication de pellets— des granulés de bois pour le chauffage— portée par l’entreprise Biosyl. Les entrepreneurs prévoient de prélever 180 000 m³ de bois par an supplémentaires dans un rayon de 130 km, à 80 % dans des forêts de feuillus.

L’investissement de 26 millions d’euros a l’aval de la préfecture qui a pour l’instant refusé de mener une consultation publique, malgré les conséquences que le projet pourrait avoir sur les forêts locales. L’arrêté préfectoral autorisant la construction pourrait être publié d’ici deux mois.

À Égletons, en Corrèze, c’est l’extension d’une énorme scierie qui met le feu aux poudres. Depuis deux ans, des habitants luttent contre les expropriations qu’entraînerait l’agrandissement de l’usine. Sur place, Farges Bois a créé un vaste complexe industriel pour devenir le premier scieur de France.

Avec l’augmentation du nombre d’arbre coupés viendrait une multiplication du nombre d’énormes camions pour les transporter. Krzysztof Kowalik / Unsplash

 Les chiffres donnent le tournis. L’entreprise souhaite investir 106 millions d’euros d’ici 2026 et augmenter le sciage de 66 % pour atteindre 250 000 m³ par an. Soit la moitié du bois de sciage coupé annuellement dans la forêt limousine. Sa production de bois de deuxième transformation doit croître également de 157 % et sa production de granulés de 38 %.

Il faut y ajouter une nouvelle production de 50 000 m³/an de lamellé-collé. Le nombre de camions qui rouleront au quotidien pour approvisionner la scierie devrait quant à lui doubler, pour s’élever à 165 en 2026, selon les chiffres donnés par l’entreprise à l’administration.

Du biokérosène pour les avions

Dans les Pyrénées-Atlantiques, la population regarde avec inquiétude un autre projet qui commence à prendre forme et qui n’a pas fini de faire parler de lui : BioTJET, une usine de biocarburants qui vise à approvisionner le secteur aéronautique à partir de bois. Piloté par Elyse Energy et soutenu par la plus grosse coopérative forestière française — Alliance forêt bois — le projet est censé produire du biokérosène. Entre 300 000 et 600 000 tonnes de bois par an seront nécessaires pour alimenter l’équivalent de 30 % de la consommation annuelle d’un aéroport comme Bordeaux-Mérignac. La première phase de concertation se termine le 17 janvier.

Les défenseurs de la forêt s’alarment. Dans un édito, l’écologue Philippe Falbet se demande « si la forêt va pouvoir suivre ». Rien que dans le piémont pyrénéen, de nombreux autres projets sont en gestation, ajoute-t-il.

Il cite, notamment, le complexe industriel de Lannemezan qui souhaite associer une centrale de cogénération et une unité de production de granulés bois pour un investissement de 36 millions d’euros. Ailleurs dans le Sud-Ouest, le projet d’installation dans le Tarn du groupe de scierie industrielle SIAT risque d’être un autre facteur de déséquilibre, tant dans l’exploitation de la ressource forestière que dans l’écosystème des entreprises locales de sciage.

L’un des plus grands producteurs de panneaux de bois au monde, Swiss Chrono, prévoit quant à lui de s’installer dans le Lot-et-Garonne. Comment faire face à cette demande massive ? Quelles mesures de régulation peuvent être prises face aux appétits grandissants des industriels ?

L’unité de granulation de la scierie SIAT-Braun à Urmatt (Bas-Rhin.

« La forêt ne pourra pas répondre à toutes nos demandes, souvent contradictoires », prévient d’emblée, l’ingénieur forestier Gaétan du Bus de Warnaffe, dans une conférence organisée avec le philosophe Baptiste Morizot. On ne peut pas vouloir mobiliser plus de bois, remplacer le kérosène de nos avions, substituer le charbon de nos centrales d’un côté et vouloir prendre soin des écosystèmes ou augmenter le puits de carbone de l’autre.

La forêt absorbe deux fois moins de CO qu’il y a dix ans. Mais le Schéma national bas carbone (SNBC) prévoit toujours d’augmenter les coupes de 70 % d’ici 2050. « À aucun moment, il n’y a un arbitrage fait par le gouvernement sur la ressource, une priorisation qui est donnée, regrette Bruno Doucet, de l’association Canopée. Il laisse faire les lois du marché alors que la ressource est limitée et que son état de santé se dégrade rapidement. »

Laisser 25 % de la forêt française en libre-évolution

Depuis plusieurs années, les écologistes insistent pour changer de stratégie. Pour préserver la ressource et continuer à prélever durablement du bois, il faudrait, selon eux, laisser 25 % de la forêt française en libre-évolution, miser sur la résilience et la diversité des espèces, allonger l’âge de récolte des arbres, mieux répartir les prélèvements actuels plutôt que de les concentrer dans les massifs les plus accessibles et pratiquer une sylviculture maintenant le couvert forestier. C’est-à-dire stopper les coupes rases.

Mais, aujourd’hui, via ces mégaprojets, c’est l’inverse qui a lieu. Avec une multiplication désordonnée de la demande et une exploitation accrue. Dans une note, parue cet été, les hauts fonctionnaires de France Stratégie le reconnaissaient eux-mêmes et pointaient « un manque de planification ».

L’augmentation actuelle des coupes favorise des usages « bas de gamme » de la forêt, soulignaient-ils. 68 % du bois récolté part en bois énergie, contre 21 % pour la production de matériau bois à durée de vie longue. Les volumes de bois énergie commercialisés ont doublé en dix ans tandis que le bois d’œuvre n’a cessé de diminuer.

 

Seuls 21 % du bois récolté sont utilisés pour la production de matériau bois à durée de vie longue. Jon Butterworth / Unsplash

L’extension des méga-scieries, comme SIAT ou Farges, renforce aussi ce modèle standardisé. Elles déstructurent les filières locales et écrasent les petites scieries qui sciaient du bois diversifié, notamment feuillu — la France a perdu 90 % de ses scieries depuis 1960.

En ne prélevant que du bois résineux uniformisé et bien calibré, ces méga-scieries légitiment un système industriel fait de coupes rases et de monocultures. Elles incitent les forestiers à planter, en ligne, toujours plus de pins douglas et de pins maritimes. Quant aux feuillus arrachés pour laisser place à ces monocultures, ils finissent en granulés pour alimenter les centrales électriques.

« Ces mégaprojets sont des machines à déforester »

« Ces mégaprojets sont des machines à déforester, insiste Thibault, membre du syndicat de la montagne limousine, mobilisé contre Biosyl et l’extension de la scierie Farges. Ce sont les moteurs de la sur-industrialisation de la forêt. Ils développent une approche coloniale, pillent la ressource, accaparent la terre et nous voyons en retour notre territoire se faire dévaster »,dit-il.

« Une guerre du bois » se profile. À proximité d’Aix-en-Provence, la centrale à biomasse de Gardanne en donne déjà une illustration. Avec ses besoins de 850 000 tonnes de bois par an, elle fait concurrence à d’autres acteurs et à d’autres usages, comme la papeterie Fibre Excellence, située à une centaine de kilomètres ou les centrales de Brignoles (Var) et de Pierrelatte (Drôme) qui ont chacune besoin de 150 000 tonnes de bois par an.

Les forêts d’arbres feuillus souffrent particulièrement des conséquences de cette politique forestière. Jerome FP / CC BY-NC-ND 2.0 Deed / Flickr

 Comme le révélait Reporterre, il y a quelques années, l’usine de Gardanne a dû faire venir du bois du Jura et l’entreprise imagine importer toujours une partie de son bois du Brésil.

Un non-sens écologique qui pourrait s’aggraver. Emmanuel Macron a annoncé l’année dernière vouloir reconvertir les dernières centrales à charbon en usines à biomasse d’ici 2027, sans que l’on sache d’où viendra le bois. « Ce projet pourrait engendrer une pression insoutenable sur les forêts », prévient le directeur de Canopée, Sylvain Angerand.

Une industrie dépendant de l’argent public

Cela n’empêche pas le gouvernement de subventionner massivement ce modèle. Selon la Cour des comptes, la moitié des soutiens publics annuels de la filière forêt-bois — soit 611 millions d’euros — est dédiée au bois énergie.

De manière plus générale, tous les grands projets industriels vivent sous perfusion d’aide publique. Dans la Creuse, l’entreprise Biosyl compte sur 20 % de subventions pour financer son usine à pellets. Le projet de fabrication de biokérosène, BioTJET, pourra bénéficier quant à lui d’une enveloppe de 200 millions d’euros de subventions octroyées par le chef de l’État. À ce stade, 7,9 millions d’euros ont déjà été octroyées par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe).

Cette dépendance est aussi un signe de faiblesse. Elle rend ces projets plus perméables à la pression populaire. Les habitants et les associations peuvent influencer leurs élus. De nombreux projets contestés ont ainsi été abandonnés ces dernières années : l’usine à pellet CIBV dans le Limousin, la scierie Florian dans les Pyrénées, l’usine à biomasse de Tronçay dans le Morvan. À plusieurs reprises, la mobilisation sociale a déjà fait reculer les industriels.

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Source : https://reporterre.net/Biokerosene-pellets-ces-megaprojets-qui-devorent-la-foret

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