Le Fastac,
un pesticide interdit
depuis 2020,
identifié dans une usine
du groupe allemand BASF
en France
Cet article est paru dans Le Monde (site web)
Jeudi 26 juin 2025
Le géant allemand de l’agrochimie continuerait à produire cet
insecticide toxique pour l’exporter vers la Russie ou l’Ukraine. Une
pratique « illégale », réagit le ministère de la transition écologique.
A gauche : une palette de 250 kg de Fastac. La date de fabrication indique janvier 2025. A droite : un fût de 50 kg de sa substance active, l’alpha-cyperméthrine. L’étiquette indique une fabrication en Inde, en janvier 2025. A l’usine BASF de Genay (Rhône), le 23 juin 2025.
Au petit matin du lundi 23 juin, une trentaine de militants du collectif des « Faucheuses et faucheurs volontaires » se sont introduits dans l’usine du groupe BASF à Genay (Rhône), près de Lyon. L’« inspection citoyenne » n’a duré que quarante minutes avant l’arrivée des gendarmes. Suffisant, toutefois, pour constater que le géant allemand de l’agrochimie continuerait à fabriquer des pesticides interdits en France pour les exporter en dehors de l’Union européenne (UE), dans des pays aux réglementations moins regardantes.
La loi Egalim interdit pourtant depuis 2022 sur le territoire français, « la production, le stockage et la circulation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées pour des raisons liées à la protection de la santé humaine ou animale, ou de l’environnement ».
Un produit découvert par les « Faucheuses et faucheurs volontaires » tombe sous le coup de la loi. Il s’agit du Fastac, un insecticide longtemps utilisé sur les vignes ou les céréales, retiré du marché français en octobre 2020. Avant de se faire interpeller, les militants ont pu prendre des photos, transmises au Monde et à Mediapart. Elles montrent la présence d’au moins une palette de 250 kg de Fastac. La date de fabrication indique 1er janvier 2025, soit trois ans après l’entrée en vigueur de la loi. Au moins un fût de 50 kg d’alpha-cyperméthrine, la substance active à partir de laquelle il est fabriqué, a également été identifié. Elle n’est plus autorisée dans toute l’Union européenne depuis 2021. L’étiquette indique une fabrication en Inde, en janvier 2025.
Une opération similaire
« BASF est hors la loi » affirment les « Faucheuses et faucheurs volontaires » dans un communiqué diffusé jeudi 26 mai. « La fabrication ou la détention du produit Fastac ou de tout autre produit phytosanitaire contenant de l’alpha-cyperméthrine est illégale en France, y compris si ces produits sont destinés à l’exportation », indique au Monde le ministère de la transition écologique. « Nous allons mobiliser les inspections locales, notamment les DREAL [Directions régionales de l’environnement et de l’aménagement du territoire], pour effectuer des contrôles et vérifier la conformité des pratiques industrielles avec le droit en vigueur ». De même source, on indique que « des suites seront engagées en cas de manquement ».
Contacté par Le Monde, BASF se contente de « réaffirmer que la société opère dans le respect des différentes réglementations qui encadrent son activité ». Ce n’est pas la première fois que la firme allemande est mise en cause. Lors d’une opération similaire menée en mars 2022 sur le site de Genay, les activistes avaient déjà découvert des bidons de 700 litres de Régent TS, à base de fipronil, un insecticide néonicotinoïde interdit en France depuis 2005 en raison de sa toxicité pour les pollinisateurs.
Deux ans plus tard, le Fipronil est retrouvé en grande quantité dans les rejets aqueux dans une autre usine du groupe allemand, à Saint-Aubin-lès-Elbeuf, en Seine-Maritime. En 2023, soit un après l’entrée en vigueur de la loi, cette installation produisait encore plus de 1 400 tonnes de Fipronil à destination des marchés extra-européens. « Le fipronil est une substance active et sa fabrication en France n’est donc pas réglementée par la loi », assurait au Monde BASF en septembre 2024.
A l’instar d’autres géants de l’agrochimie comme Syngenta ou Corteva, BASF s’est en effet d’abord engouffrés dans une brèche laissée par le législateur : le texte stipulait que l’interdiction s’appliquait aux produits « contenants » des substances non autorisées mais pas aux substances actives elles-mêmes. Concernant le Fastac et sa substance active l’alpha-cyperméthrine, le ministère assure ne disposer d’« aucune notification d’exportation depuis la France en 2024 ». L’association suisse Public Eye traque depuis plusieurs années les exportations de pesticides interdits depuis les pays européens. Elle n’a pas encore pu analyser l’ensemble des notifications pour l’année 2024. Elle a toutefois identifié des exportations de Fastac depuis les Pays-Bas et l’Allemagne en 2024. Des exportations principalement à destination de la Russie et des pays de l’ex-bloc soviétique (Ukraine, Kazakhstan, Bélarus).
L’embarras du choix
Responsable agriculture et alimentation à Public Eye, Laurent Gaberell privilégie une hypothèse : « BASF, comme Syngenta et les autres géants de l’agrochimie disposent de filiales et d’infrastructures sur tout le continent. Ils peuvent très bien continuer à produire en France tout en déclarant leurs exportations depuis un pays qui n’a pas la même réglementation. » Les fabricants ont l’embarras du choix. La France, est, avec la Belgique, le seul pays à interdire sur leur territoire la production et l’exportation de pesticides dont l’usage est prohibé en Europe. Mardi 24 juin, une coalition de plus de 600 organisations a demandé à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, de « tenir sa promesse de 2020 » d’interdire la production et l’exportation de pesticides interdits dans l’UE pour en finir avec un « commerce toxique qui a doublé depuis 2018 ».
« Agnès Pannier-Runacher a interpellé à plusieurs reprises la Commission pour qu’elle respecte cet engagement, notamment lors d’un conseil des ministres de l’environnement de l’UE fin 2024, indique-t-on au ministère de la transition écologique. Seule une action à l’échelle communautaire est de nature à réellement progresser sur le sujet. »
Source : https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/06/26/le-fastac-un-pesticide-interdit-depuis-2020-identifie-dans-une-usine-du-groupe-basf_6616044_3234.html
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