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mardi 7 février 2017

Pablo Servigne : Comment tout peut s'effondrer




Comment tout peut s'effondrer



Pour Pablo Servigne, ingénieur agronome et docteur en biologie, auteur de Nourrir l'Europe en temps de crise (Nature et Progrès) et qui vient de publier, avec Raphaël Stevens, Comment tout peut s'effondrer (Seuil). l'effondrement économique et civilisationnel de notre société est programmé. Un catastrophisme positif qui mise sur l'avènement d'une nouvelle humanité.

Pourquoi donner cet échange à lire ? Il me semble qu’il donne très clairement les raisons qui ont contribué à la tenue des colloques de Chrétiens et pic de pétrole. Autre raison de publier en ce lieu l’entretien « il faut affronter la grande descente énergétique », la rencontre de vendredi soir, 29 mai à l’espace culturel de Saint-Polycarpe, vers 19 h où sera présenté le livre rendant compte des conférences du dernier colloque : quelle Société voulons-nous ? Cette soirée sera l’occasion de reprendre les conclusions et engagements du colloque de novembre 2014 et de mettre en place rencontres et laboratoires pour 2015-2016.

il faut affronter la grande descente énergétique


De plus en plus d'experts considèrent que la civilisation industrielle a atteint un tel stade de complexité, sur fond d'interconnexion des crises (énergétique, environnementale, financière...), qu'un scénario d'effondrement de nos sociétés est hautement probable. Pourtant cette question est rarement abordée avec le sérieux qu'elle mérite dans l'espace médiatico-intellectuel francophone.

Jean-Claude Noyé : L'objet de votre livre est d'analyser les tenants et aboutissants de l'effondrement de notre civilisation « thermo-industrielle ».

Pablo Servigne : Il ne s'agit ni de la fin du monde, ni de l'apocalypse, ni même d'une simple crise, ni encore d'une catastrophe ponctuelle. Par effondrement, nous entendons le processus à l'issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, etc.) ne sont plus fournis à un prix raisonnable à une majorité de la population par des services encadrés par la loi. Il s'agit d'un processus irréversible et à grande échelle. Il n'est pas question de se complaire dans ce constat, ni de souhaiter les catastrophes, mais de les regarder en face, lucidement.

Jean-Claude Noyé : Qu'est-ce qui permet d'affirmer qu'un scénario aussi sombre adviendra inéluctablement ?

Pablo Servigne : Cette hypothèse, nous ne l'inventons en rien. Nous n'avons fait que reprendre systématiquement, afin de les synthétiser et de les vulgariser, les travaux de nombreux scientifiques et d'institutions tels que le Giec, le Pentagone ou l'armée allemande, qui se sont penchés avec le plus grand sérieux sur les conséquences de la crise systémique dans laquelle nous sommes : crise de l'énergie, avec la fin définitive du pétrole bon marché, puis la disparition progressive mais certaine de celui-ci. Crise du climat, avec l'emballement du réchauffement climatique, dont bien des effets sont d'ores et déjà irréversibles. Crise démographique et les difficultés croissantes d'accès à la nourriture et à l'eau potable, ou encore de destruction accélérée de la biodiversité, une véritable bombe à retardement. Crises financières à répétition, car selon nombre de spécialistes celle de 2008 sera suivie d'autres.

Jean-Claude Noyé : C'est faire peu de cas de l'ingéniosité de l'homme et de sa capacité à résorber les dites crises...

Pablo Servigne : Encore faudrait-il agir au plus vite et adopter des mesures draconiennes pour inverser le cours des choses. Malheureusement, de nombreux freins empêchent ce sursaut. Au niveau individuel, nous en voyons deux principaux. D'une part, la plupart des gens ignorent encore la gravité des problèmes, et ce d'autant plus que ces problèmes sont lents à se déployer. Du coup, leur visibilité est moins spectaculaire. Quant aux personnes informées de cette impasse civilisationnelle, elles ne veulent ou ne peuvent pas y croire. C'est en particulier le cas des décideurs. Le déni est très puissant, et il a de multiples causes. Enfin, au niveau collectif, il y a des lobbies très puissants qui s'évertuent à fabriquer du doute en payant des experts pour contredire des faits scientifiques, mais il y a aussi un phénomène bien plus puissant et sournois : le verrouillage sociotechnique.

Jean-Claude Noyé : Qu'entendez-vous par là ?


Pablo Servigne : Lorsqu'une technologie ou un type d'énergie (en l'occurrence les énergies fossiles) se répandent dans la société et deviennent dominants, ils empêchent l'émergence de nouvelles inventions qui pourraient s'avérer plus efficaces. C'est ainsi que nous nous retrouvons prisonniers de systèmes techniques désuets, toxiques et vulnérables, comme l'agriculture industrielle, qui empêchent la transition vers d'autres modes d'énergie ou d'agriculture. Il n'y a là nul complot ! Juste de nombreux mécanismes, complexes et enchevêtrés, aussi bien psychologiques que juridiques ou économiques, à l'origine de ce verrouillage.


Jean-Claude Noyé : Pourtant, il y a désormais un quasi-consensus des décideurs sur la nécessité de (re)fonder la société sur la croissance verte. Qu'en pensez-vous ?

Pablo Servigne : Ce scénario n'est pas envisageable pour plusieurs raisons. La première est que notre système économique, aussi vert soit-il, a de fait besoin de croissance. Or la croissance économique est devenue non seulement toxique, mais également impossible : nous avons atteint de nombreuses limites physiques de notre planète, et la technologie ne pourra plus les repousser indéfiniment. La deuxième est que nous ne pouvons physiquement pas découpler la croissance économique de l'extraction de minerais et de la consommation d'énergies fossiles. Autrement dit, une croissance immatérielle est impossible, c'est un principe thermodynamique. En clair, nous ne nourrissons pas ni ne chauffons les gens avec Internet ! Troisièmement, si vous retirez les énergies fossiles de notre système économique, vous bloquez tout le système. L'économie verte a paradoxalement besoin de croissance et de pétrole pour se développer. Et c'est précisément là le problème.

Jean-Claude Noyé : Reste le scénario mis en avant par les militants de la décroissance, à savoir une sortie programmée et anticipée du modèle croissanciste, avec une répartition équitable des efforts et privations auxquels il faudra consentir


Pablo Servigne : Nous sommes hélas convaincus qu'il n'y a pas vraiment de sortie possible de l'effondrement. L'éviter ? Cela impliquerait soit de continuer à croître, ce qui est impossible, soit de renoncer à croître, ce qui ferait s'écrouler toute l'économie mondiale. Nous n'avons pas d'autre choix que d'affronter « la grande descente énergétique » le plus lucidement, consciemment et pacifiquement possible. Désolé de le dire, mais nous n'y échapperons pas.

Jean-Claude Noyé : Quelles seront les conséquences sociales de cette descente ? Faut-il redouter une amplification des conflits ?

Pablo Servigne : Il y a déjà de grands conflits liés à l'accès à l'eau potable, à la nourriture, à l'énergie etc. S'amplifieront-ils ? C'est probable. Alors comment réagiront les populations ? Historiquement parlant, on constate que dans des situations de catastrophes, les hommes réagissent le plus souvent avec un sang-froid et une solidarité qui s'avèrent fort efficaces pour limiter les effets délétères.

Jean-Claude Noyé : On peut donc rester quelque peu optimiste ?

Pablo Servigne : Bien sûr, c'est d'ailleurs le message que nous souhaitons délivrer. Certes, le réalisme nous oblige à constater que des changements à grande échelle interviendront plutôt tôt que tard et qu'ils seront sources de multiples désordres, d'une gravité sans précédent. Pour autant, essayons autant que faire se peut de les anticiper ! Il y a mille et une choses à mettre en oeuvre pour atténuer les chocs à venir. D'ailleurs, des initiatives innombrables sont déjà en place un peu partout dans le monde. Elles sont comme les jeunes pousses dans une forêt : ce n'est qu'après l'effondrement du vieil arbre qu'elles peuvent s'épanouir à travers la nouvelle clairière. L'effondrement de notre modèle de société, caractérisé par le développement aussi exponentiel qu'insoutenable de nos productions/consommations, peut être le préalable indispensable à la (re)construction d'une société postcapitaliste moins folle, plus respectueuse de l'homme et de son environnement. Je suis personnellement agnostique. Mais je vois là la possibilité pour les chrétiens de conjuguer à nouveaux frais cette vertu cardinale qu'est l'espérance...


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