Nétanyahou est désolé
Le
« Je suis désolé ». Étonnant, non ? C’est pourtant ce que le premier ministre israélien vient de déclarer au Time Magazine le 8 août : « je suis désolé, franchement » [1].
Mais de quoi, au juste ?
D’avoir ordonné l’assassinat du chef politique du Hamas à Téhéran, ce qui fait redouter une riposte et un embrasement de toute la région, et même au-delà ?
Désolé des onze mois de massacre des habitants de Gaza ? Des 39 897 morts ? Et au moins autant sous les décombres ? Des 92 152 blessés ? Victimes qui sont en majorité des femmes et des enfants [2] ?
Désolé de l’intensité des bombardements supérieure à celle observée durant toutes les guerres, y compris la Seconde guerre mondiale ? Ou de cette école bombardée ce 9 août dans la ville de Gaza ? 93 morts parmi les déplacés hébergés, dont des enfants déchiquetés. La routine, un petit flash d’info entre les épreuves de volley et de basket, médaille d’or ou d’argent pour la France ?
Désolé des 24 hôpitaux détruits ? Désolé que les maladies non traitées, cancers ou autres, risquent de faire plus de victimes que les bombardements ? Ou bien désolé devant le virus de la poliomyélite qui vient d’apparaître à Gaza et qui exige une vaccination de masse urgente selon l’OMS ? Mais pour cela, il faut un cessez-le-feu de quelques jours. Israël s’inquiète pour ses soldats et même pour ses plages. La poliomyélite sur les jolies plages de Tel Aviv ? C’est ça qui désole Bibi ?
Ou bien cette recherche publiée dans la sérieuse revue médicale The Lancet, indiquant que le bilan total avec épidémies, maladies, malnutritions pourrait s’élever à 186 000 morts ou davantage ? Une estimation « cohérente » selon Médecins du Monde.
Ou alors désolé par le mandat d’arrêt demandé contre lui-même et son ministre de la défense Yoav Gallant par le procureur de la Cour pénale internationale, demande qu’il a qualifiée de « nouvel antisémitisme » ?
Désolé par le rapport de l’ONG humanitaire israélienne B’Tselem du 5 août 2024 qui dénonce un usage « systémique » de la torture contre les détenus palestiniens dans les prisons israéliennes qui fonctionnent comme des « camps de torture » ? Un système mis en place par le gouvernement Nétanyahou, plus spécialement par son ministre de la sécurité nationale, le suprémaciste Itamar Ben-Gvir. Depuis le 7 octobre 2023, le nombre de détenus est passé de 5 192 à 9 623, dont 4 781 sans procès et sans motif. Des otages en somme. Depuis cette date, on dénombre 60 morts, dont 48 originaires de Gaza. Les témoignages font état de violences sexuelles et de viols avec des bâtons. La Croix-Rouge n’a plus accès aux détenus.
Désolé pour les 108 journalistes tués dans la bande de Gaza entre octobre 2023 et juin 2024, délibérément ciblés, ou bien les 205 employés humanitaires tués depuis le 7 octobre [3] ?
Désolé pour les 400 athlètes palestinens, entraîneurs et officiels qui ont été tués ou blessés dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre 2023 ?
Mais non, en vérité, ce n’est pas tout ça qui désole Monsieur Nétanyahou. Il se dit « désolé qu’une telle chose [comme le 7 octobre] ait pu arriver » et il regrette les « failles » qui ont conduit au massacre. Sa désolation s’arrête là. Il n’est pas allé plus loin dans cet entretien au Time Magazine, car, dit-il, « nous devons nous concentrer sur une seule chose : la victoire ».
De taille, en effet, les failles !
Échec du renseignement militaire d’une des plus puissantes armées au monde. Échec d’un gouvernement rejoint depuis 2022 par une majorité d’extrême droite religieuse, messianique, raciste et homophobe.
Quant à la victoire…
Au bout de onze mois de massacres, les otages ne sont pas libérés, le Hamas n’est pas éliminé, la population gazaouie n’est pas déplacée. Le « déplacement » des Palestiniens de Gaza et la « réoccupation » de la bande de Gaza, qui est le but des radicaux les plus excités, majoritaires dans le gouvernement israélien, n’a pas eu lieu. Malgré des souffrances inouïes, les civils terrorisés et affamés ne se sont pas retournés contre le Hamas, ce qui est le but recherché par le gouvernement israélien. Partout le Hamas est toujours actif et continue le combat avec les autres factions palestiniennes, face à la toute puissance d’Israël inconditionnellement soutenue par les États-Unis, en armement comme en financement. Et malgré les appels à la « retenue » par un Joe Biden surnommé « Genocide Joe » par une partie de l’opinion américaine, dont beaucoup de juifs américains.
Le choc du 7 octobre a été considérable pour ceux qui avait opté pour un accord tacite entre Israël et le Hamas. On a même forgé un mot pour ça : « frenemy », soit « friend » et « enemy ». Moyennant financement assuré via le Qatar, le Hamas est en somme le gardien de la prison Gaza. Une sorte d’alliance indirecte avec Israël. C’est la doctrine Nétanyahou, clairement exposée au Likoud en 2019 : instrumentaliser le Hamas afin de diviser et d’affaiblir l’autorité palestinienne. Une division qui permet de poursuivre la colonisation. Quelques anicroches de temps en temps, quelques roquettes interceptées par le « dôme de fer », histoire d’entretenir le leurre et obtenir la division entre Gaza et Ramalah et prouver qu’« il n’y a pas d’interlocuteur ».
Sauf que, sous les radars, le gardien de la prison Gaza fomentait patiemment une mutinerie qui allait réussir à tromper les renseignements militaires d’une des armées les plus puissantes au monde le 7 octobre 2023 et tromper le gouvernement le plus à l’extrême droite et le plus anti-palestinien de l’histoire d’Israël. Une faillite sécuritaire suivie d’une faillite morale qui hypothèque lourdement l’avenir d’Israël comme de la Palestine. Selon l’OMS, dans la bande de Gaza, un million d’enfants ont un besoin urgent de soutien psychologique et psychiatrique. Ce sont là des choses qui durent longtemps et qui défient les chefs et les armes.
L’ancien ambassadeur d’Israël en France, Élie Barnavi, résume ainsi : « une organisation islamiste fanatique dont l’objectif déclaré est la destruction d’Israël ; et une politique israélienne imbécile à laquelle se sont accrochés les gouvernements successifs et que le dernier a portée à l’incandescence. »
Est-ce à dire que les Palestiniens de Gaza partagent les « idées » du Hamas ? Une masse endoctrinée en somme ? Il faut le redire : pour les Palestiniens, l’attaque du 7 octobre 2023 survient au bout de 16 ans de blocus et de 56 ans d’occupation, de résistance et de répression. En France, depuis Sarkozy, la droite et l’extrême droite, comme les penseurs de plusieurs médias mainstream, soutiennent la politique coloniale du pouvoir israélien. Le soutien à la cause palestinienne est réprimé et automatiquement accusé d’« antisémitisme ». Un combat d’arrière-garde alors que la majorité de la planète comprend parfaitement ce que veulent les Palestiniens. C’est ce que voulaient les Irlandais, les Vietnamiens ou les Algériens et c’est ce que veulent tous les colonisés du monde, la terre et la liberté. L’accueil enthousiaste aux athlètes palestiniens lors des JO de Paris en donne une idée claire.
Mais Nétanyahou n’est pas le seul désolé. Le 9 août, Emmanuel Macron adressait un message au monde : « il faut que la guerre s’arrête », « tous doivent l’entendre ».
D.M.
Notes
[1] Eric Cortellessa, « Read the Full Transcript of Benjamin Netanyahu’s Interview With TIME », Time Magazine, 8 août 2024.
[2] D’après le ministère de la santé administré par le Hamas.
[3] Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine, 9 août 2024.
Source : https://la-bas.org/la-bas-magazine/textes-a-l-appui/netanyahou-est-desole
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