Ce blog rassemble, à la manière d'un journal participatif, les messages postés à l'adresse lemurparle@gmail.com par les personnes qui fréquentent, de près ou de loin, les cafés repaires de Villefranche de Conflent et de Perpignan. Mais pas que. Et oui, vous aussi vous pouvez y participer, nous faire partager vos infos, vos réactions, vos coups de coeur et vos coups de gueule, tout ce qui nous aidera à nous serrer les coudes, ensemble, face à tout ce que l'on nous sert de pré-mâché, de préconisé, de prêt-à-penser. Vous avez l'adresse mail, @ bientôt de vous lire...
BLOG EN COURS D'ACTUALISATION... ...MERCI DE VOTRE COMPREHENSION...
mercredi 7 août 2024
« Je ramasse des cadavres tous les jours » : en Ariège, un virus décime les troupeaux
Une épidémie de fièvre catarrhale ovine tue de nombreux moutons dans le Sud-Ouest. «Écœurée», une éleveuse ariégeoise tente tout, en vain. 40% de son cheptel a déjà été décimé.
Cazenave-Serres-et-Allens (Ariège), reportage
Étendue sur la paille, une agnelle s’éteint à petit feu. Les lèvres
enflées par un œdème, la langue bleutée par la cyanose, elle halète
péniblement. «D’ici quelques heures, elle succombera.»
Les doigts délicats d’Andréa caressent les bouclettes de l’animal.
L’apaiser est illusoire, mais qu’importe, elle essaie. Puis l’éleveuse
se lève, s’approche de son conjoint et l’interroge : «J’ai perdu le compte. 28?» Tapotant sa cigarette du bout de l’index, Rémi calcule silencieusement : «31… et bientôt 4 autres.»
Aux confins de l’Ariège, La Bergerie d’Allens est frappée par la
fièvre catarrhale ovine. Il y a quinze jours encore, la production
laitière battait son plein et les clients se délectaient des crottins et
yaourts à la boutique de la ferme. «Puis, ça a brusquement basculé, murmure Andréa. Le virus a frappé si fort que j’ai cru que toutes mes brebis allaient crever.» Le 3 août, 40% du cheptel de basco-béarnaises avait été décimé.
Et l’hécatombe se poursuit. D’après le décompte du Groupement de défense
sanitaire local, 154 foyers émaillaient le territoire ariégeois au 1er août. Transmis par les culicoïdes, de petits moucherons volant en essaim, le «blue tongue virus» (la «maladie de la langue bleue») n’y avait pas été observé depuis 2008. Avec le changement climatique,
les larves et les adultes résistent mieux à l’hiver et s’aventurent
désormais en altitude. Détecté le 10 juin en Catalogne espagnole, le
virus a essaimé à vitesse éclair dans l’Aude et les Pyrénées-Orientales,
avant de se projeter vers l’ouest.
« Elles meurent les unes après les autres »
Deux cão de gado transmontano, de grands chiens de garde portugais,
aboient au loin. La silhouette de leur maîtresse n’a pas échappé à leurs
pupilles malicieuses. Autour d’eux, les brebis paissent à l’ombre d’un
charme. Presque toutes ont un nom. Il y a Mouchette, dont la tache noire
semblable à un grain de beauté décore le museau, Flanelle ou encore
Bourrine. Claquette, dont les sabots tambourinaient dès que la paysanne
lui touchait les mamelles, est décédée quelques jours plus tôt.
Grandes cornes, la doyenne à la ramure de bélier, commence à faiblir.
La tête logée dans le creux d’un tronc, elle maigrit à vue d’œil : «Ça ne sent pas bon. Je la repiquerai aux anti-inflammatoires tout à l’heure.» Andréa refuse d’abandonner la moindre d’entre elles à son sort : «Mouchette s’en est sortie, alors il y a toujours un petit brin d’espoir.»
De l’aube au crépuscule, la bergère s’est muée en soignante. Ulcères
aux gencives, hyperthermie, anorexie, œdèmes aux paupières… Elle
inspecte les bêtes une à une, à l’affût des symptômes, et leur injecte
les médicaments. «Je ramasse
des cadavres tous les jours, avant que les vautours ne les dévorent.
Mais le plus traumatisant, c’est de les observer à l’agonie.»
Une main portée à la bouche comme pour barrer le chemin au sanglot
qu’elle ne peut contenir, la trentenaire s’interrompt. Puis, la gorge
nouée, ajoute : «J’ai beau m’acharner, elles meurent les unes après les autres. Je suis écœurée.»
En amont du village, les dépouilles s’entassent dans une benne. «Les équarrisseurs sont débordés», se désole à l’autre bout du fil Laurence Marandola. À quelques kilomètres de là, la porte-parole de la Confédération paysanne a perdu 17% de son cheptel de lamas : «Je
dois attendre cinq jours avant leur venue. Alors, je dissimule les
cadavres sous une bâche. Aussi bien humainement que sanitairement
parlant, il faut s’accrocher. Ce n’est pas facile.»
Deux jours plus tôt, Andréa a été placée en arrêt de travail pour «burn out physique et émotionnel».
Un anglicisme auquel la fermière, pourtant trahie par ses cernes, peine
à s’identifier. En dépit de la prescription du médecin, elle continue à
cravacher : «Je n’ai pas le choix.» Pour l’heure, impossible de savoir si la Sécurité sociale agricole lui accordera ou non une aide.
Bientôt viendra aussi l’heure des comptes : celui du nombre de brebis
ayant survécu, et celui de l’argent restant dans les caisses. «Avec l’arrêt de la production, je n’ai plus le moindre revenu.» Filant à mini enjambées, un mulot manque d’être piétiné sous ses semelles. «Les crédits tombent en octobre, poursuit-elle. Déjà que je ne me rémunérais pas, comment vais-je les payer?» Un silence s’installe. Elle hausse les épaules.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire