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vendredi 31 janvier 2020

A Cussac-Fort-Médoc, les bio jours du maraîchage municipal

A Cussac-Fort-Médoc, 

les bio jours 

du maraîchage municipal



Par Eva Fonteneau, Envoyée spéciale à Cussac-Fort-Médoc


Le maraîcher David Ducasse a été embauché par la mairie de Cussac-Fort-Médoc pour fournir la cantine de l’école en légumes bio, et bientôt en fruits, grâce à une centaine d’arbres plantés.  
Photo Rodolphe Escher pour Libération


Le village de Gironde a mis en place une régie agricole communale : un professionnel employé par la mairie cultive directement les produits qui seront servis à la cantine.


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« Les patates et les citrouilles poussent dans ce champ. Parfois, on a un ballon de football qui vient se planter entre les deux », plaisante David Ducasse, les pieds dans la gadoue et les joues rosies par le froid mordant de janvier. Pivotant d’un quart de tour, il pointe du doigt le stade communal, à 5 mètres à peine. Puis l’école et la mairie. La parcelle agricole jouxte les trois, en plein centre-bourg de Cussac-Fort-Médoc. C’est ici, à une heure au nord de Bordeaux et non loin de l’estuaire de la Gironde, que les élus se sont lancés dans une expérience unique en Nouvelle-Aquitaine : une régie agricole communale (RAC). Elle alimente la cantine scolaire de Cussac, une commune de 2 260 habitants. Pour lancer le projet, David Ducasse a été recruté en mai 2018. Il est aujourd’hui maraîcher municipal, un poste créé sur mesure et intégré aux services techniques de la mairie.


Photo Rodolphe Escher pour Libération


Salades, courgettes, tomates, aubergines, aromates, poireaux… La production du quadragénaire est répartie sur 2,5 hectares de culture (qui appartiennent à la commune) et permet d’alimenter en produits bio environ 40 % des menus de cette cantine « rebelle », où 230 repas sont servis quotidiennement. La commune espère atteindre les 100 % bio et local pour les légumes d’ici à fin 2020. « A un moment, on a eu un maire qui a dit "on le fait". J’espère qu’il va y avoir un effet boule de neige », dit David Ducasse.


Encore très peu répandue en France, cette initiative a été portée par Dominique Fedieu, maire PS de Cussac. Un choix politique fort qui était loin d’être une évidence pour celui qui achèvera son deuxième mandat en mars. Dans les allées, entre les serres de fèves et de radis, l’élu se souvient : « Au départ, j’avais seulement mon intuition, en lien avec ma casquette de viticulteur bio : celle qu’une alimentation saine passe par une agriculture biologique, et que les perturbateurs endocriniens et les pesticides font des ravages dès le plus jeune âge. Ensuite, j’ai commencé à me renseigner, à voir ce qui se faisait ailleurs. » Et de poursuivre : « Comme quoi l’écologie n’est pas cantonnée à une couleur politique. L’alimentation est de toute manière un sujet qui rejoint beaucoup de préoccupations. »

« Blette »

 

Pour trouver l’inspiration, le maire de Cussac se rend jusqu’en région Paca, à Mouans-Sartoux. Modèle de référence, la commune des Alpes-Maritimes a réussi à imposer le 100 % bio dans ses cantines. Avec une bonne longueur d’avance. « C’est la preuve que ça pouvait être concret, et pas seulement une utopie. En 2017, Cussac-Fort-Médoc a candidaté à l’appel à manifestation lancé par la mission Agenda 21 en Gironde. On a été surpris par l’engouement général et on a décidé de ne plus attendre », poursuit Dominique Fedieu. Deux ans plus tard, l’élu l’assure, le coût des repas à la cantine reste constant, notamment grâce à des subventions du département et à une réduction drastique du gaspillage : « En moyenne, une école élémentaire gaspille environ 120 g par repas et par personne. Nous sommes, nous, proches des 50 g. Car il ne suffit pas d’avoir de bons produits, il faut aussi que les enfants en mangent. Tout le monde est mobilisé : les enseignants, les équipes de cantine… La pédagogie est un volet indispensable. »


Photo Rodolphe Escher pour Libération


La cuisinière de la cantine, Aurore Cossat, sait la responsabilité qui lui incombe : « Je travaille à Cussac depuis quinze ans. Nous avions déjà un quota de légumes frais et locaux, mais le bio, c’était seulement quelques fois dans le mois. Depuis l’arrivée du maraîcher, j’essaie de sensibiliser les enfants. Je veux qu’ils voient la différence, qu’ils aient conscience de leur chance de manger des produits qui poussent à quelques centaines de mètres de leur école. » Sur chaque menu, des petites pastilles orange ont été ajoutées pour attirer l’attention des enfants. Elles signifient « provenance du jardin communal ». Chaque semaine, la «c arte d’identité » d’un légume (son histoire, ses bienfaits, son goût…) est aussi affichée dans le réfectoire. « Je leur fais découvrir des légumes moins courants, comme la blette. Mais au lieu de la couper et de la mélanger avec du riz pour en masquer le goût, j’essaie autant que possible de cuisiner le produit brut. Les aider à identifier ce qu’il y a dans leur assiette fait partie de l’apprentissage. Les enfants sont très réceptifs et curieux », se félicite la cuisinière.

« Aléas »


Vanessa Larenie est la mère de Pablo, 8 ans et demi : « Notre fils mange tous les jours à la cantine de Cussac. Et c’est évident, on préfère qu’il mange bio. C’est important pour un enfant de voir que ce qu’il mange ne pousse pas dans les rayons du supermarché. Ce changement à la cantine nous fait du bien à nous aussi parents. On essaie de continuer le travail à la maison, on fait des efforts pour que nos enfants mangent bien aussi le soir. »
 

« Dans cette aventure, je retiens surtout une chose, analyse David Ducasse, le maraîcher municipal. D’habitude, les premières années d’un maraîcher sont difficiles, on n’est jamais à l’abri des aléas climatiques. Mais là, je suis fonctionnaire, j’ai un salaire régulier, la sécurité de l’emploi. Ce poste donne de l’espoir à la profession. On assiste presque à un renouvellement du métier d’agriculteur. » Son calendrier lui permet même d’organiser des ateliers pédagogiques avec les élèves de l’école municipale. « Ayant moi-même deux enfants, ce projet résonne en moi. La principale difficulté, ça a été de faire coïncider le calendrier des légumes avec le calendrier scolaire, car le plus gros de la récolte se fait en été… quand l’école ferme. » Pour les fruits, par exemple, il faudra encore patienter trois ans. Avec l’aide du service technique de la mairie, David Ducasse a planté une centaine d’arbres fruitiers en décembre 2018. « Il y aura des pommes, des poires, des framboises, des groseilles… En attendant, on a de la chance d’être à côté d’un gros département producteur, le Lot-et-Garonne, complète le maire de Cussac, qui aspire à mettre toute la ville au diapason. La régie a notamment favorisé le développement d’initiatives solidaires, comme la création d’un jardin partagé. Et plus globalement, ce projet nous permet aussi de réfléchir autrement sur la place de l’agriculture dans les zones habitées. » Déjà d’autres communes, comme Lacanau, sur la côte girondine, sont venues à Cussac pour s’en inspirer.

Eva Fonteneau Envoyée spéciale à Cussac-Fort-Médoc


Source : https://www.liberation.fr/france/2020/01/13/a-cussac-fort-medoc-les-bio-jours-du-maraichage-municipal_1772857?xtor=EREC-25&actId=ebwp0YMB8s1_OGEGSsDRkNUcvuQDVN7a57ET3fWtrS90SVGouFRqw1jk3aySqrmQ&actCampaignType=CAMPAIGN_MAIL&actSource=500765

jeudi 30 janvier 2020

Le gouvernement a créé une cellule militaire pour surveiller les opposants à l’agro-industrie

Le gouvernement a créé 

une cellule militaire 

pour surveiller les opposants 

à l’agro-industrie

15 janvier 2020 / Une alliance d’écologistes, de paysans, d’associations environnementales, de médecins, etc.

 



Le gouvernement veut « faire taire tous ceux qui mènent des actions symboliques contre le système de l’agriculture industrielle », dénoncent de multiples défenseurs de l’agriculture paysanne et biologique, réunis dans cette tribune. Ils s’inquiètent fortement de la création de la cellule de renseignement Demeter, lancée fin octobre, soi-disant destinée à lutter contre l’« agribashing ».

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La liste des organisations signataires de cette tribune se trouve à la fin du texte.



Il y aura un avant et un après Demeter. Le 13 décembre, le ministre de l’Intérieur de la République française Christophe Castaner s’est rendu dans le Finistère en compagnie de la présidente de la FNSEA Christiane Lambert. Dans le cadre d’une convention signée entre son ministère et ce syndicat agricole. Cette première anomalie démocratique — depuis quand la police républicaine est-elle aux ordres d’une structure privée ? — n’est pas la dernière, de loin.

En effet, ce voyage avait pour but principal de lancer une cellule de la gendarmerie nationale appelée Demeter, la déesse grecque des moissons. Et marque reconnue, depuis des lustres, de l’agriculture sans pesticides. Quel en est le but affiché ? La lutte contre « l’agribashing ». Ce terme est une invention des communicants de la FNSEA, qui prétend sans en apporter la moindre preuve qu’on assisterait en France à une entreprise concertée de dénigrement du monde agricole. Elle permet à ce syndicat de maintenir ce qu’elle fait depuis des dizaines d’années : une pression lobbyiste pour obtenir en retour des avantages économiques.

Le ministre, confronté avec son gouvernement à une situation politique difficile, a donc décidé de jouer ce rôle dangereux, affirmant par exemple : « Depuis quelques années, un phénomène grandit, inacceptable. De plus en plus, nos agriculteurs sont visés par des intimidations, des dégradations, des insultes. »

Empêtré dans cette imprudente déclaration, le ministre démontre dans le même texte qu’il est incapable de prouver par le moindre fait la réalité de ce phénomène. Les chiffres qu’il cite pour 2019 parlent d’eux-mêmes : sur la base de 440.000 exploitations agricoles, les plaintes portent sur 314 tracteurs volés, 24 vols avec violence, 657 voitures dérobées.

Encore faut-il préciser que les vols avec violences ont diminué en un an de 31,4 %. La plupart des centres urbains se damneraient pour de telles statistiques. Il est visiblement plus simple de mobiliser la police que de régler la situation dramatique de la paysannerie française.

Il y a encore plus grave. Volontairement, n’en doutons pas, M. Castaner mélange dans un stupéfiant gloubi-boulga la délinquance vile — cambriolages, vols de matériel, incendies, dégradations —, les occupations de terres agricoles par des gens du voyage, les actions antifourrure ou antichasse. C’est mettre sur le même plan criminel le vol, le droit des populations nomades, celui de la critique sociale et politique.

Il y a encore plus grave. M.Castaner entend s’attaquer dans le cadre de Demeter, ainsi qu’il l’écrit, aux « actions de nature idéologique, qu’il s’agisse de simples actions symboliques de dénigrement du milieu agricole ou d’actions dures ayant des répercussions matérielles ou physiques ». Cette fois, on aura compris : il s’agit de faire taire tous ceux qui mènent des actions symboliques contre le système de l’agriculture industrielle, dont la FNSEA est le principal soutien.

La démocratie, ce n’est pas pactiser avec les lobbies dans le dos de la société


Qui mène « des actions symboliques » contre ce système ? Le mouvement des Coquelicots, qui réclame la fin des pesticides, soutenu par un million de citoyens. Les maires qui prennent des arrêtés contre ces poisons chimiques. Des dizaines de milliers de paysans qui ont déjà choisi l’agriculture biologique. Beaucoup d’autres, qui défendent le modèle de l’agriculture paysanne contre les projets délirants d’usines à vaches, à cochons ou à poulets. Et au total des centaines de milliers de citoyens engagés contre l’importation massive de soja transgénique et donc l’élevage industriel, contre la mort des oiseaux et des insectes, pour des rivières débarrassées de la pollution et des rivages sans algues vertes, enfin pour une alimentation de haute qualité.

Il ne fait aucun doute, à nos yeux, qu’une ligne a été franchie. La démocratie, ce n’est pas pactiser avec les lobbies dans le dos de la société. Et quand le ministre parle « d’améliorer [la] coopération avec le monde agricole et de recueillir des renseignements », chacun comprend ce que cela veut dire. Cela signifie l’intimidation accrue de tous les adversaires décidés de la FNSEA, qui passe nécessairement par la surveillance électronique et informatique, d’éventuelles écoutes téléphoniques, voire des filatures, des infiltrations, ou pire encore, la délation.

Nous prévenons solennellement le gouvernement que nous refusons cette criminalisation et que nous demandons le démantèlement de la cellule Demeter. Notre contestation de l’agriculture industrielle, non-violente, se fait et se fera au grand jour, dans la conviction d’exprimer la volonté majoritaire de la société française. Nous voulons beaucoup de paysans, beaucoup plus de paysans, heureux et fiers de leur métier, enfin payés au prix convenable pour leur participation au bien commun. C’est en effet un autre monde que celui de la FNSEA.

  • Liste des signataires :
- Valérie Murat, porte-parole de l’association Alerte Aux Toxiques !
- Pierre-Michel Périnaud, président d’Alerte des médecins sur les pesticides
- Sylvie Nony, secrétaire d’Alerte Pesticides Haute Gironde
- Khaled Gaiji, président des Amis de la Terre
- Jean-francois Lyphout, président de l’Aspro-Pnpp
- Pierrick De Ronne, président de Biocoop
- Gwenola Kervingant, présidente de Bretagne Vivante
- Sylvain Angerand, coordinateur des campagnes de Canopée
- Michel Besnard, du Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest
- Marie-Lys Bibeyran, du Collectif Info Médoc Pesticides
- Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne
- Joël Spiroux de Vendômois, président du Criigen
- Alain Bonnec, président d’Eau et rivières de Bretagne
- Jean-Luc Toullec, président de la Fédération Bretagne Nature Environnement
- Guillaume Riou, président de la FNAB
- Eric Feraille, directeur de FNE Aura
- François Veillerette, directeur de Générations futures
- Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace France
- Arnaud Apoteker, délégué général de Justice Pesticides
- Daniel Cueff, maire de Langouët (35)
- Patrick Lespagnol, président du Mouvement de l’Agriculture Bio-Dynamique
- Eliane Anglaret, présidente de la fédération Nature & Progrès
- Fabrice Nicolino, président de Nous voulons des coquelicots
- Jean-Yves Bohic, président de Ragster
- Carole Le Bechec, présidente du Réseau Cohérence
- Jean-François Baudin, président du Réseau Amap Auvergne-Rhône-Alpes
- Florent Mercier, co-président du Réseau Semences Paysannes
- Jacky Bonnemains, directeur de Robin des bois
- Thierry Thévenin, porte-parole du syndicat Simples
- Gilles Lanio, président de l’Union nationale de l’apiculture française (UNAF)


Lire aussi : L’agribashing, une fable qui freine l’indispensable évolution de l’agriculture

Source : Courriel à Reporterre
Photos : © Ministère de l’Intérieur
- Dans les tribunes, les auteurs expriment un point de vue propre, qui n’est pas nécessairement celui de la rédaction.
- Titre, chapô et intertitres sont de la rédaction.



Source : https://reporterre.net/Le-gouvernement-cree-une-cellule-militaire-pour-surveiller-les-opposants-a-l-agro-industrie?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=nl_quotidienne

mercredi 29 janvier 2020

OGM - À Toulouse, des cellules reprogrammées génétiquement pour combattre le cancer

À Toulouse, 

des cellules reprogrammées 

génétiquement 

pour combattre le cancer




Publié le


Les CAR-T cells sont des cellules reprogrammées génétiquement pour combattre les tumeurs. À Toulouse, le service d’hématologie de l’IUCT-Oncopole vient de traiter ses premiers patients. 



La reprogrammation génétique des cellules



Le Dr Anne Huynh, hématologue, Anaïs Grand, pharmacienne responsable des thérapies innovantes et le Dr Pierre Bories, coordonnateur du réseau régional de cancérologie pour l'hématologie et la recherche clinique.




Emmanuelle Rey


Source : https://www.ladepeche.fr/2020/01/17/a-toulouse-des-cellules-reprogrammees-genetiquement-pour-combattre-le-cancer,8668515.php

mardi 28 janvier 2020

5G - Appel de 223 astronomes à stopper urgemment le lancement des satellites 5G



Appel de 223 astronomes

à stopper urgemment 

le lancement des satellites 5G

Publié le par Stop Linky Montpellier



La liste des astronomes signataires est consultable en cliquant sur ce lien.

Ceci est un appel international d'astronomes professionnels ouvert à la souscription pour demander une intervention des institutions et des gouvernements.

Les observations astronomiques depuis le sol peuvent être gravement endommagées par le déploiement en cours de grandes flottes de satellites en vue de la prochaine génération de télécommunication.

Depuis des siècles, les observations astronomiques depuis le sol conduisent à des progrès exceptionnels dans notre compréhension scientifique des lois de la nature. Actuellement, les capacités des instruments d'observation astronomiques depuis le sol sont menacées par le déploiement de flottes de satellites.

Par le biais de cet appel international et suivant les mêmes inquiétudes exprimées par l'Union astronomique internationale, l'AIU [1] ainsi que d'autres institutions, nous lançons une demande solennelle pour une protection accrue et une sauvegarde efficace des observations astronomiques professionnelles depuis le sol, garantissant le droit d'observer un ciel exempt de sources de pollution artificielles inutiles.

Tous les signataires, astronomes et collaborateurs souhaitent en particulier manifester de façon humaine et personnelle leur inquiétude et leur contrariété liées à la couverture dans le ciel produite par les satellites artificiels, qui représentent une dégradation dramatique du contenu scientifique pour un énorme ensemble d'observations astronomiques.

La dégradation du ciel n'est pas seulement due à la pollution lumineuse dans le ciel près des villes et des zones les plus peuplées, elle est également due aux flottes de satellites artificiels qui traversent et couturent de stries parallèles brillantes les observations à toutes les latitudes.

Les astronomes sont extrêmement préoccupés par la possibilité que la Terre soit encerclée par des dizaines de milliers de satellites qui dépasseront largement les quelques 9 000 étoiles visibles à l'œil nu. Ce n'est pas une menace lointaine. Cela se produit déjà. La société privée américaine SpaceX a déjà mis 180 de ces petits satellites, appelés collectivement Starlink, dans le ciel et prévoit de consteller le ciel entier d’environ 42 000 satellites (placés à 3 niveaux différents : 340 km, 550 km et 1150 km). Ainsi, avec d'autres projets spatiaux de télécommunications dans un avenir proche (c-à-d. Le britannique OneWeb, le canadien Telesat, les américains Amazon, Lynk et Facebook, le russe Roscosmos et le chinois Aerospace Science and Industry corp), il pourrait y avoir plus de 50 000 petits satellites encerclant la Terre (à des altitudes différentes) à diverses fins de télécommunication mais surtout pour diffuser  Internet.

Ces nouveaux satellites sont petits, produits en masse et en orbite très près de la Terre dans le but de fournir une connexion Internet rapide avec des signaux à faible latence. Mais cette proximité (~ 340 km) les rend également plus visibles et plus lumineux dans le ciel nocturne (les satellites lancés par SpaceX, 180 à l'heure actuelle, sont plus brillants que 99% de la population d'objets visibles dans l'orbite terrestre).

Actuellement, le nombre total d’objets en orbite autour de la Terre est inférieur à 20 000 entre vaisseaux spatiaux, étages de fusées, fragments de mission et d’autres débris annexes, de sorte que, avec seulement la flotte nominale Starlink, le nombre total d’objets en orbite triplera (voir schéma).(*)



À moyen et long terme, cela diminuera considérablement notre vue de l'Univers, créera plus de débris spatiaux et privera l'humanité d'une vue sans tache sur le ciel nocturne. Il a été calculé que la plupart de ces satellites seront visibles à l'œil nu (avec une luminosité comprise entre la 3ème et la 7ème magnitude, atteignant la luminosité des étoiles dans la constellation de la Petite Ourse (il n'y a que 172 étoiles dans le ciel entier dépassant la luminosité attendue des satellites Starlink, en particulier dans la période après le coucher et avant le lever du soleil). Ainsi, avec les satellites 50k, la «normalité» sera un ciel encombré d'objets artificiels (chaque degré carré du ciel aura un satellite s’y déplaçant lentement tout au long d’une nuit d’observation. ).

Ce n’est pas seulement les observations avec des télescopes à champ large qui seront détériorées (par exemple LSST [2] ou VST [3] ou Pan-STARRS [4],...), mais également les expositions profondes / longues avec des installations de petit champ qui le seront inévitablement aussi, voir photo et [7].

Vu que les observations à grande échelle et la surveillance du ciel sont souvent utilisées pour les NEO (NEAR EARTH ORBITS, orbites proches de la Terre), les surveillances d’astéroïdes et des projets de recherche associés pour protéger la Terre d’impacts potentiels, de telles constellations de satellites pourraient avoir un impact négatif sur la capacité à avertir et à protéger l’Humanité toute entière. (*)

Cette pollution lumineuse est extrêmement dommageable pour les observations astronomiques à toutes les longueurs d'onde. La récente tentative d'utiliser de la peinture non réfléchissante sur le fuselage (c’est-à-dire, pas les panneaux solaires qui représentent 75% de la surface réfléchissante) d'un satellite  Starlink  (n.1130 DARKSAT), voir [8] même si leur luminosité était réduite à néant (ce qui est impossible puisque les panneaux solaires qui représentent 3/4 de la surface réfléchissante resteraient nus), la dégradation pour des observations scientifiques restera importante pour deux raisons : 1) les étoiles et autres objets de l'univers seront éclipsés, nuisant à des études utilisant le variable du temps (variabilité), et, 2) la capacité réfléchissante de la surface dépend de la longueur d'onde d'observation, donc ce qui devient sombre dans une partie du spectre (par exemple visible) reste brillant ou brille dans d'autres parties du spectre (par exemple infrarouge ou radio).

Il convient également de noter que pendant les opérations de service nominales, SpaceX prévoit de supprimer et de remplacer de 2 000 à 8 000 satellites Starlink chaque année, en les faisant se désintégrer dans la basse atmosphère, avec tous les problèmes annexes. (*)

Ce qui n'est pas largement reconnu, c'est que le développement des réseaux de télécommunications de dernière génération (depuis l'espace et depuis la Terre) va affecter profondément les observations radio-astronomiques (dans toutes les sous-bandes).

En particulier, les fenêtres spectrales des satellites en orbite terrestre basse identifiées pour communiquer avec les stations terriennes dans les bandes Ku (12-18 GHz), Ka (27- 40 GHz) et V (40-75 GHz) se chevaucheront avec les bandes nominales de radio-astronomie et par conséquent interféreront avec les radiotélescopes au sol et les radio- interféromètres, faisant entrer les détecteurs radio dans un régime non linéaire dans la bande K (18,26,5 GHz) et dans la bande Q (33-50 GHz). Ce fait compromettra irrémédiablement toute la chaîne d'analyse dans ces bandes, ce qui aura des répercussions sur notre compréhension de l'Univers, voire rendra la communauté astrophysique aveugle à ces fenêtres spectrales.

Encore pire, avec le développement technologique actuel, la densité prévue d'émetteurs radiofréquences est impossible à envisager. En plus des millions de nouvelles stations de base de points d'accès sans fil commerciaux sur Terre directement connectées aux (environ) 50 000 nouveaux satellites dans l'espace, produiront au moins 200 milliards de nouveaux objets de transmission, selon les estimations, dans le cadre de l'Internet des objets (IoT) d'ici 2020-2022, et mille milliards d'objets quelques années plus tard. Un si grand nombre d’émissions radioélectriques pourrait rendre impossible la radioastronomie stations au sol sans une réelle protection fournie des zones de sécurité dans les pays où sont implantées des installations de radioastronomie. Nous souhaitons éviter que le développement technologique sans régulation sérieuse ne transforme la pratique de la radioastronomie en une science disparue.

POUR TOUTES CES RAISONS

Nous, astronomes signataires de cet appel déclarons qu'IL N'Y A PLUS DE TEMPS POUR DISCUTER, IL EST TEMPS D'AGIR !

NOUS DEMANDONS AUX GOUVERNEMENTS, INSTITUTIONS ET AGENCES DANS LE MONDE ENTIER :

- De s'engager à fournir une protection juridique aux installations astronomiques au sol dans toutes les fenêtres électromagnétiques d'observation disponibles.
- De suspendre d’autres lancements de Starlink (et d'autres projets) et appliquer un moratoire effectif sur toutes les technologies susceptibles d'avoir un impact négatif sur les observations astronomiques depuis l'espace et depuis le sol, ou sur les investissements scientifiques, technologiques et économiques que chaque État consacre dans les projets astrophysiques.
- De mettre en place une évaluation claire des risques et des impacts prévisibles sur les observatoires astronomiques (c'est-à-dire la perte de valeur scientifique et économique), en donnant des lignes directrices strictes aux particuliers, aux sociétés et aux industries qui voudraient planifier les investissements dans les satellite sans comprendre clairement tous les effets négatifs sur les installations astronomiques existantes.
- Que la Federal Communications Commission (FCC) des États-Unis et toute autre agence nationale réfléchissent avant accorder la permission d'expédier en orbite des satellites non géostationnaires à orbite basse ou alternativement de limiter l'autorisation de seuls satellites se trouvant au-dessus de l'espace aérien du "pays d'origine".
- D'exiger une coordination mondiale, où les agences astronomiques nationales et internationales peuvent imposer leur veto sur tous les projets qui impactent négativement les installations astronomiques de première importance.
- De limiter et réglementer le nombre de flottes de satellite par télécommunications au "nombre strictement nécessaire" et les mettre en orbite uniquement lorsque des satellites de technologie obsolètes sont désorbités, conformément au Traité sur l'espace extra-atmosphérique (1967) - Art IX [5], et les Lignes directrices des Nations Unies pour la durabilité à long terme des activités spatiales (2018) - ligne directrice 2.2 c) [6], exigeant que l’utilisation de l'espace extra-atmosphérique soit conduite «de manière à éviter [sa] contamination néfaste, et également des conséquences délétères sur l'environnement de la Terre », et [... omissis...] les risques pour les personnes, les biens, la santé publique et l'environnement associés au lancement, à l'exploitation en orbite et à la rentrée d'objets spatiaux».


ENFIN

Toutes ces demandes sont motivées par la profonde préoccupation des scientifiques menacés d'être empêchés d'accéder à la pleine connaissance du Cosmos et inquiets de la perte d'un bien immatériel d'une valeur incommensurable pour l'humanité. Dans ce contexte, tous les cosignataires de cet appel jugent ABSOLUMENT NÉCESSAIRE de mettre en place toutes les mesures possibles pour protéger le droit au ciel nocturne également sur le plan juridique. Il serait souhaitable d’adopter des résolutions contingentes et limitatives à ratifier avec des règles internationales communes, qui doivent être adoptées par toutes les agences spatiales pour assurer la protection des bandes astronomiques observables depuis le sol. Tout ceci pour continuer à admirer et à étudier notre Univers, aussi longtemps que possible.


Références :

[1] https://www.iau.org/https://www.iau.org/news/announcements/detail/ann19035/?lang
[2] https://www.lsst.orghttps://en.wikipedia.org/wiki/Vera_C._Rubin_Observatory
[3] https://www.eso.org/public/ –  https://en.wikipedia.org/wiki/VLT_Survey_Telescope
[4] https://en.wikipedia.org/wiki/Pan-STARRS
[5] https://www.unoosa.org/oosa/en/ourwork/spacelaw/treaties/introouterspacetreaty.html
[6] https://www.unoosa.org/res/oosadoc/data/documents/2018/aac_1052018crp/aac_1052018crp_20_0_html/AC105_2018_CRP20E.pdf
[7] Prédiction simulée de "seulement" satellites Starlink 12k dans le ciel : https://youtu.be/LGBuk2BTvJE
[8] Outil de visualisation pour trouver, tracer et rechercher des orbites de satellites : https://celestrak.com/cesium/orbit-viz.php?tle=/satcat/tle.php?INTDES=2020%2D001&satcat=/pub/satcat.txt&orbits=20&pixelSize=3&samplesPerPeriod=90

Cet appel / pétition peut être signé par des astrophysiciens et astronomes professionnels, des technologues / ingénieurs, des collaborateurs et des étudiants en doctorat impliqués dans des observations astronomiques professionnelles.

A noter que les phrases complétées par (*) ont été ajoutées le 13/01/2020.

Pour signer / souscrire cet appel / pétition, vous pouvez suivre ce lien.


https://astronomersappeal.wordpress.com/?fbclid=IwAR0aYFp4cxE1E84zis7Qt4p1kum3qe_EuK43gINN8_ZJbrxkuETlsBvDgWA



Source : http://stoplinkymtp.over-blog.com/2020/01/appel-de-166-astronomes-le-14-janv.2020-a-stopper-urgemment-le-lancement-des-satellites-5g.html?fbclid=IwAR3EEeLBHQVSyYSHOfEpcvXmExt2rzeK3kumvmsQuHSBs4HE2OZaO5XiPqk

lundi 27 janvier 2020

Les aliments cultivés en laboratoire vont bientôt détruire l'agriculture - et sauver la planète

On a reçu ça  :

Pour ceux qui ne connaissent pas George Monbiot, c’est un peu le Hervé Kempf britannique. Son avis pèse beaucoup outre-Manche. Le texte suivant vaut le coût d’être lu. Personnellement, ça me donne plutôt l’impression d’une fuite en avant technologique que d’une solution réelle.

Certains aspect ne sont pas développés :  quel est le coût énergétique réel ? ; comment va-t-on faire entendre raison aux gouvernements et multinationales alors que jusqu’à maintenant on n’a jamais réussi, pour que ces techniques soient exemptes de brevets ? ; est-ce que ces bactéries et micro-organismes sont modifiés génétiquement ? ; comment ré-organiser les sociétés rurales de pays où la majorité de la population dépend de l’agriculture ? ; etc, etc …

Bonne lecture

C.


Les aliments 
cultivés en laboratoire
vont bientôt détruire l'agriculture - 
et sauver la planète


par George Monbiot, The Guardian, mercredi 8 janvier 2020


Illustration: Matt Kenyon

Les scientifiques remplacent les cultures et le bétail par des aliments à base de microbes et d'eau. Cela pourrait sauver le bacon de l'humanité.

Cela ressemble à un miracle, mais aucun grand saut technologique n'était nécessaire. Dans un laboratoire commercial à la périphérie d'Helsinki, j'ai vu des scientifiques transformer l'eau en nourriture. À travers un hublot dans un réservoir en métal, je pouvais voir une mousse jaune se retourner. C'est une soupe primordiale de bactéries, extraites du sol et multipliées en laboratoire, utilisant l'hydrogène extrait de l'eau comme source d'énergie. Lorsque la mousse a été siphonnée à travers un enchevêtrement de tuyaux et projetée sur des rouleaux chauffants, elle s'est transformée en une riche farine jaune.

Cette farine n'est pas encore autorisée à la vente. Mais les scientifiques qui travaillent pour une société appelée Solar Foods, ont été autorisés à m'en donner pendant le tournage de notre documentaire Apocalypse Cow. Je leur ai demandé de me faire une crêpe : je serais la première personne sur Terre, au-delà du personnel de laboratoire, à manger une telle chose. Ils ont installé une poêle dans le laboratoire, mélangé la farine avec du lait d'avoine, et j'ai fait mon petit pas pour l'homme. Ça avait le goût… d'une crêpe.

Mais les crêpes ne sont pas le produit visé. De telles farines devraient bientôt devenir la matière première de presque tout. A l'état brut, elles peuvent remplacer les additifs désormais utilisées dans des milliers de produits alimentaires. Lorsque les bactéries sont modifiées, elles créent les protéines spécifiques nécessaires à la viande, au lait et aux œufs cultivés en laboratoire. D'autres ajustements produiront de l'acide laurique - adieu huile de palme - et des acides gras oméga-3 à longue chaîne - le bonjour du poisson cultivé en laboratoire. Les glucides qui restent après l'extraction des protéines et des graisses pourraient tout remplacer, de la farine de pâtes aux chips de pommes de terre. La première usine commerciale construite par Solar Foods devrait être opérationnelle l'année prochaine.

La voie de l'hydrogène utilisée par Solar Foods est environ 10 fois plus efficace que la photosynthèse. Mais parce que seule une partie d'une plante peut être mangée, alors que la farine bactérienne est entièrement mangeable, vous pouvez multiplier cette efficacité plusieurs fois. La compagnie estime que, du fait que tout cela sera brassé dans des cuves géantes, l'efficacité par unité de sol occupée est environ 20 000 fois supérieure. Tout le monde sur Terre pourrait être bien nourri et utiliser une toute petite fraction de surface de celle-ci. Si, comme l'entreprise le souhaite, l'eau utilisée dans le processus (qui est bien inférieure à celle requise par l'agriculture) est électrolysée à l'énergie solaire, les meilleurs endroits pour construire ces usines seront les déserts.

Nous sommes à l'aube de la plus grande transformation économique de quelle sorte que ce soit, depuis 200 ans. Alors que les arguments font rage au sujet des régimes alimentaires à base de plantes par rapport à ceux à base de viande, les nouvelles technologies les rendront bientôt inutiles. Avant longtemps, la plupart de nos aliments ne proviendront ni d'animaux ni de plantes, mais de la vie unicellulaire. Après 12 000 ans d'alimentation de l'humanité, toutes les activités agricoles, à l'exception de la production de fruits et légumes, devraient être remplacées par le ferming (mot nouveau basé sur farm et fermentation) : brassage de microbes par fermentation de précision. Cela signifie multiplier des micro-organismes particuliers, pour produire des produits particuliers, dans des usines. Je sais que certaines personnes seront horrifiées par cette perspective. Je peux voir quelques inconvénients. Mais je crois que cela arrive à point nommé.

Plusieurs catastrophes imminentes convergent sur notre approvisionnement alimentaire, dont chacune pourrait être désastreuse. La dégradation des climats menace de provoquer ce que les scientifiques appellent « de multiples défaillances des greniers », par le biais de vagues de chaleur synchrones et d'autres impacts. L'ONU prévoit que d'ici 2050, nourrir le monde nécessitera une augmentation de 20% de l'utilisation mondiale de l'eau par l'agriculture. Mais l'utilisation de l'eau est déjà au maximum dans de nombreux endroits : les aquifères disparaissent, les rivières ne parviennent pas à la mer. Les glaciers qui alimentent la moitié de la population asiatique reculent rapidement. Le réchauffement mondial inévitable - en raison des gaz à effet de serre déjà libérés - devrait réduire les précipitations de la saison sèche dans les zones critiques, transformant les plaines fertiles en zones quasi désertiques.

Une crise mondiale des sols menace la base même de notre subsistance, car de grandes étendues de terres arables perdent leur fertilité à cause de l'érosion, du compactage et de la pollution. 
L'approvisionnement en phosphate, crucial pour l'agriculture, diminue rapidement. L'extermination des insectes nous menace avec des catastrophiques manques de pollinisation. Il est difficile de voir comment l'agriculture peut nous nourrir tous, même jusqu'en 2050, sans parler de la fin du siècle et au-delà.

La production alimentaire détruit le monde vivant. La pêche et l'agriculture sont, de loin, la principale cause d'extinction et de perte de la diversité et de l'abondance de la faune. L'agriculture est une cause majeure de dégradation du climat, la principale cause de pollution des rivières et une source importante de pollution atmosphérique. Sur de vastes étendues de la surface du monde, elle a remplacé des écosystèmes sauvages complexes par des chaînes alimentaires humaines simplifiées. La pêche industrielle entraîne un effondrement écologique en cascade dans les mers du monde entier. Manger est maintenant un champ de mines moral, car presque tout ce que nous mettons dans la bouche - du bœuf aux avocats, du fromage au chocolat, des amandes aux tortilla chips, du saumon au beurre d'arachide - a un coût environnemental insupportable.

Mais tout comme l'espoir semblait s'évaporer, les nouvelles technologies que j'appelle la nourriture sans ferme créent des possibilités étonnantes pour sauver les humains et la planète. La nourriture sans ferme nous permettra de restituer de vastes étendues de terre et de mer à la nature, ce qui permettra le réensemencement et l'absorption du carbone à grande échelle. Cela signifie la fin de l'exploitation des animaux, la fin de la plupart de la déforestation, une réduction massive de l'utilisation de pesticides et d'engrais, la fin des chalutiers et des palangriers. C’est notre meilleur espoir d’arrêter ce que certains ont appelé la « sixième grande extinction », mais je préfère appeler la grande extermination. Et si c'est bien fait, cela signifie une nourriture bon marché et abondante pour tout le monde.

Les recherches du think-tank RethinkX suggèrent que les protéines de fermentation de précision seront environ 10 fois moins chères que les protéines animales d'ici 2035. Le résultat sera l'effondrement presque complet de l'industrie de l'élevage. La nouvelle économie alimentaire « remplacera un système d'une efficacité incroyable qui nécessite d'énormes quantités d'intrants et produit d'énormes quantités de déchets par un système précis, ciblé et maniable ». Utilisant de minuscules zones de terre, avec un besoin massivement réduit en eau et en nutriments, il « présente la plus grande opportunité de restauration de l'environnement de l'histoire humaine ».

Non seulement la nourriture sera moins chère, mais elle sera également plus saine. Parce que les aliments sans ferme seront constitués d'ingrédients simples, plutôt que tirés d'ingrédients complexes, les allergènes, les graisses dures et d'autres composants malsains peuvant être éliminés. La viande sera toujours de la viande, bien qu'elle soit cultivée dans des usines sur des échafaudages de collagène, plutôt que dans le corps d'animaux. L'amidon sera toujours de l'amidon, les graisses seront toujours des graisses. Mais la nourriture sera probablement meilleure, moins chère et beaucoup moins dommageable pour la planète vivante.

Cela peut sembler étrange pour quelqu'un qui a passé sa vie à réclamer un changement politique, de s'enthousiasmer pour un changement technologique. Mais nulle part sur Terre, je ne peux voir se développer des politiques agricoles sensées. Les gouvernements fournissent 660 milliards d'euros par an en subventions agricoles, et presque toutes sont perverses et destructrices, entraînant la déforestation, la pollution et le massacre d'animaux sauvages. Une recherche de la Food and Land Use Coalition a révélé que seulement 1% de l'argent est utilisé pour protéger le monde vivant. Il n'a pas trouvé " d'exemples de gouvernements utilisant leurs instruments fiscaux pour soutenir directement l'expansion de l'offre d'aliments plus sains et plus nutritifs ".

Un article publié dans Nature suggère que, par kilo de nourriture produite, l'agriculture extensive entraîne des émissions de gaz à effet de serre, une perte de sol, une utilisation de l'eau et une pollution à l'azote et au phosphate plus importantes que l'agriculture intensive. Si tout le monde mangeait de la viande nourrie au pâturage, nous aurions besoin de plusieurs nouvelles planètes pour la produire.
La production sans ferme promet un approvisionnement alimentaire beaucoup plus stable et fiable qui peut être cultivé n'importe où, même dans les pays sans terres agricoles. Cela pourrait être crucial pour mettre fin à la faim dans le monde. Mais il y a un accroc : un conflit entre les intérêts des consommateurs et des producteurs. Plusieurs millions de personnes, travaillant dans l'agriculture et la transformation des aliments, finiront par perdre leur emploi. Parce que les nouveaux processus sont si efficaces, les emploi qu'ils créent ne correspondront pas aux emplois qu'ils détruisent.

RethinkX envisage une « spirale de la mort » extrêmement rapide dans l'industrie de l'élevage. Il suffit que quelques composants, tels que la caséine et le lactosérum des protéines de lait soient produits par fermentation pour que les marges bénéficiaires de tout un secteur s'effondrent. La production laitière aux États-Unis, selon eux, sera « presque en faillite d'ici 2030 ». Ils pensent que les revenus de l’industrie bovine américaine diminueront de 90% d’ici 2035.

Bien que je doute que l'effondrement soit assez rapide, le think-tank sous-estime à un certain niveau l'ampleur de la transformation. Il ne mentionne pas l'extraordinaire changement intervenu dans la production de matières premières pour produire des alternatives aux produits végétaux, du genre de celui lancé à Helsinki. Cela est susceptible de frapper l'agriculture arable aussi fort que la production de lait et de viande cultivés affectera l'élevage. Solar Foods pense que ses produits pourraient atteindre la parité des coûts avec la forme de protéine la moins chère au monde (soja d'Amérique du Sud) d'ici cinq ans. Au lieu de pomper toujours plus de subventions dans une industrie mourante, les gouvernements devraient investir pour aider les agriculteurs à trouver d'autres formes d'emploi, tout en fournissant des fonds de secours à ceux qui perdront subitement leurs moyens de subsistance.

Un autre danger est la concentration potentielle de l'industrie alimentaire sans ferme. Nous devons nous opposer fermement au brevetage des technologies clés, afin d'assurer la distribution la plus large possible de la propriété. Si les gouvernements réglementent cela correctement, ils pourraient briser l'hégémonie des grandes entreprises qui contrôlent désormais les produits alimentaires mondiaux. S'ils ne le font pas, ils pourraient le renforcer. Dans ce secteur, comme dans tous les autres, nous avons besoin de lois antitrust strictes. Nous devons également veiller à ce que les nouveaux aliments aient toujours une empreinte carbone plus faible que les anciens : les producteurs sans ferme devraient alimenter leurs opérations entièrement à partir de sources à faible émission de carbone. C'est une période de choix importants et que nous devons prendre ensemble.

Nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre passivement que la technologie nous sauve. Au cours des prochaines années, nous pourrions perdre presque tout, car de magnifiques habitats tels que les forêts tropicales de Madagascar, de la Papouasie occidentale et du Brésil sont abattus pour produire du bétail, du soja ou de l'huile de palme. En passant temporairement à une alimentation à base de plantes avec les impacts les plus faibles possibles (pas d'avocats ni d'asperges hors saison), nous pouvons aider à gagner le temps nécessaire pour sauver des espèces et des lieux magnifiques pendant que ces nouvelles technologies mûrissent. Mais la nourriture sans ferme offre de l'espoir là où il manquait. Nous pourrons bientôt nourrir le monde sans le dévorer.


 

dimanche 26 janvier 2020

Loi de bioéthique : « Nous ne voulons pas d’une humanité génétiquement modifiée ! »

Loi de bioéthique : 
« Nous ne voulons pas 
d’une humanité 
génétiquement modifiée ! »



La nouvelle loi de bioéthique pourrait ouvrir la voie à l’industrialisation de la modification génétique des embryons humains, prévient, dans une tribune au « Monde », un collectif de personnalités parmi lesquelles Dominique Bourg, José Bové et Jacques Testart.


Publié aujourd’hui à 06h15


Tribune. La nouvelle loi de bioéthique est en cours d’examen au Sénat. Tandis qu’elle ouvre la PMA [procréation médicalement assistée] aux femmes seules ou en couple, ce texte approfondit en catimini le droit à la modification génétique d’embryons humains à des fins proclamées de recherche. La naissance d’enfants issus de tels embryons, aujourd’hui prohibée, pourrait être la prochaine étape des glissements progressifs validés au fil des ans par le Parlement.

En effet, la loi de bioéthique de 1994 interdisait les expérimentations sur les embryons humains. A partir de 2004, une dérogation était donnée aux chercheurs pouvant prouver qu’ils contribuaient au progrès médical. Puis ce critère a été supprimé en 2013. En octobre 2018, un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST) recommandait que les laboratoires se contentent simplement de déclarer leurs travaux.

Danger de manipulation


L’article 17 de la loi en préparation monte d’un cran dans la possibilité de manipuler l’embryon humain. Il supprime, avec le soutien du gouvernement, l’un des fondements de la bioéthique dans l’actuel code de la santé publique : « La création d’embryons transgéniques ou chimériques est interdite. » Il remplace ce texte par : « La modification d’un embryon humain par adjonction de cellules provenant d’autres espèces est interdite. » Pourquoi lever l’interdiction absolue de la transgenèse et des chimères ?

La réponse à cette question porte un nom : Crispr-Cas9. Cette technique d’édition du génome a récemment bouleversé le monde de la recherche. Elle permet de mettre en œuvre, au niveau de la cellule, des ciseaux génétiques à base de protéines qui font automatiquement muter des séquences d’ADN, sans injection d’ADN extérieur. Les ciseaux génétiques créent des mutations facilement et à un coût dérisoire par rapport aux anciennes techniques. Leur usage pourrait à terme devenir massif dans les laboratoires, même si tous leurs effets biologiques sont loin d’être maîtrisés.

Nous connaissons bien cette technique. Monsanto en possède une licence d’utilisation pour créer des semences génétiquement modifiées. Fin 2018, en Chine, elle a permis la naissance de « bébés OGM », censés être immunisés contre le virus du sida, hors de tout cadre légal. Avec la levée de l’interdit chimérique et transgénique, Crispr-Cas9 passerait officiellement de la semence agricole à l’humain. La nouvelle loi pourrait donc ouvrir la voie à l’industrialisation de la modification génétique des embryons humains à une vitesse encore jamais atteinte.

Mais le désastre ne s’arrête pas là. Dans son article 15, la loi autoriserait la fabrication de gamètes artificiels à partir de cellules banales de chaque patient. Potentiellement innombrables, ces gamètes, au génome éventuellement modifié, pourraient créer de très nombreux embryons parmi lesquels on choisirait le plus convenable, sans imposer aux patientes les épreuves liées à la fécondation in vitro. Qui refuserait alors, dans le futur, la promesse d’un bébé « zéro défaut » ?

« Améliorer » les enfants


Le risque est grand d’orienter le génome de notre espèce à la suite de choix d’« amélioration » des enfants partout identiques, sous le prétexte qu’une technique est déjà disponible et qu’il est inutile de l’interdire. Le projet nous semble clairement eugéniste.

Les sénateurs et sénatrices sont par conséquent face à l’enjeu anthropologique de permettre à la technologie de modifier notre espèce de façon irréversible. L’usage des ciseaux génétiques et la possibilité de créer des embryons avec des gamètes artificiels doivent les inciter à revenir sur leurs pas : il faut refuser toute modification génétique des embryons humains ou leur sélection génétique massive. Les parlementaires, loin de faire preuve d’un zèle technophobe quelconque, ne feraient que rejoindre d’autres pays comme l’Allemagne et l’Irlande, qui ont déjà fait ce choix.

La naissance de la brebis Dolly [le tout premier mammifère cloné] en 1996 avait imposé un interdit mondial aux recherches sur le clonage humain. Mais c’était avant que la compétitivité technologique ne régule la bioéthique… Avec les ciseaux génétiques et la possibilité de créer des gamètes artificiels, la ruine de l’âme frappe aux portes du Parlement. Qui s’y trouvera pour les maintenir closes ?

Dominique Bourg, philosophe, professeur honoraire à l’université de Lausanne (Suisse) ;

José Bové, éleveur, ancien syndicaliste de la Confédération paysanne ;

Elena Pasca, philosophe, administratrice de la fondation Sciences citoyennes ;

Michèle Rivasi, députée européenne (EELV) ;

Jacques Testart, biologiste et essayiste, directeur de recherche honoraire à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).


Source : https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/01/15/loi-de-bioethique-nous-ne-voulons-pas-d-une-humanite-genetiquement-modifiee_6025898_3232.html

samedi 25 janvier 2020

La psychiatrie sous contention financière


La psychiatrie 

sous contention financière



Patient⋅es et soignant⋅es face aux lambeaux de l’hôpital public

 



 Cela fait plus de dix ans que le monde du soin psychiatrique en France est entré en résistance contre le programme de contrôle de la folie que les personnes en lutte qualifient de « nuit sécuritaire ». Ce tournant idéologique, initié par un discours de Nicolas Sarkozy fin 2008 prêchant les soins sous contrainte, s’est appuyé par la suite sur une profonde réorganisation du travail en hôpital : politique d’austérité budgétaire, introduction de techniques de management et de démarches « qualité », etc. Si bien que des collectifs de soignant·es – comme Les perchés du Havre, Pinel en lutte ou Les Blouses noires – se joignent à présent aux patient⋅es pour crier leur écœurement devant le retour des pratiques les plus inhumaines de l’univers asilaire.



Partout en France, soignant·es et patient⋅es alertent sur la situation dramatique des hôpitaux psychiatriques, malades des conséquences des politiques d’austérité budgétaire imposées par les agences régionales de santé et les directeurs et directrices d’hôpitaux : fermetures de lits (de 100 000 lits dans les années 1970, on est passé à 57 000 en 2015), mutualisations d’établissements ou mesures de réduction du personnel médical font qu’anxiolytiques et neuroleptiques à haute dose remplacent peu à peu le travail d’écoute des soignant·es. Alors que les dotations financières des agences régionales de santé à destination des hôpitaux croissent de 2 à 3 % par an, celles des services psychiatriques n’ont augmenté que de 0,88 % au cours des quatre dernières années. 

Au gré des regroupements hospitaliers, les directeurs et directrices d’hôpitaux sabrent dans les effectifs. Moins nombreux⋅ses, les soignant⋅es se retrouvent de plus en plus souvent dos au mur face à l’urgence : alors qu’on les croyait datant d’une époque révolue, l’enfermement et la camisole, devenue chimique, font leur retour dans les services psychiatriques. Quand un·e seul·e soignant·e doit s’occuper d’une trentaine de patient·es, pas le temps de discuter, de prendre le pouls des situations des un·es des autres pour établir un diagnostic juste. Le nouvel « hôpital-entreprise s’appuie sur les neurosciences et leurs grilles d’évaluation contre la psychanalyse et les acquis d’une psychiatrie relationnelle et du sujet  », écrit Jean-Pierre Martin, clinicien, dans son livre Émancipation de la psychiatrie (Syllepse, 2019). Au nom du virage ambulatoire, les temps de séjours sont réduits : le temps de traiter les crises les plus graves avec l’armoire à pharmacie puis les patient⋅es sont renvoyé⋅es dans leur vie de tous les jours, gavé⋅es de psychotropes censés leur rendre leur conformité sociale au plus vite. 

En outre, les moyens enlevés aux hôpitaux, lorsqu’ils sont réorientés vers les structures extra-hospitalières comme les centres médico-psychologiques (CMP) ne suffisent pas, et l’accompagnement de tous les jours est sous-traité aux associations, à la sphère privée. « On nous demande d’hospitaliser moins de jours, on connaît moins bien les gens qu’avant, on n’a plus le temps de les aider dans leur quotidien. Aux urgences psychiatriques, on est forcé⋅es de refuser du monde, alors que la vie de certains et certaines est peut-être en danger. Et si quelqu’un se suicide juste parce qu’on n’a pas eu de lit disponible pour l’accueillir ?  », raconte Ariane, infirmière dans un hôpital psychiatrique du XIXe arrondissement de Paris et membre du collectif Psychiatrie parisienne unifiée. Le délitement de l’hôpital public, désormais géré selon une logique de rentabilité, précarise encore plus les patient⋅es les plus vulnérables. Dans la capitale comme ailleurs, l’agence régionale de santé souhaite développer le recours aux cliniques privées en supprimant des lits dans le public et en fusionnant trois hôpitaux psychiatriques (Maison Blanche, Saint-Anne et Perray-Vaucluse) en un seul groupe public de santé. L’hôpital-entreprise impose aux infirmier·es de devenir managers de lits, « une dynamique aggravée par le retour généralisé à un enfermement sécuritaire des patient·es et des soignant·es ».



L’enfermement prend le pas sur le soin


« Bien sûr, en tant que soignante, je peux comprendre que la contrainte physique et la chambre d’isolement paraissent parfois nécessaires. Si un·e patient⋅e est trop agité·e, une injection de Clopixol semi-retard et il ou elle dort trois jours. », raconte Julie, une ancienne infirmière. « Mais trop souvent, la contrainte est utilisée à tort. » Après avoir injecté des grammes et des grammes de Clopixol, elle a reçu à son tour ces mêmes injections, lorsqu’elle a commencé à souffrir de schizophrénie. Elle se rappelle les neuroleptiques qui « zombifient et vident le corps » et les deux mois passés en chambre d’isolement, une durée beaucoup trop longue, même par rapport aux recommandations de la Haute autorité de santé. « Une vraie torture. À part ressasser ses problèmes, il n’y a absolument rien à faire. Certain⋅es médecins appellent ça de l’hypostimulation, pour moi c’est juste de la privation sensorielle : on m’a même confisqué mes livres.  », poursuit-elle. Comme l’explique Marie, une salariée de l’hôpital psychiatrique de Rouen et membre des Blouses noires, la multiplication de ces mesures sécuritaires ces dernières années, en raison du « manque de soignant·es qui engendre un recours beaucoup trop important à la chambre protégée et à la contention », augmente le risque de réaction violente des patient⋅es, d’automutilation ou de délire défensif. « Ça a alimenté mon ressentiment, ma révolte et ma rage, se rappelle Stéphane, bipolaire depuis ses 20 ans et habitué des services psychiatriques, de Montpellier à Caen. Chaque retour à l’hôpital provoquait des colères chez moi, qui n’auraient peut-être pas eu lieu si la prise en charge lors de mes premières hospitalisations avait été meilleure. À chaque fois que je retourne à l’HP, c’est la même punition, le même traitement : les pompiers me font rentrer de force dans le camion, et je me réveille le matin en chambre d’isolement, parfois une pièce vide avec un matelas en caoutchouc, le corps entravé par les sangles. C’est aberrant, à quoi bon ?  » Tous ces témoignages vont dans le même sens : à quoi bon entrer dans un hôpital psychiatrique si c’est pour en ressortir avec la rage au cœur ? Pour Jean-Pierre Martin, « l’intrusion d’une politique sécuritaire et ses gouvernances d’enfermement généralise la dangerosité à tous les patients ». 

« En tout, j’ai dû passer deux ans entre les murs, et j’utilise ce mot car je le vis à chaque fois comme un emprisonnement. On sait quand on y entre mais pas quand on en sort : c’est un peu l’arbitraire psychiatrique  », raconte l’ancien professeur, de sa voix calme, qui s’emballe parfois. « À Montpellier, après que mes amis ont remarqué mes changements de comportement brusques, j’ai été hospitalisé de force. J’ai été mis à l’isolement, attaché à un lit pendant trois jours. Je ne pouvais pas atteindre la sonnette d’appel, je me suis pissé dessus, je suppliais l’infirmier de me détacher, sans résultat.  » Difficile de voir un·e médecin ou infirmier·e quand on est interné⋅e en hôpital psychiatrique, hormis lors de la sacro-sainte prise des cachets, une ou deux fois par jour. Le reste du temps, les personnels sont accaparés par leur travail administratif, la saisie informatique d’actes de soins répertoriés par des grilles d’évaluation qui standardisent l’analyse des symptômes en fonction des traitements médicamenteux (classification DSMV, d’origine étatsunienne). Le travail des soignant⋅es doit pouvoir être économiquement évaluable, afin d’être rationalisé et rentabilisé. Aux yeux des nouveaux et nouvelles managers hospitalier⋅es, le dialogue avec les patient·es coûte trop cher et ne produit pas de résultat évaluable dans l’instant. Exit donc l’empathie. D’un coup de pharmacologie sont balayés les progrès phénoménologiques et psychanalytiques qu’a pu accomplir la psychiatrie dans la deuxième moitié du XXe siècle, avec Tosquelles, Oury et Guattari, et d’autres clinicien·nes militant·es de l’après-guerre. Sans médicaments, ces pionnier⋅es n’auraient sans doute pas pu intégrer leurs patient⋅es dans des pratiques autogestionnaires, mais les pilules et les injections seules ne sont sûrement pas la solution, sauf à vouloir rendre dociles des personnalités fragmentées et imprévisibles. 

« Le psychiatre, je le voyais une fois par semaine pendant quinze minutes pour régler mes doses de neuroleptiques. Plus j’essayais d’évoquer mes angoisses avec lui, plus il augmentait mes doses. Je me suis rarement sentie écoutée. J’étais tellement shootée par les médocs que je ne contrôlais plus ma mâchoire, je me bavais dessus. Quand je me regardais dans le miroir, je m’effrayais moi-même. » Irène a été hospitalisée suite à des délires psychotiques de persécution qui l’ont poussée à fuir le domicile familial pour aller se réfugier dans les contreforts montagneux des Alpes durant quelques jours. Après trois mois d’hospitalisation, elle sort sans vraiment être fixée sur sa pathologie et consulte aujourd’hui un psychiatre en libéral. Mais elle ne lui avoue pas tout, de peur d’être renvoyée de force à l’hôpital, pour cause de péril imminent. La solution de l’hospitalisation, parfois sous contrainte, semble être souvent privilégiée par les psychiatres, peut-être car les centres médico-psychologiques ne sont pas assez nombreux et trop inégalement répartis sur le territoire. Ou que de récentes lois sécuritaires facilitent les obligations de soins. D’une main l’État enferme de plus en plus de personnes présumées folles, et de l’autre il ferme de plus en plus de lits. Quelle logique déceler dans ce paradoxe ? « Dans les années 1970, il y a eu un courant antipsychiatrique qui prônait la fin de l’hôpital psychiatrique, les soins dans la ville. Mais on s’est bien fait arnaquer : le nombre de lits a été réduit et derrière, il n’y a pas eu de création de structures intermédiaires pour compenser.  », analyse Julie. Les politiques de sectorisation, lancées il y a une quarantaine d’années, ambitionnaient en effet de tisser tout un réseau d’institutions et d’associations encadrant les malades à leur sortie de l’hôpital. En maillant les villes de structures intermédiaires comme les centres médico-psychologiques et les hôpitaux de jour, administrateur, administratrices et psychiatres espéraient sortir l’hôpital psychiatrique de son vieux fonctionnement asilaire et de ses tentations totalitaires pour développer une médecine communautaire, reposant sur toute une série de nouveaux acteurs et actrices, des ergothérapeutes aux psychomotricien·nes. Une réflexion sur la folie, inscrite dans son contexte géographique et social. De cet idéal, les gestionnaires n’ont finalement gardé au cours des années qu’une politique de fermeture de lits, sans financer ces structures alternatives. Et les personnes en détresse psychique n’ont souvent d’autre choix que se rendre aux urgences psychiatriques, débordées.

Carol, une jeune informaticienne, se rappelle de son arrivée volontaire au centre psychiatrique d’orientation et d’accueil de l’hôpital Sainte-Anne à Paris, après une longue dépression et des envies suicidaires : « En hospitalisation libre, on peut théoriquement partir quand on veut, mais ça ne s’est pas passé comme ça pour moi. On m’a pris mon téléphone de force, forcée à me mettre en pyjama, mis mes affaires dans un placard sous clé, menacée d’une hospitalisation forcée. On m’a dit que c’était le règlement. Personne ne m’avait prévenue que ça se passerait comme ça. Puis j’ai finalement eu une permission un week-end et quand je suis revenue, ils avaient donné mon lit à un autre patient. J’ai décidé de me barrer, je voulais prévenir les infirmières, mais elles étaient débordées, j’ai attendu trois heures et je suis partie. » Depuis, la jeune femme est prise en étau entre l’hôpital où elle ne souhaite pas retourner et le manque de structures de soins par ailleurs. Dans ces conditions, difficile pour elle de bénéficier d’un suivi médical sur le long terme, d’autant plus qu’elle non plus n’ose pas parler à son psychiatre de ses pensées suicidaires, de peur d’être renvoyée à l’hôpital. Même en hospitalisation libre, les violences psychiatriques ne sont jamais bien loin.

« Les patient·es qui restent plus longtemps, ce sont celles et ceux qui ont été hospitalisé·es de force.  », constate Auriane, l’infirmière qui se bat pour réhumaniser la psychiatrie au sein du collectif Psychiatrie parisienne unifiée. Les autres peinent à accéder aux soins et se retrouvent souvent livré·es à elleux-mêmes, alors même que notre société néolibérale et compétitive produit de plus en plus de précaires, de paumé·es et et de jeunes déboussolé·es, victimes de nouvelles pathologies.


Source : https://www.jefklak.org/la-psychiatrie-sous-contention-financiere/?fbclid=IwAR3DBe7mYyRDxjQW3y79HE4cD7ixIfib6-uYhI8CJXBqZTX4UFAJOKYVQGM