À la dernière minute,
l’État autorise des tirs
pour effrayer les ours
2 août 2024
Un ours brun d'Europe. - Wikimedia Commons/CC BY-SA 4.0/Charles J. Sharp
Des tirs d’effarouchement contre des ours bruns ont été autorisés en juillet dans les Pyrénées. Publiés trop tard, les arrêtés n’ont pas pu être contestés. Une association a saisi la justice, dont l’audience est le 2 août.
Il faut remonter au début de l’été pour comprendre le conflit. Plus précisément, le 8 juillet. Les températures sont déjà chaudes à Toulouse, les vacances commencent doucement. Dans son bureau, Pierre-André Durand, préfet de la région Occitanie et de la Haute-Garonne, signe un arrêté. Par ce document, il autorise des « opérations d’effarouchement » d’ours bruns, à effectuer par des agents de l’Office français de la biodiversité (OFB), dans la nuit du 9 au 10 juillet, puis dans la nuit du 10 au 11, sur l’estive d’un groupement pastoral en montagne. Problème : cet arrêté n’a été publié sur le site internet de la préfecture que durant la journée du 10 juillet.
L’association de défense des animaux One Voice, ébahie, en a donc pris connaissance trop tard. Des premiers tirs non létaux pour les effrayer avaient déjà été autorisés — et certainement effectués — la veille, et allaient recommencer le soir même, sans qu’aucune contestation ne soit possible dans les temps. « Les préfectures publient de plus en plus tard les arrêtés d’autorisation de tirs, et valident des opérations de plus en plus courtes », dénonce Muriel Arnal, présidente de One Voice. Selon elle, cette manœuvre n’avait qu’un but : « Empêcher les associations de protéger et défendre les ours en justice. »
Le préfet de Haute-Garonne a récidivé le 15 juillet, en signant un arrêté d’autorisation de tirs d’effarouchement pour les 16, 17 et 18 juillet, et en publiant l’arrêté le 16 juillet. Soit le jour même du début des opérations. De la même façon, un troisième arrêté a été signé le 30 juillet et publié le jour même, pour autoriser des opérations les 30 et 31 juillet. Indignée par la situation, One Voice a saisi le tribunal administratif de Toulouse en référé liberté, pour faire valoir son « droit à un recours effectif ». L’audience aura lieu le 2 août.
« Les arrêtés doivent être publiés avant leur entrée en vigueur, c’est la règle », insiste Muriel Arnal. Elle espère ainsi que le juge enjoindra la préfecture de Haute-Garonne à publier ses prochains arrêtés « dans un délai raisonnable » avant leur mise en œuvre. Et que cela influencera, à l’avenir, les pratiques des autres. « Les préfectures doivent entendre qu’il faut laisser le temps aux associations d’intervenir, pour sauver les animaux », ajoute-t-elle.
Lobbying d’éleveurs
Selon One Voice, ces « manœuvres » de l’État s’expliquent par les précédentes victoires de l’association. En 2022, elle avait fait annuler par la justice neuf arrêtés autorisant des tirs d’effarouchement contre des ours. D’où la supposée volonté des préfectures, selon elle, d’entraver désormais les possibilités de recours des associations. « La procédure étant en cours devant le tribunal administratif, nous ne ferons pas de commentaires », a réagi la préfecture d’Occitanie, interrogée par Reporterre.
Les trois arrêtés préfectoraux de juillet ont tous été signés à la demande d’un seul collectif : le groupement pastoral de Crabère. Composé de plusieurs éleveurs, celui-ci fait transhumer, comme chaque été, ses milliers de brebis dans les estives. Or le groupe craint des attaques d’ours. Il affirme en avoir subi 40 cumulées entre 2021 et 2023. Deux autres seraient aussi survenues les 24 juin et 2 juillet, « malgré la présence de 7 patous et des 2 bergers ». D’où les demandes répétées du groupement pastoral de procéder à des tirs d’effarouchement.
« L’idée, c’est de les pousser hors des territoires. Mais jusqu’où ? »
La préfecture estime dans ses arrêtés que les tirs sont justifiés, bien que l’ours soit une espèce protégée qui n’est pas censée être perturbée, puisque « l’estive est fondamentale ». Elle cite plusieurs raisons : « la rareté des terres cultivables réservées à une agriculture de subsistance », « l’agriculture d’estives fait vivre des populations », elle « permet le maintien d’activités de montagne touristiques », ou encore elle « protège de certains risques naturels, notamment les feux de forêt ». Considérant que l’effectif minimal des ours est atteint, et que les tirs n’ont entraîné aucune séparation entre un ourson et sa mère depuis 2019, la préfecture justifie donc les opérations d’effarouchement.
« Les tirs d’effarouchement consistent à balancer sur les ours des cartouches sonores ou des grenades de désencerclement qui vont leur faire peur. Cela peut causer des dommages auditifs, ou séparer les mères de leurs oursons », répond Muriel Arnal de One Voice. Elle poursuit : « L’idée, c’est de les pousser hors des territoires. Mais jusqu’où ? Ces animaux sauvages n’ont le droit de vivre nulle part, ils sont harcelés et persécutés partout, alors que ce sont les humains qui les ont réintroduits dans les Pyrénées ! »
Selon One Voice, la préfecture agit sous le lobbying du groupement pastoral. « Tout est fait pour satisfaire les demandes des éleveurs », pense l’association. Ce sera désormais au tribunal de trancher.
Source : https://reporterre.net/A-la-derniere-minute-l-Etat-autorise-des-tirs-pour-effrayer-les-ours#forums
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