Des bananes dans le Roussillon :
des pionniers veulent s’adapter
au climat futur
16 août 2024
Deux exploitations agricoles font le pari de cultiver des bananes dans l’Hexagone, vers Perpignan. La production, encore petite, pourrait se développer avec le réchauffement climatique.
Vous lisez la dernière partie de notre série « Les fruits du futur ».
Pyrénées-Orientales, reportage
Les larges feuilles d’un bananier lèchent le toit de la serre. Presque cachées derrière, de petites grappes bien vertes attendent leur heure. Autant de bananes miniatures qui mettront quelques mois à mûrir. Nous ne sommes ni en Guadeloupe, ni en Martinique, ni aux Canaries ou au Costa Rica, mais à quelques kilomètres de Perpignan. C’est ici que deux agriculteurs ont décidé de se lancer dans la culture de la banane made in Hexagone. Même si, avec un peu plus de 1,5 tonne produite l’an dernier, ils ne pourront pas remplacer les 700 000 tonnes consommées dans notre pays. Cette expérimentation reste confidentielle, faute au climat : le bananier ne supporte pas le froid.
Le voyage commence à Torreilles, dans la plaine du Roussillon. Au loin, on aperçoit le sommet du Canigou, encore saupoudré de quelques flocons. Linda Blandin et Frédéric Morlot sont les premiers à s’être lancés dans la culture de bananes, il y a vingt ans. Pousser la porte de leurs onze serres photovoltaïques, c’est voyager sous les tropiques. Bananier, gingembre mangue, goyavier fraise, curcuma longa, moringa — une feuille au goût de petit pois acide... Près de 56 familles de plantes sont cultivées en agriculture biologique, labellisées Ecocert.
Frédéric Morlot s’approche d’un arbre, se glisse sous de larges feuilles au vert flamboyant et attrape une babafigue, la fleur du bananier. Ses lourds pétales violets sont encore refermés. Au-dessus, les « mains » peuvent posséder jusqu’à vingt « doigts ». Soit autant de petites bananes qui sont encore bien vertes. Celles que nous présente Frédéric sont minuscules : elles mettront plusieurs mois à mûrir au chaud dans la serre.
Un secret bien gardé
Le couple a vécu plusieurs années à La Réunion comme pépiniériste et infirmière. À leur retour dans l’Hexagone, ils ont expérimenté différentes techniques pour acclimater ce fruit dans la région. « J’ai fait des recherches dans les bibliothèques et parlé avec des agriculteurs pour trouver des bananiers qui puissent survivre au nord du bassin méditerranéen », explique Frédéric Morlot. Quelle variété a-t-il déniché lors de sa quête ? Mystère. Comme pour les coins à champignons, l’agriculteur préfère garder ses découvertes pour lui. Il a sans doute pioché parmi l’une des 1 500 espèces existantes, totalement inconnues des consommatrices et consommateurs. Car en France, la Cavendish domine le marché.
Cette variété cultivée de façon intensive est aujourd’hui décimée par une maladie : la fusariose TR4. Ce champignon infecte les bananiers par les racines et entraîne un flétrissement mortel. Cette maladie se propage facilement et touche actuellement dix-neuf pays de production. Pour sauver les plantations, les chercheurs tentent de créer une nouvelle espèce plus résistante. Un comble lorsqu’on sait que la Cavendish est née en 1947 pour remplacer la Gros Michel, anéantie par un autre champignon.
« La banane est le fruit le plus aimé en France. C’est aussi celui qui pose le plus de problèmes écologiques », rappelle Linda Blandin. Le chlordécone épandu sur les cultures a ravagé les Antilles et continue de faire des dégâts. L’insecticide est loin d’être le seul souci. Travail des enfants, semaines de 68 heures pour des salaires dérisoires, harcèlement verbal et sexuel, accidents du travail... Si l’empreinte carbone de ce fruit tropical reste raisonnable s’il est transporté par bateau, sa production a des conséquences sociales et environnementales désastreuses dans de nombreux pays.
Lire aussi : Empreinte carbone : « Oui, on peut manger des bananes ! »
De quoi inciter les agriculteurs à se lancer en France hexagonale avec des pratiques plus respectueuses ? « Ce type de diversification reste marginal, explique Éric Hostalnou, de la chambre d’agriculture de Perpignan. C’est intéressant pour un producteur isolé, mais pas vraiment reproductible à grande échelle. Il faudrait beaucoup de serres. »
En effet, le bananier meurt dès que les températures descendent sous 0 °C. « S’il ne gèle pas en hiver, ça pourrait être possible. Mais si l’on passe d’un extrême à l’autre comme aujourd’hui, avec des étés très chauds et des hivers froids, ce sera compliqué », poursuit Linda Blandin, dont les serres ne sont pas chauffées.
Quant aux besoins en eau, ils ne sont pas plus importants que pour d’autres espèces. « Nous sommes dans un système fermé, les plantes vivent en osmose avec un fort taux d’humidité. Il n’y a pas de vent, les plantes ne s’assèchent pas. On a même réduit de 50 % notre consommation d’eau l’année dernière », assure Frédéric Morlot.
Le couple récolte entre 30 et 50 grappes (ou régimes) de bananes par an, pesant entre 4 et 10 kilos chacune. Une production vendue directement sur leur exploitation baptisée Les Arts verts, ainsi que dans certains magasins bio. Le prix : entre 13 et 15 euros le kilo.
Bien plus onéreux que les bananes d’Outre-mer, largement subventionnées. « Même [avec notre] prix, ce n’est pas rentable. À cause des réglementations en bio, nous avons beaucoup de charges à payer et la plante demande de l’entretien. Et surtout, nous ne vendons pas les mêmes variétés, comme la Frécinette, elles valent plus cher », assure Frédéric Morlot. Le couple arrive à s’en sortir grâce à leur polyculture : goyaviers, fruits de la passion, épices ou manioc. Bientôt, une nouvelle serre en verre de 1,5 hectare et de 7,2 mètres de hauteur offrira à leurs bananiers l’espace nécessaire pour déployer leurs larges feuillages.
Cultivées en musique
À une vingtaine de kilomètres, l’exploitation de Didier Salgado,
second producteur de bananes de la région, se trouve dans un
environnement moins bucolique, à Pollestres. Les terres qui bordent sa
ferme au sud, autrefois recouvertes de vignes, sont devenues une zone
commerciale « qui a du mal à vivre »,
remarque-t-il. Depuis ses champs, on aperçoit des cheminées aujourd’hui
rouillées. Il y a dix ans, elles chauffaient ses serres, avant sa
conversion en bio et en culture au sol.
« Ce n’est pas cette musique que je mets le matin, c’est plutôt du classique pour aider les plantes à se défendre. »Aujourd’hui, des moutons broutent les adventices et ses plantes luttent contre les parasites en musique. Des haut-parleurs sont installés le long des parois de la serre et une radio diffuse Céline Dion.
Didier Salgado s’est lancé dans l’agrume en 2021. « En hiver, si je peux vendre des bananes, des avocats et des mangues en plus des pommes, cela permettra de me différencier des autres. » Lui a choisi de cultiver la Cavendish. « Au début, je pensais qu’avec le réchauffement climatique, je pourrais les planter dehors. Sauf qu’il a fait -7 °C l’hiver dernier, j’ai donc tout mis à l’intérieur. »
Ses bananiers sont installés tout au fond de la serre, derrière de longues lignes de légumes plus classiques : tomates, courgettes et aubergines. « C’est ça qui me fait vivre », précise l’agriculteur. Pour l’aider à se lancer, il a passé une journée avec un technicien de la Compagnie fruitière de Perpignan, l’une des entreprises important le plus de bananes en France. C’est également chez eux qu’il fait mûrir ses fruits, faute de réussir à le faire sur pied — contrairement à Linda Blandin et Frédéric Morlot.
L’année dernière, Didier Salgado a produit 30 régimes d’une trentaine de kilos chacun. Des fruits dégustés par les écoliers de la région, les clients de certains magasins locaux et de sa boutique en vente directe. Leur prix : 5 euros le kilo, la célèbre Cavendish étant moins chère que d’autres variétés. Un tarif qui reste élevé, tant « les gens sont habitués à acheter des bananes à 1 euro », remarque Catherine, la vendeuse de la boutique située en face de la ferme.
Elle range les premiers cageots de la production : pêches, abricots, tomates et courgettes. Pour les fruits exotiques, il faudra attendre. « Les clients demandent souvent des bananes et des avocats. Surtout depuis qu’ils ont lu l’article dans L’Indépendant [qui leur est consacré] », sourit Catherine. Elle a beau leur expliquer que ce n’est pas encore la saison, certains restent incrédules. « Ils sont habitués à trouver de tout, n’importe quand et n’importe où », soupire-t-elle.
Quelques centaines de mètres plus loin, dans la zone commerciale de la Devèze, le magasin bio vend des avocats sur ses étals. Leur provenance : Pérou. Leur prix : 2 euros pièce. Quant aux bananes, elles sont originaires d’Afrique du Sud et sont vendues 1,99 le kilo. La production made in France est encore loin d’avoir la banane.
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