Deux articles aujourd'hui :
« Arrêtez de mettre des bâtons
dans l’Herrou ! »
Ce jeudi 14 février, jour de la Saint-Valentin, le
tribunal de Nice a relaxé Cédric Herrou suite à la plainte de
Georges-François Leclerc, préfet des Alpes-Maritimes, pour « injure
publique ». Cédric avait vexé l’édile en comparant sa politique
migratoire avec celle réservée aux juifs sous Vichy. « Vive la justice
indépendante ! », a déclaré le citoyen solidaire en saluant cette
décision. Récit.
Ce jeudi 14 février, journée de l’amour, des cœurs et des Mon Chéri,
une petite foule joyeuse et souriante est rassemblée sur la place du
Palais de Justice de Nice où, pour la énième fois, Cédric Herrou est
appelé à comparaître devant la chambre correctionnelle. Il fait grand
soleil, et tout le monde, ici (et ce détail n’est pas anodin), parait
heureux.
Pourtant, c’est un véritable duel des titans qui, aujourd’hui, va
voir son accomplissement. Oubliez Kaaris contre Booba. Dans le 06, c’est
une lutte bien plus dantesque qui occupe les fonctionnaires de justice.
Voici les combattants. Faites sonner la cloche. À ma gauche, Cédric,
donc, dit « l’ennemi public de la Roya », 39 ans, citoyen solidaire,
agriculteur et éleveur de poule. A ma droite, vraiment très à ma droite,
Georges-François Leclerc, dit « le multirécidiviste du 06 » (quatre
condamnations au compteur pour «
atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d’asile »),
52 ans, haut-fonctionnaire, préfet des Alpes-Maritimes. Motif du
litige : une « injure grave » qui aurait été proférée sur Facebook à
l’encontre du second.
Je rappelle les faits. Il y a quelques mois de cela, la SCNF annonce
qu’elle refuse désormais de faire transiter gratuitement les migrants
pris en charge à Breil-sur-Roya vers le centre d’accueil de Nice. Cédric
propose alors sur sa page Facebook, ouvrez les guillemets, et prenez
garde car la violence du propos peut choquer, telle une punchline de
rappeur hardcore :
« Peut-être que le préfet des Alpes-Maritimes
pourrait s’inspirer des accords avec la SNCF pendant la deuxième guerre
mondiale pour le transport des Juifs pour gérer le transport des
demandes d’asile ? »
Aussitôt, c’est le
clash. La réplique de M. Leclerc,
légitimement interloqué, dans son cœur fragile de haut-fonctionnaire
attaché à l’excellence de sa tâche, même quand celle-ci consiste à
refouler illégalement des migrants épuisés vers l’Italie, par ces mots
obscènes, ne se fait pas attendre : il porte plainte pour «
injure grave à un fonctionnaire ». Lors du premier procès, 5000 euros d’amende sont requis à l’encontre du brigand de la Roya.
Et en ce jour de Saint-Valentin, donc, nous allons enfin connaître le
délibéré, qui avait été reporté. Rendez-vous a été donné par la bande
de Défends Ta Citoyenneté (DTC), l’association lancée par Cédric et ses
amis, pour venir profiter du beau temps en dégustant la cuvée nouvelle
d’huile et de pâte d’olive (la récolte ayant été, sachez-le, excellente
cette année, avec une cueillette abondante et savoureuse).
Aujourd’hui, pour nous, un seul mot d’ordre : face à la bêtise,
garder le sourire, et ne pas perdre cet humour festif qui fait la force
des justes.
J’arrive un peu en retard, mes lunettes noires sur le nez, clope au
bec, et Cédric est déjà en train de passer. De toute façon, il fait trop
beau pour s’enfermer dans un tribunal… Je reste donc dehors pour saluer
les copains. Céline m’interpelle : «
-Tu as vu nos affiches ? Pas mal, hein ? Je suis sûre que tu es jaloux ». Et
comment, que je le suis. Normalement, je m’enorgueillis de trouver des
slogans accrocheurs, mais cette fois-ci, les autres se sont surpassés. A
côté des grilles du PJ, de petites pancartes garnies de charmantes
pétales de fleurs proclament notamment :
« Pour la Saint-Valentin, le préfet se fait des films Herrou-tiques » ; d’autres, accrochées en hauteur, annoncent :
« Il préfet-re la mort en mer », « l'amour est dans le pré-fet », ou encore :
« Arrêtez de mettre de bâtons dans l’Herrou » (sans doute mon préféré, c’est pourquoi j’ai décidé d’en faire le titre de mon papier).
Au bout d’une vingtaine de minutes d’attente joyeuse et conviviale, à
jouer avec les enfants, fumer des cigarettes, prendre des nouvelles du
petit dernier ou discuter avec les curieux venus demander ce pourquoi
nous étions là, Céline reçoit un message : « RELAXE ! » Après un doute
sur la teneur de l’information (peut-être lui indique-t-on simplement de
rester calme, du genre : "relax, take it easy, il a pris six ans
ferme"), la rumeur circule parmi nous, nous crions :
« relaxe ! relaxe ! », et une première salve de hourras et d’applaudissement accueille la nouvelle.
Avec Axel, volontaire DTC, nous allons chercher l’huile et la pâte
d’olive (qui, message à caractère informatif, diffère de la tapenade en
ce qu’elle ne contient pas d’anchois) et les tréteaux dans la
camionnette pourrie de Cédric garée dans le parking souterrain, et nous
installons le stand dégustation sur la place.
Puis ceux qui avaient assisté à l’audience commencent à sortir du
palais. Cédric arrive, escorté par Sabrina Goldman et Zia Oloumi, son
duo d’avocat.e.s talentueux.es en plus d’être sympathiques, et nous les
applaudissons. Cédric dit qu’il est surpris de cette décision, mais
qu’il est heureux que la justice, que l’on peut critiquer sur bien des
points, ait ici fait preuve de son indépendance. Il dit : vive la
justice indépendante !, remercie ses merveilleux.ses avocat.e.s, puis va
parler aux médias présents, dont France 3 Région et 20 minutes, qui
rapporte ces propos de Zia :
« Cédric Herrou a été relaxé sur le fond
de l’affaire. [Cela] lui fait reprendre un peu confiance en la justice,
dont il peut ressentir un certain harcèlement. Il a l’habitude
d’être écouté quand il provoque, mais pas entendu quand il met le doigt
sur des problèmes. »
Cédric évoque également la situation dramatique des demandeurs
d’asile dans la Roya, à la frontière franco-italienne, et la pression
politique qui est imposée à ceux qui tentent encore et toujours de leur
venir en aide, face à des instances publiques répressives et
tatillonnes. A ce titre, rappelons que le procureur de Nice vient
d’ouvrir une enquête préliminaire visant la Police Aux Frontières (PAF)
de Menton, à propos des infractions commises par ses agents
–falsification de données, non-respect des droits des demandeurs,
reconduite de mineurs… Peut-être la justice, dans cette histoire,
finira-t-elle enfin par condamner les véritables criminels, les pantins
de l’ordre injuste et les bourreaux, qui, si ils ont une conscience, la
voient chaque jour s’encombrer de dizaines, de centaines de victimes,
dans le froid mordant de la neige des hauteurs ou la bouche noire et
glaçante d’une Méditerranée parfois impitoyable…
Le parquet peut toujours faire appel. Nous le saurons dans dix jours.
Mais, pour le moment, cette triste tentative d’instrumentalisation de
la justice par un préfet qui assume avec morgue et indécence une
politique migratoire inhumaine, prend fin dans la joie et la bonne
humeur, sous un soleil quasi printanier. C’est une victoire de plus,
après l’annulation par la cour de cassation, en décembre 2018, de la
condamnation de Cédric et Pierre-Alain pour « délit de solidarité », et
il y a de quoi se réjouir.
Plus le temps passe, plus la justice
française, particulièrement en Macronie, montre ses failles (procès
ineptes de gilets jaunes, affaire des perquisitions chez la FI et
Médiapart, poursuite des citoyens solidaires…), mais quelques lueurs
d’espoir, fugaces, subsistent encore. Ce qui les rend d’autant plus
savoureuses -comme l'huile d'olive nouvelle.
Prochain rendez-vous : le procès intenté par notre grand ami, le
doux, tendre, chauve et tempéré Éric Ciotti, que nous apprécions tous
beaucoup et qui, sans doute pour attirer son attention dans le but de
quémander son amour, a porté plainte contre Cédric après que celui-ci
eût posté sur Twitter :
« Quand Eric Ciotti dit en 2018 « Mettons les migrants en Lybie » [des propos malheureusement authentiques, la bêtise de notre édile ne connaissant aucune limite]
il dirait en 1940 mettons-les dans les chambres à gaz ». Cédric s’est expliqué auprès de Nice Matin, précisant ses propos :
« D'après
ses dires, on peut tout à fait imaginer dans quel camp aurait été M.
Ciotti en 1940. Renvoyer les migrants en Libye, c'est les conduire
directement à la mort. Tout le monde sait qu'en Libye, les hommes et les
enfants sont tués, les femmes violées ». Affaire à suivre.
Mais pour le moment, nous sommes là, à parler, à rire, tout en
dégustant le pain frais imbibé d’huile d’olive suave et gouleyante. J’en
profite pour m’acheter des œufs certifiés Herrou, et estampillés
Nature et progrès, ce qui est, comme le fanfaronne un Zia hilare,
« encore plus bio que bio. C’est du super-bio, il n’y a pas mieux ». Seul vient troubler la fête un vieux bougon réac' (une denrée assez répandue à Nice), venu hurler :
« Prenez-les chez vous, les migrants ! », ce à quoi nous n’avons pu que répondre :
« Les prendre chez nous ? Vous êtes un visionnaire, monsieur, on n’y avait pas pensé ! » Mais nous ne lui prêtons guère plus attention : nous avons bien mieux à faire, comme par exemple, être heureux.
Mika, jeune homme fraichement arrivé à Nice pour ses études, que j’avais invité à venir et qui découvre la bande, me confie :
« Je suis content d’être venu. C’est beau, toute cette douceur, toute cette tendresse. Ça inspire ».
Et c’est bien vrai que c’est touchant et beau, cette atmosphère qui
règne maintenant. Ça doit sans doute leur faire envie, tout cet amour,
aux costume-cravate de l’autre camp.
Puis, évidemment, nous allons célébrer la victoire sur la terrasse
d’un bar du coin. Il y a là Cédric, Marion, Céline, ses deux adorables
filles, les avocat.e.s, les bénévoles de DTC, des réfugié.e.s ou
demandeurs.ses d’asile, quelques autres potes, et nous sommes bien. La
bière est fraîche. Nous nous racontons des blagues, et nous rions et
sourions comme seuls savent rire et sourire ceux qui font en sorte de
pouvoir se regarder dans le miroir sans frémir, et qui ont au cœur cette
joie qui est le don fait aux justes par la vie (car la vie n'aime pas
qu'on laisse mourir les gens au prétexte qu'ils sont pauvres et noirs).
Assis sur une terrasse au soleil, baignés par la lumière de ce Sud
que nous aimons tant, malgré tous ses défauts, nous sommes bien, nous
sommes heureux. On se moque gentiment de nos amis politiciens de droite
du 06. On imagine la possibilité de faire monter Pamela Anderson dans la
Roya (après tout, elle est déjà venue à Calais), un beau coup de com’
en perspective. On dit des conneries, quoi, on « déconne », comme dirait
notre monarque, comme les couillons de pauvres et « réfractaires » que
nous sommes.
Nous guettons, sur les réseaux sociaux, les réactions de l’autre
camp, et voyons passer celle de M. Estrosi, humoriste involontaire local
(et accessoirement maire de Nice) :
« Soutien au @prefet06
et aux forces de l’ordre à nos frontières après la relaxe
incompréhensible et inquiétante de Cédric Herrou qui avait osé suggérer
au préfet de s’inspirer du transport des juifs pendant la 2nde guerre
mondiale pour le traitement des demandeurs d’asile ».
Et nous rions. Et nous nous disons que, de l’autre côté, ils ont
l’air triste, triste comme la mort, et nous avons pitié pour eux. Ces
gens-là ont si peu d’humour. Ils ont l’air de rire si rarement, toujours
si sérieux dans leurs costumes gris et noirs.
Il y a une barricade. D’un côté, il y a des difficultés, certes, des
épreuves, de la misère même parfois, des souffrances, des violences, des
humiliations, des gaz lacrymogènes, des procès et des gardes à vue,
mais aussi et surtout des rires, de la joie, de la solidarité, des
fêtes, des jeux, des apéros, des repas partagés, et du courage. De
l’autre, il y a richesse et pouvoir, mais aussi et surtout de l’ennui,
de la tristesse, de la bassesse et de la lâcheté.
Vous voulez être de quel côté ? Moi, j’ai fait mon choix depuis
longtemps. Comme nous tous. Et nous y sommes bien. Et ça, aucune
poursuite, aucun procès, aucune condamnation ne pourra jamais rien y
faire, parce que la flamme des solidaires ne s’éteindra jamais.
En 1940 comme aujourd'hui, il s'agit de ne pas être dans le camp de l'abjection.
Vive la justice indépendante, vivent les citoyens solidaires,
Salut et fraternité,
M.D.
P.S. : le slogan utilisé en titre serait issu, à ce qui se raconte,
du cerveau du sieur Herrou lui même. Mais loin de moi l'idée de dire que
cet homme aurait du talent.
Compte-rendu du premier procès :
https://blogs.mediapart.fr/macko-dragan/blog/301018/le-citoyen-solidaire-cedric-herrou-contre-le-prefet-les-justes-juges-par-les-pantins
Source : https://blogs.mediapart.fr/macko-dragan/blog/150219/arretez-de-mettre-des-batons-dans-l-herrou?fbclid=IwAR01475MM7DoY_RXl6LXbbAd9Z3CnB5M53SrLFjb5885rRe93sMesfEwKR8
Et hop ! Ça n'a pas tardé : le parquet fait appel de cette relaxe !
Injures publiques
contre le préfet :
le parquet de Nice
fait appel de la relaxe
de Cédric Herrou
PAR Christophe Cirone
Publié le 20/02/2019
La décision du tribunal avait été accueillie sous les
applaudissements, au pied des marches du TGI de Nice, jeudi dernier.
Mais Cédric Herrou devra repasser par la case justice, dans l'affaire
d'injures publiques qui l'oppose au préfet des Alpes-Maritimes.
L'agriculteur de Breil-sur-Roya, figure
emblématique de l'aide aux migrants, était poursuivi pour un post
Facebook acerbe, publié en juin 2017. Les forces de l'ordre avaient
refusé d'embarquer 92 migrants, dans la Roya, à bord d'un train pour
Nice. Cédric Herrou invitait le préfet à "s'inspirer des accords
avec la SNCF pendant la 2e guerre pour le transport des juifs pour gérer
le transport des demandeurs d'asile... Bref."
>> LIRE AUSSI. VIDÉO. Relaxé dans le procès qui l’opposait au préfet, Cédric Herrou fait applaudir, à Nice, "l’indépendance de la justice"
Cette référence historique, volontairement provocatrice, était assimilée à des "injures publiques d'une personne dépositaire de l'autorité publique" - en l'occurrence, le préfet Georges-François Leclerc. Le parquet avait requis en conséquence 5.000 euros d'amende.
La
défense avait obtenu la relaxe, au grand étonnement de Cédric Herrou
lui-même. L'intéressé avait salué, face à ses partisans, "l'indépendance
de la justice". Mais le ministère public, lui, estime que justice n'est
pas passée, et n'entend pas en rester là. Rendez-vous est donc pris
devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, à une date qui reste à fixer.
Le 14 février, l’agriculteur de la Roya avait salué "l’indépendance de la justice" devant ses partisans.
Source : https://www.nicematin.com/justice/injures-publiques-contre-le-prefet-le-parquet-de-nice-fait-appel-de-la-relaxe-de-cedric-herrou-300428?fbclid=IwAR01VVTGI1JhQkRwKvZh7imavI-AVJUj-DCnpCRmX1-7C2fIOvIiyllezkM