En quête d’espace,
la filière photovoltaïque
lorgne les terres agricoles
13 juillet 2020
/ Grégoire Souchay (Reporterre)
Toujours à la recherche de nouveaux espaces pour s’implanter, la filière
photovoltaïque s’intéresse de plus en plus aux terres agricoles. Après
avoir investi les toitures et les hangars, une faille réglementaire
permet à la filière de s’implanter sur les parcelles elles-mêmes.
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- La Couvertoirade (Aveyron), reportage
Les histoires du Larzac sont souvent celles de rencontres improbables. Quand Guy Degreef, ancien
avitailleur
à Anvers débarqua en Aveyron au détour des années 1990, il arriva au
Salvetat, hameau au cœur du plateau. À côté vivait Francis Roux, éleveur
de brebis, exploitant une partie des 6.300 hectares gérés par la
Société civile des terres du Larzac (
SCTL)
[1]
Ces terres, propriété de l’État, ont retrouvé leur vocation agricole
après la lutte contre l’extension du camp militaire. Vingt ans après son
arrivée, Guy Degreef est devenu ingénieur en énergie renouvelable au
sein de
C2A, petite entreprise locale d’installation de panneaux photovoltaïques. Sur le Larzac, les sociétaires de la
SCTL s’interrogeaient sur le devenir des toitures en mauvais état de certaines fermes. On évoquait l’option des panneaux solaires,
« mais on avait peur, on entendait des histoires d’arnaques », raconte Francis Roux. Ils ont alors fait appel à Guy pour construire le projet Lum del Larzac.
Cette société, détenue majoritairement par la
SCTL,
exploite aujourd’hui seize panneaux photovoltaïques de neuf
kilowatts-crête (kWc). S’y ajoute une autre toiture de 100 kWc, sur le
hangar de stockage de plaquettes forestières issues des repousses des
bois du plateau. Aujourd’hui, l’investissement est presque amorti et les
paysans réfléchissent à lancer une nouvelle vague de toitures solaires
ou bien à utiliser les bénéfices issus de la revente d’électricité pour
restaurer le reste du bâti.
C’est à ce genre d’histoires que le photovoltaïque agricole pourrait
ressembler : aucune conséquence pour les terres elles-mêmes, de
l’énergie produite et un revenu complémentaire pour les paysans.
Francis Roux et Guy Degreef.
Pourtant, depuis quelques années, le secteur prend d’autres visages.
Celui par exemple de sociétés vantant des solutions clefs en main de
construction de hangars agricoles. Des investisseurs immobiliers qui
voient là une opportunité de construire des bâtiments et des panneaux,
en échange d’un hangar neuf présenté comme
« gratuit »
pour les agriculteurs. L’argent issu de la revente d’électricité permet
selon les cas d’amortir en dix à quinze ans le coût du bâtiment – hors
raccordement et terrassement. Des projets qui se sont parfois avérés,
comme dans le photovoltaïque résidentiel, des arnaques, avec des coûts
administratifs additionnels, des coûts cachés et des hangars parfois
jamais construits.
Alors que le marché du photovoltaïque résidentiel reste morose depuis
la crise des années 2010, celui des moyennes toitures (jusqu’à 100 kW)
est en croissance continue depuis 2015,
selon l’Observatoire de l’énergie solaire photovoltaïque.
Une croissance toutefois bien en deçà du rythme d’installations prévu
par la Programmation pluriannuelle de l’énergie qui vise le doublement
de la production photovoltaïque du pays d’ici 2028. La solution la plus
immédiate reste la construction de centrales au sol, sur des terrains en
friche ou dégradés. Un type de photovoltaïque qui exclut théoriquement
les parcelles agricoles, selon un décret de 2009. Mais entre la règle et
la réalité, nombreuses sont les voies de contournement. La première
consiste simplement à pousser les mairies à modifier leurs plans locaux
d’urbanisme pour déclasser des terres agricoles et y implanter leurs
centrales solaires.
Un champ de panneaux sur un champ de vignes
D’autres envisagent désormais une solution plus élaborée :
l’agrivoltaïsme. Pionnière en la matière, l’entreprise Sun’R, via sa
filiale Sun’Agri, réalise depuis 2010 des
« persiennes agricoles avec des systèmes photovoltaïques dynamiques ». Le principe : poser au-dessus d’une parcelle cultivée un quadrillage de panneaux qui vont en pivotant selon un axe horizontal
« optimiser les besoins de la plante en soleil et en ombrage grâce à des systèmes intelligents »,
explique Antoine Nogier, directeur de Sun’R. Des projets qui se
développent notamment près de la Méditerranée, territoire fortement
exposé aux pics de chaleur et sécheresses. Une installation pilote
fonctionne depuis fin 2018 à Tresserre, dans les Pyrénées Orientales sur
4,5 hectares de vignes.
Selon Antoine Nogier,
« on arrive à y limiter les pics de chaleur de 3 à 5 °C, c’est un vrai outil d’adaptation au changement climatique ».
Son objectif est de créer des projets sur 300 exploitations et 1.500
hectares d’ici 2025. Mais pas à n’importe quel prix prévient-il :
« Il
faut que ces projets agrivoltaïques restent avant tout des projets
agricoles, notamment avec une vraie utilité climatique. Parce qu’on ne
peut pas optimiser à la fois la production d’électricité et celle des
terres ! »
Même analyse de Xavier Bodard, gérant d’Éco Solutions Énergie. Cette
entreprise basée près de Montpellier travaille quant à elle sur
l’agrivoltaïsme d’élevage : on pose des panneaux fixes surélevés qui
diminuent la consommation d’eau pour les troupeaux en plein air et les
cultures.
« On dimensionne le parc photovoltaïque en fonction des besoins agricoles, c’est d’abord de l’agronomie. »
Une toiture de 100 kWc, sur le hangar de stockage de plaquettes
forestières issues des repousses des bois du plateau, dans le cadre du
projet Lum del Larzac
Le recul est encore très faible concernant les impacts à long terme
pour la biodiversité de ces installations. Les premières études notent
une
« modification des cortèges d’espèces » pour les habitats fortement transformés (Visser, 2016) mais aussi
« une augmentation de la diversité floristique sur des parcelles auparavant en exploitation intensive ». (Parker et McQueen, 2013
; Montag
et al., 2016). En France, tous les projets agrivoltaïques relevant de l’appel d’offre
« solaire innovant »
sont tenus de réaliser un suivi par une structure externe, avec un
espace témoin, et de transmettre chaque année les données au préfet.
« La plupart des opérateurs qui arrivent sur ce marché ne connaissent rien à l’agriculture »
Tout l’enjeu de cet
« agrivoltaïsme » est
que l’agriculture ne soit pas un simple prétexte pour poser des
panneaux en plein champ. En la matière, certains ne sont pas animés par
une fibre paysanne. Ainsi, le groupe Total, via sa filiale Quadran, a
annoncé fin mars le déploiement d’une solution
« photovoltaïque bifaciale verticale (…) principalement destiné à l’agrivoltaïsme ».
Un mois plus tôt, la multinationale annonçait un accord avec InVivo,
première coopérative agricole du pays avec l’objectif de déployer 500
MW agrivoltaïques d’ici 2025. Selon plusieurs spécialistes interrogés par
Reporterre, les promoteurs sillonnent depuis des années le pays en quête d’hectares pour des projets photovoltaïques en milieu agricole.
« Ils attendent juste le coup de feu pour tout lancer, s’inquiète Simon Cossus, directeur d’Enercoop Languedoc-Roussillon,
mais la plupart des opérateurs qui arrivent sur ce marché ne connaissent rien à l’agriculture. » Pour lui, même si
« au cas par cas » il est possible de penser ces solutions, l’agrivoltaïsme reste un sujet
« hautement toxique ».
Une centrale agrivoltaïque sur vignes dans les Pyrénées-Orientales, en 2018.
Sur le Larzac, hors de question d’utiliser ces solutions sur les terres de la
SCTL. Après s’être battus contre le
projet de centrale au sol Solarzac
– en cours de redimensionnement selon le promoteur – il n’est pas
question de céder un pouce des terres arables au photovoltaïque.
« Si on n’a pas une règlementation hyper sévère, il faut fermer les portes tout de suite », avertit Guy Degreef.
Car l’enjeu est aussi celui du foncier.
« Entre le prix d’une parcelle agricole ou d’une autre qui fournit de l’énergie, on passe d’une échelle de un à dix »
confirme Xavier Bodard. L’inflation des fermages et des prix de vente
des terres jusqu’à 15.000 euros par hectare risque d’accentuer les
difficultés d’installations de nouveaux entrants. L’Agence de la
transition écologique (Ademe) qui mène actuellement une étude sur
l’agrivoltaïsme, assure vouloir intégrer l’ensemble des problématiques
dans son guide de recommandations qui sera présenté aux décideurs début
2021.
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[1] La
Société civile des terres du Larzac a été créée en 1984 après dix ans
de lutte (1971-1981) contre l’extension du camp militaire sur le causse.
L’État a mis ses terres à disposition à travers un bail emphytéotique,
récemment prolongé jusqu’en 2083.
Lire aussi : Le Larzac se lève contre un projet géant de centrale solaire
Source : Grégoire Souchay pour
Reporterre
Photos :
. chapô : Photo issue du site de la société Sun’R.
. Hangar recouvert de panneaux. © Grégoire Souchay/
Reporterre
. Première centrale agrivoltaïque au monde. Démonstrateur sur vignes dans les Pyrénées-Orientales. Wikipedia [
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:AVD_Domaine_de_Nidol%C3%A8res_Tresserre_vue_du_ciel_(3).jpg]
Source : https://reporterre.net/En-quete-d-espace-la-filiere-photovoltaique-lorgne-sur-les-terres-agricoles?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=nl_quotidienne