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lundi 30 novembre 2020

En Chine, l’invisible calvaire du peuple ouïghour


En Chine, 

l’invisible calvaire 

du peuple ouïghour

 

Fanny Arlandis

Publié le 25/11/20

 
Cimetière ouïghour à Turpan, dans la province du Xinjiang, en Chine. Patrick Wack/Inland

 

Dans la province du Xinjiang, les ressortissants de cette minorité musulmane subissent quotidiennement une répression d’une extrême violence. Alors que la région prend des allures de gigantesque camp de rééducation à ciel ouvert sous surveillance policière permanente, les journalistes internationaux peinent à rendre compte de cette situation.

Bienvenue au Xinjiang ! Il n’existe pas de visa spécial pour se rendre dans cette région théoriquement autonome du nord-ouest de la Chine. Mais la surveillance est telle qu’il est extrêmement difficile d’y travailler en tant que journaliste. Lors de son dernier voyage en 2019, le photographe de l’AFP Greg Baker et son équipe ont été suivis et surveillés littéralement vingt-quatre heures sur vingt-quatre, de leur arrivée à l’aéroport jusqu’à leur départ. « Un jour, j’en ai eu tellement marre, raconte le photographe Patrick Wack, qui a vécu la même chose, que je suis allé dire aux policiers présents en permanence dans le lobby de mon hôtel : “Quitte à me coller toute la journée, vous n’avez qu’à me servir de taxi !” Ils étaient ravis, et moi j’en apprenais un peu plus sur eux… » Il lui a aussi été demandé de supprimer des images de la carte mémoire de son appareil photo. « Un homme en train de dépecer un mouton, un chantier en construction ou une maison en ruine : la sélection des clichés problématiques était dépourvue de logique. »

L’annihilation d’une culture

Pour plus de discrétion, Patrick Wack avait troqué son moyen format pour un boîtier numérique. « J’ai principalement réalisé des photos d’illustration pour montrer à quoi ressemble la vie sous la répression, et la forme qu’elle prend. Cela passe par l’annihilation d’une culture, mais aussi la destruction du patrimoine architectural et des mosquées. Désormais, certains quartiers et villages sont totalement déserts. Et en 2019, à la différence de 2017, j’ai été frappé par un trou dans la pyramide des âges. Dans la rue, presque aucun homme n’a entre 18 et 50 ans ; la plupart sont dans des camps. » Pour le gouvernement, il est essentiel d’assurer, par tous les moyens, la stabilité et la sécurité de cette région stratégique. Située aux confins de la nouvelle Route de la Soie – projet économique phare du président Xi Jinping –, elle possède aussi un sous-sol riche en hydrocarbures et en métaux précieux, comme l’uranium. L’État organise donc le remplacement de la population actuelle composée à 45 % de Ouïghours (11 millions de personnes) par des Hans, l’ethnie majoritaire du pays. En parallèle, il encourage fortement le tourisme afin, notamment, de contrer l’image négative de sa politique dans la région par la vision idyllique d’un lieu de villégiature. « Les Hans se bousculent pour manger des brochettes et voir une version “Disneyland” du Xinjiang, avec des chameaux dans le désert et des gens qui dansent en habits traditionnels », décrit Patrick Wack. Des scènes qui reviennent régulièrement dans ses photographies.

 

L’État chinois encourage fortement le tourisme dans la province du Xinjiang, afin de contrer l’image négative de sa politique dans la région. Ici, des jeunes femmes ouïghoures posent avec des touristes chinois pour de l’argent, près de Turpan. 

Patrick Wack/Inland

 

Enfer orwellien

« La vie dans la rue peut sembler tout à fait normale, mais on sent bien, à mille détails, la peur sous-jacente », note Greg Baker. Il est d’ailleurs impossible d’entrer en contact avec un habitant sans le mettre en danger. « Un jour, j’ai demandé du feu à un type, je me suis retourné 100 mètres plus loin, des flics lui posaient déjà des questions », se souvient Patrick Wack. En plus du dispositif policier, tous les moyens technologiques de la Chine sont mis au service de cette répression. « L’ADN prélevé sur chaque individu est couplé à des bases de données de reconnaissance faciale, détaille Sylvie Lasserre, autrice de l’ouvrage Voyage au pays des Ouïghours : de la persécution invisible à l’enfer orwellien. Dans les villes, tous les 300 mètres, des militaires en haut de miradors surveillent les gens. Les contrôles de téléphones portables et d’identité sont incessants. Et les appels venant de l’étranger sont bloqués ou tracés grâce à la reconnaissance vocale. » Les familles encore présentes sur place supplient leurs proches à l’étranger de ne plus chercher à les joindre. De nombreux exilés qui reviennent sont immédiatement transférés dans des camps de rééducation. Pékin va jusqu’à envoyer des fonctionnaires du gouvernement séjourner chez les habitants pour surveiller leur quotidien.

Travaux forcés et bourrage de crâne

Les Ouïghours sont réprimés depuis les années 1990, mais c’est à la suite d’émeutes en 2009 et d’une série d’attentats attribués à des militants indépendantistes en 2014 que Pékin a accentué sa répression. « Courant 2016 commencent les internements de masse dans les "camps de rééducation” sous prétexte de “lutter contre le terrorisme et l’extrémisme religieux”. Entre 1,5 et 3 millions de personnes ont été détenues depuis 2017. Aujourd’hui, il n’y a pas une famille qui ne soit pas touchée », insiste Sylvie Lasserre. Selon les estimations, la région compterait entre cinq cents et… mille deux cents camps ! Après en avoir longtemps nié l’existence, le gouvernement les qualifie désormais de « centres de formation professionnelle », à grand renfort de mises en scène. « Il y a eu des visites organisées dans certains d’entre eux, raconte Greg Baker, mais elles montraient inévitablement des gens qui dansaient joyeusement et semblaient heureux d’apprendre de nouvelles compétences. Or, nous savons, d’après les témoignages de personnes qui ont fui le pays, que la réalité est tout autre. » Les prisonniers, entassés dans de petites cellules, sont soumis à un travail forcé. Ils sont en outre obligés de réciter des chants à la gloire du gouvernement et d’apprendre le mandarin au détriment de la langue ouïghoure.

 

La province du Xinjiang compterait entre 500 et 1200 camps de rééducations. Depuis 2017, entre 1,5 million et 3 millions de personnes y auraient été détenues. 

Greg Baker / AFP

 

Disparitions

La majeure partie des informations disponibles ont été obtenues en dehors du Xinjiang. L’année dernière, le New York Times a publié quatre cents pages de documents confidentiels du Parti communiste exfiltrées par l’un de ses membres qui éclairent la mécanique de répression instaurée par Pékin. L’Institut australien de stratégie politique, a, lui, communiqué l’emplacement précis de divers camps grâce à un travail effectué à partir de témoignages, de données GPS et d’images satellites. Si la diaspora est restée muette pendant de longues années, pour éviter que le gouvernement ne s’en prenne à leur famille, certains ont désormais décidé de parler. En février 2019, une campagne a été lancée sur les réseaux sociaux pour réclamer des preuves de vie de leurs proches disparus. « Où est ma mère ? », « Où est ma sœur ? », pouvait-on lire sur leurs pancartes accompagnées du hashtag #MeTooUyghur. « Ces opérations s’avèrent efficaces individuellement et beaucoup ont pu ensuite obtenir des nouvelles, mais globalement la situation ne s’améliore pas », constate Sylvie Lasserre. Avec la pandémie de coronavirus et la fermeture des frontières, Pékin a désormais un boulevard devant lui.



En février 2019, une campagne a été lancée sur les réseaux sociaux pour réclamer des preuves de vie de leurs proches disparus. « Où est ma mère ? », « Où est ma sœur ? », pouvait-on lire sur leurs pancartes accompagnées du hashtag #MeTooUyghur.

Memet Tohti Atawulla / Alfred Uyghur / GulziraTaschmamat

 

Source : https://www.telerama.fr/idees/en-chine-linvisible-calvaire-du-peuple-ouighour-6749724.php

dimanche 29 novembre 2020

Jouir des beautés de la nature sans tuer – 2

Jouir 

des beautés de la nature 

sans tuer – 2

  

Par Matthieu Ricard le 24 novembre 2020

 


Les chasseurs parlent constamment de leur rôle de "régulateurs" des équilibres naturels. On peut distinguer trois aspects à cette "régulation".

1) "Réguler" des problèmes que les chasseurs ont eux-mêmes créés

L’argument le plus souvent utilisé en faveur de la « régulation » des espèces sauvages est celui des sangliers. De fait, alors que la France comptait quelques dizaines de milliers de sangliers dans les années 1960, on en recense plus d’un million aujourd’hui. Ceux qui s’en plaignent sont les auteurs de cette prolifération : les chasseurs ont lâché des sangliers d’élevage, ils les ont nourris dans la nature et ont épargné les femelles reproductives. Les cultures de maïs que les sangliers affectionnent ont augmenté et les chasseurs eux-mêmes indemnisent les paysans des dommages causés par les sangliers. Les chasseurs font donc tout ce qu’il fallait pour que le « gibier » abonde. L’augmentation considérable des cochongliers et de sanglochons, croisement issus de sangliers et de cochons domestiques, plus familiers et facilement approchables a contribué à démultiplier cette prolifération. Il est donc malséant de parler de « calamité » lorsqu’on l’a créée et qu’on l’entretient. Les chasseurs souhaitent donc « réguler » les populations de sangliers en les tuant et ne veulent pas entendre de méthodes alternatives que les scientifiques pourraient proposer (stérilisation de femelles par exemple).

2) "Réguler" des espèces en voie de disparition

Pourquoi diable faudrait-il "réguler", en les chassant, les effectifs d’espèces dont les populations ont dramatiquement diminué depuis plusieurs décennies — la Tourterelle des bois, le Vanneau huppé, l’Huitrier pie, le Lagopède alpin, et bien d’autres encore ? Pas moins de 27 % des espèces chassables en France (24 sur 89) figurent sur la liste rouge des espèces menacées.

3) "Réguler" des "nuisibles" qui n’en sont pas

Des dizaines de milliers de mustélidés — belettes, martres, putois, etc… — sont piégés chaque année en France alors que leur statut de "nuisible" décrété par les chasseurs n’est défendu par aucun scientifique, ces animaux jouant un rôle important dans les écosystèmes. En 2002, sur les recommandations des scientifiques compétents, le ministre a retiré de la liste des animaux nuisibles, la belette, la martre et le putois, dont la classification comme « nuisibles » est simplement aberrante : ils ne pullulent pas et mangent des petits rongeurs. Hélas, quelque mois plus tard, nouveau ministre et retour en arrière : simplement pour faire plaisir aux chasseurs, la ministre reclassa ces trois espèces en catégorie "nuisible." "Ce que les chasseurs veulent, le ministre fait "conclut Pierre Rigaux.

Le renard est l’une des obsessions des chasseurs et ils en tuent environ un million chaque année. Les renards sont pourtant l’un des meilleurs facteurs de régulation naturelle. Les chasseurs se plaignent par exemple de la prolifération des harets, ces chats domestiques retournés à l’état semi-sauvage et revendiquent le droit de les tuer. Or, une récente étude italienne a montré que, pendant l’hiver, 30 % de l’alimentation des renards est constituée de harets. Un renard peut certes ravager un poulailler dont la porte était mal fermée, mais à l’échelle nationale, les dégâts engendrés par les renards sont dérisoires. Les contrevérités abondent également : on accuse le renard de propager la rage par exemple, alors que la rage vulpine a disparu de France depuis 1998. Quant à l’échinococcose, la néosporose, la gale et la leptospirose, aucune instance scientifique ne recommande de tuer les renards pour lutter contre ces maladies. La maladie de Lyme, quant à elle, semble avoir moins d’incidence là où les renards sont plus abondants, car les petits rongeurs sont plus prudents et se déplacent moins.

Mais la chasse est en déclin depuis plusieurs décennies, bientôt moins d’un million de chasseurs. On ne peut donc que s’associer aux vœux d’Albert Schweitzer, prix Nobel de la paix :

Le temps viendra où l’opinion publique ne tolérera plus les divertissements où l’on maltraite et tue des animaux. Le temps viendra, mais quand ? Quand atteindrons-nous le moment où la chasse, le plaisir de tuer des animaux pour le "sport", sera considérée comme une aberration mentale ?

 

Source : https://www.matthieuricard.org/blog/posts/jouir-des-beautes-de-la-nature-sans-tuer-2


samedi 28 novembre 2020

Soutien aux migrants : « On aimerait que notre engagement de fraternité soit respecté par le gouvernement »

 

Soutien aux migrants : 

« On aimerait que notre engagement 

de fraternité soit respecté 

par le gouvernement »

 

Par Benjamin Delille

Au lendemain de l’évacuation violente d’un campement de migrants sur la place de la République à Paris, plusieurs centaines de personnes s’y sont rassemblées pour réclamer que tous les exilés soit abrités.

Les images de la veille sont dans toutes les têtes. Des policiers qui s’emparent de tentes où se reposent des migrants jetés au sol. D’autres matraquant un journaliste, ou faisant un croche-pied à un exilé en train de fuir. « C’est plus que choquant ce qu’il s’est passé », s’indigne Céleste, 22 ans, avant de brandir une pancarte « Evacuez la violence ». Avec son amie Lucile, elles sont membres de deux associations d’aide aux mineurs isolés, la Casa, et les Midis du mie. Elles étaient déjà désabusées par les interminables procédures auxquelles font face les jeunes qu’elles côtoient, les voilà dépitées. « Franchement ça nous sape la confiance en la France, soupire Lucile, l’événement d’hier, c’était pour réclamer un peu de décence à l’égard de personnes qui fuient des horreurs, et on leur répond par des gaz lacrymo… »
 

« So, so, so… solidarité… avec les réfugiés ! » Le slogan résonne depuis 18 heures, aux pieds de Marianne en plein centre de la place de la République, au cœur de la capitale. Des petits drapeaux flottent ici et là, au milieu d’une foule un peu réduite mais qui s’étend tout de même sur toute la largeur de la place. Il y a des partis de gauche, mais surtout de nombreuses associations d’aide aux migrants. Notamment la Cimade et son président Henry Masson : « Ce qu’il s’est passé hier n’est pas acceptable. Mais nous sommes surtout là pour réclamer que toutes les personnes qui étaient dans le camp de Saint-Denis soient abritées. »

« Ouvrir les yeux »

Car c’était bien le but de l’événement de la veille : passer la nuit dans des tentes sur la place pour rappeler que plusieurs centaines de migrants du camp de l’Ecluse, démantelé le 17 novembre, n’ont pas été pris en charge. Pire, ils ont été pourchassés selon les associations qui tentent de les aider. « On aimerait que notre engagement de fraternité, car c’est bien de cela qu’il s’agit, soit respecté par le gouvernement, continue Henry Masson, et je pense que cela passe par plus de sensibilisation de l’opinion publique. Il faut leur ouvrir les yeux. »

 

Photo Michael Bunel pour Libération
 
 
Pour de nombreux militants, déjà au fait du calvaire des migrants depuis des années, l’indignation des images de la veille crée une certaine frustration. « Ce n’est pas nouveau, ce genre de scène on les vit toutes les semaines à Calais longtemps », souffle un jeune homme habitué des distributions d’aide alimentaire. « Le vrai sujet, c’est de trouver un toit à ces personnes », tranche Ariel Weil, maire (PS) du secteur Paris centre. Il est entouré de plusieurs adjoints, tous vêtus de leur écharpe tricolore. « La ville de Paris fait des propositions, certes temporaires, et maintenant la préfecture doit s’en saisir », insiste l’édile.

D’autres semblent tout aussi touchés par les violences policières de la veille. On entend le nom du ministre de l’Intérieur dans de nombreuses discussions. « C’est le chef de la police, il est responsable de ce qu’il s’est passé », estime Stéphanie, 23 ans. La jeune femme est très remontée contre Gérald Darmanin qui « ferait presque oublier qu’il est un violeur présumé tant il enchaîne les horreurs ». Avec son ami Arthur, gilet jaune sur le dos, elle l’accuse de vouloir museler la presse avec l’article 24 de la loi de sécurité globale, adoptée ce mardi à l’Assemblée. « On a l’impression que la police, désormais, ce sont des criminels en bande organisée », s’emporte le jeune homme.

Boucliers dressés 

Pas de CRS aux abords de la place ce soir. Des dizaines de camions attendent en revanche dans des boulevards non loin de là, au cas où. « Ils n’interviendront pas, il y a trop de médias », explique-t-on ici ou là. Finalement alors que 20 heures sonnent, des centaines de manifestants quittent la place par le boulevard du Temple. « On part en sauvage ! », s’excite l’un d’eux. Quelques poubelles sont incendiées, dont une nourrie de cartons, ce qui la rend visible du bout de la rue. Mais les forces de l’ordre arrivent rapidement et repoussent les dizaines de manifestants qui entonnent à tue-tête « Tout le monde déteste la police ! »

De retour sur la place de la République, il ne reste plus grand monde. Face à eux, un mur de CRS soutenu par une longue file de cars dont les lumières bleues envahissent la rue du Temple. « Tout ça pour nous ? C’est trop, fallait pas », s’amuse une jeune femme, bière à la main. La scène tourne à l’absurde avec quelques manifestants qui tentent de couper la circulation. Quelques voitures et des scooters réussissent à se faufiler entre les manifestants qui chantent et les CRS en position. Deux joggeuses tentent même de se frayer un chemin. Mais à part quelques bouteilles qui s’écraseront face aux boucliers dressés des policiers, il n’y aura pas d’affrontement jusqu’à ce que la foule éparse, peu à peu, se disperse.

 

Benjamin Delille

vendredi 27 novembre 2020

Interdiction de se promener en période confinement sauf pour certains chasseurs


Interdiction de se promener 

en période confinement 

sauf pour certains chasseurs

 

18/11/2020

Communiqué de presse du 18 novembre 2020 – LPO et ASPAS

Alors que des millions de Français sont confinés et ne peuvent pas se promener à plus d’un kilomètre de chez eux, à juste titre s’agissant de réduire la mise en danger des populations, quelques dizaines de milliers d’entre eux ont pourtant été autorisés à se rendre dans la nature sous prétexte d’absolue nécessité de régulation des espèces susceptibles de causer des dommages. Mais quelle était l’urgence dans la plupart des cas au regard d’une crise sanitaire sans précédent ? La LPO et l’ASPAS saisissent la justice.


 

En temps normal déjà, la destruction systématique et massive de certaines espèces est sujette à discussions tant les dégâts sont trop souvent fantaisistes et rarement vérifiés, de même les effets indésirables non mesurés, pas plus que l’efficacité de ces destructions préventives. En pleine période de COVID-19, doublée d’un risque avéré de grippe aviaire puisque l’ensemble du territoire métropolitain vient d’être placé en vigilance risque élevé, ces dérogations témoignent, pour un trop grand nombre d’entre elles, d’un laxisme administratif incompréhensible. Ainsi, l’Administration autorise des regroupements de chasseurs en battues jusqu’à 30, voire 50 personnes, sans limite de durée, de jours, de distance du domicile…

La circulaire ministérielle du 31 octobre encadrant les possibles dérogations avait pourtant bien interdit la chasse dite « de loisir ». C’était sans compter sur le poids du lobby cynégétique qui a su obtenir de véritables passe-droits. D’ailleurs certains chasseurs ne se privent pas de clamer qu’ils ont gagné sur les réseaux sociaux et dans la presse.

Vous voulez nourrir vos appelants ?

Cochez la case 3 qui indique « Consultations, examens et soins ne pouvant être assurés à distance et l’achat de médicaments » ; 

Vous voulez chasser autour de chez vous ?

Cochez la case 6 « Déplacements brefs dans la limite d’une heure quotidienne et dans le rayon d’1 km du domicile » ; 

Vous voulez aller tirer des sangliers, cerfs, daims, un peu partout en France, ou des chamois (comme dans le Haut-Rhin et la Haute-Saône), des mouflons (comme en Lozère ou dans l’Hérault), des renards, des blaireaux (comme dans le Territoire de Belfort), des pigeons ramiers (comme dans le Lot-et-Garonne), des corneilles et même des cormorans pourtant protégés (en Charente, Loire-Atlantique, Maine-et-Loire et Haute-Vienne) ?

Cochez la case 8 « Participation à des missions d’intérêt général ».

Tout aussi inacceptable, des espèces qui n’étaient pas jugées comme susceptibles de causer des dégâts à cette époque de l’année, faute de semis par exemple, le deviennent sous le coup de cette crise sanitaire. C’est le cas du pigeon ramier.

Certes, un trop grand nombre de sangliers peut causer et cause des dégâts agricoles et économiques. Mais pourquoi alors ne pas interdire l’agrainage ou les chasses en enclos ? Les sangliers peuvent être tirés toute l’année. On ne fera croire à personne qu’interrompre la chasse pendant le mois de confinement va conduire à une invasion incontrôlable par les sangliers. Rappelons que les mises-bas ont lieu de février à juin et qu’il n’y a pas de naissance de sangliers en automne. Cela signifie, qu’en l’absence de chasse durant le mois de novembre, le nombre de sangliers début décembre sera, au pire, le même que celui début novembre. En cas d’urgence, le Préfet dispose toujours de la possibilité d’organiser des chasses administratives sous la direction et le contrôle de la louveterie et des agents de l’OFB. La menace d’une invasion, si la chasse est suspendue pendant le confinement, relève donc du fantasme plus que de la réalité.

Le Président de la Fédération Nationale des Chasseurs, Président également de la Fédération Départementale des Chasseurs du Pas-de-Calais, a même tenté, sans succès il est vrai, d’obtenir le droit de chasser les perdrix, faisans et autres lièvres ! Seraient-ils également nuisibles aux cultures ? Mais alors pourquoi lâcher 15 millions de gibier d’élevage dans la nature chaque année ?

Les Commissions départementales de la chasse et de la faune sauvage, déjà composées en grande majorité par des chasseurs, ont été réunies du jour au lendemain, sans respect des délais de convocation. Étions-nous donc à 4 jours près ?

Fort de ce constat, la LPO et l’ASPAS ont paré au plus pressé en attaquant les 23 arrêtés qui leur ont paru les plus incongrus : Aisne (02),Ardennes (08), Aube (10), Calvados (14), Charente (16), Corrèze (19), Creuse (23), Eure (27), Indre-et-Loire (37), Loire-Atlantique (44), Lot-et-Garonne (47), Lozère (48), Maine-et-Loire (49), Marne (51), Mayenne (53), Meurthe-et-Moselle (54), Nord (59), Haut-Rhin (68), Haute-Saône (70) Sarthe (72), Seine-Maritime (76), Haute-Vienne (87), Territoire de Belfort (90).

L’ASPAS a par ailleurs décidé d’attaquer indépendamment 5 autres arrêtés préfectoraux : le Loir-et-Cher (41), la Moselle (57), le Gers (32), les Pyrénées-Atlantiques (64) et le Tarn (81).

 


 

 

Source : https://www.aspas-nature.org/communiques-de-presse/2020/interdiction-de-se-promener-en-periode-confinement-sauf-pour-certains-chasseurs/

 

jeudi 26 novembre 2020

PARIS, LA NUIT DE LA HONTE - Chasse aux migrants : le témoignage de Rémy Buisine

Nouvelles violences policières contre des migrants et des journalistes

PARIS, 

LA NUIT DE LA HONTE

 

Le

 


 

Nouvelles violences policières cette nuit dans Paris contre des migrants et des journalistes. Même le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin sur Twitter se dit choqué par les images de la nuit. « Je viens de demander un rapport circonstancié sur la réalité des faits au Préfet de police d’ici à demain midi. Je prendrai des décisions dès sa réception », a-t-il ajouté.

Lundi 23 novembre au soir, plusieurs centaines de migrants, environ 450, en errance depuis l’évacuation du campement de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) mardi dernier, ont monté un nouveau campement sur la place de la République à Paris. Leurs revendications : « Nous demandons des ouvertures de places d’hébergement et un réel système d’accueil des exilés ». En moins de deux minutes, environ 500 tentes bleues se sont déployées sous la statue de la République, vite investies par des centaines d’exilés, en majorité originaires d’Afghanistan.

À peine une heure après l’installation, les forces de l’ordre ont commencé à enlever une partie des tentes, parfois avec des personnes encore à l’intérieur, sous les cris et huées des militants et des migrants. Et c’est finalement sous les tirs de gaz lacrymogène et de grenades de désencerclement que quelques centaines d’exilés et leurs soutiens ont été dispersés par les forces de l’ordre dans les rues du centre de Paris.

Voici le témoignage du journaliste Remy Buisine, lui aussi molesté par les policiers lors de l’opération :

« On a peur qu’ils soient évacués sans solution, comme ce qui s’est passé mardi dernier à Saint-Denis », lors du démantèlement d’un important campement informel qui s’était constitué depuis l’été près du Stade de France, a expliqué Maël de Marcellus, responsable parisien de l’association Utopia56.

Les forces de l’ordre appliquent le principe de « zéro tolérance » pour les campements de migrants dans la capitale, institué par le préfet de police de Paris, Didier Lallement, en début d’année. Depuis, beaucoup ont reculé vers la Seine-Saint-Denis. Mais en lisière de Paris, « l’invisibilisation » conduit à une « chasse à l’homme », explique Louis Barda, responsable des maraudes chez Médecins du Monde. Selon ses remontées, les violences que subissent les exilés les poussent déjà à quitter Paris pour rejoindre Calais.

Le DAL rappelle qu’il y a actuellement 70 000 logements disponibles et géolocalisés sur Airbnb qui ne sont pas loués à cause du Covid-19. Si tout ces logements sont vides et précisément identifiables, dans ce cas, pourquoi ne pas les réquisitionner ?

L’ampleur du mouvement d’opposition à la loi sur la Sécurité Globale et notamment contre son article 24, oblige l’exécutif à faire profil bas. Sur France info, David Le Bars, secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN) a vu des gestes inappropriés. "Effectivement, on voit des gestes inappropriés de la part de certains gendarmes ou policiers face à des journalistes, à des migrants, Il faut impérativement garder son sang-froid et surtout on ne peut faire usage d’une force que si elle est légitime."

Nous voila rassuré

Là-bas

 

Source : https://la-bas.org/la-bas-magazine/reportages/paris-la-nuit-de-la-honte


mardi 24 novembre 2020

Rassemblement Perpignan mercredi 25/11 - Stop aux violences faites aux femmes !

 On a reçu ça :

Communiqué du Collectif 

Droits Des Femmes 66 

(CDDF66) 

Rassemblement 

mercredi 25 novembre 

Place de la Victoire à 18 heures

 

STOP aux violences 

faites aux femmes !

 

En France en 2020 les femmes subissent des violences sexuelles, psychologiques, économiques, administratives, domestiques, physiques, gynécologiques, des viols (notamment conjugaux), des mariages forcés, des mutilations, des agressions sexuelles, du harcèlement sexuel, des coups, des viols, des meurtres. Rien nest épargné à la moitié de la population dans le silence assourdissant des portes closes des instances gouvernementales.

Lannée dernière, en Occitanie 17 de nos habitantes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint dont 5 dans notre seul département. 17 femmes qui étaient nos amies, nos sœurs, nos mères, nos filles, nos voisines, nos collègues. 17 femmes que nous croisions chaque jour et que nous ne croiserons plus. Nous ne les oublierons pas.

Qui sera la suivante ?
Elles ont rejoint les autres femmes tuées en France en 2019 : les 145 femmes  tuées par leur conjoint ou ex-conjoint.

 Combien dentre nous, combien de nos proches doivent mourir pour que le gouvernement se dresse contre les violences faites aux femmes allouant de vrais budgets, accompagnant réellement les professionnel·le·s de terrain et offrant enfin des solutions concrètes pour les femmes et enfants victimes ? Combien de corps devons-nous compter parmi les 230 000 femmes victimes chaque année pour être protégées dans notre foyer où les violences ont augmenté de près de 30 % cette année et sur notre lieu de travail où 10 viols ou tentatives de viols se produisent chaque jour ? Quelle réponse va apporter l’État aux 30% de femmes victimes de harcèlement sexuel au travail et aux 80 % victimes de sexisme presque quotidiennement ?

Aujourdhui nous comptons nos mortes alors que le gouvernement compte largent quil va épargner en ouvrant à la concurrence le 3919, le numéro pour les femmes victimes de violences. Combien d’économies réalisées aux dépens de celles qui souffrent ? Combien deuros mis de côté au détriment des enfants victimes ? Nous dénonçons cette soumission de cette mission dintérêt général à la concurrence et à largent. Nous dénonçons la vente à perte de celles qui nous écoutent.

 Mercredi 25 novembre à 18h, le Collectif Droits des Femmes 66 organise un rassemblement Place de la Victoire où nous crierons STOP aux violences 

 

 

- Compagnie jolie môme : L'hymne des femmes.

https://www.youtube.com/watch?v=4kC5oiHK1JA&feature=emb_logo

- Vivir Quintana - Canción sin miedo ft. El Palomar

https://www.youtube.com/watch?v=VLLyzqkH6cs&feature=emb_logo

- Je suis fille - A tantôt en vélo (adaptation féminisée de la chanson des Corrigan Fest)

https://www.youtube.com/watch?v=MXY-A3tyxMw&feature=emb_logo

 

 

lundi 23 novembre 2020

C'est la faute à Rousseau (lettre à mes amish à propos des "Lumières" de Macron)

Bonjour,

Voici une nouvelle livraison : http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=1368
Et là : https://chimpanzesdufutur.wordpress.com/2020/10/07/cest-la-faute-a-rousseau-lettre-a-mes-amish-a-propos-des-lumieres-de-macron/

Jacques Luzi, auteur de Au rendez-vous des mortels. Le déni de la mort dans la culture occidentale, de Descartes au transhumanisme (Éditions de la Lenteur, 2019) nous a envoyé ce courrier en réponse à notre "Avis aux opposants à la 5G sur les luttes de pouvoir au sein du parti technologiste".

A vrai dire, le faux procès en obscurantisme que nous font les idéologues du parti technologiste, relève de la routine. Ainsi une salariée du CNRS a récemment trouvé subtil de nous fourrer dans le même sac que Heidegger, Sartre, Derrida, Foucault, Agamben, Badiou et toute leur séquelle néo-sexiste, néo-raciste, néo-ségrégationniste, du « Comité invisible » aux « Indigènes de la République », en passant par toutes les sections de « l’intersectionnalisme ». Cette crasse incompétence et ce confusionnisme insane ont valu à Stéphanie Roza d’être publiée chez Fayard par Najat Vallaud-Belkacem, et de voir La gauche contre les lumières ? célébré par la bonne presse, du Monde à France Culture.

Mais revenons à Macron, champion autoproclamé des « progressistes » - c’est-à-dire des technologistes – de gauche à droite de l’aire politique. Jacques Luzi pulvérise en quelques feuillets son recours fallacieux (et celui des technocrates en général) à l’esprit des Lumières pour justifier leur perpétuelle fuite en avant technologique, toujours présentée comme un « progrès » issu de celui-ci.

A relire Rousseau, Diderot et Kant, il saute aux yeux du lecteur que les obscurantistes et les éclairés ne sont pas ceux que l’on croit.

Merci de faire circuler,
Pièces et main d’œuvre


Lire aussi :
- Avis aux opposants à la 5G sur les luttes de pouvoir au sein du parti technologiste : http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=1357

- Alain Badiou nous attaque, et nous faisons (humblement) notre autocritique  : http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=1111

- Manifeste des chimpanzés du futur contre le transhumanisme, Pièces et main d’œuvre (Service compris, 2017) : https://chimpanzesdufutur.wordpress.com/category/manifeste-des-chimpanzes-du-futur-contre-le-transhumanisme/


 Lettre à mes « amish » 

de PMO 

à propos des « Lumières » 

de Macron

 

Le propre de cette idéologie technocratique est de se présenter comme étant sans alternative : on na pas le choix ! 

Jürgen Habermas, 1968



Jai bien reçu votre « 5G : avis aux opposants sur les luttes de pouvoir au sein du parti technologiste » (20.09.2020), dans lequel vous navez pas manqué de mettre en exergue cette déclaration du Président de la République : « La France est le pays des Lumières, le pays de linnovation. Jentends beaucoup de voix qui s’élèvent pour nous expliquer quil faudrait relever la complexité des problèmes contemporains en revenant à la lampe à huile. Je ne crois pas que le modèle amish permette de régler les défis de l’écologie contemporaine »(14.09.2020).

Je nai quune connaissance superficielle de qui sont les amish, aussi ne parlerai-je que des « amish », à la fois au sens méprisant donné par Macron et au sens d’« amis ». Jai, par contre, une conscience un peu plus fouillée de lenseignement des Lumières, qui est sans rapport avec linjonction à linnovation technologique systématique. Ayant à délivrer un cours dHistoire de la pensée à une jeunesse étudiante parfois soucieuse d’échapper au carcan abêtissant de la « professionnalisation », jenvisage cette année de le présenter à partir de quelques commentaires à propos de cette affligeante déclaration présidentielle, dont le seul mérite est de démontrer, si tant est quil faille encore le faire, linculture,la médiocrité et la mauvaise foi de nos gouvernants (comme de leurs fidèles chalands). Et de confirmer ce jugement de Rousseau : « Il est douteux que depuis lexistence du monde, la sagesse humaine ait jamais fait dix hommes capables de gouverner leurs semblables. » Je me permets, en retour de votre texte, de partager quelques idées directrices de cette introduction.

La référence immédiate à laquelle chacun pourrait (devrait) songer suite à l’évocation des Lumières est le texte dEmmanuel Kant, « Quest-ce que les Lumières ? » (1784). Par cette question, le philosophe cherchait, non pas à établir une synthèse exhaustive de la pensée plurielle, ambivalente et contrastée des Lumières, mais à capturer leur signification commune, entièrement contenue, selon lui, dans la devise : « Aie le courage de te servir de ton propre entendement », afin de te libérer du pouvoir de ceux qui prétendent s’ériger en tuteur de ton existence.  

Un passage mérite d’être lu attentivement : « Si jai un livre qui me tient lieu dentendement, un directeur qui me tient lieu de conscience, un médecin qui décide pour moi de mon régime, [un GPS qui décide pour moi de ma direction], etc., je nai vraiment pas besoin de me donner de peine moi-même. Je nai pas besoin de penser pourvu que je puisse payer ; dautres se chargeront bien de ce travail ennuyeux. » A lautonomie de la pensée (être « majeur »), Kant oppose ainsi lhétéronomie de la pensée (être « mineur »), quil associe à lautorité dun « expert » (en spiritualité, en santé, en organisation du travail 1, etc.) moyennant ses « services » afin de guider les activités de ceux qui, consentant à en devenir dépendants (pour lui, par manque de courage), samputent des qualités correspondantes. À suivre ce raisonnement, la conclusion est manifeste : lextension des domaines conjoints de lexpertise et de la marchandise, portée par linnovation technologique systématique chère à Macron, est diamétralement opposée à lesprit des Lumières tel que Kant le concevait. 

Les héritiers légitimes des Lumières ne sont donc pas les technocrates/ marchands qui simmiscent entre les individus et leurs pensées, leurs activités et leurs besoins, puisque cette médiation instituée (obligatoire) conduit à conforter leur statut de « mineurs ». Au moins deux « amish » de ma connaissance ont prolongé et actualisé les arguments de Kant. 

Le premier est lessayiste américain John Saul qui, pour décrire le détournement de la raison des Lumières par la rationalité technocratique, désignait les technocrates comme les « bâtards de Voltaire ». Ainsi en est-il de notre Président. Saul précisait : « De nos jours, la Raison d’État se change en un principe général que lon pourrait résumer ainsi : le technocrate sait parfaitement ce quil convient de faire. Sans que quiconque se hasarde à le dire ouvertement, le citoyen est privé, doffice, de toute participation. Il (ou elle) est là pour être « gérée » 2 .» Dans le vocabulaire kantien : pour être « mineur ».

Lautre « amish » est Ivan Illich, qui a montré comment le « marché » et l’« expert » élargissent leur contrôle social en transformant toujours plus chacun en un « dépendant » et un « infirme » : un « mineur ». Les marchandises (tangibles ou intangibles) correspondent « directement à des besoins fabriqués par leurs producteurs » et les experts (ou les professionnels, les spécialistes) sarrogent « lautorité de décider qui a besoin de quoi, et le monopole des moyens par lesquels ces besoins [seront] satisfaits ». Il ajoute que « la reconstruction sociale commence par la naissance du doute chez les citoyens », cest-à-dire par l’émergence de lusage autonome de son entendement, prélude à lusage autonome de son existence 3 .

La « croissance économique », l’« innovation technologique », etc., ne sont ni des nécessités « naturelles », ni des finalités universellement désirables, ni des préceptes sacrés issus des Lumières. Elles ne sont que les incantations magico-idéologiques grâce auxquelles le parti technologiste (de droite ou de gauche) maintient et renforce son pouvoir en maintenant et en renforçant la « minorité » de tous. Cest la raison pour laquelle il nest nul besoin den référer à la catastrophe écologique pour désirer sémanciper de lorientation sociale que ces incantations imposent aux croyants. Lune des Lumières les plus remarquables, Diderot, est là, dès laube de la première révolution industrielle, pour nous le rappeler :

Si Rousseau, au lieu de nous prêcher le retour dans la forêt, s’était occupé à imaginer une espèce de société moitié policée et moitié sauvage, on aurait eu, je crois, bien de la peine à lui répondre. Lhomme sest rassemblé pour lutter avec le plus davantage contre son ennemie constante, la nature ; mais il ne sest pas contenté de la vaincre, il en a voulu triompher. Il a trouvé la cabane plus commode que lantre ; et il sest logé dans une cabane. Fort bien. Mais quelle énorme distance de la cabane au palais ! Est-il mieux dans le palais que dans la cabane ? Jen doute. Combien il sest donné de peines pour najouter à son sort que des superfluités et compliquer à linfini louvrage de son bonheur !
Helvétius a dit, avec raison, que le bonheur dun opulent était une machine où il y avait toujours à refaire. Cela me semble bien plus vrai de nos sociétés. Je ne pense pas, comme Rousseau, quil fallût les détruire, quand on le pourrait ; mais je suis convaincu que lindustrie de lhomme est allée beaucoup trop loin, et que si elle se fût arrêtée beaucoup plus tôt et quil fût possible de simplifier son ouvrage, nous nen serions pas plus mal. (...) je crois quil y a un terme dans la civilisation, un terme plus conforme à la félicité de lhomme en général, et bien moins éloigné de la condition sauvage quon ne limagine ; mais comment y revenir, quand on sen est écarté, comment y rester, quand on y serait ? Je lignore. Hélas ! l’état social sest peut-être acheminé à cette perfection funeste dont nous jouissons, presque aussi nécessairement que les cheveux blancs nous couronnent dans la vieillesse. Les législateurs anciens nont connu que l’état sauvage. Un législateur moderne plus éclairé queux, qui fonderait une colonie dans quelque recoin ignoré de la terre, trouverait peut-être entre l’état sauvage et notre merveilleux état policé un milieu qui retarderait les progrès de lenfant de Prométhée, qui le garantirait du vautour, et qui fixerait lhomme civilisé entre lenfance du sauvage et notre décrépitude 4 . 

 

La domination de lindustrialisme ne saccroit quen désagrégeant toujours plus notre part de « sauvagerie » : dautonomie matérielle, de réciprocité, de solidarité, de convivialité, de simplicité, etc. En multipliant le besoin de « superfluités » artificielles, il voue les humains à lanomie et la Terre à la destruction. Si être « amish » consiste à sopposer aux avancées de cette « décrépitude » et à rechercher l’équilibre entre les états « sauvage » et« policé », alors Diderot démontre que lon peut être « amish » en se réclamant des Lumières, non comme une source dautorité aussi vague quindiscutable, mais comme une source dinspiration et de questionnements, textes à lappui.

U
n exemple. Gilbert Rist, après dautres, distingue deux formes de l’échange. Le premier, « sauvage », est la réciprocité (le don/contre-don), dont la finalité est de nouer et dentretenir des liens entre les humains (et entre les humains et les non-humains). Le second, propre à la société industrielle, est l’échange marchand entre individus anonymes. Dans le premier, « la valeur de lobjet est dabord symbolique, même si elle peut être tantôt considérable, tantôt se réduire à « rien ». (...) L’échange marchand au contraire se concentre sur la valeur du bien, qui ne dépend nullement de la relation quentretiennent les échangistes. (...) Il sagit donc du « degré zéro » de la relation : lintroduction de la monnaie pour rémunérer les biens ou les prestations de service brise le rapport social 5 . » Il sagit certes là de types-idéaux. La réciprocité a résisté à la marchandisation du monde, sans quoi la société marchande imploserait. Mais elle ne survit que soumise à lorientation et à lesprit dune société gouvernée par la marchandise et les experts. A linverse, il est tout à fait possible de concevoir une société plus proche de « l’état sauvage », tolérant des échanges marchands uniquement dans la limite fixée par la prédominance sociale de lautonomie matérielle et de la réciprocité.

De la même manière, Ivan Illich envisageait de conserver certaines (rares) activités industrielles, dès lors quelles serviraient la société conviviale et sa « quête de lautonomie », « non par un retour « au bon vieux temps » », mais dans une « nouvelle synthèse » : certains biens « continueraient à être produits par des méthodes industrielles. Mais ils seraient considérés et appréciés différemment. Aujourdhui, les biens marchands sont considérés principalement comme des articles répondant directement à des besoins fabriqués par les producteurs. Dans cette seconde option, ils sont des matières premières ou des outils permettant aux gens de produire des valeurs dusage assurant la subsistance de leurs communautés respectives  6 . »

Nen déplaise à Macron, être « amish » ne signifie pas simplement un retour à « la lampe à huile », mais linstauration collectivement partagée dun art de vivre permettant aux gens ordinaires de régler de façon autonome le sens de leur existence et lorganisation de leurs activités matérielles, en associant la norme du suffisant et un commerce avec la nature se tenant à égale distance de limpuissance technique et de la démesure technologique 7 .

Cette révolution dans le rapport aux éléments naturels nadviendra que par une révolution des rapports sociaux institués au sein des sociétés industrielles, vers un égalitarisme conséquent. On trouve, chez Rousseau, une telle ambition, quaccompagne la description, saisissante danticipation, de l’état dans lequel se trouve la société industrielle contemporaine :

Cest donc une des plus importantes affaires du gouvernement, de prévenir lextrême inégalité des fortunes, non en enlevant les trésors à leurs possesseurs, mais en ôtant à tous les moyens den accumuler, ni en bâtissant des hôpitaux pour les pauvres, mais en garantissant les citoyens de le devenir. Les hommes inégalement distribués sur le territoire, & entassés dans un lieu tandis que les autres se dépeuplent ; les arts dagrément & de pure industrie favorisés aux dépens des métiers utiles & pénibles ; lagriculture sacrifiée au commerce ; le publicain rendu nécessaire par la mauvaise administration des deniers de l’état ; enfin la vénalité poussée à tel excès, que la considération se compte avec les pistoles, & que les vertus mêmes se vendent à prix dargent : telles sont les causes les plus sensibles de lopulence & de la misère, de lintérêt particulier substitué à lintérêt public, de la haine mutuelle des citoyens, de leur indifférence pour la cause commune, de la corruption du peuple, & de laffaiblissement de tous les ressorts du gouvernement 8 .

Il est assez clair, pour ceux dont lentendement nest pas hypnotisé par les écrans et atrophié par la propagande technolâtre, que le déferlement technologique actuel ne fait quaggraver
tragiquement le constat déjà dressé par Rousseau. Il faut donc prendre notre Président aux mots, en les ramenant à leur sens véritable. Les Lumières ne sont pas linnovation systématique, au service de laccumulation aveugle des moyens, etc. Les Lumières sont lautonomie du peuple se rendant « majeur », dans la fraternité et l’égalité.

LUnivers ayant « hérité de tous les attributs ontologiques de la Divinité » (Alexandre Koyré), le pouvoir de la Technoscience sest substitué au pouvoir de l’Église et les technoprêtres (les « experts ») se sont instaurés comme les garants indispensables du salut de lhumanité. Ai-je besoin de rappeler ce truisme : « relever le défi de l’écologie contemporaine » est incompatible avec le renforcement de la domination de ceux qui lont provoqué ? Et ne pourra se fonder que sur les enquêtes critiques et lautoéducation des citoyens dont vous faites l’éloge dans votre texte, sans en masquer les difficultés. Il me semble que cest là, au quotidien, une pratique quauraient encouragée un Kant, un Diderot ou un Rousseau.

Avec toute mon « amishtié » 

Jacques Luzi, le 07.10.2020

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Notes

1 Voir J. Chapoutot, Libres dobéir. Le management, du nazisme à aujourdhui, Gallimard, Paris, 2020. 

2 J.Saul, Les bâtards de Voltaire, Payot, Paris, 2000.

3 I.Illich, Le Chômage créateur (« Suprématie mutilante du marché », « Services professionnels mutilants »), Œuvres complètes, Volume 2, Fayard, Paris, 2005.

4 Diderot, Réfutation suivie de louvrage dHelvétius intitulé LHomme, Œuvres, Robert Laffont, Paris, 1994, tome I. 

5 G.Rist, L’économie ordinaire entre songes et mensonges, Presses de Sciences Po, Paris, 2010.

6 Il est significatif quIllich exemplifie son propos par la bicyclette, et non par la voiture (type-idéal de la contre-productivité industrielle) ou lavion (type-idéal de la superfluité industrielle destructrice de la nature).  

7 Pris dans la logique industrielle, même lusage de la lampe à huile est destructeur. M. Auzaneau remarquait ainsi quau milieu du 19e siècle, « Lapparition de lindustrie du pétrole a sans doute sauvé les baleines, les cachalots, les phoques, les éléphants de mer et les autres mammifères marin pourchassés pour leur graisse », Or Noir. La grande histoire du pétrole, La Découverte, Paris, 2015. 

8 Rousseau, article « Économie ou Œconomie (Morale & Politique) », dans LEncyclopédie, 1751.


Source : http://www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/pdf/lettre_a_mes_amish.pdf