| Les salopes ! Les salopes, les salopes, les salopes !
Pourquoi m'ont-elles fait ça, à moi ? Qu'est-ce que je leur avais fait,
moi ? Et voilà : maintenant, je ne pourrai plus les voir autrement que
couchées sur le dos, cuisses en l'air, ouvertes béantes fracturées à la
pince-monseigneur, des caillots pleins les poils, dégoulinantes de sang
noir et de toutes ces saloperies gluantes dont elles ont le secret...
Qu'est-ce qu'elle devient, la poésie, là-dedans ? Au secours ! J'ai
besoin de poésie, moi ! La femme, son mystère, ses lys, ses roses, son
satin, sa fleur secrète, sa grotte miraculeuse... Mon Dieu, mon Dieu,
qu'est-ce que je vais devenir ? Je m'en doutais bien un peu
qu'elles faisaient des choses derrière notre dos. Des choses
malpropres, pipi, caca, bébé. Des choses malpropres et malhonnêtes :
avorter. On chassait bien vite la vilaine image. Tant que ça se passait
en dehors des heures de service — je veux dire en dehors des instants
ineffables — rien à dire. Mais voilà qu'elles nous fourrent le nez
dedans. Impossible de continuer à ignorer que le boudoir est contigu à
la salle de bains, que l'alcôve débouche sur la salle d'opérations. La
femme sans son piédestal, ce n'est plus qu'une fente. Même pas : une
blessure, et qui tient à nous faire savoir qu'elle peut n'être que
barbaque saignante et geignante. J'aurai du mal à m'en
remettre. Traumatisé profond. En tout cas, les 343 bonnes femmes de la
liste de l'« Observateur », qu'elles ne comptent plus sur moi pour
draguer dans leurs eaux. Tant pis pour elles, elles ne savent pas ce
qu'elles perdent. Le tirage de cet hebdomadaire va monter terrible.
Tout le monde voudra savoir si, par hasard, il n'y aurait pas sur la
liste le nom de la petite belle-soeur, ou celui de la prof d'anglais du
gosse, celle qui fait tant la fière. Dès la semaine prochaine, tous les
autres journaux vont en faire autant, concurrence oblige. Ce sera à qui
publiera la plus grosse liste, les plus beaux noms. Moi je vous le dis,
on n'a pas fini de souffrir dans notre psychologie, nous les mâles.
J'ai lu toute la liste. Je ne connais pas toutes ces nanas, mais j'ai
quand même vu qu'il y a là-dedans beaucoup d'actrices, de femmes de
lettres, de journalistes. Celles-là sont plus salopes que les autres, je
m'en étais toujours douté. Sauf les journalistes de la « Croix »,
peut-être. Je n'ai pas vu un seul nom de journaliste de la « Croix ». Je
sais ce qui me reste à faire. Je ne draguerai plus qu'à la « Croix ».
Oui, mais, à la « Croix », les bonnes femmes, c'est des curés.
Évidemment, ça donne à réfléchir. Avec un curé, on ne sait jamais où on
met les pieds, c'est toujours pour le bon motif. On commence par se
parler dans le cou, les doigts enlacés, on se retrouve avec une hostie
dans la bouche, si tu la mords tu vas en enfer. Oui. Je ricane bêtement.
Je devrais pas. À VOIR AUSSI : Rétrospective - Le manifeste des 343 salopes
Le professeur Paul Chauchard, directeur à l'École des Hautes Etudes, ne
rigole pas, lui. Pour le professeur Chauchard, l'avortement est un
assassinat, et pas seulement l'avortement mais toute manoeuvre
contraceptive, y compris la masturbation. Le professeur Chauchard,
cela va de soi, parle en scientifique strict, et c'est, bien sûr, pure
coïncidence si ses conclusions « objectives » sont exactement celles
que pourrait avoir le bigot enragé qu'il se glorifie d'être en dehors
des heures de bureau. Le professeur Chauchard est une espèce de dingue
mystique, anachronique et effrayant, pour qui le souci de sauver son âme
éternelle passe avant tout. Ses conclusions « objectives », le
professeur Chauchard va humblement les chercher au confessionnal.
L'Église catholique ayant récemment renforcé sa traditionnelle position
en faveur du lapinisme à outrance, on sait d'avance ce que vont être
les conclusions d'un Chauchard, et peu importent les chemins qu'il
empruntera pour y arriver, ce ne sont qu'arguments à-posteriori
auxquels, peut-être bien, il se laisse prendre lui-même. Nous
sommes en ce moment sur terre plus de trois milliards de bonshommes,
dont les deux tiers ne mangent pas à leur faim. Dans vingt-cinq ans,
nous serons six milliards. Tout le monde sait ça et le répète, tout le
monde sait aussi qu'on ne pourra, au mieux, nourrir en suffisance qu'un
cinquième à peine de ces six milliards. En même temps que le nombre des
bouches à nourrir croît en catastrophe, leur qualité génétique diminue,
parce que les tarés non stériles ne meurent plus avant d'avoir procréé,
parce que aussi les radiations dangereuses croissent en quantité, et
ça ne fait que commencer. Le niveau physiologique, intellectuel et
caractériel de l'ensemble humain ne peut que baisser. La courbe plonge
déjà. Et c'est dans ce moment que l'on se cramponne au tabou
du Plus Grand Nombre ! Que les gouvernants, bien soutenus par l'Église,
poussent aux familles nombreuses ! C'est pas un crime, ça ?
Alors que s'il faut restreindre la liberté de procréer, c'est dans
l'autre sens ! Et impérieusement ! Et vite ! Foutre en taule les pères
de plus de deux enfants. Stériliser les pères de plus de trois. (Ça
n'empêche pas de bander, ni d'éjaculer, ni, donc, de faire plaisir aux
dames. Alors...) Oui, j'en vois qui ouvrent la bouche pour gueuler au
malthusianisme et au nazisme. C'est des vilains mots, ça. Tournez sept
fois votre langue. Pour l'Église, pour les croyants, tous les
humains se valent, tous sont également sacrés, puisque tous ont une âme,
peu importe sa qualité, c'est Dieu qui l'a mise là-dedans. Les âmes «
mauvaises », Dieu se les fera souffrir éternellement, bien à son aise,
c'est ses oignons, on n'a pas à s'en mêler. Mais l'explosion démo ? Mais
la famine, la misère, la catastrophe ? Pas nos oignons. Dieu y
pourvoira. Baise, ponds, bosse, sois bien poli, dis tes prières, on t'en
demande pas plus, le paradis est au bout. Le niveau mental baisse ?
Excellent, ça. L'intelligence est la mère de tous les vices.
Bizarrement, le sacro-saint tabou du respect de la vie, si strict quand
il s'agit d'un embryon, voire d'un spermatozoïde, s'assouplit beaucoup
en ce qui concerne les individus mâles de 18 à 45 ans aptes à porter les
armes. Oh, l'Église condamne la guerre de façon générale, la guerre
quel dommage, mon Dieu, mon Dieu, mais elle ne s'est jamais opposée à
UNE guerre. Elle n'a jamais excommunié un chef d'armées. Elle bénit les
drapeaux et les vaisseaux de guerre. Et puis, tiens, j'en ai marre. J'avais pris le coup de sang devant la flaque de diarrhée du père Chauchard. Ça va déjà mieux.
Les femmes ne veulent plus être des pondeuses à tout va. Elles veulent
pondre si elles en ont envie, quand elles en ont envie. Au nom de la
liberté, au nom du droit à organiser sa vie comme on l'entend du moment
que ça n'emmerde personne. Il se trouve que cette recherche du bonheur
individuel converge avec la nécessité de stopper la machine
démographique emballée. Alors, vive les bonnes femmes ! Et il ne faut
pas s'en tenir là. Pourquoi ne pas lancer une formidable campagne à
l'échelle mondiale : « Non aux six milliards ? » Au lieu de rester là,
comme des cons, résignés, à regarder le tas monter. Les chrétiens et les
autres barbouillés - de transcendance n'auront qu'à ajuster leurs
dogmes. Ils le peuvent parfaitement. La preuve : les protestants, qui
admettent très bien divorce, pilule et avortement. Si l'Église ne le
fait pas, c'est parce qu'elle obéit, à son tour, à des intérêts
supérieurs. Supérieurs à Dieu : les intérêts des exploiteurs de pauvre
monde. Alors, qu'elle crève. Et nous avec, hélas. |
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