Tracts nazis :
poussée de fièvre brune
dans l’Hexagone
Par MAXIME MACÉ et PIERRE PLOTTU
Publié le 7 août 2023
Des centaines d’élus, des dizaines de mairies et plusieurs centaines de citoyens ont reçu des tracts nazis depuis la fin du mois de mai. Une initiative nauséabonde orchestrée par le site d’extrême droite ordurier Démocratie participative.
Selon nos informations, la plateforme d'extrême droite est consultée chaque mois par plusieurs milliers de personnes. (BenjaminAdam/Libération) |
Depuis le mois de mai, les habitants de dizaines de communes éparpillées aux quatre coins de la France ont eu la désagréable surprise de découvrir dans leurs boîtes aux lettres un tract nazi transpirant la haine raciale. « Plus de 160 élus nationaux », notamment des députés, « et une centaine de maires » ont également été « visés par l'envoi électronique des tracts de Démocratie participative » sur leurs boîtes mail, précise pour Libé le général Jean- Philippe Reiland qui dirige l'Office central de lutte contre les crimes contre l'humanité et les crimes de haine dont une branche, la Division de lutte contre les crimes de haine (DLCCH), dirige les investigations concernant ces e-mails. L'officier nous a également confié que ses services gardent « un œil attentif sur les enquêtes ouvertes suite aux tractages et dirigées par les parquets locaux ayant compétence » et que l'avancée des investigations leur est remontée.
Changements d’URL
Dans le viseur des enquêteurs : un néonazi recherché par la justice et qui se cache au Japon, Boris Le Lay (lire ci-contre). Multirécidiviste de la haine, sur la liste de chasse d'Interpol, l'homme est planqué au Japon (qui n'a pas signé de convention d'extradition avec la France) d'où il reste à la tête du site Démocratie participative qui diffuse quotidiennement des articles au contenu violemment raciste, même par rapport à l'ordinaire de la fachosphère. « Guerre raciale totale ! » clame en ce moment le bandeau d'accueil de ce site interdit suite à une décision rarissime de la justice remontant à 2018.
Mais son fondateur Boris Le Lay et ses acolytes s'en jouent en changeant l'URL de la page à chaque fois qu'ils sont rattrapés par la patrouille. Ils font ensuite circuler la nouvelle adresse via des réseaux sociaux peu scrupuleux.
La plateforme reste ainsi, selon nos informations, consultée chaque mois par plusieurs milliers de personnes, tandis que le forum qui lui était adossé comptait environ 4 000 inscrits. Ces derniers, comme le révélait Libé en février, y ont posté près d'un demi-million de messages avant une récente fermeture « temporaire ».
METTRE DES GANTS
Sur le site, une page entière est dédiée à la diffusion des tracts. Y sont mis à disposition deux modèles différents (mais similaires) ainsi que des consignes pour « évangéliser » le plus largement possible et surtout sans prendre de risques.
Mettre des gants, se déplacer de nuit, laisser son téléphone à la maison avant de partir, ne pas payer en carte bleue un véritable petit précis destiné à échapper aux enquêteurs. Avec succès puisque aucun suspect n'a pu être interpellé jusqu'ici. La première distribution de ces tracts a eu lieu à la fin du mois de mai dans la petite commune de La Neuville-Chant-d'Oisel, près de Rouen, en Seine-Maritime. Son maire, Julien Demazure, avait immédiatement porté plainte pour « incitation à la haine raciale et à la violence ». Selon France 3 Normandie, « une image de la personne qui distribue » avait pu être captée par les caméras de vidéosurveillance de la ville. Les administrateurs de DemPart s'étaient immédiatement félicités de cette première opération sur leur podcast quotidien.
Quelques jours après ce premier tractage, ce sont pas moins de 17 communes du Finistère qui ont reçu, début juin, le même courrier odieux sur la boîte mail de la mairie. Indignée, la préfecture du département breton, d'où est originaire Boris Le Lay, avait annoncé l'ouverture d'une enquête judiciaire. Le 5 et le 6 juin, 160 députés ont reçu par mail les tracts de Démocratie participative, dont la présidente de la chambre, Yaël Braun-Pivet. Plus de 80 d'entre eux ont déposé plainte auprès du Pôle national de lute contre la haine en ligne du tribunal judiciaire de Paris qui a confié l'enquête à la DLCCH.
En Normandie, en Bourgogne et dans l'Est, la série noire s'est poursuivie. Dès le lendemain, c'était au tour d'élus de la ville de Rouen, dont le maire socialiste, Nicolas Mayer-Rossignol, de découvrir sur leur boîte mail le message adressé par DemPart. Nouveau tractage dans la nuit du 11 au 12 juin sur la commune d'Hébécourt, dans la Somme. La veille, les habitants de Clairvaux-les-Lacs dans le Jura constataient la présence du tract nazi dans leurs boîtes aux lettres, provoquant la stupeur et la colère.
Même chose dans la nuit du 6 au 7 juillet à Genlis (Côte-d'Or) et Mulhouse (Haut-Rhin) ainsi que le 12 juillet à Candeleu (Seine-Maritime).
Dans les Côtes-d'Armor, ce sont plusieurs petites communes près de Guingamp comme Plésidy et Senven-Lehart qui ont été touchées par ces tractages haineux à la mi-juin alors que des inscriptions antisémites et néonazies ont dégradé le monument commémoratif de la Butte rouge, haut lieu de la Résistance, à Ploeuc-L'Hermitage dans la nuit du 14 au 15 juillet. Pour l'instant, aucun lien n'a été fait entre les deux affaires même si le timing interroge.
HARCÈLEMENT NUMÉRIQUE
« J'ai évoqué le sujet lors d'une réunion du conseil municipal, et tout le monde condamne, a confié le maire du Plésidy au Télégramme. Même si ce n'est pas non plus justifiable ailleurs, dans les petites communes, c'est généralement plus calme. On s'interroge beaucoup, ça fait un peu peur. » Les autorités prennent ainsi l'affaire très au sérieux d'autant que, pour la première fois, la nébuleuse de Démocratie participative agit « dans la vraie vie ». Jusqu'ici, cette frange de l'extrême droite la plus radicale se contentait de déverser son racisme dans les tréfonds du Web. Puis la communauté a organisé des vagues de harcèlement numérique particulièrement violentes, notamment contre la journaliste Julie Hainaut, l'ex-députée LREM Laetitia Avia, l'avocat Denis Dreyfus ou encore la chanteuse Héro Echo.
Avec ces distributions de tracts, une étape a été franchie. ?
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