Répression au Tibet :
« En matière d’information,
ce territoire
est un véritable trou noir »
Dans un rapport publié le 27 juillet, le think tank RAND Europe documente une augmentation de l’activité des prisons à haute sécurité de la région autonome chinoise à l’aide notamment d’images satellites. Explications de l’une de ses responsables, Ruth Harris.
La prison chinoise de Drapchi, à Lhassa, au Tibet. (Robert van den Berge/Getty Images)
publié le 29 juillet 2023
Envahie par l’armée chinoise dans les années 1950, la région autonome du Tibet est, depuis, le théâtre d’une répression brutale, notamment à l’encontre des tenants de croyances et traditions bouddhistes et de tous ceux qui contestent sa domination. Mais les informations en provenance de ce territoire montagneux et militarisé sont très rares. Dans un rapport publié ce jeudi 27 juillet, le think tank RAND Europe propose une manière de contourner le déficit d’accès au terrain : l’utilisation d’images satellites aériennes et de données sur l’éclairage nocturne pour étudier l’activité des centres de détention et des prisons du Tibet. Explications avec Ruth Harris, directrice défense et sécurité de l’organisation, qui souhaite que le rapport pousse d’autres acteurs à «investir le terrain de l’enquête numérique pour documenter les violations des droits humains» dans la région autonome.
Pourquoi avoir opté pour une telle méthode ?
C’est une manière de surmonter les difficultés d’accès à l’information. En matière d’information, la région autonome du Tibet est un véritable trou noir, beaucoup plus que le Xinjiang, par exemple, où la répression contre les Ouïghours est assez fortement documentée. Cela est dû à une forme de désensibilisation à la cause tibétaine, mais aussi au fait que l’accès au territoire est extrêmement limité par les autorités chinoises. C’est particulièrement le cas depuis 2019. Auparavant, l’accès était plus facile et notre rapport repose aussi sur l’analyse d’ONG qui ont pu travailler sur le sujet quand c’était encore possible. Mais pour obtenir des informations nouvelles et fiables, nous avons utilisé cette méthode de mesure de l’éclairage nocturne, déjà testée dans d’autres régions inaccessibles comme le Xinjiang ou la Syrie. C’est une méthode qui existe depuis une dizaine d’années. Bien sûr, elle présente des limites : elle ne permet pas de savoir pourquoi les gens sont détenus, ni dans quelles conditions ils sont incarcérés. Elle donne des indications sur l’intensité de l’éclairage nocturne dans les prisons tibétaines, et par voie de conséquence sur le niveau d’activité de ces sites.
Quels résultats avez-vous obtenus ?
Le rapport porte sur l’observation de 79 prisons et centres de détention, soit tous les sites dont nous avions connaissance quand l’accès à l’information était encore possible. Presque tous ont été construits avant 2011 et la plupart sont des centres de détention de faible sécurité. Au niveau global, il semble que la taille et le niveau d’activité des prisons tibétaines sont relativement constants au cours de la dernière décennie. Cependant, si l’on opère une sorte de zoom, on découvre que depuis 2019 l’éclairage nocturne augmente dans ce que nous savons être des établissements de haute sécurité, là où les détenus restent le plus longtemps et où sont incarcérés ceux dont Pékin juge qu’ils sont les plus à même de nuire au régime. Cela révèle une possible évolution vers des incarcérations plus longues des opposants tibétains. Ces conclusions renvoient à celles que nous avions publiées en 2021 concernant la région du Xinjiang, où l’activité des prisons de haute sécurité a également augmenté ces dernières années.
Que savons-nous de l’utilisation par le régime de ces prisons de haute sécurité au Tibet ? Qui y est incarcéré et pourquoi ?
Jusqu’au début des années 2000, les personnes poursuivies par les autorités étaient surtout celles qui suivaient les enseignements du dalaï-lama. Dans les années 2000 et notamment après le soulèvement de 2008, le régime chinois a mis en place une politique sécuritaire de prévention dont le but est de contrôler l’ensemble de la population, au-delà des seuls opposants politiques. Il utilise pour ce faire des méthodes de contrôle social telles que la censure ou le placement forcé d’enfants dans des internats pour les éloigner de leurs parents. Notre travail montre que dans le même temps, les formes de répression draconiennes contre les opposants politiques persistent dans les établissements de haute sécurité, dont l’activité augmente. Mais nous savons toujours très peu de choses sur ce qui se passe au Tibet. Notre étude peut apporter une pierre à l’édifice, mais nous espérons que d’autres acteurs, qu’il s’agisse d’Etats ou d’organisations de la société civile, investissent le terrain de l’enquête numérique pour documenter les violations des droits humains dans ce territoire.
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