Lettre des animaux
aux humains reconfinés :
le lombric
Discret mais indispensable à la bonne santé des sols, le ver de terre est en grand danger de disparition, victime de la chimie déversée en masse dans les champs. On s'en fout ou on fait en sorte de sauver ce petit jardinier qui aère la terre sans relâche et permet à nos légumes de supporter les étés de plus en plus chauds ?
Le ver de terre ? Il sait tout faire ! |
Si vous ne m’apercevez qu’en éventrant la terre, c’est que je suis un nocturne. Chaque nuit, je remonte de mon terrier vertical pour chercher de la litière. C’est lors du demi-tour que je vide mon intestin et que vous retrouvez le lendemain des « turricules » à la surface du sol. S’ils vous incommodent, sachez que ce sont des engrais admirables… Ainsi j’arrive à transformer 20 à 30 fois mon volume de terre chaque jour. Vos scientifiques ont indiqué que nous parvenions à ingérer entre 100 et 400 tonnes de terre par hectare et par an, certains évoquent même le poids considérable de 1 000 tonnes par an.
Du reste, le philosophe Aristote n’avait pas hésité à nous qualifier « d’intestins de la terre ». Et à propos d’intestin, j’avoue que nous sommes drôlement fagotés. Nous ne possédons ni yeux, ni dents mais nous pouvons nous flatter d’avoir quatre cœurs et trois paires de reins. Quant à notre respiration, elle se fait par la peau. J’ajoute que nous sommes hermaphrodites, c’est à dire à la fois mâles et femelles mais que, par bonheur, il nous faut être deux pour nous accoupler afin d’en venir à pondre plusieurs centaines d’œufs par an. Barnum aurait pu nous exhiber sans rougir sous son chapiteau. Il aurait clamé, à raison qu’en brassant le sol de profondeur, riche en argile et la surface chargée d’humus, nous fabriquons constamment la terre que vous utilisez pour vos cultures. Notre quotidien n’est pourtant pas aussi réjouissant.
Alors que nous étions près de 100 à 200 lombrics au m2, nous voilà esseulés. En certains endroits, j’ai même le sentiment que les lieux ont été abandonnés. Plus un ver de terre pour faire le travail de jardinage. Récemment, vos scientifiques du CNRS ont rendu un rapport accablant. Du côté de Chizé, dans les Deux-Sèvres, le bon professeur Bretagnolle a révélé avec ses collègues, que sur 450 km2 de prélèvements, nous avions disparu dans 25 % des cas. Quant aux survivants, ils apparaissent gavés de produits chimiques en tout genre.
Les chercheurs ont, en effet, voulu voir quel était l’impact des pesticides, comprenez les insecticides, fongicides et autres herbicides sur notre quotidien. Résultat, 90 % des échantillonnages contenaient au moins l’un de ces odieux poisons. Ils ont même retrouvé sur près de 80 % d’entre nous des néonicotinoïdes avec parfois une concentration 400 fois supérieure à ce qui est mesuré dans le colza lorsqu’il est traité par l’imidaclopride, le fameux produit.
Nous, les travailleurs de l’ombre, nous voilà officiellement empoisonnés, victimes de la chimie. Ne vous étonnez pas, en conséquence, que votre terre ne soit plus généreuse, drainante même après des pluies battantes. Sa belle couleur foncée s’estompera faute d’humus. Elle perdra sa délicieuse consistance meuble et grumeleuse. Attendez-vous à constater que les racines de vos légumes peineront à atteindre les profondeurs. Ils deviendront du coup, sensibles au moindre manque d’eau durant l’été, après avoir subi une terre collante et difficile à travailler au printemps.
Beaucoup d’oiseaux aussi paieront le tribu de votre empoisonnement. Le vanneau huppé se régale de notre petit peuple. De même que l’étourneau sansonnet, le merle noir et tant d’autres. Eux aussi finiront par s’empoisonner au rythme de la chaine alimentaire. Nous ne sommes pas éternels. Même la légende qui voudrait que, coupés en deux nous reformions deux vers n’est pas fondée. Ne pas s’en tenir aux apparences, je vous avoue humblement notre extrême fragilité en formant le vœu que notre petit peuple pourra vous servir encore le plus longtemps possible.
Le 5 décembre prochain, ce sera la Journée mondiale de sols.. Pensez-y…
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