La sinisation du Tibet
continue de plus belle
11 décembre 2020
Depuis fin 2019, de nouvelles restrictions ont été apportées à la liberté du culte au Tibet. Le gouvernement chinois a interdit aux anciens employés du gouvernement tibétain d'exercer toute forme de culte tibétain traditionnel. (Source : Euractiv) |
Le monde a pris conscience de la tragédie qui se noue au Xinjiang avec
la politique répressive de la Chine contre la minorité ethnique
turcophone des Ouïghours : plus d’un million d’entre eux seraient
détenus dans des camps de travail. Dans le même temps, la sinisation de
la région voisine du Tibet se poursuit à marche forcée, que ce soit dans
les domaines culturel, linguistique, architectural ou économique,
souligne Pierre-Antoine Donnet dans cette tribune.
Un pas supplémentaire a été franchi en 2020 avec la mise en œuvre
depuis le début de l’année d’un nouveau programme de travail forcé,
imposé en particulier aux populations tibétaines nomades que le régime
chinois entend sédentariser de gré ou de force, une atteinte de taille
aux traditions séculaires des hauts plateaux tibétains.
La Jamestown Foundation, basée à Washington, a ainsi identifié cette politique centralisée calquée sur un modèle militaire (junlüshi, 军旅式). Elle vise à réformer les « modes de pensées arriérées » et imposent un mode de travail basé sur la « discipline », la
loi et l’emploi de la langue chinoise. Celle-ci est tout
particulièrement appliquée dans le Chamdo, dans la « Région autonome du
Tibet ». Cette politique est placée sous la supervision de
fonctionnaires comme de cadres de l’Armée populaire de libération (APL).
Des photos, publiées par les médias officiels chinois, montrent des
Tibétains vêtus d’uniformes militaires astreints au travail forcé.
Les cadres de l’APL participant à ce programme sont soumis à des
quotas de recrues qui, s’ils ne sont pas respectés, prévoient des
punitions (yange jiangcheng cuoshi, 严格奖惩措施). L’objectif de ce
programme est l’élimination totale de l’extrême pauvreté dans les zones
rurales mais elle s’applique aussi aux nomades qui doivent changer leur
mode de vie, explique la Jamestown Foundation. Le nomadisme est une
tradition séculaire au Tibet. Des centaines de milliers de nomades sont
menacés par cette nouvelle politique chinoise.
Liberté de culte encore restreinte
« Il s’agit de l’attaque la plus violente ciblée contre le mode de
vie des Tibétains depuis la Révolution culturelle dans les années
1970 », souligne Adrian Zenz, le célèbre chercheur allemand
spécialiste du Xinjiang et du Tibet, auteur de cette étude publiée fin
septembre par la même Jamestown Foundation et citée par le journal La Croix.
Selon un site officiel du gouvernement chinois, cité par Adrian Zenz, « un
demi-million de personnes ont été formées durant les sept premiers mois
de l’année 2020. Près de 50 000 personnes ont été envoyées dans des
usines au Tibet et plus de 3 000 transférées dans des zones
industrielles d’autres provinces. »
Autre tour de vis : depuis fin 2019, des restrictions ont été
apportées à la liberté du culte. Le gouvernement chinois a interdit aux
anciens employés du gouvernement tibétain d’exercer toute forme de culte
tibétain traditionnel, tandis que les moins de 18 ans et les membres du
Parti communiste chinois ne sont plus autorisés à entrer dans les
monastères les jours de fête.
Identité menacée
Tandis que la sinisation continue, la Communauté tibétaine en France a
fêté ce jeudi 10 décembre le 31ème anniversaire de la remise du prix
Nobel de la paix à leur chef spirituel le Dalaï-lama. Elle a organisé
une visioconférence avec l’association Lhakar France à laquelle ont
notamment participé Lobsang Sangay, président du « gouvernement tibétain
en exil », le Kashag, à Dharamsala dans le nord de l’Inde, de même que
le moine bouddhiste Matthieu Ricard, le vénérable Dagpo Rimpoché et
Céline Menguy, présidente de Lhakar France.
Lobsang Sangay a rappelé que l’armée chinoise avait tué 87 000
Tibétains le 10 mars 1959, lors d’un soulèvement tibétain réprimé dans
le sang à Lhassa. La fuite en exil en Inde du Dalaï-lama à la même date
résultait d’un « profond désespoir » du peuple tibétain devant l’occupation chinoise du Tibet, a-t-il expliqué. « Le Tibet est sinisé, la menace étant celle de la disparition de son identité », a-t-il souligné.
« Le pouvoir de la compassion est immense et ce message du Dalaï-lama si puissant, a de son côté déclaré Matthieu Ricard. L’altruisme n’est pas un luxe, mais une nécessité pour le XXIe siècle », a-t-il insisté, soulignant « les souffrances que ce pays, le Tibet, a subies ». Le Dalaï-lama « cette grande figure morale, est dans le cœur de tous les Tibétains », a ajouté le moine français.
Rappelons que les photos du Dalaï-lama sont strictement interdites au
Tibet. Le dirigeant spirituel tibétain est devenu la bête noire de Pékin
qui voit en lui un « dangereux séparatiste ».
Interprète officiel du Dalaï-lama, Matthieu Ricard a rappelé le
souvenir de la rencontre du dirigeant tibétain en septembre 2016 avec
Emmanuel Macron avant son élection à l’Élysée. Au sortir de cette
rencontre, le futur président français s’était exclamé : « J’ai vu le visage de la bienveillance. »
Par Pierre-Antoine Donnet
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire