Publié le 15/09/22
Guillaume Meurice, en mai 2021 à la Maison de la Radio Photo Audoin DESFORGES pour Télérama |
Fini de rire : Editis, propriété de Vivendi, a décidé de bloquer la parution prévue fin septembre du dictionnaire historique et humoristique coécrit par le chroniqueur. Motif : certains passages pourraient relever de la diffamation. Récit des faits et réaction de l’intéressé.
Guillaume Meurice dit ce qu’il pense et ne s’en est jamais caché. « Comme quand j’étais gamin », nous a-t-il un jour confié. Les éditions Le Robert, propriété du groupe Editis, savaient donc le risque qu’elles prenaient en demandant il y a un an à ce sale gosse, chroniqueur réputé de France Inter, la coécriture d’un dictionnaire historique et humoristique avec l’autrice et metteuse en scène Nathalie Gendrot. Le Fin Mot de l’histoire en 200 expressions, c’est son titre, devait paraître le 29 septembre. Raté. Michèle Benbunan, la directrice générale d’Editis, a décidé d’en suspendre la parution. Motif invoqué : sept passages du livre « sont susceptibles d’un risque de contentieux au civil et au pénal pour injure et/ou diffamation », explique la direction de la communication du groupe. Ils visent des marques comme Louboutin, Dassault, Monsanto ou Deliveroo et, comme le raconte Le Monde, qui révèle l’histoire, des personnes comme Carlos Ghosn ou Vincent Bolloré. Ce dernier est ainsi cité dans la définition suivante : « Faire long feu : Expression remplacée aujourd’hui par : révéler sur Canal+ les malversations de Vincent Bolloré ».
Le principal actionnaire de Vivendi, propriétaire d’Editis, aurait-il peu goûté l’humour de Guillaume Meurice et serait-il intervenu pour en bloquer la publication ? Vincent Bolloré s’attachant régulièrement à entretenir sa réputation d’interventionniste, comme il l’a encore fait récemment à Paris Match ou au JDD, la question se pose. Elle est balayée d’un revers de parole par Pascale Launay. « Il n’est pas du tout intervenu, il n’était même pas au courant de la sortie de ce livre. » La réalité, explique la directrice de la communication d’Editis, « c’est qu’au départ un tiers des blagues posaient problème en raison de leur véhémence, puis le service juridique a ramené ce nombre à quinze pour finir par sept clairement identifiées comme pouvant entraîner des poursuites judiciaires potentiellement lourdes à l’encontre d’Editis ou du Robert. Depuis juin, nous demandons à Guillaume Meurice de les modifier. Son refus nous a finalement conduit à suspendre la parution du livre ».
La version de l’humoriste, à lire dans l’interview ci-dessous, diffère sur la chronologie des événements et le nombre des modifications qui lui ont été demandées. Surtout, Guillaume Meurice revendique son droit à l’humour, ce qui est bien le moins. Sans la notoriété qu’il s’est construite à force de chroniques drôles et impertinentes, jamais Le Robert ne lui aurait proposé d’écrire ce dictionnaire. Difficile aussi, à la lecture des phrases incriminées, de ne pas trouver qu’Editis surjoue la crainte du procès. Cet ouvrage n’est ni un essai, ni une enquête, mais un livre humoristique, et la jurisprudence fait heureusement la distinction entre les deux. Sans compter que pour le coup il y aurait quelque chose d’assez comique à voir Vincent Bolloré poursuivre en diffamation une filiale de son groupe. En attendant, Guillaume Meurice, lui, étudie de son côté d’éventuelles poursuites judiciaires à cette suspension de parution et, au-delà de son cas, trouve « grave » le message envoyé par cette décision. Explications.
Quand avez-vous été contacté pour l’écriture de ce dictionnaire ?
En octobre 2021, et l’éditeur ne m’a posé aucune condition, sinon j’aurais refusé de participer à ce projet.
En quoi consistait-il ?
Il
s’agissait d’écrire un dictionnaire sur les expressions qui viennent de
l’histoire de France. Nathalie Gendrot a fait l’essentiel du travail en
menant la recherche sur l’origine des expressions. Moi j’étais censé
apporter une touche d’humour à chacune des entrées.
Quand la direction d’Editis a-t-elle commencé à tiquer ?
Au
printemps dernier, après relecture d’une version des blagues que
j’avais écrites, mon éditeur m’a fait savoir qu’une quinzaine de
formulations posaient problème. Tout ce que j’écris n’est pas parole
révélée et je n’ai jamais été contre la discussion éditoriale. Quand on
me dit qu’un passage est moins drôle, je suis prêt à le modifier, ce que
j’ai d’ailleurs fait. Là où j’ai refusé de toucher à mon texte, c’est
quand les changements demandés portaient sur des pseudo-menaces de
procès ou qu’il était question de ne pas froisser untel ou untel. On m’a
engagé pour faire un livre avec des blagues, je fais des blagues.
Depuis dix ans je fais des chroniques à la radio avec le même genre de
blagues et je n’ai jamais eu aucun procès en diffamation. Leur peur
panique me paraissait stupide et non fondée.
Prenez ma blague sur Louboutin. « Être talon rouge : Aujourd’hui les Louboutin jouent le même rôle : bien montrer aux autres qu’on est capable de porter un smic à chaque pied. » Elle revient juste à dire que leurs chaussures sont chères. Louboutin ne va pas porter plainte pour ça… Ça n’a aucun sens.
Comment les événements se sont-ils ensuite enchaînés ?
Début
août, le directeur du Robert m’a appelé pour m’informer que le livre
avait été relu par un avocat qui avait finalement pointé deux
expressions pouvant potentiellement poser problème. Celle sur Bolloré et
celle sur Louboutin. Il m’a demandé si j’accepterais de les modifier,
je lui ai répondu : « Non, toujours pas. » Il m’a alors dit : « OK, je comprends, pas de problème, ça sortira en l’état. » J’en
étais resté là jusqu’à ce mardi 13 septembre, où il m’a rappelé très
emmerdé pour me dire que le livre ne sortirait pas. En tout cas, pas en
l’état. Il m’a expliqué que ce n’était plus deux expressions qui
posaient problème mais sept, et m’a annoncé que le livre n’avait pas été
imprimé alors que nous devions l’envoyer aux journalistes le 15
septembre.
La direction d’Editis soutient qu’elle vous a demandé la modification des sept passages depuis longtemps ?
C’est
faux. Il ne s’agissait au final que de Louboutin et de Bolloré. De
toutes les façons, ça n’aurait rien changé, j’aurais refusé toute
modification.
Avez-vous espoir que le livre soit finalement publié une fois Editis vendu comme il en est question ?
Je
ne me suis pas posé la question. Pour l’instant, j’envisage des suites
juridiques pour rupture de contrat. Mais, au-delà de notre dictionnaire,
le signal envoyé par cette histoire est grave. Ça veut dire que d’un
trait de plume un type peut décider de ne pas publier un livre qui lui a
déplu. Le message envoyé aux auteurs et autrices est assez terrible :
tenez-vous à carreau sinon votre livre ne sortira pas.
Deux phrases litigieuses, comme l’affirme Guillaume Meurice, ou sept, comme le prétend Editis ? À chacun de se faire une idée sur leur côté sulfureux ou leur portée comique.
Faire long feu : « Expression remplacée aujourd’hui par : révéler sur Canal+ les malversations de Vincent Bolloré. »
Être talon rouge : « Aujourd’hui les Louboutin jouent le même rôle : bien montrer aux autres qu’on est capable de porter un smic à chaque pied. »
De la chair à canon : « Exemple : un livreur Deliveroo dans l’actuelle guerre économique. »
Mourir pour Dantzig : « Les pacifistes sont des cons » (source : les actionnaires de Dassault Aviation). »
Faire l’école buissonnière : « À ne pas confondre avec faire le ministère buissonnier, qui est le fait de laisser l’école se dégrader et les profs devenir “influenceurs Lexomil”. »
Un coup de Jarnac : « Contrairement à ce que l’on pourrait penser, “le baron de Jarnac” n’est pas le surnom de Carlos Ghosn. »
Redorer son blason : « En se mariant avec l’entreprise Bayer, la firme Monsanto a redoré son blason ainsi que celui de l’industrie du cancer. »
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