OGM en Asie :
Situation et luttes actuelles
GRAIN | 29 Juillet 2022
Le monde assiste à un nouvel élan en faveur des semences et cultures
génétiquement modifiées. Comme à l’accoutumée, les entreprises de
biotechnologie et l’industrie agroalimentaire présentent les nouvelles
plantes biotechnologiques comme un remède miracle aux malheurs de
l’humanité, de l’insécurité alimentaire et nutritionnelle au changement
climatique et à la perte de biodiversité. Alors que le monde est en
quête désespérée de solutions, le secteur privé nourrit l’espoir que ses
nouveaux OGM (organismes génétiquement modifiés) obtiennent le soutien
de l’opinion publique et échappent aux réglementations en matière de
biosécurité. Il en résulte une modification constante des lois, des
règlements et des normes régissant les OGM dans les pays asiatiques.
Cela concerne en premier lieu les produits issus de l’édition génomique,
ou réécriture génomique, une nouvelle génération de technologie OGM qui
a le vent en poupe et se voit octroyer des licences commerciales. Cette
situation suscite une grande inquiétude chez les consommateurs et
consommatrices, les communautés agricoles et les activistes.
En 2019, les cultures génétiquement modifiées occupaient environ
190 millions d’hectares à travers le monde, avec principalement quatre
cultures : le soja (50 %), le maïs (30 %), le coton (13 %) et le colza
(5 %). La plupart de ces plantes ne sont pas destinées à la consommation
humaine mais au fourrage et, depuis vingt ans, le maïs est lui de plus
en plus utilisé pour la production d’éthanol.
[1]
Malgré la réduction du nombre d’approbations d’OGM, la
commercialisation des plantes génétiquement modifiées s’est poursuivie
de manière constante et, dans certains pays, le processus de
commercialisation s’est même accéléré.
[2]
Ces
dernières années, les entreprises ont également travaillé à la mise au
point d’OGM dotés de nouveaux caractères, également appelés
transgéniques, visant principalement à lutter contre les nuisibles, les
herbicides et le gel. D’autres espèces transgéniques sont encore en
cours de développement, notamment des variétés résistantes aux
meurtrissures avec de faibles taux d’acrylamide (présent dans les
féculents).
[3]
Parallèlement,
les entreprises de biotechnologie sont parvenues à accélérer la
commercialisation de leurs nouveaux OGM, présentés comme de nouvelles
techniques de sélection végétale. Étant donné que certaines de ces
nouvelles techniques, telles que la réécriture génomique, ne nécessitent
pas l’insertion d’un gène externe, le secteur de la biotechnologie et
certaines agences gouvernementales affirment que ces produits issus de
l’édition génomique ne devraient pas être traités ni réglementés comme
des OGM. En conséquence, dans plusieurs pays asiatiques, ces produits
sont approuvés et commercialisés pour la consommation publique et de
nouvelles politiques sont en cours d’élaboration afin de les rendre
disponibles.
Comme cela fut le cas dans l’Union
européenne, les pays d’Asie-Pacifique ont cherché ensemble à déterminer
s’il fallait considérer les organismes issus de l’édition génomique
comme des OGM ou non. La Nouvelle-Zélande a par exemple déclaré
explicitement que les plantes issues de l’édition génomique devaient
être soumises aux mêmes restrictions que les OGM.
[4]
Néanmoins, en mars 2022, l’Inde a introduit une nouvelle réglementation
excluant la réécriture génomique de la réglementation sur les OGM.
[5]
Dans
ce rapport, nous dressons un panorama de la situation actuelle en
matière d’OGM et de la résistance des populations à leur égard dans sept
pays d’Asie-Pacifique : le Japon, les Philippines, la Chine, l’Inde, le
Bangladesh, le Vietnam et l’Australie.
Qu’est-ce que la réécriture génomique ?
La
réécriture génomique ou édition génomique couvre un large éventail de
techniques de génie génétique utilisées pour réécrire des parties du
génome de presque tout organisme vivant. Cette nouvelle biotechnologie
gagne en popularité et parvient à fédérer car elle est considérée comme
étant une technique d’altération génétique plus rapide, moins onéreuse
et relativement simple.
La plupart des techniques de réécriture génomique consistent à créer un
nouveau produit en coupant ou supprimant de très petits segments d’ADN,
et n’impliquent pas nécessairement de transgénèse, c’est-à-dire
l’introduction de gènes « étrangers » provenant d’une autre espèce. Ainsi,
sous prétexte que la réécriture génomique ne serait pas transgénique,
elle n’aurait nul besoin d’être soumise aux réglementations en matière
de biosécurité. Pourtant,
de nombreuses recherches prouvent que les technologies et les
applications de réécriture génomique répondent clairement à la
définition d’un organisme modifié, qu’il s’agisse d’insertion, de
suppression ou de réécriture de séquences du génome.
Parmi
les différentes techniques utilisées pour la réécriture génomique, la
plus populaire est connue sous le nom de CRISPR. CRISPR nécessite
généralement l’utilisation de ciseaux ADN appelés « Cas9 », ce qui explique que cette technique soit communément nommée « système de génie génétique CRISPR-Cas9 ».
Japon
Le Japon est le
plus gros importateur d’aliments et de fourrage génétiquement modifiés
par habitant au monde. Le pays a approuvé plus de 322 produits
alimentaires génétiquement modifiés, dont 141 plantes génétiquement
modifiées destinées à l’agriculture commerciale. Le maïs, le soja et le
colza importés par le Japon (16 millions de tonnes, 3,2 millions de
tonnes et 2,4 millions de tonnes respectivement) sont pour la plupart
génétiquement modifiés. Le Japon importe également une grande quantité
d’aliments transformés contenant des huiles, des sucres, des levures,
des enzymes et d’autres ingrédients dérivés d’OGM.
[6]
Les États-Unis sont le principal exportateur de produits génétiquement
modifiés vers le Japon, mais il existe d’autres importants fournisseurs,
tels que le Canada, le Brésil et l’Argentine.
Ces
dernières années, le Japon s’est démené pour permettre l’approbation de
produits issus de l’édition génomique. En décembre 2020, le pays a
approuvé des tomates rouges de Sicile, riches en GABA. Il s’agit de
tomates issues de l’édition génomique, améliorées sur le plan
nutritionnel, contenant un taux élevé d’acide gamma-aminobutyrique
(GABA), un acide aminé censé favoriser la relaxation et aider à réduire
la tension artérielle. Développée par la coentreprise de l’Université de
Tsukuba et la startup Sanatech Seeds Ltd, elle est devenue en septembre
2021 le premier aliment issu de l’édition génomique vendu au Japon,.
[7]
L’Université de Tsukuba a mis au point les tomates GABA par le biais de
la technologie CRISPR-Cas9, grâce à des fonds publics et a ensuite
confié la recherche à la société de capital-risque « Sanatech Seed »,
qui n’est autre que Pioneer EcoScience Co. Ltd., une filiale de la
multinationale américaine Pioneer (Dupont-Pioneer), qui fait désormais
partie de la société agricole américaine Corteva.
[8]
Le
Japon a également utilisé la réécriture génomique pour créer le
poisson-globe tigre dont les gènes impliqués dans la sensation de
satiété ont été désactivés afin d’augmenter sa consommation de
nourriture et son poids par rapport aux espèces de poissons naturelles.
Plusieurs autres produits alimentaires issus de l’édition génomique sont
en cours d’élaboration, par exemple les pommes de terre, le blé, l’orge
et le raisin.
Le gouvernement japonais fait la
promotion active de ces nouvelles techniques et assouplit encore
davantage les règles qui encadrent les OGM pour que les plantes issues
de l’édition génomique arrivent dans toutes les assiettes du pays. En
2019, un panel d’experts, sous l’égide du Ministère de la Santé, du
Travail et des Affaires sociales a annoncé que les aliments issus de
l’édition génomique seraient autorisés à la vente au Japon.
La CUJ proteste contre les règles laxistes qui encadrent les aliments issus de l’édition génomique.
Il y a tellement de désinformation et de propagande au sujet des
aliments issus de l’édition génomique que même certaines écoles et
municipalités les soutiennent. Malheureusement, l’opinion publique se
fonde principalement sur les informations véhiculées par les médias
grand public, et ces derniers n’avertissent que trop peu des dangers que
présentent ces produits. Profitant de cette situation, Pioneer
EcoScience et Sanatech Seed ont conçu une nouvelle méthode de
commercialisation et vendent leurs tomates GABA directement à la
population sur internet. Les deux entreprises parlent de « Prosommateur,
Prosommatrice » parce que, selon elles, comprendre le consommateur ou
la consommatrice finale est indispensable à la commercialisation de
leurs produits issus de l’édition génomique.[9]
Néanmoins, l’inquiétude monte et l’Union japonaise des consommateurs (
Consumer Union of Japan,
CUJ) fait pression contre ces nouveaux OGM. En tant qu’association de
consommateurs et consommatrices, la CUJ s’oppose depuis longtemps à
l’introduction des OGM au Japon et a lancé la campagne « Non ! Aux OGM »
en 1996. Les membres de la CUJ ont exprimé, à maintes reprises, leur
rejet des OGM et des aliments issus de l’édition génomique, exigeant à
la fois une évaluation de leur innocuité et un étiquetage obligatoire de
ces aliments. De leur point de vue, les autorisations accordées pour
les aliments issus de l’édition génomique ont été octroyées «
trop
précipitamment ». «
Des choses inattendues peuvent se produire. Par
exemple, un gène coupé accidentellement [ou] un croisement indésirable
», a déclaré Hiroko Yoshimori, co-directrice de ce collectif citoyen.
[10]
Plusieurs coopératives de consommateurs et consommatrices ont mené des
enquêtes d’opinion auprès de leurs membres sur la réécriture génomique
et une vaste majorité s’est prononcée contre.
En
2019, le groupe d’enquête du Japon sur les nouveaux aliments a décidé
que « les aliments issus de l’édition génomique ne devraient pas
nécessiter de réglementation », mais s’est toutefois abstenu d’autoriser
la certification biologique de ces nouvelles cultures
biotechnologiques.
Face à l’agressivité de la
décision du gouvernement japonais d’approuver les cultures génétiquement
modifiées, une initiative nommée OK Seed Project a été lancée en 2020
par des agriculteurs et agricultrices, des universitaires et des
citoyen·nes en proie à l’inquiétude. La campagne porte sur un étiquetage
volontaire des semences et produits alimentaires «
non issus de
l’édition génomique ». Bien que le gouvernement ait interdit
l’étiquetage des produits génétiquement modifiés, les agriculteurs et
agricultrices ont toujours la possibilité d’étiqueter leurs produits en
tant qu’espèces non issues de l’édition génomique (espèces indigènes) au
stade de semences, ce qui leur permet, ainsi qu’aux personnes achetant
leurs produits, de connaître et choisir les aliments n’ayant pas fait
l’objet d’une modification génétique. Le label OK Seed permet non
seulement de signaler l’utilisation de semences issues de l’édition
génomique mais aussi de protéger les variétés locales.
[11]
Cette initiative sert également d’outil d’éducation populaire pour
sensibiliser à la nouvelle génération d’OGM et ses possibles
conséquences sur la santé humaine et les écosystèmes.
Les Philippines
Les
Philippines demeurent une figure emblématique pour les entreprises de
biotechnologie et sont également le pays asiatique qui possède le plus
grand nombre de plantations commerciales d’OGM. Depuis que le maïs
génétiquement modifié a été autorisé à des fins commerciales en 2002,
les Philippines ont autorisé 129 plantes génétiquement modifiées, dont
42 depuis octobre 2020, 30 d’entre elles étant destinées à
l’alimentation humaine, animale ou à la transformation et 12 à des
plantations commerciales.
[12][13]
Les
Philippines sont le premier pays d’Asie à autoriser à la vente le riz
doré, un OGM biofortifié, infusé de bêta-carotène, précurseur de la
vitamine A, et censé lutter contre la malnutrition et les carences en
vitamine A. Le 21 juillet 2021, le Bureau philippin des productions
végétales (BPI) a délivré un permis de biosécurité afin d’autoriser sa
commercialisation, ce qui en fait la première variété de riz
génétiquement modifié autorisée à être plantée à des fins commerciales,
ce qui représente une grande menace pour les centaines de milliers de
variétés de riz indigènes cultivées par les agriculteurs et
agricultrices de la région.
Le riz OGM a été
développé par l’Institut international de recherche sur le riz (IRRI),
avec le soutien de la Fondation Bill et Melinda Gates, la Fondation
Rockefeller, USAID et le Bureau des programmes de biotechnologie du
Ministère de l’Agriculture philippin.
[14]
Récemment, les scientifiques travaillant sur le riz doré ont également
développé une variété de ce riz génétiquement modifié en utilisant la
technologie de réécriture génomique pour y ajouter de nouveaux
caractères agronomiques tels que la résistance à la sécheresse et aux
nuisibles.
Longtemps présenté comme la solution
aux carences en vitamine A, à l’origine du syndrome d’immunodéficience
et de cécité chez les enfants, l’IRRI a modifié ses déclarations au
sujet du riz doré. Il ne prétend plus désormais que celui-ci va résoudre
ou empêcher les problèmes de cécité liés à une carence en vitamine A,
mais simplement qu’il va «
aider ».
[15]
La
commercialisation hâtive du riz doré aux Philippines a laissé plusieurs
questions en suspens. Premièrement, quelle quantité de riz doré devrait
être consommée quotidiennement pour améliorer le taux de vitamine A
chez les enfants qui présentent une carence ? Deuxièmement, les
thuriféraires du riz doré et les instances de réglementation ne traitent
pas la question de la dégradation du niveau de bêta-carotène lorsque le
riz doré est stocké après la récolte. Un autre problème se pose : la
vitamine A étant une enzyme liposoluble, le riz doré sera-t-il efficace
chez des enfants issus de familles défavorisées dont le régime
alimentaire est extrêmement pauvre en lipides ?
|
Campagne contre l'aubergine Bt (Talong). Photo : MASIPAG, Philippines |
L’IRRI et le Ministère de l’Agriculture des Philippines affirment
que l’innocuité du riz doré a déjà été validée par l’Australie, la
Nouvelle-Zélande, les États-Unis et le Canada. Ceci étant dit,
l’autorisation de l’Office des normes alimentaires pour l’Australie et
la Nouvelle-Zélande (FSANZ) ne concerne pas la commercialisation ou
l’utilisation dans le pays. De même, l’autorisation accordée par la Food
and Drug Administration (FDA) aux États-Unis ne vise pas la plantation,
la commercialisation ou l’utilisation à des fins alimentaires humaines
ou animales dans le pays. Dans le cas du Canada, ce que l’on appelle «
autorisation de l’organisme de réglementation » n’est en fait qu’un avis
émis par Santé Canada sur l’utilisation à des fins alimentaires du riz
doré, étant donné que des matières premières ou des produits
alimentaires dérivés du riz doré peuvent entrer involontairement au
Canada. Le résumé technique de l’affaire montre que, si d’aventure,
l’IRRI souhaite commercialiser le riz doré au Canada, il faudra qu’il se
conforme aux réglementations en matière d’alimentation et de
médicaments concernant l’ajout de vitamines aux aliments.
Des réseaux paysans, tels que MASIPAG, KMP (Kilusang Magbubukid ng Pilipinas)
et d’autres ont remis en question la décision du BPI et ont souligné le
manque de transparence, l’absence de consultation publique et
d’évaluations indépendantes et complètes des risques et impacts liés à
l’autorisation de la plantation commerciale du riz doré. Ces groupes
agricoles sont traditionnellement opposés aux OGM aux Philippines en
raison des preuves croissantes des effets néfastes des aliments et des
plantes génétiquement modifiés sur la santé et l’environnement. Il
s’agit notamment de l’émergence de super mauvaises herbes, ainsi que du
déplacement des insectes nuisibles dominants et de la contamination des
cultures non génétiquement modifiées. L’augmentation du prix des
semences génétiquement modifiées ainsi que la baisse spectaculaire des
revenus des agriculteurs et agricultrices, qui les poussent à s’endetter
davantage, constituent également des préoccupations majeures à
l’encontre des OGM. Pour les paysan·nes, le maintien et la préservation
de leurs connaissances traditionnelles, la reproduction de leurs propres
semences et le contrôle de leurs terres et de leurs ressources
demeurent au cœur de leur lutte contre les OGM et contre la mainmise du
secteur privé sur l’agriculture philippine.
Quelques
jours après avoir octroyé un permis de biosécurité pour le riz doré, le
BPI a également autorisé la mise sur le marché de l’aubergine Bt (
Bt talong).
Parmi les autres produits génétiquement modifiés en cours de
développement figurent la papaye résistante au virus des taches
annulaires et la tomate multi-résistante.
[16]
Chine
Compte
tenu du rejet de la population chinoise vis-à-vis des aliments
génétiquement modifiés et de leur mauvaise réputation, depuis 2010, la
Chine maintient une politique restrictive en matière d’OGM. Cela permet
de comprendre pourquoi le riz et le maïs génétiquement modifiés
développés par la Chine n’ont jamais été autorisés à être cultivés à des
fins commerciales.
[17]
Le système chinois de validation des OGM est constitué de 2 étapes :
l’OGM reçoit d’abord une attestation de sécurité sanitaire permettant la
production, c’est-à-dire que les activités de recherche et
développement (R&D) pour la plante génétiquement modifiée ont bien
été effectuées, à la suite de quoi une demande de commercialisation peut
être faite auprès du gouvernement. Début 2020, le soja génétiquement
modifié a réussi les tests d’innocuité mais n’a pas été autorisé à la
vente. Toutefois, cette restriction nationale n’empêche pas les
entreprises chinoises telles que Beijing Dabeinong Biotechnology Co. Ltd
de demander des permis de plantation pour leur soja génétiquement
modifié dans d’autres pays comme le Brésil et l’Uruguay. L’Argentine a
été le premier pays à autoriser la plantation commerciale de soja
génétiquement modifié. De plus, bien que le soja et le maïs
génétiquement modifiés ne soient pas autorisés à être cultivés dans le
pays, ils sont encore importés à grande échelle pour le fourrage afin de
soutenir l’expansion des industries de la viande et de la volaille.
Actuellement,
seuls le coton et la papaye génétiquement modifiés sont autorisés à
être cultivés à des fins commerciales en Chine.
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Enquête sur la culture du maïs transgénique dans le nord-est de la Chine. Photo : Ma Longlong/Greenpeace
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La Chine est actuellement un importateur net de denrées
alimentaires, par conséquent, la principale préoccupation du
gouvernement est d’améliorer la sécurité alimentaire, de peur que toute
pénurie ne sème l’instabilité politique et ne soit facilement exploitée
par ses pays rivaux. Lors de son allocution en décembre 2013, le
Président Xi Jinping a souligné l’importance d’une recherche audacieuse
dans le domaine de la biotechnologie, ajoutant toutefois que la prudence
est de mise en ce qui concerne la commercialisation au niveau national.
[18]
À cette fin, en 2016, le Ministère de l’Agriculture chinois a révélé
une feuille de route pour la commercialisation des plantes génétiquement
modifiées. Chronologiquement, se trouvent d’abord les plantes
commerciales «
non destinées à l’alimentation », suivies des plantes
destinées à l’alimentation animale et à l’industrie, puis les cultures
vivrières et enfin, les cultures vivrières de base (riz, blé et soja).
En
mars 2021, un nouveau plan quinquennal axé sur l’autosuffisance et la
sécurité alimentaire inclut plusieurs points sur les plantes
génétiquement modifiées.
[19]
Avec ce nouveau plan quinquennal, la politique chinoise à l’égard des
plantes génétiquement modifiées a pris un tournant décisif. Le
gouvernement promeut désormais plus ouvertement les OGM et leur
déréglementation afin de favoriser leur expansion. Cela pourrait être la
conséquence directe de l’expansion mondiale de l’industrie des semences
chinoises, en particulier à la suite de l’achat par l’entreprise d’État
ChemChina de Syngenta en 2017 pour 43 milliards de dollars. Depuis
lors, son revenu annuel n’a cessé de croître, pour atteindre 6 milliards
de dollars en 2020 contre 600 millions en 2016.
[20]
En 2022, des certificats d’innocuité donnant lieu à une autorisation de
production et de plantation ont été accordés pour quatre variétés de
maïs génétiquement modifié, résistantes aux herbicides et aux nuisibles,
ainsi que pour trois variétés de soja génétiquement modifié résistantes
aux herbicides qui ont fait l’objet d’un essai pilote en 2021, ouvrant
ainsi la voie à la plantation à des fins commerciales.
[21]
Cela
concorde avec le fait que la Chine est actuellement le pays avec le
plus grand nombre de brevets sur des plantes issues de l’édition
génomique au monde. Environ 75% de ces brevets agricoles proviennent de
Chine.
[22]
Selon Rabobank, les instituts de recherche chinois ont déjà publié plus
de recherches sur les plantes issues de l’édition génomique destinées
au marché que tout autre pays. Au vu des investissements conséquents de
la Chine, une politique d’autorisation plus généreuse ou du moins
relativement souple est attendue dans les années à venir pour ce qui est
de la mise sur le marché de plantes issues de l’édition génomique.
[23]
Mais
la polémique suscitée par les OGM au sein de la société chinoise reste
une épine dans le pied du gouvernement, ce qui explique peut-être sa
réticence à les commercialiser au niveau national. Les réseaux sociaux
chinois se sont transformés en champ de bataille où le peuple s’oppose
et résiste aux OGM, notamment en ce qui concerne l’innocuité des
aliments et les droits des consommateurs et consommatrices. D’abord
faites de rumeurs et de scandales, les discussions sur les réseaux
sociaux ont évolué vers des messages anti-OGM, conçus pour faire appel
au sens moral et au patriotisme de la société chinoise, reliant les OGM
aux questions d’innocuité des aliments et au droit de ne pas consommer
d’OGM.
[24]
Inde
Officiellement,
le coton Bt est la seule plante génétiquement modifiée autorisée en
Inde. Résultat, vingt ans après avoir obtenu l’autorisation de le
cultiver à des fins commerciales en 2002, plus de mille variétés de
semences de coton Bt (appartenant à des dizaines d’entreprises
semencières) sont vendues sur le marché indien, où les variétés
indiennes locales sont, elles, introuvables.
[25]
Cependant,
quelques années après avoir introduit cette technologie en Inde,
Monsanto a reconnu l’échec des variétés de coton Bt insecticide de
première et deuxième générations. L’organisme nuisible visé, le ver rose
du cotonnier, a développé une résistance aux toxines produites par les
caractères de ce coton.
[26]
Le coton génétiquement modifié, qui s’est avéré incapable de contrôler
les nuisibles, a provoqué une vague de suicides chez les planteurs et
planteuses de coton, victimes de l’augmentation du coût des semences,
des volumes accrus d’intrants chimiques et de l’accès inadéquat aux
informations agronomiques.
[27]
Mais
cela n’a pas dissuadé l’Inde de se lancer dans de nouveaux projets
d’OGM. Elle a en effet tenté de commercialiser l’aubergine Bt (
brinjal)
en 2009. L’autorisation accordée pour l’aubergine Bt souleva un tollé
qui contraignit le gouvernement à organiser des audiences publiques
pendant un mois dans les principales villes indiennes. Un moratoire sur
la commercialisation de l’aubergine Bt a finalement été imposé en 2010.
Dans son rapport de 2012, la commission parlementaire sur l’agriculture a
conclu que «
les plantes génétiquement modifiées ne sont tout
simplement pas la bonne solution » pour l’Inde et a exprimé ses craintes
quant à leurs impacts réels et potentiels sur l’alimentation,
l’agriculture, la santé et l’environnement du pays.
[28]
Mais
les promoteurs de l’aubergine Bt en Inde ne se contentent pas d’un
refus et, après sa commercialisation au Bangladesh en 2013, lancent une
nouvelle offensive.
S’est ensuivie la tentative
de commercialisation de la moutarde génétiquement modifiée. En mai
2017, le comité d’approbation des produits transgéniques a recommandé
l’approbation de cette plante tolérante aux herbicides, résistante au
glufosinate de Bayer, plus toxique que le glyphosate.
[29]
Les paysan·nes, activistes, écologistes et banques de semences ont uni
leurs forces afin de lancer la campagne nationale nommée «
Désobéissance
civile contre la moutarde génétiquement modifiée » (
Sarson Satyagraha)
pour faire barrage à sa commercialisation. Avec plus de 12 000 variétés
de graines de moutarde et cultivars locaux recensés en Inde, la
moutarde génétiquement modifiée mettrait en péril cette riche
biodiversité. Les développeurs ont tenté à plusieurs reprises d’obtenir
sa commercialisation mais, à ce jour, la culture commerciale de la
moutarde génétiquement modifiée n’a toujours pas été approuvée.
Malgré
les décisions de moratoire sur les plantes génétiquement modifiées et
les recommandations du Parlement de mettre fin à tout essai en plein
champ, des autorisations sont encore accordées pour des essais en plein
champ pour de nombreuses cultures OGM, vivrières ou non, à travers le
pays. L’incapacité des organismes de réglementation à surveiller
correctement les essais en plein champ a donné lieu à la contamination
et à la culture illégale de plantes génétiquement modifiées. Comme l’a
rapporté le comité du département de biotechnologie, certaines de ces
cultures illégales, comme dans le cas du coton tolérant aux herbicides,
ont été massives et se sont étendues sur 15 % de la surface totale de
culture du coton dans le pays.
[30]
L’absence de réglementation autour d’un herbicide hautement toxique tel
que le glyphosate risque de mener à la propagation et à l’augmentation
des super mauvaises herbes, ainsi qu’à la pollution du sol et de l’eau.
Rappel de M&M’s
Un
cas flagrant de contamination par des OGM a été signalé en juin 2021,
lorsque le Système d’alerte rapide pour les denrées alimentaires et les
aliments pour animaux de la Commission européenne a averti de la
contamination par des OGM de 500 tonnes de riz en provenance d’Inde,
récemment transformé en farine de riz par l’entreprise française
Westhove. Cela a eu pour conséquence le rappel de produits alimentaires
par de grandes entreprises dans le monde entier, y compris le géant de
la confiserie Mars Wrigley, qui a procédé au rappel massif de plusieurs
lots de M&M’s Crispy.
[31] D’après la Coalition pour une Inde sans OGM (
Coalition for GM-Free India),
bien que «
l’Inde n’autorise pas la culture du riz génétiquement
modifié, plusieurs variétés sont utilisées pour des essais en champs
confinés ». La coalition soutient que ces essais, ainsi que la culture
illégale du coton tolérant aux herbicides, des aubergines Bt, ainsi que
du soja génétiquement modifié, entraînent «
une contamination ou des
fuites » qui se retrouvent alors dans les exploitations agricoles et
dans les assiettes.
[32]
Mais l’Inde est assaillie de toutes parts par les OGM. En 2018, une
étude a révélé la présence et la vente illégale à grande échelle
d’aliments génétiquement modifiés importés dans le pays, entre autres
des aliments pour bébé, des huiles alimentaires et des collations
emballées. En avril 2018, les autorités en charge de l’alimentation en
Inde ont approuvé un projet de règlement qui prescrit un étiquetage
obligatoire pour «
l’ensemble des produits alimentaires contenant 5% ou
plus d’ingrédients génétiquement modifiés ». C’est la première fois que
le gouvernement indien adopte des directives pour l’étiquetage des
aliments génétiquement modifiés. Néanmoins, cette mesure constituait en
réalité une tentative sournoise et illégale d’introduire par des moyens
détournés des aliments génétiquement modifiés en Inde. Un nouveau projet
de règlement plus restrictif datant de novembre 2021 propose de baisser
le seuil d’étiquetage obligatoire à 1 % ou plus d’ingrédients
génétiquement modifiés.
[33]
Mais là encore, ce projet de règlement ne fait en réalité que
déréglementer le contrôle des aliments génétiquement modifiés et accorde
aux États-Unis ce qu’ils réclament à l’Inde depuis des années, à savoir
un accès inconditionnel aux aliments génétiquement modifiés dans le
pays et une importation facilitée de ces derniers, au mépris des
réglementations environnementales et des critères d’étiquetage tels
qu’exigés par la Cour Suprême de l’Inde.
[34]
L’affaiblissement
de la réglementation sur les OGM en Inde a également ouvert la voie à
de nouvelles techniques de sélection, par exemple CRISPR, qui exonèrent
ces produits des règles de 1989 relatives aux OGM. Les plantes issues de
l’édition génomique seront à présent traitées comme n’importe quelle
autre plante. Une décision qui a provoqué une levée de boucliers parmi
certains groupements agricoles et plusieurs coalitions de la société
civile. L’Alliance pour une agriculture durable et holistique (
Alliance for Sustainable and Holistic Agriculture,
ASHA) et la Coalition pour une Inde sans OGM affirment qu’il existe
suffisamment de preuves que les changements volontairement induits par
la réécriture génomique, aussi petits soient-ils, peuvent avoir des
conséquences importantes et dangereuses, par exemple la toxicité et
l’allergénicité inattendues des plantes issues de l’édition génomique.
[35]
Bangladesh
L’aubergine
génétiquement modifiée qui a été rejetée par l’Inde début 2010 a plus
tard été autorisée et commercialisée au Bangladesh. La plante,
développée au départ par Mahyco India, a été fournie à l’Institut de
recherche agricole du Bangladesh (BARI), dans le cadre d’un partenariat
public-privé entre Mahyco, l’Université Cornell, Sathguru Management
Consultants, le BARI et USAID.
[36]
Le BARI l’a ensuite croisée avec neuf variétés d’aubergines locales,
dont seules quatre variétés ont été autorisées à la vente en octobre
2013.
L’aubergine génétiquement modifiée a
provoqué l’indignation de la société civile, des agriculteurs et
agricultrices, des écologistes et des groupes de sauvegarde des
semences. Pour le développement de l’aubergine Bt, Mahyco et Monsanto
auraient reçu des droits de propriété intellectuelle sur neuf variétés
d’aubergines indigènes. Tout cela sans en informer la population
agricole ou le grand public.
[37]
Avec ces processus et brevets de génie génétique, la communauté
agricole bangladaise était alors condamnée à perdre le contrôle de ses
variétés d’aubergines indigènes.
[38]
Lors
de la première saison de culture commerciale en 2014, plusieurs
agriculteurs et agricultrices qui avaient planté l’aubergine Bt ont
demandé une indemnisation pour les énormes pertes subies en raison du
faible rendement et des mauvaises récoltes.
[39]
Des recherches sur le terrain et une enquête approfondie sur la culture
de l’aubergine Bt menées par le groupe de recherche bangladais UBINIG
(Recherche sur des politiques alternatives de développement) montrent
effectivement que cette culture OGM s’est avérée être une grande
déception pour la population agricole. Dans son enquête, UBINIG a révélé
que les conditions d’approbation établies par le comité national de
biosécurité n’avaient pas été respectées lors du processus
d’autorisation de cette aubergine Bt. L’une de ces conditions était
l’étiquetage des aubergines Bt. Les agriculteurs et agricultrices qui
ont reçu les semences n’ont jamais su qu’elles étaient génétiquement
modifiées et qu’elles nécessitaient des mesures de biosécurité. La
semence était présentée comme étant une «
nouvelle variété d’aubergine »
qui ne requérait pas l’usage de pesticides. En l’absence d’une autorité
publique compétente, l’étendue des dégâts environnementaux et
sanitaires de cette semence largement distribuée pourrait ne jamais être
connue.
[40]
Outre
l’aubergine Bt, le lobby pro-OGM continue de faire pression pour
l’autorisation commerciale du riz doré. Lors de sa visite au Bangladesh
en 2019, le Directeur-Général de l’Institut international de recherche
sur le riz (IRRI), Matthew Morell, a fait la promotion du riz doré en
évoquant l’approbation de cette plante par les organismes de
réglementation des États-Unis, d’Australie, de Nouvelle-Zélande et du
Canada. Cette déclaration trompeuse visait à influencer la décision
d’autorisation de mise sur le marché. Ni l’IRRI, ni les autorités
bangladaises qui font la promotion du riz doré n’ont informé le public
que les organismes de réglementation de l’alimentation de ces 4 pays,
bien qu’ils aient attesté l’innocuité du produit, ont mis en doute la
teneur en vitamine A du riz doré, affirmant qu’elle était trop faible
pour se prévaloir d’un quelconque bénéfice nutritionnel.
[41]
Jusqu’à
présent, la population bangladaise, et en particulier la population
agricole, les groupes de la société civile, les écologistes et les
consommateurs et consommatrices ont réussi à tenir en échec la
commercialisation du riz doré en maintenant la pression sur le
gouvernement. Les paysan·nes n’ont de cesse de répéter qu’il existe
pléthore de sources alternatives de vitamine A, bien plus efficaces et
facilement disponibles dans les fruits, légumes, et légumes à feuilles
produits localement. L’héméralopie ou les carences en vitamine A ne
relèvent pas d’un problème d’ordre technologique, elles sont davantage
liées à la pauvreté et à des déséquilibres nutritionnels. L’entreprise
qui a breveté le riz doré, c’est-à-dire le « riz enrichi en vitamine A
», n’a pas trouvé la panacée, au contraire, le riz doré rendra le pays
plus vulnérable en rendant la population dépendante des multinationales.
[42]
Mais
alors que tous les regards sont braqués sur les OGM, la réécriture
génomique progresse dans l’ombre : une variété de blé résistante à la
pyriculariose
grâce à la technique CRISPR-Cas9 et la
première génération de riz issu de l’édition génomique sont quelques-uns
des nouveaux OGM en préparation.
[43] [44]
Contrairement aux OGM classiques, il n’existe pas d’opposition
organisée contre l’utilisation des technologies de réécriture génomique
et elles ne sont encadrées par aucune réglementation ou mesure
spécifique au Bangladesh. La sensibilisation et les connaissances en
matière de réécriture génomique parmi la population et les responsables
politiques restent relativement limitées. La teneur des débats et des
échanges au sein de la communauté scientifique au Bangladesh laisse
présager l’adoption prochaine d’une politique sur la réécriture
génomique semblable à celle de l’Inde, à savoir une déréglementation des
plantes issues de l’édition génomique et leur exonération des
réglementations strictes en matière de biosécurité.
[45]
Vietnam
Le
gouvernement vietnamien adhère pleinement aux OGM et avait pour
ambitieux projet qu’ils représentent 30 à 50 % des terres agricoles du
pays avant 2020.
[46]
Le Ministère de l’Agriculture et du Développement rural du Vietnam a
commencé les essais en champ avec sept variétés de maïs génétiquement
modifié en 2010, créées par trois multinationales d’agro-biotechnologie :
Monsanto, Syngenta et Pioneer. En 2016, 21 variétés de maïs et de soja
transgéniques étaient cultivées au Vietnam.
[47]
Mais la population vietnamienne est fortement opposée à la diffusion
des OGM dans le pays, notamment car la multinationale américaine
Monsanto avait été la principale productrice de l’agent orange, utilisé
par l’armée américaine dans le pays pendant la guerre du Vietnam. Les
activistes anti-OGM affirment qu’avec la plantation commerciale du maïs
génétiquement modifié de Monsanto, l’histoire va se répéter, puisque
cette plante s’accompagne nécessairement du désherbant toxique Roundup
(ou glyphosate). Le peuple vietnamien pense que l’agent orange est
encore présent dans l’eau, le sol et les gènes des nouveau-nés, et ce,
40 ans après avoir été pulvérisé lors de la guerre du Vietnam. Malgré
tout, l’entreprise qui a produit cette substance chimique est de retour
dans le pays, cette fois-ci pour cultiver des plantes transgéniques,
alors qu’elle refuse encore à ce jour d’indemniser les victimes
vietnamiennes.
Du fait de leur impopularité
dans le pays, le Vietnam a ainsi repoussé l’examen et l’approbation des
OGM pendant de nombreuses années. Dans une tactique que l’on pourrait
qualifier d’insidieuse, en 2016, le Vietnam a rendu obligatoire
l’étiquetage de tout produit alimentaire génétiquement modifié importé
dans le pays, laissant à la population le soin d’identifier les aliments
génétiquement modifiés lors de l’achat de produits alimentaires frais,
séchés, surgelés, et d’aliments pour animaux.
[48]
Les choses sont allées plus loin encore en septembre 2019, lorsque le
Ministère de l’Agriculture a autorisé cinq plantes génétiquement
modifiées pour le fourrage.
[49] [50]
Dans le cadre d’une enquête menée dans 17 marchés et supermarchés
traditionnels d’Hô Chi Minh-Ville, 323 échantillons de nourriture ont
été prélevés, parmi lesquels du maïs, du soja, des pommes de terre, du
riz, des tomates et des petits pois. 111 de ces échantillons se sont
révélés être des aliments transgéniques.
[51]
Le
Vietnam a lancé des recherches sur la réécriture génomique et développe
actuellement une variété de riz local issue de l’édition génomique
résistante au flétrissement bactérien du riz.
[52] L’institut de biotechnologie du pays a également recours à la technologie CRISPR/Cas9 pour développer des semences de soja.
[53]
Malgré cela, la réécriture génomique n’est pour le moment réglementée
par aucune loi et des tentatives sont faites pour traiter les produits
issus de celle-ci comme des produits non génétiquement modifiés et pour
les promouvoir en tant qu’améliorations de variétés végétales.
[54]
Australie
L’Australie
est l’un des premiers pays à avoir adopté les technologies OGM en
Asie-Pacifique. En 2018, l’Australie comptait près de 774 000 hectares
de cultures OGM. Trois plantes génétiquement modifiées dominent les
champs australiens : le coton Bt tolérant aux herbicides, qui représente
plus de 99,5 % de la production, le colza tolérant aux herbicides, qui
représente 30 % de la totalité des plantations de colza, et le carthame.
Parmi les autres plantes génétiquement modifiées faisant l’objet de
plantations expérimentales en champ, citons la banane, l’orge, le
ray-grass, la moutarde, la canne à sucre et le blé. Par le passé, des
essais ont également été effectués sur le riz, le trèfle, le maïs, le
pavot, la papaye, l’ananas et la vigne.
[55]
Comme indiqué précédemment, le FSANZ a autorisé les aliments dérivés du riz OGM (riz doré) le 19 décembre 2017.
[56]
Cette approbation s’est heurtée aux contestations des groupes de la
société civile en Australie et en Nouvelle-Zélande et, dans une lettre
ouverte adressée au Ministre de la Réglementation de l’Alimentation, ils
ont remis en question le bien-fondé de la décision du FSANZ et ont
demandé que ladite décision d’approbation soit réexaminée. La décision
du FSANZ s’est fondée sur des données fournies par l’IRRI et des
partisans du secteur privé, en faisant fi des données scientifiques
essentielles sur les dangers des OGM pour la santé humaine.
[57]
Mais, en 2020, parti sur sa lancée, le FSANZ a approuvé plusieurs
autres plantes génétiquement modifiées de BASF (soja), Monsanto (maïs)
et J.R. Simplot (pomme de terre).
[58]
En mai 2022, le FSANZ a autorisé également la vente et l’utilisation
d’aliments dérivés de blé génétiquement modifié tolérant à la sécheresse
et aux herbicides, développé par la société argentine Bioceres Crop
Solutions.
[59]
L’histoire
de la promotion des OGM en Australie montre que depuis le début, la
réglementation des OGM est alignée sur les besoins de l’industrie. Avant
la mise en place de l’organisme de réglementation du génie génétique,
le peuple australien s’inquiétait de ne pas pouvoir distinguer les
aliments non génétiquement modifiés des aliments génétiquement modifiés
importés car ces derniers n’étaient pas étiquetés comme tels. Pour
autant, les OGM ont bénéficié d’un large soutien de la part des
instituts de recherche, des universités, des organismes publics, et bien
entendu de l’agence gouvernementale responsable de la recherche
scientifique. En 2003, lorsque les autorisations de commercialisation du
colza génétiquement modifié ont été octroyées, l’ensemble des
gouvernements des États et territoires du pays, à l’exception de ceux du
Queensland et du Territoire du Nord, se sont déclarés zones sans OGM
pour des raisons commerciales et marketing, car ils étaient de grands
producteurs de colza non génétiquement modifié.
[60]
C’est à cette époque que certains États australiens ont également
adopté des moratoires sur la culture commerciale des plantes
génétiquement modifiées, en réponse à l’opposition et à la résistance
croissantes de la population. Néanmoins, ces moratoires ne s’appliquent
qu’à la culture des plantes génétiquement modifiées destinées à
l’alimentation et non à la vente d’aliments transformés à base de
produits génétiquement modifiés.
Mais, avec le
temps, les moratoires sur les OGM ont fini par tomber. Petit à petit,
l’un après l’autre, les États ont décidé de mettre un terme à leurs
moratoires respectifs sur la culture des OGM à des fins commerciales et
ont autorisé la plantation sur leur territoire. Le 1
er
juillet 2021, les interdictions sur les plantes génétiquement modifiées
ont été levées en Australie continentale. La Tasmanie, le Territoire de
la capitale australienne et l’Île Kangourou en Australie-Méridionale
sont les seules régions du pays qui ont encore un moratoire sur les
plantes génétiquement modifiées.
[61]
Pour
s’assurer de la levée des interdictions, l’industrie des OGM a mené une
campagne féroce, faisant appel à une armée de lobbyistes et de
chercheurs, chercheuses et agronomes rémunéré·es pour inonder les
médias, en soulignant les avantages des plantes et aliments
génétiquement modifiés. La principale institution scientifique
australienne, le CSIRO, a joué un rôle clé dans la défense des intérêts
de l’industrie des OGM et dans l’affrontement du lobby anti-OGM.
[62]
Quelques scientifiques ont été victimes d’intimidation pour les
dissuader d’exprimer leurs préoccupations, questions ou critiques à
l’égard des technologies OGM dans les médias. Le Dr Maarten Stapper, un
éminent chercheur scientifique du CSIRO, a été renvoyé après 23 années
de service pour avoir préconisé le principe de précaution vis-à-vis des
produits génétiquement modifiés.
[63]
Actuellement,
en Australie et en Nouvelle-Zélande, les aliments transformés importés
contenant plus de 1% d’ingrédients génétiquement modifiés doivent faire
l’objet d’une autorisation préalable et être étiquetés, tandis que les
produits alimentaires dérivés d’animaux ayant été nourris avec des
aliments génétiquement modifiés ne sont pas considérés comme des
aliments génétiquement modifiés et n’ont dès lors pas besoin d’être
étiquetés. D’après le FSANZ, l’étiquetage n’a rien à voir avec des
questions de sécurité sanitaire des aliments mais vise plutôt à aider
les consommateurs et consommatrices à faire un choix éclairé lors de
leurs achats alimentaires.
[64]
Dans
le but de promouvoir les biotechnologies et les nouvelles techniques de
sélection à travers le monde, l’Australie a publié en 2016 une
déclaration commune avec l’Argentine, le Brésil, le Canada, le Paraguay
et les États-Unis, plaidant pour la suppression des obstacles au
commerce des biotechnologies agricoles dans le monde.
[65]
Dans cette optique, l’Australie a entrepris en 2019 une révision
majeure de sa réglementation sur le génie génétique afin de clarifier la
réglementation des nouvelles biotechnologies. Elle a finalement décidé
que toutes les plantes et les aliments développés à l’aide des nouvelles
techniques de modification génétique pourraient désormais intégrer le
système alimentaire sans tests d’innocuité, sans évaluations, étiquetage
ou encore surveillance post-commercialisation.
Loin
de baisser les bras, lors des élections fédérales australiennes de
2022, un groupe de la société civile a organisé une campagne de
courriels demandant au peuple australien de s’adresser aux
parlementaires, membres du Sénat et candidat·es de leur circonscription
et de leur poser la question de l’impact des organismes issus de
l’édition génomique sur les aliments, l’agriculture, la santé et
l’environnement.
[66]
Le groupe a critiqué la définition des plantes génétiquement modifiées
donnée par les Loi et Règlements sur le génie génétique (
Gene Technology Act and Regulations), selon lui rendue délibérément vague en vue de l’arrivée de technologies telles que la réécriture génomique.
[67]
Résistance des peuples et réglementation des OGM : La seule alternative
En
Asie, la promotion et l’expansion des plantes et aliments génétiquement
modifiés sont vivement encouragées non seulement par l’industrie
agroalimentaire mais également par des institutions publiques. Les
gouvernements asiatiques enjolivent la réalité sur ces nouveaux OGM en
utilisant habilement des termes abstraits tels que « nouvelles
techniques de sélection », « équivalent naturel », « similaire au
conventionnel », « naturel » ou encore « respectueux de la nature »,
afin que ces produits puissent être dispensés des principales mesures de
protection réglementaires.
Il convient de se
demander dans quelle mesure ces nouvelles techniques de modification
génétique seront développées par les institutions de recherche publique
pour l’usage et le bénéfice du secteur privé ? Dans quelle mesure
l’industrie agroalimentaire recevra-t-elle le soutien du gouvernement,
au détriment des intérêts publics ? L’opposition farouche aux OGM et la
mobilisation d’une grande partie de la population et des paysan·nes en
Asie apportent une réponse sans équivoque.
Le
secteur privé reproduit le scénario de la promotion de la révolution
verte. Ainsi, avec les OGM et leurs nouvelles versions, les entreprises
font miroiter une solution miracle aux maux de l’humanité : la faim, le
changement climatique, la pauvreté, la malnutrition et plus encore, pour
mieux détourner l’attention de leurs intérêts cachés. Cette distraction
convient bien évidemment à toute cette élite qui d’une part, bénéficie
financièrement de la mainmise du secteur privé sur nos sociétés et,
d’autre part, de l’affaiblissement du contrôle des systèmes alimentaires
par les communautés.
La réécriture génomique
va devenir un moyen d’usurpation et de bio-piratage du patrimoine
semencier de la communauté agricole, et les enjeux sont de taille dans
les pays asiatiques, où la majorité de la population dépend encore des
semences traditionnelles pour assurer sa subsistance. Les preuves
scientifiques des effets imprévisibles des techniques de réécriture
génomique s’accumulent. Lorsque la réécriture génomique modifie le
génome d’une plante, il n’y a pas de retour possible. Ainsi,
l’affaiblissement des réglementations en matière de biosécurité, voire
l’absence de réglementation pour certains produits issus de l’édition
génomique, constitue une menace majeure non seulement pour
l’agroécologie et l’agriculture durable, mais également pour
l’environnement dans son ensemble.
***
Notes
[5]La
décision de juillet 2018 de la Cour de justice de l’Union européenne a
créé un précédent en qualifiant de cultures OGM des plantes issues de
l’édition génomique. Mais malgré cet arrêt, la Commission européenne
veut changer la loi pour que l’industrie agroalimentaire puisse
commercialiser ces nouveaux OGM sans autorisation préalable ni
obligation de traçabilité ou d’étiquetage. Sous la pression des lobbies
de l’industrie des OGM, la Commission européenne maintient ce cap et a
annoncé qu’elle allait créer une législation distincte et les nommer «
végétaux produits à l’aide de certaines nouvelles techniques génomiques
». Voir « Les règles de l’UE sur les OGM sont attaquées – et avec elles
notre alimentation, notre santé et notre environnement » Les Verts/ALE
au Parlement européen, 14 octobre 2021,
https://www.greens-efa.eu/dossier/les-regles-de-lue-sur-les-ogm-sont-attaquees/ [27]
Andrew Paul Gutierrez, Luigi Ponti, Hans R Herren, Johann Baumgärtner,
et Peter E Kenmore, “Deconstructing Indian cotton: weather, yields, and
suicides”, Environmental Sciences Europe, 17 juin 2015, https://enveurope.springeropen.com/articles/10.1186/s12302-015-0043-8 [28]
Manish Shukla, Khair Tuwair Al-Busaidi, Mala Trivedi et Rajesh K.
Tiwari, “Status of research, regulations and challenges for genetically
modified crops in India” GM Crops & Food. 2018; 9(4): 173-188,
publié en ligne le 22 octobre 2018, https://doi.org/10.1080/21645698.2018.1529518 [29]
Le glufosinate est un herbicide à large spectre qui provoque des
lésions nerveuses et des malformations congénitales et qui est toxique
pour la plupart des organismes. C’est également une neurotoxine des
mammifères qui se décompose difficilement dans l’environnement. [36]
Agricultural Biotechnology Support Project II: Supporting agricultural
development through biotechnology, Université Cornell, 2013, http://absp2.cornell.edu/ [45]
Webinaire “Genome Editing in Agriculture: Status in Bangladesh and Way
Forward”, organisé par l’Académie des sciences du Bangladesh (BAS), le
programme de renforcement de la biosécurité en Asie du Sud (SABP),
l’Agriculture & Food Systems Institute (AFSI), et Biotech Consortium
India Limited (BCIL), 1er juin 2022, https://foodsystems.org/event/ge-ag-bangladesh-2022/ [62]
L’agence scientifique nationale australienne, le CSIRO, est un
organisme réglementaire du gouvernement australien, constitué et opérant
selon les dispositions de la Loi sur la recherche scientifique et
industrielle de 1949. Les fonctions premières du CSIRO, en vertu de
cette loi, sont de mener des recherches scientifiques au profit de
l’industrie et de la communauté australiennes, et de résoudre les défis
majeurs par le biais de l’innovation scientifique et technologique.
Source : https://grain.org/e/6868
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