Le trio
Macron-Denormandie-Lambert
au chevet des pesticides
Où il est question d'un rapport vite enterré, d'un ministre, de la FNSEA. Où l'on apprend que la fin de l'utilisation des pesticides, ce n'est pas pour maintenant.
Un texte peut-il être euphémique et limpide à la fois ? Tel est bien le cas d’un prodigieux rapport intitulé « Évaluation des actions financières du programme Écophyto ». Cela ne donne pas envie, mais c’est dommage, car il révèle combien la politique de M. Macron, en l’occurrence servie par son ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, est pourrie jusqu’à la moelle. Il porte la signature de hauts fonctionnaires (ingénieurs des Ponts et du génie rural, et même Inspection des finances), ce qui rend très savoureux la suite.
Un, en 2019, la Cour des comptes se fâche, et lance un référé à propos de la faillite du plan public Écophyto. Des milliards d’euros – 643 millions pour la seule année 2019 –, qui devaient permettre une réduction de l’usage des pesticides, ont été jetés aux pourceaux. Deux, Denormandie est obligé de bouger, et ordonne donc, en bon filou, un rapport sur la question. Trois, ce dernier lui est remis en mars 2021. Quatre, Denormandie le planque. Cinq, la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) donne raison à France Nature Environnement (FNE), qui le rend public.
Le lire entre les lignes est un plaisir rare. Par exemple, que signifient au juste ces mots : « La gestion financière n’est pas attribuée aux responsables des actions du programme, mais à des opérateurs dont les missions ne sont pas centrées sur Écophyto » ? Ne serait-ce pas une manière diplomatique d’évoquer un vaste détournement de fonds ? De même pour ce délicieux passage : « Les constats de la mission […] interrogent également les principaux objectifs et actions du plan, qui n’ont, jusqu’à présent, pas été évalués ni fait suffisamment la preuve de leur efficacité. » Ainsi donc, on peut déverser des centaines de millions d’euros chaque année, comme autant de bennes à purin dans la cour des préfectures, sans regarder où va l’argent ? Notons.
Les auteurs du rapport ont oublié d’être stupides, et lorgnent en conséquence du côté de l’agriculture biologique. Et en effet, quoi de plus évident ? Si l’on veut réduire l’usage des pesticides – en 2008, Sarko promettait une réduction de 50 % en dix ans –, pourquoi ne pas favoriser un modèle qui n’en a pas besoin, plébiscité par la société ? Sans avoir l’air d’y toucher, le texte rend un hommage mérité à la bio, opposant les exploitations qui s’industrialisent encore plus, « pendant que d’autres recherchent la performance biologique par la permaculture et le travail intensif, avec des réussites parfois impressionnantes à petite échelle ». Dame ! : « La conversion [en bio] de 25 % des exploitations et des surfaces agricoles aujourd’hui conventionnelles, les autres ne changeant pas leurs pratiques, permettrait d’atteindre la moitié de l’objectif d’une réduction moyenne de 50 % [des pesticides]. »
Mais passons sur les recommandations, qui ne seront de toute façon pas retenues. À l’arrière-plan de cette tragi-comédie, il y a bien sûr une histoire, et elle est longue. Tous les politiciens de gauche et de droite ont misé depuis la création de la FNSEA – en mars 1946 – sur la consanguinité. Toute décision d’importance nécessite une double signature, aujourd’hui celles de Denormandie et de l’enivrante Christiane Lambert, cheffe du « syndicat ». À quand une véritable enquête sur les liens entre la haute hiérarchie de la FNSEA et l’industrie des pesticides ?
En attendant, un énième braquage politicien est en cours. La Russie et l’Ukraine pèsent ensemble 30 % des exportations mondiales de blé et 20 % de celles de maïs. Cornaquée par de bons communicants, la FNSEA est en train d’imposer, à la faveur de la guerre, l’idée qu’elle est le sauveur de la France, et qu’il faut laisser travailler l’industrie agricole avec beaucoup plus de « souplesse ». Moins de contrôles, plus de pesticides. Refusant les si maigres avancées du Green Deal européen, Macron, l’homme de tous les lobbies, a annoncé le programme le 18 mars : « Ces objectifs doivent être revus, car, en aucun cas, l’Europe ne peut se permettre de produire moins. » Au moins, c’est clair. ●
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